Maintenant que la musique ne hurlait plus à travers les enceintes du vaisseau, Rune profitait du calme pour boire un verre. Rody lui faisait face, les yeux rivés sur la valise qu’elle avait posée sur la table. Avachie dans sa chaise, Rune ingurgita plusieurs lampées de whisky.
Le robot en profita pour tendre les bras sur l’objet de sa mission. Rune se redressa et lui tapa sur les mains, le foudroyant du regard.
– Qu’est-ce que tu fais ? gronda-t-elle.
Rody se retira.
– Je voulais voir ce qui se trouvait à l’intérieur.
– On n’ouvre pas ! s’exclama Rune. Tu sais très bien qu’on ne regarde pas dans les affaires des clients.
– Vous ne voulez pas savoir pourquoi vous avez risqué votre vie, dame Rune ?
– Arrête avec tes « dames », soupira-t-elle. Et non, je veux juste arriver sur Farol au plus vite. Tu as mis le cap dessus ?
Rody acquiesça d’un hochement de tête. Rune plissa les yeux, surveillant les moindres faits et gestes de son compagnon. Elle savait qu’elle devait emmener la valise dans sa chambre et garder un œil dessus, sinon il n’hésiterait pas à l’ouvrir pour satisfaire sa curiosité mal placée.
Rune prit la mallette et se rendit dans sa chambre. Elle enleva son pantalon et se mit à l’aise dans son lit. Elle récupéra sa tablette et se connecta aux chaînes télé du système. La deuxième planète mère des Humains, Terra, était devenue le principal centre d’activité. Grâce à Terrallywood, un nouveau cinéma était né pour le bien de l’humanité. Rune profitait ainsi des innombrables films et séries à sa disposition, mais tout cela l’ennuyait un peu.
Elle regarda quelques épisodes par-ci par-là, attendant patiemment d’arriver à destination. S’il y avait bien une chose que Rune détestait, c’était de rester enfermée ici à attendre que le voyage ne se termine.
Ces moments de solitude accaparaient son esprit. Elle n’avait pas de loisir… Peut-être devait-elle changer ça ? Faire de la peinture ? Du dessin ? Lire un peu plus souvent ? De la musique ? Il y avait tellement l’embarras du choix qu’elle ne choisissait rien. Elle restait là, telle une coquille vide, à passer le temps devant des niaiseries.
Elle soupira après le dernier épisode de sa série. Comme d’habitude, cela se terminait en une fin insoutenable, elle désirait la suite ! Elle n’avait plus qu’à espérer la voir un jour, si la plateforme voulait bien financer la prochaine saison…
Elle changea de logiciel sur sa tablette puis observa le trajet actuel. Elle fut soulagée de voir qu’il ne restait que deux trois heures à tuer avant d’arriver. Elle soupira. Elle remit son pantalon et se rendit dans le garage pour s’occuper de sa moto. Après tout, elle possédait maintenant les pièces adéquates pour la réparer !
Lorsqu’elle entra, elle se retrouva devant la façon de ranger de Rody : empiler toutes les caisses achetées les unes sur les autres. Elle secoua la tête, puis se mit à la tâche. De toute façon, ce robot n’allait pas l’aider, au contraire, il trouverait une excuse pour ne pas ranger. Elle s’occupa donc à mettre à sa place chaque outil. Rody arriva alors qu’elle faisait du tri pour que les pièces rentrent sur les étagères.
– Puis-je vous aider ? demanda-t-il de sa voix numérique.
– C’était tout à l’heure qu’il fallait faire ça, gronda-t-elle.
Il pencha la tête sur le côté.
– Désolé, je ne sais pas où se range ce bazar. Je préfère vous laisser faire.
– Dans ce cas, occupe-toi de réparer le vaisseau. Il a dû subir des dommages après l’attaque du Saint Ordre Félin.
– À vos ordres ! dit-il avec enthousiaste en faisant un salut militaire.
Il partit en vitesse, comme s’il n’attendait que ça. Rune fronça les sourcils, puis haussa les épaules. Elle ne savait pas ce qui lui prenait, mais autant ne pas le savoir. Elle préféra se concentrer sur sa moto qui avait toujours besoin d’une pièce de rechange.
