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volume 1, Chapitre 6 « La brèche » volume 1, Chapitre 6

— 11 Décembre 2024, 17h13

Helena travaillait consciencieusement depuis des heures à l’établissement d’un programme plus performant pour les expérimentations futures de sa nouvelle équipe ; c’était une partie minutieuse bien que répétitive rattachée à ses fonctions pour la bonne marche de leurs projets.

Elle déverrouilla les fichiers affichés sur l’écran de son poste de travail, mais le retentissement d’une alarme perturba ses réflexions ; elle pesta intérieurement contre cet exercice intempestif qui se déclenchait au moins une fois par semaine depuis qu’elle était arrivée au sein de l’équipe.

« Votre attention s’il vous plaît, ceci est une alarme de sécurité de niveau 4, tout le personnel est invité à rejoindre les zones d'évacuation dans les plus brefs délais… »

La voix suave et légèrement aguicheuse qui avait été choisie pour matérialiser les instructions de l’intelligence artificielle de la cité avait le don d’être à la fois détestable et ennuyeuse.

« Docteur, entendit-elle dans son dos. Nous devons y aller. »

Ricardo se tenait à quelques pas d’elle et lui tendait la mallette destinée à accueillir les disques de sauvegarde de leurs recherches.

« Ce n’est qu’un exercice.

— Pas cette fois, j’en ai bien peur, » répondit-il un peu plus sèchement qu’il ne l’avait voulu.

Comprenant qu’il ne plaisantait pas, la jeune femme se saisit des disques de sauvegarde logés devant elle à l’intérieur d’une trappe et les déposa dans la mallette que Ricardo s’empressa de refermer.

La lumière du laboratoire vacilla et un grondement sourd fit trembler les murs. Helena admit finalement que la situation était cette fois bel et bien sérieuse et récupéra sa tablette abandonnée sur la paillasse avant que tous deux ne quittent les locaux du laboratoire.

Dans les coursives, la panique avait gagné la foule des scientifiques soudainement inquiétés par la tournure des évènements.

« Que se passe-t-il ? s’enquit la jeune femme auprès d’une de ses connaissances qu’elle rattrapa dans la cohue

— Certains disent qu’il y a eu un incident dans les niveaux supérieurs, ils font évacuer toute la tour. »

Il disparut à une intersection et Helena s’empressa de rattraper le Docteur Rodriguez. Tous deux patientèrent avec les autres blouses blanches devant les portes de l’un des ascenseurs du bâtiment ; la jeune femme s’approcha un peu plus de lui et murmura :

« Un incident dans les laboratoires supérieurs, c’est très mauvais signe.

— Pourquoi ?

— Expérimentations à risques biologiques manifestes.

— Décidément, Marakov n’apprendra jamais… »

Dans l’industrie biotechnologique, il était rare de commettre deux fois la même erreur, à moins bien sûr de ne pas être guidé par le bon sens. Eugène Marakov était trop enclin à prendre des risques inconsidérés pour s’enrichir et développer toujours plus son exploitation de la science. Si pour le commun des mortels l’apparente douceur derrière le regard du vieil homme apportait une touche de sensibilité à son entreprise, certains refusaient d’y voir autre chose qu’une immonde et vile créature égoïste.

Ricardo commençait à ne plus en douter.

« L’alerte de niveau 4 suggère une fuite d’agent biologique dangereux si je ne me trompe pas ? »

Helena resta interdite, non pas par un snobisme quelconque, mais par l’invasion d’un millier de questions supplémentaires dans son esprit déjà encombré.

« C’est une possibilité parmi d’autres, expira-t-elle distraitement.

— À quoi pensez-vous ?

— Rien d’important. J’espère simplement que ce n’est qu’une précaution zélée. »

La jeune femme n’attendait aucune réponse de son supérieur ; en réalité ils ne se connaissaient pas suffisamment pour être en mesure de se préoccuper l’un de l’autre.

