Alors que son vaisseau partait pour la Terre, Rune ruminait au fin fond de sa cabine. Assise sur son lit, elle ne s’imaginait pas remettre les pieds sur cette satanée planète. Depuis qu’elle réussit à la quitter pour de bon, elle s’était jurée de ne jamais y retourner. Et voilà qu’elle s’y rendait pour faire table rase sur son passé, en s’occupant de Raptel Cure-Dent.
Buvant bière après bière jusqu’à ce que sa tête tourne, Rune grommela toute seule, s’énervant à chaque fois qu’elle pensait à son ancien tortionnaire. Cet être avait tout fait pour la garder près de lui, l’obligeant à tuer et à voler pour son compte. Elle ne pouvait plus rien faire pour redresser les tords qu’elle avait causé, mais les mauvaises actions de Raptel s’arrêtaient bientôt !
À force d’ingurgiter de l’alcool, Rune termina la nuit la tête dans la cuvette, vomissant tout ce qu’elle avait bu. Le crâne en vrac, elle s’avachit par terre, honte d’en être arrivée là. Elle sanglota en se frottant les cheveux. Elle frappa le sol du poing en hurlant.
La porte s’ouvrit dans un bruissement mécanique et Rody arriva en courant.
– Que se passe-t-il, dame Rune ? Vous…
Quand il vit sa mine déconfite, il l’aida à la relever rapidement. Malgré ses tentatives de le repousser, Rody réussit à l’allonger sur son lit. Rune, l’esprit complètement embrouillé par l’alcool, n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait. Tout tournait autour d’elle, tandis que son estomac grondait. Mal au ventre, elle se contorsionna alors qu’elle sentit quelque chose pincer son bras.
– Vous irez mieux demain, signala Rody.
Au plus mal, Rune sentit son esprit s’évader jusqu’à ce qu’elle ne sente plus rien, puis elle s’endormit.
Au petit matin, Rune se réveilla en sursaut. Seule dans sa chambre, elle frotta le crâne douloureux. Elle ne se souvenait de rien. Elle s’étira, puis rejoignit le cockpit, où son robot attendait en regardant une série sur sa tablette.
Rune reconnut immédiatement le décor qui s’étendait au-delà du pare-brise. Le soleil inondait des plaines désertiques à perte de vue, tandis que la nature tentait vainement de s’y développer à travers quelques cactus et autres buissons. Pas de signe d’oiseau ni d’animaux terrestres, la Terre n’avait plus rien de charmant.
Après le réchauffement climatique, lorsque le niveau de l’eau monta suffisamment pour engloutir les côtes du monde entier suite aux fontes des glaciers, les rayons de la naine jaune asséchèrent les rivières. Petit à petit, elles disparurent de la surface, sans que l’être humain ne puisse y faire quoi que ce soit.
Life était la dernière ville encore debout sur Terre. Construite vers la dernière zone d’eau du globe, elle subissait des températures avoisinant les 50 degrés. Elle abritait les dernières personnes désireuses de rester sur leur planète mère. Après tout, elle restait le berceau de l’humanité.
– Life est à une vingtaine de kilomètres, précisa Rody. J’ai pensé que vous voudriez rester discrète.
Rune sourit.
– Oui, merci Rody. Je vais y aller.
– Attendez, je viens a…
– Non !
Le robot pencha la tête sur le côté. Rune soupira et s’approcha de lui. Contre toute attente, elle le prit dans ses bras.
– Je dois y aller seule. Merci pour tout, Rody.
Elle le lâcha et lui donna une tape amicale sur la joue. Elle n’avait aucune idée de ce qui allait se passer, alors elle préféra lui faire ses adieux.
– Si je ne suis pas de retour d’ici trois jours, retourne sur Avracham pour y couler des jours paisibles. Je suis sûr que Bardy te recrutera.
