Le soleil se couchait à l’horizon, projetant cette douce lumière orangée sur la ville de Life. Rune s’engouffrait dans un lotissement magnifique, dépourvu d’infrastructure gigantesque, avec des parcs parfaitement entretenus. Elle croisa quelques voitures et motos, des enfants s’amuser comme de petits fous sur les aires de jeu mises à leur disposition, ainsi que des passants promener leurs animaux de compagnie.
Rune voulait absolument revoir Badrass Kingle, un ami qui l’avait beaucoup aidé pendant qu’elle était entre les griffes de Raptel et de Liam. La soigner, lui vendre des armes, lui offrir un toit sécurisé, en bref, elle ne serait pas là sans lui. Elle savait qu’il avait déménagé. Après son départ, ce fut la seule personne à rester en contact avec elle. Néanmoins, depuis qu’elle enchainait les boulots de mercenariats, elle ne lui envoyait que peu de message.
Une fois devant son allée, elle gara sa moto, mit la béquille, puis s’approcha de la porte en retirant ses lunettes de soleil. Elle sentit son cœur s’accélérer. Elle souffla plusieurs fois pour déstresser, puis sonna. Elle attendit quelques instants avant qu’un homme à la peau sombre lui ouvre la porte.
– Rune ? s’exclama-t-il.
– Salut Badrass, répondit-elle avec un petit sourire, gênée.
Il ouvrit la porte en grand et la prit dans ses bras dans un rire sonore. Toujours aussi gentil, cet homme d’un bon mètre quatre-vingt-dix avait assez grossi depuis sa dernière visite. La dernière fois, elle avait l’impression de se coller à une armoire à glace.
– Qu’est-ce que tu viens faire ici ? demanda-t-il surpris.
– Je viens régler quelques petits problèmes. Je passais juste te voir, comme je suis dans le coin.
Il la fusilla du regard et posa ses mains sur les hanches.
– Ne me dit pas que tu revenu pour Raptel ? Et surtout, dis-moi que tu n’as pas demandé un service à Saya ?
Rune fit une grimace et haussa les épaules. Badrass soupira.
– Franchement, Rune, tu déconnes !
– Désolée, mais il le fallait…
– Tant pis. Tu veux venir manger un morceau ?
Rune agita les bras, embarrassée.
– Non, non, je ne veux pas m’imposer.
– Mais si, amène-toi. Je vais te présenter ma femme et mon fils.
Rune écarquilla les yeux. Lorsqu’elle l’avait connu, Badrass avait une vingtaine d’années et s’occupait des basses besognes des gangs. Souvent embauché comme garde du corps, il réalisait énormément de missions qui mirent en péril sa vie. Alors une femme et un enfant ?
Elle entra avec précaution, tandis que Badrass appela sa femme d’une voix forte.
– Yo, Ivine, viens ! Y’a Rune qui mange avec nous ce soir.
L’intéressée arriva dans l’entrée à la hâte, un torchon à la main. Une femme de même nationalité que lui, avec de longs cheveux aux pointes roses. Elle lui fit un large sourire et la salua.
– Oh Rune, tu es la bienvenue. Badrass m’a beaucoup parlé de toi.
– Ah oui ? s’étonna-t-elle.
– En bien, je te rassure, railla-t-il.
Il invita Rune à le suivre dans son salon. Cela n’avait rien à voir avec son appartement miteux d’autrefois. Le bougre possédait un canapé en U autour d’une petite table, avec une immense télé où son fils jouait à la console. Alors qu’il ignorait totalement l’invitée, son père le poussa à faire pause pour lui dire bonjour, mais il était tellement concentré sur sa course de voiture.
– Kaverin ! Dis bonjour à Rune, quoi ! s’énerva son père.
Le garçon obéit avant que la punition n’arrive. Elle en fit de même et il se remit sur sa console, voulant à tout prix finir premier. Ils sortirent dehors, sur la terrasse donnant sur un petit jardin. Au vu du barbecue déjà prêt, Badrass s’apprêtait à faire de bonnes grillades, rien de tel pour ouvrir l’appétit de Rune.
Rune s’installa à table avec le reste de la famille pour profiter de la bonne viande. La femme de Badrass s’occupait du barbecue pendant qu’il coupait les pommes de terre. Leur fils les rejoignit pour les aider, apprenant sur le tas. Lorsque Badrass apporta le tout, il s’assit à côté de Rune.
– Alors Rune, qu’est-ce que tu es devenu ? demanda-t-il.
Tout le monde l’écouta raconter son histoire. Content de voir qu’elle avait trouvé une société où vivre paisiblement, Badrass finit par montrer sa déception lorsqu’elle expliqua la raison de sa venue sur Terre. Elle détourna le regard, mais elle ne regrettait rien. Une fois que son passé définitivement rayé, elle pourrait enfin être libre. Badrass ne l’entendait pas de cette manière, mais il se garda de lui faire la morale. Elle souffrait bien assez comme ça.
Sa femme ramena le dîner, et ce fut à son tour de conter son histoire. Aussi étonnant soit-il, il avait rencontré son épouse lors d’une mission d’escorte, et depuis, il avait tout quitté pour vivre à ses côtés. Il expliqua qu’après avoir frôlé la mort, il se rendit compte de ce qu’il aurait pu louper, c’est ainsi qu’il se prit en main et qu’il abandonna toute cette violence pour vivre avec elle.
Son ancienne vie ne lui manquait pas. Il préférait largement la tranquillité dont il jouissait grâce à Saya. Il travaillait pour elle comme comptable, dans un immeuble ultra sécurisé, loin de tout risque d’attaque. Sa femme s’occupait de patients en hôpital en tant que chirurgienne, ce qui leur permettait de rassembler suffisamment d’argent pour vivre dans ce petit coin de paradis.
