Dans la rue, personne ne s’arrête. Ce n’est là qu’un spectacle comme il y en a tant dans la ville. Recroquevillé dans la boue, un pauvre hère protège son visage des coups de fouet qui pleuvent sur lui. De temps à autre, un passant s’arrête, mais ce n’est que pour donner un encouragement à ses bourreaux, ou cracher sur leur victime plaintive. Ils ne s’arrêteront que, lorsque celle-ci demeurera immobile, l’écume aux lèvres. Alors les deux charognards, qui servent d’escorte chez le shérif, viendront le prendre et le jetteront dans le fleuve, où les alligators se chargeront de son sort. En attendant, les lanières de cuir claquent encore et encore, quand, soudain, l’un cesse son ballet.
– Hé qu’est-ce qui t’arrive, Joe ?
– J’crois qu’y faut qu’je lâche du lest, ricane l’intéressé, qui exhibe un sexe mou, d’où jaillit un trait jaune, qui s’en va éclabousser l’homme à terre. Il le secoue, puis le range, avant de reprendre là où il s’était arrêté.
Quelques minutes plus tard, le dénommé Joe grogne :
– Bon, j’crois qu’il a son compte, c’te négro. On devrait faire venir Red Dick et Dark Death. Z’en pensez quoi, vous aut’es ?
L’un des hommes lance son pied dans le flanc de l’homme, qui ne bouge plus.
– T’as raison Joe, ricane-t-il en dévoilant des dents réduites à l’état de chicots jaunes. Bon, b’gez pas les gars. J’vais chercher les jumeaux. Y s’fr’ont un plaisir de le balancer dans l’Mississipi.
Et l’homme s’éloigne d’un pas lourd, sa jambe droite traînant, souvenir d’une balle nordiste. Pendant ce temps, ces deux compères essuient méthodiquement leurs fouets, trempés d’un sang noir et poisseux, qui dégoûtent dans la boue. Un, deux, trois, les perles s’écrasent à terre et se mêlent à la fange brunâtre, qui s’écoule au milieu de la rue.
Sur le sol, presque inconscient, l’homme serre autant qu’il le peut les mâchoires, qu’ils le croient mort, car il appelle la vengeance. Derrière ses paupières tuméfiées, ses yeux ont éclaté, mais non sa colère, qui brûle au fond de ses orbites, amère. C’est à peine s’il entend les ricanements de ces maudits blancs. Il sent qu’on le traîne. Ses jambes s’entrechoquent mollement contre la terre détrempée et sa langue pend sur son menton, boursouflé.
– Bon Dick. Qu’est-ce qu’on en fait ? On s’amuse encore un peu avec lui, ou on le balance aux alligators.
– Attends ! J’crois qu’j’ai une idée, p’tite tête, ricane-t-il, en pointant du doigt l’atelier du maréchal-ferrant. À ton avis, ça court comment un nègre qu’on aurait ferré ?
– Ch’ai pas. Comme un âne ?
– Ben, ch’ai pas non plus. Hola ! Maréchal !
L’homme ferre un cheval de bât. En entendant la voix rocailleuse de Red Dick, il relève la tête. Il aperçoit derrière lui, le corps à demi enfoncé dans la boue. Connaissant ces deux fils de putain, il leur adresse un sourire narquois, déjà réjoui par la perspective d’un nouveau spectacle.
– J’en finis avec c’te canasson et j’suis à vous les gars !
Dick en profite pour mâchonner une chique, dont il fait gicler le jus noir, à grand renfort de râles et de reniflements. Pendant ce temps, Death tâte le corps du nègre à l’affût de la moindre des réactions.
– Hé ! Dick ! J’sens qu’on va bien rire. L’est pas tout à fait raide l’négro. C’qui s’accroche !
Et son compagnon éclate d’un rire gras et envoie un glaviot en direction du corps.
– Ah ! Dommage qu’on n’ait pas un tison ardent, tu viens de lui faciliter la tâche. Regarde, il s’en est foutu partout.
– Laisse tomber Death ! Tes trucs de tantes, ça m’fout les boules.
– Comme tu veux, Dick, maugrée-t-il en flanquant un violent coup de pied dans la figure de leur victime, qui ne bouge pas.
– Hé ! Vas-y l’démolit pas d’trop. Faut qu’on puisse au moins l’mettre à quat’e pattes.
Puis se tournant vers le maréchal-ferrant, il hurle pour couvrir le martèlement du métal sur le sabot :
– Hé ! Maréchal ! T’as pas un peu fini ?
– Presqje, encore cljou !
Et dans un soupir, il pose son marteau sur le sol, ainsi que la patte de l’animal, ravit de pouvoir enfin se concentrer sur le foin.
– Bon les gars, qu’est-ce qui vous amène ? sourit-il sardonique.
– On voudrait ferrer un âne, répond Dick en pointant négligemment du doigt, le nègre enfoui dans la boue. C’est combien ?
– Ah, ah, ah, ah ! Pour vous, ce sera gratis ! Aidez-moi à le hisser sur ces treuils. Il ne tient plus debout. Je vais vous la soigner, vot’e bestiole.
Death et Dick traînent alors l’homme dans l’atelier, où le maréchal lui passe un jeu de sangle en cuir, pour lieux le hisser et lui laissant pendant les membres. Puis il se saisit de lourds épieux en bois, qu’il leste de plomb et auxquels ils attachent fermement bras et jambes.