Rody ne répondit pas tout de suite. Rune se demandait si elle lui faisait de la peine, alors qu’il s’agissait qu’un amas de circuits et de fil. Même si son programme semblait bien plus complexe que les autres. Il posa ses mains métalliques sur les épaules de Rune.
– On s’embrasse ou pas ? demanda-t-il de sa voix numérique.
Rune roula des yeux.
– Sérieux, pourquoi tu gâches ce moment ?
– Mais je…
Rune secoua la tête et se dirigea jusqu’au sas du cockpit. Elle l’ouvrit puis, au moment de mettre un pied dans le couloir, Rody la héla.
– JE NE VEUX PAS TE PERDRE !
Bouche bée, Rune résista à l’envie de se retourner pour ne pas l’abandonner. Non seulement elle sentait toute la détresse et l’émotion émaner d’une machine qui devait en être dépourvue, mais en plus il venait de la tutoyer pour la première fois.
– Prends soin de toi, Rody, dit-elle avant de quitter la pièce.
Les larmes aux yeux, Rune s’élança dans le hangar pour enfourcher sa moto. Elle prit soin de prendre son sac de munitions, un long manteau beige avec une capuche et des lunettes de soleil. Elle ouvrit le sas, laissant l’air chaud extérieur s’engouffrer dans la salle. Elle démarra la bécane et s’élança dans le désert aride qui recouvrait la Terre.
Grâce à son GPS, elle dénicha un chemin en direction des bidonvilles qui encerclaient Life. Elle ne cherchait pas à se rendre directement en ville, mais plutôt dans son ancienne maison. Elle voulait se souvenir des bons moments passés avec sa famille avant d’en finir.
Après une longue partit au milieu d’un désert dépourvu de vie, elle trouva une route de terre. Elle la mena jusqu’aux premières habitations. Quelques autochtones la fixèrent en passant, tandis qu’elle vit les premiers immeubles poindre à l’horizon. Très près du but, elle se retrouva dans le coin où elle avait grandi. Un lotissement d’une dizaine de pavillons, dont l’état semblait s’aggraver avec le temps. Des lézardes sur les murs, de la tôle pour remplacer le toit, des bacs pour tenter de récupérer la pluie, l’endroit s’avérait bien plus pauvre qu’autrefois.
Rune se figea devant son ancien logement, maintenant occupé par une mère et ses trois enfants. Elle hésita à visiter les lieux, eux qui avaient laissé toutes leurs affaires après être partis, mais elle n’osa pas déranger cette famille.
Les enfants s’arrêtèrent de jouer avec leur ballon, puis montrèrent Rune du doigt à leur mère. Elle s’approcha de Rune à la hâte, le visage sombre.
– Que voulez-vous ? On n’a pas d’argent !
La vie n’avait pas changé ici. Les gangs continuaient de s’en prendre au plus pauvre pour leur soutirer le peu de bien qu’ils possédaient. Les gamins, apeurés, reculèrent vers le pas de la porte. Rune écarta les bras.
– Ne vous en faites pas, je ne vous veux aucun mal. Je… J’habitais ici…
La femme, d’une quarantaine d’années, plissa les yeux. Elle tenta de scruter l’intérieur de la capuche, mais impossible de reconnaitre le visage de Rune. Cette dernière retira le tout, et la mère écarquilla les yeux.
– Mais oui ! Venez, entrez ! J’ai quelque chose qui vous appartient.
– Quoi ?
Étonnée, Rune bondit de sa selle pour la suivre.
– Quand nous avons occupé la maison, nous avons mis au grenier tout ce qui restait, au cas où la famille d’avant viendrait la chercher. Je ne vous avais pas reconnu !
– Comment ça ?
– Venez !
Rune suivit cette inconnue dans sa propre maison qui n’avait pas changé. À peine pénétra-t-elle dans l’entrée, qu’un flot de souvenirs se bouscula dans son esprit. Une petite cuisine sur la droite, un salon à gauche, il restait même la cheminée pour les nuits froides du désert.