Ricardo pensait à Anna, son visage attristé lorsqu’il avait dû, une fois de plus la déposer chez sa mère après les vacances scolaires ; il songeait à la galère dans laquelle il s’était embarqué encore une fois et le danger potentiel matérialisé par cette sonnerie insupportable.

Bien sûr, il n’était pas certain que cela soit autre chose qu’un exercice grandeur nature, où une erreur de diagnostic de la part des systèmes de surveillance, mais le pire des scénarios se jouait dans la confusion de ses pensées. Dans d’autres circonstances, il aurait sans doute songé de façon plus rationnelle à simplement s’extraire de cette foule affolée à l’idée qu’un accident pouvait arriver. Pourtant, ce n’était pas quelque chose qui l’effrayait. Il avait seulement envie d’être auprès d’elle.

Calme-toi, ce job va te permettre de lui offrir ce qu’il y a de mieux, un chalet au Canada… Peut-être même vivre en Europe. C’est bien l’Europe. Et c’est loin de sa mère.

Il fut tiré de ses réflexions par l’arrêt de la cage d’ascenseur. Arrivés dans les zones de transit entre les trois tours d’Atlantis, toutes les employés qui avaient anxieusement patienté quittèrent l’habitacle et se pressèrent dans les allées.

« Vous ne trouvez pas ça étrange toute cette histoire ? hasarda un membre du personnel à un autre.

— De quoi, tout ça ?

— Oui, juste après que les balises aient été perdues.

— Allons, ne voyez pas des conspirations…

— Non ! Mais ça sonne faux. »

Les deux techniciens en tenues de travail bifurquèrent et Ricardo qui entendait la conversation sans l’écouter pour autant se posa quelques questions. Marakov n’était clairement pas un homme aux mains impeccablement propres et, dans le meilleur des cas, il avait à sa disposition toutes les ressources nécessaires pour que jamais sa responsabilité puisse être mise en cause.

« À quoi pensez-vous ? intervint la jeune femme, soucieuse.

— Que savez-vous de Waterfall ?

— Ce que la presse a relayé : un accident qui a coûté la vie à une dizaine de chercheurs.

— Il faut que l’on parle, suivez-moi. »

Helena se figea derrière son nouveau mentor qui, à l’aide son accréditation activa l’accès à la perpendiculaire des tracés d’évacuation ; la lourde porte se referma automatiquement après leur passage dans un claquement sonore.

Le corridor semblait s’enfoncer profondément dans la base et Helena le suivit jusqu’à une salle à l’écart du monde. La plaquette affichée sur l'écoutille prévenait les intrus du danger et de l’interdiction d’y pénétrer sans habilitation d’un niveau suffisant, sous peine de se voir poursuivi par la société.

Les serveurs dégageaient une chaleur intense à peine compensée par la climatisation qui peinait à maintenir la température au-dessous de quinze degrés Celsius. La jeune femme déglutit avec difficulté devant la position compromettante dans laquelle Ricardo l’avait entraînée sans aucun avertissement.

« Pourquoi sommes-nous là ? s’impatienta-t-elle, contrariée d’être mise devant le fait accompli.

— Il n’y a pas de surveillance audio ici, nous pourrons parler librement.

— L’évacuation, elle a été ordonnée…

— Justement, nous pouvons en profiter pour creuser une piste.

— Quelle piste ? »

Le scientifique se retourna vers l’un des terminaux engagés dans les armoires clignotantes et fit apparaître une séquence sur l’écran avant de s’expliquer :

« Connaissez-vous les jardins de la tour A ?

— Simplement entendu parler. Ils font partie des appartements privatifs du professeur Marakov.

— Lors de ma convocation, j’ai pu apercevoir ceci… »

L’image en noir et blanc retraçait le parcours du vieil homme dans la serre située au dernier étage de la tour et dont il se réservait la jouissance exclusive ; des fleurs et des haies parfaitement taillées encadraient un chemin de pavés droit.

Lorsque la silhouette pénétra dans la cabane posée au fond du petit parc, un lit médicalisé apparut dans l’entrebâillement de la porte.