Elle mit toute son énergie dans la réparation de bécane, si bien qu’elle ne vit pas le temps passer. Après plusieurs heures de démontage et de remontage, Rody l’appela par les communications internes pour lui signaler la planète en vue.
Rune termina rapidement, contente de son chef d’œuvre. Satisfaite, elle posa les mains sur les hanches et admira son deux-roues. Finalement, c’était peut-être ça son loisir : s’occuper de la moto qui appartenait à sa mère ! Après tout, elle aimait tellement en faire. Cela lui rappelait sa jeunesse sur Terre quand elle passait des journées entières sur la route. La sensation de liberté, celle de pouvoir aller où bon lui semble. Aujourd’hui, elle ne ressentait plus cette joie intense. Était-ce parce que ses parents étaient morts ? Elle en doutait…
Quand Rody l’appela de nouveau, elle roula des yeux et se contenta de le rejoindre dans la salle des commandes. Maintenant en orbite autour de Farol, il lui montra une carte holographique désignant la ville de Toraven où ils avaient rendez-vous. Voyant qu’il y avait un spatioport, Rody envoya une demande d’atterrissage.
Quelle fut la surprise quand Rune vit le refus. Elle s’installa sur son fauteuil et répondit à son tour, voulant absolument savoir pourquoi elle n’avait pas le droit d’atterrir et surtout, qu’ils devaient ramener un objet à une cliente.
La réponse fut simple et efficace : vu votre tas de merde spatial, vous n’avez pas le droit de souiller notre belle citée ! Veuillez-vous rendre dans la ville basse ! Pouilleux !
Rune s’avachit dans son siège et posa les pieds sur le tableau de bord.
– Sale connard. Tu vas voir qui est un pouilleux !
– Que dois-je faire ? demanda Rody.
– Fais ce qu’il nous dit. Si je le croise, je lui mettrais mon poing dans la gueule.
Rody acquiesça et s’avança vers une autre ville qui s’étendait autour de la cité.
– Pouvez-vous lui mettre un coup de pied dans ses parties génitales de ma part ? demanda le robot.
Abasourdie, Rune le dévisagea avec stupéfaction. Elle ricana avant d’accepter sa requête. Après tout, cet homme devait bien subir ça vu la façon dont il les avait traités.
Rody descendit toujours plus bas, s’approchant d’un autre spatioport. Mais celui-ci était vraiment construit à l’arrache ! Rune n’avait jamais vu ça ! Il s’agissait seulement d’un grand terrain vague, où quelques vaisseaux s’y trouvaient déjà. Personne n’avait pensé à faire une structure en métal pour y accueillir les nombreuses navettes ? Et pourquoi y en avait-il un dans la grande ville et pas celle-ci ?
Rune se leva, prête à se rendre à son rendez-vous. Elle ne savait pas ce qui l’attendait à Toraven, mais cela lui déplaisait déjà.
– Que fais-je en attendant ? demanda Rody.
– Tu as fini de réparer le vaisseau ?
– Je pense oui…
– Fais le ménage alors.
– D’accord !
Rune fronça les sourcils. En se mordillant les lèvres, elle se demanda ce qu’il pouvait bien faire de tout ce temps. Jamais Rody n’aurait accepté si vite de telles tâches. Essayait-il de la pousser à rester dans la navette ? Rune haussa les épaules et la quitta en vitesse après avoir récupéré la valise.
Rune traversa le parking, où des vaisseaux en tristes états stationnaient depuis des lustres. Personne ne les entretenait ? Elle se dirigea vers un chemin de terre qui serpentait à l’intérieur d’une forêt. Rune marcha lentement, toujours sur ses gardes, mais aucun agent de sécurité ne semblait se préoccuper du spatioport. Un léger vent soufflait à travers les arbres aux troncs rosés, jouant à faire virevolter sa chevelure émeraude. Rune profita de cet air frais, elle qui restait la plupart du temps dans son vaisseau ou dans des stations spatiales.
Une pancarte en bois indiquait le nom de Goraville. Elle donnait l’impression que ce village vivait au moyen âge. Ce qui semblait complètement stupide au vu de la technologie que l’être humain possédait. Et pourtant, lorsqu’elle arriva devant les premières maisons, elle fut stupéfaite de voir des habitations en bois !