– Dites donc, les gars. Vot’e bonhomme, l’a pas l’air très frais. Vous d’vriez p’têtre lui offrir un coup à boire ?
Les deux hommes se regardent d’un air entendu et Death s’éclipse.
– Qu’est-ce qu’il est allé chercher ?
Dick le scrute d’un œil mauvais, renifle violemment, lance un crachat noir et collant, puis répond d’un ton empli de morgue :
– Not’e potion magique, maréchal.
– Pas l’tord-boyaux de c’te bon à rien de Grandico, quand même !
Dick dévoile ces chicots :
– D’la nitro, ça vous réveillerait un mort.
À ces mots, l’homme au tablier de cuir blêmit.
– Hé ! T’enfuis pas ! On n’a b’soin que d’quelques gouttes. Death est juste allé prendre la fiole. Tiens le v’la qui r’vient.
Suspendu, l’homme est toujours immobile. Il n’entend rien, mais son feu intérieur couve toujours et le dévore lentement.
– Vas-y, Dick ! Ouvre-lui la bouche, ricane Death, un petit flacon empli d’un liquide jaune à la main.
Mais elle refuse de s’ouvrir. L’homme a serré si fort, qu’il s’est paralysé les muscles de la mâchoire.
– On va voir si tu vas la garder encore longtemps fermée comme ça, sale négro, s’exclame Dick en ramassant un gourdin improvisé.
Et celui-ci, d’un mouvement souple et précis, dessine une parabole à l’aide de barre de fer, qui percute la commissure des lèvres, d’où s’échappe un flot d’ivoire écarlate.
– Hé, hé, hé, hé
Les rires mauvais se répercutent sur les murs de la grange, tandis que Death s’approche avec la fiole de la figure ensanglantée. Le maréchal tient dans l’étau de ses bras la tête de l’homme et Dick entrouvre les lèvres, réduites à portions de chairs éclatées, entre lesquelles son compère verse quelques gouttes, épaisses et grasses, de la précieuse potion.
Pendant quelques secondes, il ne se passe rien. Soudain le corps est pris de violentes convulsions.
– Hé ! les gars ! Z’aviez raison, c’est bien un âne. Regardez entre ses jambes !
Apercevant le sexe dressé de leur victime, Dick et Death éclatent de rire, à leur tour :
– Maréchal ! C’est à vous de jouer, je crois.
Et l’homme tire de la forge une pièce d’acier rougeoyante, en forme de croissant. Il l’approche de l’une des mains, afin de jauger de leur taille, puis en retaille la courbe. L’atelier se met alors à résonner des coups de marteau et des sifflements de la trempe.
– Tenez-le bien, je vais commencer.
Et le maréchal s’approche, marteau à la main, les clous entre les lèvres, le fer fumant tenu par les mâchoires puissantes d’une pince d’acier. Grésillement de la chair brûlée, l’homme se tord en tous sens, mais les entraves et l’étreinte des jumeaux l’empêchent de se dérober. Une odeur fétide de viande grillée s’élève alors de l’atelier, tandis que se répand le bruit du métal que l’on frappe. L’homme se débat, mais ne hurle pas. Il ne leur fera pas ce plaisir. Et ce n’est plus de la colère qui le consume, mais de la haine ; haine de lui-même, haine de ces hommes sans couleurs, haine de ses frères de couleur, lâches et faibles.
– Hé ! Death ! Il n’est pas très bavard. Il ne brait même pas.
– T’inquiète. Il reste un fer à poser, ensuite on lui remet une dose et tu vas voir comme il va galoper l’négro.
Pendant ce temps, le maréchal enfonce les derniers clous dans le pied de l’homme. Il se recule pour admirer son travail. Du sang noir coule des mains et des pieds. Après un coup de chiffon, il n’y paraîtra plus rien.
– C’est bon les gars. Descendez-le ! On va voir comme il court l’animal, grogne-t-il en balançant ses outils dans un coin.
Dick et Death s’approchent de l’homme et défont alors chacun les lanières de cuir qui l’entravent. Ses membres gonflés, pareils à des fruits blets, pendent lamentablement.
– Je crois qu’il est à point Death ! Vas-y ! Fous-le par terre, on va rire, ricane Dick en l’examinant.
– Hé négro ! Debout ! Tu m’entends ! J’t'ai dit debout ! Fous-toi à quatre pattes ! glapit Dick.
Comme il ne réagit pas, Death s’apprête à lui balancer son pied dans les côtes, lorsque Dick le stoppe net dans son élan.
– T’oublie la potion magique ou quoi ? T’as des trous dans la cervelle !
– Non. Mais tu sais c’que dit le doc' à ce sujet. Si t’en prends trop, l’cœur éclate.
– T’occupe Death ! Et laisse-moi faire, le coupe Dick en s’agenouillant près de l’homme inconscient. Hé, hé, hé ! Tu vas voir négro. J’ai encore d’la potion. On va t’ressuciter. T’vas et'e le nouveau Christ.
Mais l’homme est trop faible cependant pour serrer encore une fois les mâchoires. Et c’est en ricanant que Dick lui verse les dernières gouttes de la liqueur poisseuse. Tout d’abord, il ne se passe rien. Mais, tout à coup l’homme se met à convulser, tandis que des gerbes de sang jaillissent alors de tous ses orifices.
– Dick ! rugit Death. J’te l’avais bien dit ! Son cœur a éclaté. Merde ! L’est bon pour les alligators maintenant. Allez, aide-moi à l’foutre dans la carriole. On va l’balancer dans l’Mississipi.
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