Elle se souvint des histoires que lui lisait sa mère, devant le feu qui crépitait dans la nuit. Elle se voyait avec elle en train de l’aider à faire la cuisine, apprenant les recettes les uns après les autres. Aujourd’hui, elle ne le faisait même plus, comme si son décès emportait avec elle toutes ces connaissances.
– Je m’appelle Galine, continua la mère en montant l’escalier.
– Je suis Rune, répondit la jeune femme en revenant à la réalité.
Elle grimpa les marches grinçantes jusqu’au palier. Au lieu de suivre Galine vers le grenier, elle fit un détour en s’arrêtant devant son ancienne chambre. Elle surprit de voir les mêmes meubles toujours debout. Son petit bureau s’étendait dans un coin, tandis que le lit trônait au milieu de la pièce poussiéreuse.
Les murs se lézardaient avec le temps, alors que la saleté s’accumulait sur le sol. Impossible de nettoyer des taudis pareils. Rune se demandait pourquoi cette famille ne quittait pas cet enfer brulant ? En fait, elle se surprit à se poser la question, car elle connaissait la réponse : les gangs et la mairie faisaient tout pour garder le contrôle des départs de la Terre. Après tout, que diriger si tout le monde partait ?
– C’était votre chambre ?
Rune sursauta. Elle fit volt face et fixa Galine.
– Je… Oui, désolée. Je ne voulais pas être indiscrète.
Elle secoua les mains.
– Mais non, mais non ! Je vous en prie, prenez votre temps. Ça n’a pas dû être facile de vivre ici…
Rune leva les sourcils.
– Oh non… Et je pense que vous en bavez aussi, n’est-ce pas ?
Galine hocha doucement la tête.
– Oui, ce n’est pas facile tous les jours…
Elle soupira puis fit signe à Rune de la suivre. Au grenier, sous cette tôle qui servait à reboucher les parties du toit effondrées, Rune trouva des cartons posés à même le sol. Galine en sortit un et le glissa vers elle. Rune s’agenouilla et l’ouvrit, le cœur battant. Elle découvrit ses jouets, ses motos télécommandées, ainsi qu’un cadre avec sa mère en photo. Une larme perla le long de sa joue, se remémorant ce chapitre si beau de son histoire.
Ce jour-là, Rune et sa mère se promenèrent toute la journée à moto pour visiter le coin et jouer avec la vitesse. Contre toute attente, elle avait tenu le guidon pour la première fois de sa vie. Jamais elle n’oublierait la sensation de liberté et les vibrations qui parcoururent ses bras pendant ces quelques minutes.
Rune sanglota, découvrant ensuite un album photo.
– Je vous laisse, murmura Galine en quittant les lieux.
Elle le feuilleta page après page. Elle avait l’impression de revivre son enfance à travers ces clichés. Les joies d’ouvrir ses cadeaux de Noëls au pied d’un cactus décoré, de jouer avec son père dehors, de vadrouiller avec sa mère, de jouer avec ses anciens camarades… Tant de choses qu’elle ne faisait plus depuis longtemps.
Elle se laissa aller, pleurant tout ce qui lui restait dans le cœur. Ce flot de sentiment rester prisonnier depuis des années sortit brutalement. Elle avait envie de hurler, mais elle préféra se calmer pour n’effrayer personne. Elle s’essuie les joues puis redescendit.
Galine était dehors en train de jouer avec ses enfants. Elle sourit en voyant Rune sortir.
– Vous allez bien ?
– Beaucoup mieux, rassura Rune.
– Vous ne récupérez pas le carton ?
– Gardez-le pour l’instant, je reviendrai le chercher.
– Pas de problème ! Vous pourrez rester manger.
Rune acquiesça d’un hochement de tête, même si elle pensait ne jamais revenir. De toute façon, quand on entrait dans la ville de Life, on en sortait jamais. Ou alors, pas entier. Mais après avoir revu ces photos, Rune enfourcha sa bécane et mit les gaz vers la cité, déterminée à en finir avec son passé !
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