Mais qui construisait un village aussi primitif ? Elle s’avança, scrutant les environs avec intérêt. Les gens semblaient crasseux, mal habillés, pauvres… Comment était-ce possible aujourd’hui ? À quoi jouaient les dirigeants de cette planète ?
Elle s’arrêta net alors que des enfants s’amusèrent à tourner autour d’elle en rigolant, avant de fuir à travers les rues de la ville. Elle déambula sous les yeux accusateurs des habitants. La naine jaune déversait ses rayons sur ce pauvre peuple qui s’occupait de labourer les champs à la main, alors qu’il existait des tonnes de machines.
Rune se demandait où elle avait atterri. Elle remarqua une taverne d’où émanait un brouhaha et une odeur d’alcool fort. Collée contre le mur, une affiche annonçait le début des grands jeux de l’arène. Intriguée, Rune lut ce dont il s’agissait. C’était assez… dérangeant !
Des adolescents entre 15 et 20 ans devaient se rendre dans un Colisée pour divertir les nobles et tenter de gagner une place dans la belle cité de Toraven. Et pour cela, plusieurs concours devaient être gagnés : manger le plus de beignets en un temps réduit, saut en hauteur avec de la boue, course sur les mains ? Rune fit la grimace. Qu’est-ce que c’était que ces aberrations ?
Elle soupira puis laissa tomber ces imbécilités. Si cela amusait les nobles, ils avaient des goûts plus qu’étranges. Mais qui était-elle pour juger ? Elle se contenta de se rendre aux grandes portes de Toraven.
Un grand mur métallique séparait les deux villes. Des gardes armés jusqu’aux dents protégeaient son entrée. Ils firent signe à Rune de ne pas s’approcher davantage et lui demandèrent de retourner dans sa bouse. Rune hoqueta de surprise. Elle scruta derrière elle pour être sûre qu’ils parlaient bien d’elle. Ne voyant personne, elle se montra du doigt, perplexe.
– Ouais, c’est à toi qu’on parle ! Bordel, elle est conne en plus.
– Hé, abruti, le héla Rune. Je suis là pour Megimi Narouako ! Elle a demandé qu’on lui livre une valise. Vous voulez que je l’appelle pour lui dire que vous m’empêchez d’entrer ?
Le nom les surprit. Ils se dévisagèrent un instant, hésitant à la faire entrer. L’un d’eux finit par demander à Rune de s’approcher.
– C’est bon, vous pouvez entrer. Mais pas comme ça.
Rune fronça les sourcils. Elle lui emboita le pas alors qu’il la conduisit dans une petite pièce.
– Déjà, vous ne puez pas, c’est un bon point, signala le garde.
Rune avait une folle envie de lui mettre un bon poing dans les valseuses, mais elle se ressaisit et écouta les tirades de cet homme. Il alluma la lumière, dévoilant ainsi de nombreux vêtements tous aussi étranges les uns que les autres. Il en prit un et lui tendit.
– Mettez ça.
Rune prit le vêtement avec une grimace. Il s’agissait d’une robe presque transparente. Sur les épaules rembourrées se trouvaient des espèces de choux en tissus. Des anneaux jaune vif venaient décorés les poignets et les mollets. Il lui présenta aussi un chapeau haut de forme avec des plumes rouges. Pour les bottes, il lui fallait mettre des talons de dix centimètres roses, avec des cœurs.
–Vous êtes sérieux, là ? demanda-t-elle en montrant ces vêtements horribles.
Le garde lui montra une cabine de change en guise de réponse.
Rune soupira. Elle espérait que la récompense soit à la hauteur de cet effort. Elle retira les siens et enfila ces choses. Ce n’était, mais alors, absolument pas confortable. Même si la robe semblait légère, les anneaux la serraient. Et tout cela, c’était sans parler des talons. Comment les femmes pouvaient marcher avec des chaussures pareilles ?
Elle termina par le chapeau qui lui donnait un air stupide et sortit. En la voyant arriver, le gardien eut un large sourire en la scrutant de haut en bas.
– Parfait !
– Rince-toi l’œil et je te l’arrache, pigé ?
Le garde la dévisagea, mais ne fit pas attention à sa remarque acerbe.
– Où se trouve Magimi Narouako ?
– Villa 103, au nord de la ville. C’est la maison rose.
