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volume 1, Chapitre 2 « Carnet de route » volume 1, Chapitre 2

29 Novembre 2024, 5H45

Helena était une jeune femme au cœur tendre, tout juste sortie des années fac avec pour seul bagage une intelligence au-delà de tous soupçons et des recherches concluantes dans certains domaines prisés de la génétique humaine. Ses quartiers étaient encore baignés d’une obscurité apaisante, et, dissimulée sous les draps elle rechignait à se lever ; la journée s’annonçait intense avec au programme le début de ses travaux d’assistante du mondialement reconnu Docteur Ricardo Rodriguez, un des pionniers de la science moderne.

Le communicateur posé sur la table de chevet attenante au lit se mit à clignoter, signe qu’une communication était en attente et la jeune femme sursauta presque en s’en apercevant.

« Docteur Korskev, s’annonça-t-elle.

— Docteur, désolé de vous déranger si tôt, Ricardo Rodriguez, nous nous sommes rencontrés hier, s’excusa l’homme à l’autre bout du fil. J’aimerais vous voir avant de rencontrer l’équipe ce matin.

— Oui, bien volontiers ! répondit-elle avec plus d’engouement qu’elle n’aurait souhaité.

— Disons dans une heure au self ?

— Comptez sur moi. »

Son cœur battait la chamade de s’être faite surprendre de la sorte, mais décidée à ne plus rester allongée en attendant le retour du sommeil, elle entreprit de se lever et parcourut la courte distance qui la séparait de la petite salle de bain attenante à sa chambre.

La lumière s’alluma à sa seule présence et la jeune femme se positionna machinalement face à la glace éclairée ; les cheveux défaits, les yeux endoloris par la luminosité, elle se décida à entrer dans la douche et l’eau se mit automatiquement en à pleuvoir sur elle à la température pré-réglée.

Atlantis mettait à disposition de son personnel des locaux équipés des technologies de pointe dans tous les domaines de recherche pour lesquels il était mandaté ; côté personnel en revanche, seules les chefs des divers projets de recherches se voyaient attribuer de véritables appartements, les laborantins et autres chercheurs devaient en revanche se contenter du minimum vital. La cabine se composait d’un espace de vie que chacun pouvait meubler comme il le souhaitait et d’une minuscule salle d’eau où se côtoyaient une vasque surmontée d’un miroir, une cabine de douche et des toilettes.

En réalité Helena s’y était plutôt bien adaptée, elle avait retrouvé un espace de vie probablement aussi restreint que la chambre de bonne qu’elle louait à Moscou pendant ses cinq années d’études sur le campus de l’université locale, mais cela ne la dérangeait pas.

La vapeur se dissipa immédiatement après qu’elle eut coupé l’arrivée d’eau bouillante et, se saisissant d’une longue serviette de bain blanche, elle la noua au-dessus de sa poitrine.

Tant d’années de labeur, de travail acharné pour se faire remarquer au sein de la communauté scientifique pour se retrouver parquée à une centaine de mètres de profondeur dans un lac de l’Alaska ; parfois elle se surprenait à repenser avec nostalgie à sa vie passée : ses amis à Edimbourg, sa famille dans le petit village de Volieska et plus particulièrement Svenko, son frère cadet qui lui manquait par-dessus tout.

Elle saisit la photographie punaisée sur le tableau de liège surplombant son bureau et sur lequel figuraient des instants de ces moments chéris.

Le petit garçon se trouvait sur ses épaules, non loin de la maison de leur grand-mère, à quelques kilomètres de la ville en pleine toundra sibérienne ; comme il devait avoir grandi depuis… Prenant une profonde inspiration, la jeune femme repiqua dans le bois moelleux le cliché et, après avoir correctement séchée sa peau, elle entreprit de passer l’uniforme fourni par la compagnie.

Helena était une jeune femme brillante, au tempérament discret mais toujours volontaire et capable de faire preuve de l’intelligence la subtile et bienveillante qui soit, pourtant, elle savait qu’en s’engageant parmi les loups de la profession, elle ne pouvait qu’avoir à faire à nombre de projets que sa morale répudiait depuis toujours. Aussi s’était-elle promis de ne pas laisser ses convictions personnelles entraver son travail, ni même court-circuiter son avenir.

