Rune se réveilla très tôt le matin, prête à en finir avec toute cette histoire. Elle enfila les vêtements laissés par Ivine la veille : un jean parsemé de trous et un tee-shirt moulant jusqu’au-dessus de son nombril, et qui épousait parfaitement sa silhouette avantageuse. Elle s’étira un peu, puis remit son manteau.
Elle remonta silencieusement, faisant attention de ne pas faire le moindre bruit. Une fois dans l’entrée, elle trouva un papier et un stylo. Elle rédigea une lettre d’adieu et de remerciement. Après tout ce que Badrass avait fait pour elle, elle lui devait bien ça. Elle la posa délicatement sur la table de la salle à manger, puis quitta les lieux.
Elle enfourcha sa moto et alluma le moteur. Le vrombissement réveilla le lotissement, alors que le soleil se levait à peine à l’horizon. Rune mit les gaz pour faire un tour en ville, retournant sur les anciennes traces de son passé : le cinéma où sa mère l’emmenait souvent, le parc où elle jouait petite, son ancienne école… Tant d’endroit qui lui remémora des souvenirs enfouis profondément dans son esprit.
Elle mangea ensuite dans un restaurant asiatique, celui-là même où ses parents lui offraient un dîner absolument divin. Le gérant n’avait toujours pas changé, et la nourriture restait succulente, malgré des prix en nette augmentation… Lorsque l’heure approcha, Rune se dépêcha de rejoindre le bar de Saya.
La chef du gang des CoinCoins attendait sur sa banquette VIP, comme à son habitude. Rune se présenta devant elle, prête à en finir. Les mains sur les hanches, Rune la dévisagea d’un air dur.
– Alors ? On y va ?
Un large sourire se dessina sur les lèvres de Saya.
– T’es sûre de toi ?
– J’ai pas le choix.
Saya eut un rictus.
– On a toujours le choix. Aller amène toi, je vais t’expliquer.
Saya se leva d’un bond et fit signe à Rune de la suivre. Elles traversèrent ainsi la grande salle et un couloir bien gardé où l’on pouvait entendre les cuisines en plein travail. Un peu plus loin, elles pénétrèrent dans une petite pièce remplie de caisses d’armes le long des murs. Rune se pencha pour voir le papier sur une partie de la table ronde. Il s’agissait du plan d’un bâtiment.
– Voilà la base des Gaufriers, expliqua Saya.
Elle montra du doigt une pièce au fin fond de l’habitation.
– Ici, ils gardent leur trésor. Des preuves de corruption, l’argent, tout ce qui leur permet de tenir les rênes du quartier qu’ils ont volé aux Cure-Dents. Notre mission, si tu veux bien l’accepter, ce sera de nous infiltrer dans le bâtiment et de tout faire péter.
Rune arqua un sourcil.
– Quoi ? demanda Saya. On va entrer par la fenêtre qui est ici, un espion de chez moi va la laisser ouverte. Elle est très peu gardée.
Rune ne répondit pas, elle continuait de la dévisager.
– Mais quoi ? s’énerva Saya.
– Si t’y vas déguiser en canard de salle de bain, on va se faire repérer à des kilomètres.
– Ah, ah, ah, très drôle ! Amène-toi !
Elle suivit Saya dans une autre petite pièce avec de l’équipement à foison. Elle récupéra un uniforme et lui tendit.
– Enfile ça ! Toi non plus t’es pas discrète !
Rune récupéra l’ensemble de vêtements noirs et se changea rapidement. Saya fit de même, puis elles s’armèrent de pistolet silencieux. La cheffe du gang prit soin de récupérer un sac à dos rempli d’explosif, ainsi qu’une ceinture où se trouvaient des outils pouvant servir : pince coupante, tournevis, accessoire de crochetage, grenades…
– On est que deux ? s’étonna la jeune femme.