« J’ai ensuite cherché la correspondance à cette salle. La caméra était verrouillée bien au-delà de mes accréditations. »

Après avoir fini de taper un ensemble de codes complexes, une nouvelle vidéo s’afficha alors et cette fois-ci le son était activé.

« Je vous le ferais payer, traître.

— La révolte gronde Marakov, elle vous détruira et réduira à néant tous vos efforts.

— Rien de ce que vous pourrez avancer Marcus, ne pourra me convaincre. »

La jeune femme devint blême ; la surprise maquilla son visage d’une expression nouvelle, elle resta interdite, ne sachant si elle avait réellement compris le nom de l’interlocuteur du patron de Marakov Global ou si son esprit lui avait joué un tour de plus.

« C’est impossible… Ce ne peut pas être lui.

— C’est ce que j’ai d’abord cru. Mais en creusant davantage du côté des dispositions prises par la compagnie concernant Marcus, je me suis aperçu que rien ne concordait.

— Pourquoi Marakov le retiendrait-il ? Pourquoi nous aurait-il menti surtout ?

— C’est ce qu’il va nous falloir découvrir. Mais pour ça j’aurais besoin de votre aide. »

La jeune femme lui parut encore plus mal à l’aise tout à coup, le visage défait et le regard fuyant.

« Tout cela va beaucoup trop loin… Je…

— Nous devons comprendre ce qui se passe. Vous vouliez faire la lumière sur toute cette histoire, non ? »

Helena semblait perdue, apeurée. Elle était effrayée par la réalité de ce qui jusqu’à maintenant n’avait été qu’un ensemble vague de théories qu’elle s’était elle-même mise à élaborer.

Elle observa attentivement l’image figée sur l’holoécran ; sa curiosité était piquée et elle se sentait partagée entre l’envie de découvrir la vérité sur la disparition de Marcus et la peur d’être piégée par Marakov.

« J’occuperais Marakov… Il est le seul à se rendre dans la serre.

— Et la vidéo ? Les services de sécurité…

— N’en sauront rien. J’ai quelques connaissances en la matière, expliqua-t-il en lui révélant une carte mémoire tirée de sa poche. Je ne peux pas le faire sans vous, vous aurez quinze minutes. »

La jeune femme baissa son regard vers le sol, elle semblait être en plein questionnement ; quand elle releva vers Ricardo son expression avait changé et il put lire la détermination sur son visage.

« Si Marakov apprend ce que l'on s'apprête à faire, alors... » précisa-t-elle en acceptant, une main tendue.

Ricardo la saisit et puis inséra la carte dans la fente prévue sur l’un des serveurs dont les diodes électroluminescentes clignotaient frénétiquement ; l’interface de l’holoécran afficha l’initialisation des commandes et il tira de sa poche sa tablette personnelle.

La connexion acceptée, il récupéra la support et vérifia sur l’écran du PDA qu’il avait bien accès aux programmes de la base ; seule la vidéosurveillance était sous son contrôle et se matérialisait par un dossier supplanté d’une coche verte.

« Allons-y, je vous donnerais les détails du chemin à emprunter pour vous y rendre.

— On dirait que vous faites ça tous les jours…

— J’ai sans doute été un James Bond dans une autre vie… Ça et le cinéma. »

La plaisanterie la fit sourire et ils quittèrent la salle aussi discrètement qu’ils y étaient entrés avant de rejoindre la masse des employés qui s’évertuait à prendre le chemin de la passerelle.

Il ne leur fallut pas moins d’un quart d’heure pour parcourir la distance les séparant de la zone plus sécurisée d’accès aux étages privatifs et de direction ; Ricardo se présenta au garde tandis qu’Helena s’engouffrait dans la coursive de service.

La première étape était engagée et il n’y avait plus de retour en arrière possible. Ce soudain état de stress la fit tressaillir quand elle s’avança dans le tunnel adjacent ; le boyau était étroit compte tenu de son inhabituelle longueur, Helena avait l’impression de se retrouver à bord d’un sous-marin.