– C’est vraiment une belle histoire, souligna-t-elle.
– Merci ! s’exclama Badrass. Tu vas voir, elle est fine cuisinière.
– Je suis curieuse de voir ça.
Ivine arriva avec un plat rempli de morceau de viande grillée. Une délicieuse fumée s’en dégageait, avec une petite odeur de miel qui venait caraméliser cette nourriture succulente. Rune fut servie en premier, et une fois que tout le monde s’installa à table, ils trinquèrent à son retour.
– C’est vraiment un délice, avoua Rune à Ivine en mâchant un morceau de viande.
Cette dernière ricana.
– Merci ! Je crois que c’est pour ça que Badrass reste avec moi, je le tiens par l’estomac.
– Mais non chérie, je suis là pour ton argent !
Elle lui mit une tape amicale sur le bras, tandis qu’il riait avec son fils. Rune sourit, contente de le voir aussi bien dans sa vie. Elle se mit à réfléchir si la sienne pouvait se rapprocher de la sienne. Trouver quelqu’un, avoir un enfant, et vivre aussi heureuse et épanouie. Elle n’y croyait plus vraiment, même si elle l’enviait un peu. Néanmoins, elle ne se voyait pas s’occuper d’un enfant, ça non ! Elle préférait rester seule que d’élever sa progéniture dans ce monde horrible, quoi qu’en pense son entourage.
Rune termina son assiette, l’estomac bien rempli. Elle plaqua la main sur son ventre, elle ne pouvait plus rien avaler.
– Où vas-tu dormir ? demanda Badrass, curieux.
Rune n’y avait même pas réfléchi, mais après tout, ce n’était pas les hôtels qui manquaient dans Life. Même un appartement abandonné dans un coin lui irait très bien.
– Aucune idée. Je vais voir s’il y a un hôtel dans le coin.
Il fronça les sourcils.
– Attends, on a une chambre d’amis au sous-sol.
Rune remua les bras.
– Non, non, arrête. Vous m’avez suffisamment supporté.
Un large sourire se dessina sur le visage d’Ivine.
– Comme tu l’as dit, elle est mignonne, se moqua-t-elle.
Rune rougie.
– Tu peux rester voyons. Grâce à toi, mon mari est encore en vie. Je te dois bien ça.
Rune se souvenait parfaitement de ce jour où ils avaient dû travailler ensemble pour accompagner un client dans un casino. Tout avait dégénéré et elle lui avait sauvé la vie en prenant une balle à sa place. Il l’avait remercié tout le reste de leur collaboration, demandant sans cesse ce qu’il pouvait faire pour se racheter. Rune lui avait simplement demandé de rester en vie pour elle.
– J’accepte… murmura-t-elle.
Comment refuser cette proposition ? Ivine semblait si bienveillante. Badrass l’emmena dans le sous-sol par un escalier situé près de la cuisine. En dessous, il avait construit un véritable appartement indépendant du reste de la maison. La chambre possédait un grand bureau pour travailler, une penderie enfoncée dans le mur, ainsi qu’une salle de bain attenante.
– J’ai fait ça pour mon fiston. Quand il aura l’âge de ramener des filles, il n’aura peut-être pas envie de nous supporter, expliqua Badrass.
– Bonne idée, admit Rune. Il va être heureux ici !
– J’espère bien !
Ivine arriva à son tour avec une pile de vêtements dans les bras.
– Tiens, tu veux peut-être te changer ?
– Je…
– Tu as l’air de faire ma taille. Je te les laisse.
Rune ne savait pas quoi dire face à tant de générosité. Ils la laissèrent seule dans cette immense pièce. Les larmes aux yeux, elle les essuya d’un geste de la main, ne voulant pas pleurer devant tant de gentillesse qu’elle ne pensait pas mériter. Elle fila directement dans la salle d’eau, où se trouvait une immense baignoire. Badrass n’avait pas fait semblant !
Elle se prélassa dans une eau bien chaude, le temps de se détendre complètement. Elle resta là une dizaine de minutes, profitant de cet instant de calme avant la tempête qui s’annonçait. Son esprit vagabonda jusqu’à revoir les membres de l’équipe de Bardy, qu’elle avait lâchement abandonné. Elle s’en voulait, mais s’ils se retrouvaient à danger à cause d’elle, jamais elle ne pourrait se le pardonner.
Rune se surprise à penser à Chloé et Zaz. Leur bêtise lui manquait. Tout comme Rody, qui avait fait preuve de sentiment lors de son départ. Comment pouvait-elle continuer de rendre tristes toutes les personnes qu’elle croisait ? Elle mit la tête sous l’eau, dans l’espoir de noyer toutes ses idées noires.
Elle remonta à la surface puis sortit de la baignoire. Elle s’enroula dans une serviette et se sécha les cheveux. Elle enfila des sous-vêtements et se glissa sous les couvertures. Elle alluma la télé en face du lit, histoire de se s’informer sur ce qui se passait dans Life.
Une chaine spéciale d’information diffusait sans arrêt les évènements qui s’y déroulaient. Souvent critiquée pour son appartenance au maire, elle propageait les idées farfelues du chef de la ville pour tenter de ramener tout le monde sous son parti. Mais ce qui intéressait Rune, c’était les histoires de gangs. Il y avait des attaques et des guerres absolument partout, sauf dans le quartier central. Le présentateur s’amusait à compter le nombre de morts pour voir si le record était pulvérisé. Rune secoua la tête. Cette ville partait en cacahuète !
Elle éteignit la télé et se décida à dormir. Demain, elle devait partir aux aurores pour rejoindre Saya, dans une mission qui, elle l’espérait, n’allait pas lui couter cher…
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