– Ouais, c’est plus discret. Mais t’inquiète, j’ai des gars qui sont prêts à foutre le bordel partout pour nous couvrir si jamais ça part en cacahuète.
– Super.
Saya lui tapota l’épaule.
– Tu as une dernière chance de ne pas être une quintuple grosse conne.
Rune roula des yeux.
– Aller, on y va. Fais pas chier !
– Ok !
Les deux femmes partirent en voiture noire. Assise sur le siège passager, Rune laissait son regard vagabonder dans les rues. La misère gangrénait les trottoirs sales non entretenues, comme le reste des bâtiments, même si Saya essayait d’améliorer son quartier. La population partait travailler malgré les fusillades qui pouvaient avoir lieu n’importe où, pendant que d’autres continuaient de vivre sous des tentes. Ce fut encore pire lorsque les deux femmes pénétrèrent dans le secteur des Gaufriers.
La vie semblait tellement difficile pour ces pauvres gens. Dès le matin, le racket, la vente de drogue, et les agressions continuaient de pourrir leur quotidien. Rune voyait toute cette violence se déchainer, alors que ces pauvres gens ne demandaient qu’à vivre normalement. Quel monde pourri… Elle comprenait pourquoi Saya la trouvait stupide de revenir, mais au moins, son vaisseau l’attendait un peu loin.
Rune, éberluée, resta bouche bée devant la planque des Gaufriers. Il s’agissait d’un immense manoir à l’apparence gothique, situé dans une rue sans issue. Raya fit le tour du rond-point qui la précédait, puis se gara dans le parking d’un bar très connu.
– Qu’est-ce qu’on fait ? s’étonna Rune.
– Bah on attend que la nuit tombe. On reste aux aguets dans un coin, histoire de voir les allées et venues, ensuite on y va.
– Non, mais t’es sérieuse ? Tu crois que je vais rester toute la journée dans ton bar pourri ?
– Arrête de râler, amène-toi ! On va attendre que le soleil se couche.
Une fois dans le bar, les deux femmes y trouvèrent des membres des Gaufriers. Facilement remarquable par leur blouson noir, dont le cuir était moulé pour rappeler la forme de l’appareil de cuisine. Une idée bien étrange…
Dans le bar, évidemment, la gaufre restait le plat privilégié par les cuisiniers. Lorsque Rune s’intéressa au menu après s’être assise au fond de la salle, contre la vitre qui donnait sur le manoir, elle ne vit que ça ! Sucré, salé, les deux, il y en avait pour tous les goûts !
Elle observa les alentours, sentant le poids des regards suspicieux se braquer sur elle. Les quelques membres des gangs les fixèrent intensément. Saya commanda à manger, tandis que Rune resta sur une bonne bière.
– Qu’est-ce qu’on fou ? chuchota Rune. C’est plein de cons là-dedans !
– On surveille les environs ! T’en fais pas, ils vont vite se barrer vers dix-huit heures !
– Euh… Pourquoi ?
Saya ne lui répondit qu’avec un clin d’œil. Pas le choix, Rune devait prendre son mal en patience. Alors que l’après-midi passait lentement, prenant note de toutes les allées et venues jusqu’au manoir, le soleil finit par se coucher derrière les buildings. Rune, marre de ne rien faire, voulait bondir de sa banquette, mais Saya lui somma de patienter encore un peu. Alors qu’elle allait lui poser la question de savoir ce qu’elles attendaient, une détonation fit vibrer le bar.
– Pile à l’heure, s’amusa Saya.
Surprise, Rune chercha à voir ce qu’il se passait, tandis que tous les membres du gang vidèrent les lieux pour courir vers une deuxième explosion qui fit fuir toute la population du quartier.
Saya plaqua les mains sur la table.
– Voilà, maintenant on est peinard ! En route pour notre mission !