La tuyauterie courait au plafond et bifurquait de temps à autre à travers les cloisons et était remplacée un peu plus loin par une jumelle sans aucun signe distinctif. Ricardo lui avait expliqué qu’aucune surveillance n’était établie dans ces coursives seulement empruntée par les techniciens de maintenance de la cité.

Arrivée à une écoutille, elle commanda l’ouverture de celle-ci d’une simple pression sur l’interrupteur fiché dans la cloison. Un nouveau couloir tout aussi ennuyeux et vide, mais elle savait quel chemin elle devrait suivre pour atteindre les niveaux supérieurs en moins de dix minutes.

La porte se referma et la jeune femme reprit sa route, sur ses gardes.

« Je dois voir Monsieur Marakov, immédiatement.

— Navré, mais l’état d’urgence…

— C’est extrêmement important.

— Je vous dis que c’est impossible Docteur. Les protocoles sont très clairs.

— Lorsque votre patron demandera pourquoi il n’était pas au courant des dysfonctionnements en cours, vous lui expliquerez que le règlement vous l’a interdit ? »

Le soldat ne cilla pas, mais Ricardo vit dans son regard une imperceptible lueur juste avant qu’il ne se saisisse de sa radio.

« Monsieur, dit-il, le docteur Ricardo Rodriguez souhaite voir Monsieur Marakov. »

La réponse ne se fit pas attendre, son oreillette chuinta légèrement, puis il s'adressa à son interlocuteur :

« Bien Monsieur, je transmets. »

Le jeune homme se retourna de sa droiture toute militaire et apposa son pouce sur le lecteur d’empreinte digitale de la porte ; le sas glissa dans la cloison pour révéler le couloir richement décora que le scientifique avait parcouru la veille.

« Suivez le chemin jusqu’aux ascenseurs, il vous y attendra. »

Ricardo le remercia silencieusement et s’engouffra dans le corridor ; le temps pressait et ce fichu gardien lui avait fait perdre quelques précieuses minutes dans son timing très serré. S’il ne parvenait pas en temps et en heure devant Marakov, Helena se retrouverait brusquement sous le feu des projecteurs et il devrait alors compter sur le fait que personne, parmi les membres du personnel de sécurité, ne regardait l’écran à ce moment-là.

Il pressa finalement le pas et appuya nerveusement sur l’interrupteur de l’ascenseur ; la sonnette le surprit et il s’engouffra à l’intérieur. Durant son ascension il s’était remémoré le discours préparé pour interpeller le vieil homme et garantir à sa complice un instant de tranquillité dans la serre.

Ricardo ressentit les battements tonitruants de son cœur quand la cage s’arrêta et les portes s’ouvrirent sur le grand salon du fondateur de la société. Personne ne s’y trouvait. Cela ne rajoutait qu’un peu plus de poids aux tambourinements de ses tempes.

Ressaisis-toi Bon Dieu, ça n’a rien de sorcier et il faut découvrir le fin-mot de toute cette histoire, pensa-t-il.

Une porte s'entrouvrit entre deux plantes exotiques, non loin de lui. Marakov apparu, assis dans un siège confortable derrière son bureau ; sur la droite, tenant le battant avec déférence un homme en costume sobre et chic l’invita à entrer.

Sans un mot, il referma les deux portes après le passage de Ricardo et s’éclipsa sur un simple regard de Marakov.

« Que se passe-t-il Docteur ? »

Ricardo observa attentivement les écrans qui se trouvaient derrière Marakov et s’approcha en validant discrètement la commande du piratage. Il laissa retomber le PDA au fond de sa poche et entreprit de s’expliquer.

« Je crois avoir mis la main sur quelque chose… dit-il mystérieusement, piquant la curiosité du vieil homme.