Après avoir noté les indications, Rune suivit le garde dans un couloir, jusqu’à la sortie de cet antre. Ses pas résonnèrent dans le corridor, tandis que Rune cherchait un équilibre pour se déplacer avec ses horreurs. Elle manqua de se tordre les chevilles plusieurs fois.
– Vous allez vous y faire, prévint son guide.
– Bien sûr ! Et si je vous colle le talon dans les couilles, vous allez vous y faire ?
Le garde soupira et lui ouvrit la porte sur Toraven.
– Parlez correctement, sinon vous allez finir en garde à vue.
Comme simple réponse, Rune lui fit un doigt d’honneur avant de découvrir la splendeur de la ville. Des maisons magnifiques, des rues propres avec des voitures électriques partout, des gens heureux, souriants et propres. Tout l’inverse de ce qu’elle venait de traverser. Pourquoi une telle diversité ? Elle s’engagea sur le trottoir, scrutant les passants. Ils portaient tous des accoutrements étranges. Habillés de rose, de jaune et d’autres couleurs fluorescentes, avec en prime des chapeaux en forme de cône aux belles plumes. Les femmes se déplaçaient avec d’immenses talons aiguille qui donnaient tant de fil à retordre pour Rune, tandis que les hommes portaient des sandales, leur laissant le loisir de décorer leurs ongles de pieds avec toutes sortes de couleurs et de motifs. Une mode que Rune était loin de partager…
Alors qu’elle traversait les rues de cette ville, elle découvrit un monde beaucoup trop coloré pour elle. Chaque villa alternait d’une couleur. Rose, Rouge, Bleu, Jaune, Vert, tout y passait ! Mais quelle idée de faire une cité pareille ? Rune ne comprenait pas la volonté de cette population de s’installer ici. Rien qu’en marchant dans cette allée, Rune sentit sa tête tourner.
Sans parler des hommes et femmes qui luisaient à travers les rayons de la naine jaune, tellement ils se maquillaient. Leur sourire sonnait faux lorsqu’elle les croisait. Elle finit par s’y faire et ne faisait plus attention à ces dingues. Elle se contenta de se rendre dans la grande villa rose fuchsia de sa cliente.
Rune sonna à la porte. Elle attendit jusqu’à ce qu’une femme forte lui ouvre.
– Que puis-je pour vous ? demanda-t-elle alors qu’elle secouait un éventail sur son visage.
– Je vous rapporte ceci, répondit Rune en lui montrant la mallette.
La femme écarquilla les yeux. Un long sourire aux lèvres, elle jeta son éventail pour récupérer l’objet et le poser sur le pas de la porte.
– Mon p’tit Griboubou !!
Rune hoqueta de surprise.
– Griboubou ?
En ouvrant la valise, Rune vit un chat à l’intérieur. Il miaula et sauta dans les bras de sa propriétaire. Ils s’échangèrent un instant de tendresse sous le regard effaré de Rune. Elle venait vraiment de risquer sa vie pour un vulgaire félin ? Avait-elle vraiment enfilé ces vêtements ridicules pour rendre le chat de cette femme ?
– Merci beaucoup… Madame ?
– Octald. Rune Octald.
– Merci Rune ! Vous avez mérité votre paiement.
Grâce à leur tablette, Magimi lui fit un paiement plus qu’honorable. Rune se demandait s’il n’y en avait pas plu que ce qu’elle devait recevoir. Voyant sa mine déconfite, Magimi la rassura.
– Ne vous en faites pas, profitez de tout cet argent. J’en ai bien assez. Et puis, vous m’avez ramené mon p’tit bout d’chouchou !
Rune la regarda faire des mamours à son chat. Comment les gens pouvaient-ils être aussi gagas avec leur animal ? Cela la dépassait. Elle haussa les épaules et retourna jusqu’à son vaisseau.
Au retour, elle repassa dans la cabine d’essayage pour se changer. Le garde lui signala qu’elle était bien plus belle dans les habits réglementaires, ce qui lui fit gagner un coup de pied bien placé. Et ce n’était pas avec le talon !
Rune rentra au vaisseau et demanda à Rody de décoller. Cette fois, pas question de repartir en mission. Elle voulait se rendre sur Avracham, la ville des pirates, afin de se reposer.
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