Rune n’y croyait pas. D’habitude, Saya restait bien plus discrète que ça. Mais qu’importe, Rune emboita le pas de son amie. Elles se glissèrent entre deux bâtiments, puis longèrent le mur arrière pour rejoindre le grillage de la bâtisse. Saya sortit une pince coupante, fit un joli troue, et elles s’infiltrèrent dans les jardins.
Plus le temps passait, plus il faisait sombre. Au loin, des coups de feu résonnèrent à travers la rue. Une véritable guerre envahissait les rues du quartier. Des gardes courraient dans tous les sens. Ils récupérèrent des voitures pour filer aider leur coéquipier, tandis que les deux femmes attendaient cachées dans un buisson.
– Tout le monde se barre, se réjouit Saya.
– T’as déclenché une guerre ou quoi ? Ça sert à quoi qu’on vienne faire sauter la pièce ?
– Ils sont trop nombreux, avoua Saya. Ils doivent juste faire diversion, puis se barrer le plus vite possible. On n’a pas beaucoup de temps, dépêche !
Elles se rendirent jusqu’au mur du manoir, où une fenêtre était restée ouverte. Rune trouvait ça trop beau, une entrée toute prête qui n’attendait qu’eux. Alors que Saya allait l’escalader, Rune l’en empêcha.
– Quoi ? s’énerva Saya.
– C’est bizarre, non ? Tu vas me dire que la fenêtre nous attendait ?
– T’inquiète, c’est ma taupe qui l’a laissée ouverte.
Alors que Rune allait dire quelque chose, Saya sauta et se hissa sur le rebord. Rune la suivit, non sans réfléchir à ce plan minutieux qu’avait préparé cette femme. Elle se demandait même si elle avait vraiment besoin d’elle pour son coup, ou s’il s’agissait juste d’un caprice pour qu’elle vienne avec elle. Finalement, la deuxième solution lui paraissait la plus rationnelle.
Comme le supposait le style gothique du bâtiment, on retrouvait un beau tapis rouge dans le couloir, avec le même style architectural dans les murs et le plafond. Des armures du moyen âge trônaient à intervalle régulier, comme si des soldats protégeaient les portes en bois dur qui les séparait de plusieurs pièces.
Les plans en tête, Saya lui fit signe de la suivre. Rune prit son pistolet en main, prête à descendre le premier garde qui pointait le bout de son nez. Elles entendirent des bruits de pas venir du détour du couloir. Elles se glissèrent dans la première pièce sur leur gauche, voulant éviter de se faire repérer si vite.
Elles arrivèrent dans le musée des gaufres. Exposé dans de magnifiques vitrines, il était possible de voir les évolutions de la manière de les faire, ainsi que des machines qui permettaient aujourd’hui de les faire en toute simplicité. Des tableaux, accrochés partout autour de la pièce, dévoilaient différents pâtissiers maîtrisant la fabrication de ce mets délicieux. Rune n’en croyait pas ses yeux. Leur chef était à ce point fan d’un simple gâteau ?
Les gardes passèrent lentement. Elles entendirent une partie de leur conversation sur le combat survenu au front. Ils maudissaient le gang de Saya, sans arrêt dans leurs pattes. Une fois passées, les deux femmes continuèrent leur chemin jusqu’à dénicher un escalier. Elles traversèrent un petit hall jusqu’à un grand salon et, plus bas, cette fameuse pièce qui renfermait tous les secrets du gang.
Néanmoins, elles entendirent deux armes être chargées derrière elle. Rune pesta et leva les mains en l’air, imitée par Saya.
– On fait demi-tour, les filles, prévint un des gardes.
Elles s’exécutèrent, tandis que les deux hommes pointaient leur fusil d’assaut sur elle, à bonne distance pour ne pas pouvoir se faire attaquer par surprise.
– Lâchez vos armes !
Elles obéirent, conscientes qu’elle ne pouvait plus rien faire pour se sortir de ce mauvais pas. Sans s’y attendre, Rune sentit une crosse la frapper en pleine tête, et elle s’écroula dans un râle avant de perdre connaissance.
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