— Prenez donc un siège, je vous écoute. »

Ricardo s’installa dans l’un des deux fauteuils couverts d’un velours bordeaux du plus bel effet et s’expliqua :

« Les recherches de mon prédécesseur ont abouti, d’après ses notes, à la ‘naissance spontanée’ d’un organisme pluricellulaire complexe.

— Cela faisait partie de son domaine de prospection, oui, approuva son vis-à-vis en croisant les doigts devant lui.

— Il en a déduit à la viabilité d’un tel organisme que la construction gène après gène était possible. Cependant je me dois d’émettre une réserve sur ce point.

— Pour quelle raison ?

— L’ensemble de sa thèse se base sur la réussite empirique de son expérience. Pourtant il demeure un vecteur incontrôlable d’évolution.

— Le produit E14 ? »

Ricardo fut étonné que Marakov ait eu connaissance de ce nom ; cela ne pouvait signifier qu’une seule et unique chose : il était bel et bien au courant des dernières avancées de Marcus.

« Le catalyseur auquel vous faites référence a été créé il y a quelques années par une équipe à la pointe du développement, intervint Eugène entre deux inspirations profondes. Mais je suis certain que vous êtes au fait de nos brevets Docteur.

— En ce sens, oui.

— En quoi cela pourrait-il avoir vocation à entrer dans votre projet ?

— Les avancées thérapeutiques. Nombreuses sont les maladies diagnostiquées qui pourraient être prévues et corrigées avant même d’apparaître. »

Eugène se leva difficilement et fit le tour de son bureau pour venir attraper un volume parmi les centaines d’ouvrages couvrant les murs. Sa main frêle saisit la couverture reliée de cuir brun qu’il déposa devant Ricardo.

« La mécanique organique.

— Un livre très ancien… commenta Ricardo en passant ses doigts sur les écriture dorées.

— Et un puits d’inspiration pour tout un lot d’hommes de sciences. Savez-vous ce qui définit notre monde, Docteur ? La connaissance, » expliqua Marakov.

Marakov avait une vision particulière de la perfection, une image figée sur une excellence biologique caractérisée depuis le choix méticuleux des gènes de lors de la fécondation in vitro jusqu’à l’éducation personnalisée dans l’optimisation de chaque individu. Certains lui prêtaient volontiers des idées proches de certains mouvements radicaux prônant l’eugénisme, mais il sembla à Ricardo que le vieil homme était malgré tout au-dessus de toute considération raciale ou politique.

« Le savoir est l’arme la plus puissante qui ait vu le jour sur cette planète. Donnez à un singe la possibilité de sublimer la vie, il ne saura quoi faire de ces outils, mais pour d’un homme de science…

— Peut-on réellement permettre un tel pouvoir ?

— Toute la subtilité est de ne pas le laisser entre les mains d’idiots incapables de dissocier croyances et superstitions. »

Étrangement, Rodriguez ressentit une pointe d’amertume dans l’intonation du vieillard qui avait repris place dans sa chair confortable ; il soupira de l’effort important qu’il avait accompli et reprit son sérieux.

« Marcus n’était pas un homme à qui confier un tel pouvoir.

— Pour quelle raison ?

— Sa loyauté n’avait d’égal que le poids d’un portefeuille vide, si vous me pardonnez l’allusion.

— Il vous espionnait ? »

Ricardo vit la mine d’Eugène brusquement se renfrogner ; pendant un instant, l’image du vieil homme découvrant toute la supercherie de son stratagème avait provoqué une sensation désagréable sur sa nuque, une pointe de stress. Les traits de son visage se relâchèrent tout aussi rapidement avant que sa voix chevrotante n’enchaine sans aucun ménagement.

« La traitrise conduit à la perte, la perte à l’effondrement et c’est une chose que je ne tolère pas, dit-il d’un ton qui se voulait ferme. Marakov Global a besoin de stabilité et de fiabilité pour pouvoir donner au monde ce qui lui est nécessaire. Rien d'autre. »

La discussion semblait fermée et Ricardo préféra ne pas insister. Une œillade furtive à l’écran situé dans el dos du vieil homme, au-dessus du foyer crépitant avait achevé ses angoisses d’apprenti-espion ; Helena était passée sans encombre et disparut derrière la porte en bois de la cabane de jardin. Ses traits se relâchèrent et instinctivement, un soupir lui échappa.

