Défi du chaudron du 2 Mai 2021 !
Objet/chose : « laser »
Émotion/état : « désespoir »
Couleur : « marron »
Affalée sur l’immense canapé du salon, j’essayais tant bien que mal de me vider la tête. La journée avait été éprouvante et envisager de ne rien faire m’avait tout de suite semblé être la meilleure solution à mes ennuis. La pluie battait sur la vitre qui donnait sur le jardin et mes cheveux, encore humides de ma course entre la station de métro et la maison, gouttaient sur le tapis. La demeure était silencieuse. Après mon altercation au lycée, plus tôt aujourd’hui, je pris la décision de ne pas me rendre en cours cet après-midi. Je pense que ma mère se mettra dans tous ses états en apprenant cette nouvelle.
Sécher les cours, à 16 ans, ne peut (selon elle) que m’emmener à une vie de débauche, de solitude et de désespoir.
Un peu « drama queen » sur les bords, ma maman.
J’ai peur qu’aujourd’hui soit la goutte d’eau qui ai fait déborder le vase. Mon vase.
Mes parents attachent une telle valeur à l’éducation que j’ai toujours été dans les meilleurs établissements de la ville. C’est comme ça que je me suis retrouvée dans un lycée privé, non mixte, en plein cœur de Paris. Toutes les filles qui étudient ici sont issues de familles toutes plus prestigieuses les unes que les autres : Filles d’ambassadeur, d’acteurs, de personnalités politiques ou de PGD de grands groupes…
Dans cet univers très select, il est difficile de trouver sa place. Dans mon cas, mon nom est célèbre mais je n’ai jamais su rentrer dans le moule que cette société m’imposait : De Cognac. J’étais née dans une vieille famille aristocrate comme il en reste peu en France.
Alors c’est avec ce nom, ces vieux principes et cet entourage aussi toxique qu’exigeant que je commençais dans la vie.
Pourtant baignée depuis toute petite dans ce monde, je n’ai jamais réussi à m’y faire : Plus les années passèrent, plus je devenais marginale au milieu de l’élite. Mes cheveux, de base marron glacé, sont devenu tantôt noir corbeau, bleu, blond décoloré ou encore rose ! Si je ne pouvais pas hurler combien cette vie m’était insupportable, j’exprimais mon ras le bol dans de multiples provocations qui avaient le mérite de choquer, au beau milieu de ce monde bien rangé.
Ce matin en arrivant au lycée, je suis tombée nez à nez avec Caroline. Je la connais depuis toujours. Nous avons grandi dans le même milieu. Lorsque l’adolescence a pointé le bout de son nez et que les regards commencèrent à se poser différemment sur elle, son comportement a changé. D’amies de longue date, nous sommes devenu de nouvelles inconnues.
En croisant son regard dans le couloir, je compris immédiatement que j’allais être, encore une fois, victime d’une de ses réflexions assassine :
- Eh bah alors la tarée, tes parents ne t’ont pas encore rasé la tête ?! Pouffa-t-elle avec ses copines, toutes plus malveillantes les unes que les autres.
- Ah mais c’est vrai ! T’es une vraie rebelle, toi ! Répliqua la plus grande du groupe.
- Franchement j’aurai honte d’avoir une fille comme toi ! Je me demande comment ils peuvent te laisser sortir avec une tête pareille ! Renchérit la troisième.
Cela faisait bien longtemps que j’avais appris que répondre à ce type d’attaques ne mènerait qu’à, au mieux, un dialogue de sourd. Dans le pire des cas, ça risquerait d’attirer encore plus l’attention sur moi. Et ça, il en était hors de question…
Finalement, j’aurai dû prendre leur compliment comme une vraie attention de leur part : Au milieu de leurs sujets de prédilection, aussi riches et stimulant que leur dernière épilation laser ou le prochain tapis rouge, mon existence avait finalement de l’importance !
Je pris sur moi et rentra en salle de cours, sans demander mon reste. Évaluation surprise ! Il n’y a pas à dire, cette journée commençait dans les meilleures circonstances ! A condition bien sûr d’être dépressif, solitaire et excellent en mathématiques.
Après de longues minutes, concentrée sur mon devoir, je senti comme un chatouillement dans la nuque. En me retournant, je vis l’amie de Caroline, la sympathique girafe, à moitié allongée sur sa table, une paire de ciseaux à la main… Et une mèche de cheveux dans l’autre. Une mèche de cheveux abimés, décolorés et… Ressemblant à s’y méprendre aux miens. Après avoir posé mon regard sur ses mains, je croisais enfin le sien. Ses yeux pétillants, son sourire vainqueur… Je senti mon visage rougir, mon cœur battre fort dans mes tempes, mon souffle s’accéléra… Son visage triomphant était la goutte d’eau.
Je me levai et c’était comme si mon cerveau ne répondait plus. L’adrénaline prit le pas sur la raison. Cette raison que j’avais eu tant de mal à apprivoiser.
Toutes les affaires sur sa table volèrent. Je n’entendais et ne voyais plus rien. S’en était trop.
Je saisi sa table et la renversa sur elle. Je sentis les bras de mon professeur saisir les miens, pour m’éviter de me laisser aller à cette rage qui me rongeait.
Je me retrouvai, en quelques instants, congédié dans le couloir du lycée. La déléguée avait comme mission de m’emmener chez le principal. Nous empruntâmes les couloirs, ma colère ne quittant ni mon regard fixe, ni mes poings serrés.
Une fois arrivé dans le hall de l’établissement, point convergent entre les différents pôles de l’école, je me précipita vers la porte d’entrée, et couru pour quitter cet endroit. J’entendis au loin ma camarade crier mon prénom pour que je revienne.
Je ne reviendrai pas. Je ne reviendrai jamais.
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