« Quelles étaient les implications de mon prédécesseur dans cet engrenage ? Je sais que cela…

— Non, non… coupa le président. Je prête confiance Docteur, aux hommes qui sont doués d’intelligence, qui connaissent leur place de leurs véritables intérêts. »

La conversation avait soudainement pris un nouveau tournant, comme une menace sous-jacente de la part de Marakov ; Ricardo riposta avec une étonnante décontraction :

« Telles sont les valeurs de l’homme de science.

— Des qualités bien trop rares à mon goût. Enfin… répondit-il, nostalgique. Vos travaux corrigeront le contretemps orchestré par votre prédécesseur.

— Justement, puisque vous en parlez…

— Qu’y a-t-il ?

— Sans ligne conductrice, sans véritable but… »

Eugène porta une main tremblante à son menton et fit mine de réfléchir, le regard rivé sur le sous-main en cuir de son bureau ; quelques documents sans importances meublaient l’espace de la table et un holoécran désactivé s’épanouissait dans le coin droit.

« Notre quête d’un remède est inespérée, mais si proche, se confia-t-il, le regard perçant. La solution universelle, capable de soigner, prévenir les maladies et contrecarrer les effets indésirables du temps. »

Soudain, la cause sembla bien plus personnelle à Ricardo qu’il ne l’avait envisagé ; Marakov ne souhaitait plus le simple profit, mais un traitement

pour le plus ancien mal de la vie: sa fin elle-même.

Il chercha un moyen d’éluder la suite de la conversation qu’il avait lui-même déclenchée, mais Eugène le prit de cours :

« Je ne demande pas de compréhension, de compassion ou de pitié Docteur Rodriguez. Seuls le travail et la loyauté m’importent désormais. »

Les yeux d’Helena mirent quelques instants pour s’accoutumer à la soudaine obscurité de la cabane ; le jardin profitait d’une extraordinaire exposition aux lampes simulant la lumière du soleil indispensable aux cycles de la photosynthèse ; la transition l’avait quelque peu surprise.

Le sol grinça au premier de ses pas et elle retint son souffle, espérant que personne ne l’aurait entendue. Lorsqu’elle distingua enfin les instruments présents dans la première pièce elle se demanda si elle n’avait pas mal évalué la taille extérieure de la petite construction de bois. À droite une pelle et une bêche neuves reposaient contre le mur luisant à la faible lueur de la lampe qui grésillait au-dessus d’elles.

Une quinte de toux la fit sursauté : elle ne pouvait être seule, c’était une certitude qui lui noua l’estomac d’un retord inconfortable. Sa respiration se crispa et ses doigts se refermèrent sur ses paumes endolories.

Le fond de la cabane accueillait une porte et un lecteur d’empreinte désactivé ; sur le même pan, une table supportait quelques carnets de notes mal rangés dont certains étaient négligemment restés ouverts.

Pourquoi me suis-je lancé là-dedans, se dit-elle en levant les yeux aux ciels, se maudissant de s’être emballée pour une telle entreprise.

Après une profonde inspiration, la jeune femme aventura son pied vers l’avant en direction de la porte vitrée entrouverte ; il ne pouvait s’agir que d’une personne immobilisée au son tonitruant d’un moniteur médical et des bips qui martelaient un rythme cardiaque bien trop lent.

Après quelques pas, elle observa l’autre côté avec une appréhension qui n’avait fait que croître et entraperçut la silhouette dissimulée sous les draps blancs du lit médicalisé. Le corps frêle et bien plus petit qu’elle ne l’avait cru était relié à des tubes prélevant dans des poches des substances colorées.

« Je savais que vous me trouveriez… » chevrota la voix de l’invisible.


Texte publié par Théâs, 6 août 2021 à 21h22
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