Reléguant ses vieux souvenirs au fond de son esprit, elle était prête à rejoindre son responsable pour ce qu’elle espérait être l’une des plus enrichissantes journées de sa vie. Machinalement, la jeune femme récupéra sur son bureau le carnet dans lequel elle prenait soin de noter tout ce qui lui passait par la tête, noircissant les pages dans sa langue natale d’idées, de concepts et de solutions à des problèmes qu’elle n’avait pas encore rencontré.

Son esprit était constamment en réflexion depuis qu’elle était enfant. Le médecin du village où elle avait grandi lui avait diagnostiqué d’abord une forme très rare d’hyperactivité, puis s’était ravisé lorsque la jeune fille devenue adolescente avait montré des signes très clairs de précocité intellectuelle. Dès lors, sa grand-mère, la tutrice légale des enfants Korskev avait entrepris de financer les études de sa petite-fille, pour lui garantir un avenir plus grand que ce que Volieska pouvait lui offrir.

Des années d’internat dans une des écoles les plus strictes de la nouvelle Russie, puis en Europe de l’Ouest et pour finir dans l’une des plus prestigieuses universités de Saint-Pétersbourg.

Helena ajusta le col de sa veste et attrapa la blouse soigneusement pliée sur le siège près de l’entrée et quitta ses quartiers pour rejoindre le centre névralgique de la cité sous-marine, le point où tout le monde se rencontrait chaque matin avant de vaquer à ses propres occupations situé au dixième étage de la tour principale. Si la nourriture n’était pas sa préoccupation primaire de la matinée, la jeune femme devait reconnaître qu’elle avait besoin d’une grande tasse de café comme il était de fait proposé le plus communément du monde aux Etats-Unis.

Après avoir sélectionné sur la borne le programme désiré, elle patienta le temps qu’une femme aux joues roses et au regard animé de deux pupilles d’un noir profond n’apparaisse avec sa commande dans les mains.

« Bonne journée, » souhaita la quadragénaire au teint uniforme avant de retourner dans l’arrière salle.

Helena ne lui répondit que par un sourire discret qu’elle n’attendit même pas et pris place dans la salle panoramique de l’établissement encore déserte. Dans moins d’une heure, les scientifiques de tous horizons se presseraient pour prendre rapidement un café avant de se rendre à leurs laboratoires et la salle serait pleine de conversations discrètes.

La jeune femme se glissa entre les tables éparses et s’installa comme à son habitude contre la rambarde ouvrant sur l’étage inférieur et donnant une vue imprenable sur la vallée sous-marine. Cet endroit respirait le calme, lui permettant pendant un bref instant de faire le vide dans son esprit. Elle posa le plateau sur la petite table de bois ronde et prit place sur l’une des deux chaises qui lui étaient réservées avant de tirer de l’une de ses poches le petit carnet de note qu’elle emportait partout avec elle.

Ecrire était un exutoire pour elle, une façon peu commune d’ôter de son esprit les pensées parasites qui l’ennuyaient constamment ; elle griffonna à la volée une formule mathématique qui lui était subitement apparue et détailla dans sa langue natale les explications qu’elle avait en tête. Bien souvent ses notes finissaient par dormir au fond d’une valise qu’elle conservait précieusement dans ses appartements, source inépuisable d’idées farfelues ou censées mais qui, une fois posées sur le papier ne la hantait plus.

« Bonjour, fit une voix masculine dans son dos.

— Docteur ! dit-elle un peu trop fort sous l’effet de la surprise. »

La jeune femme se leva et lui serra vigoureusement la main.

« Vous ne vous arrêtez jamais ? dit-il en apercevant le carnet ouvert.

— Ce ne sont que des idées, sans grand rapport avec notre travail, déclara-t-elle, un peu gênée.

— En tout cas je suis content que vous soyez aussi matinale que moi ! »

Ricardo était un homme dans le début de la quarantaine, plutôt bel homme à en croire les groupies qui se comptaient par dizaines sur les campus où il avait enseigné ou mené des conférences. Helena lui reconnaissait volontiers un certain charme mais elle était convaincue que son atout majeur en ce qui la concernait était son parcours scientifique exemplaire et le charisme qu’il dégageait en toutes circonstances.

« Navré de n’avoir pas pu discuter davantage hier, s’excusa l’homme avant d’avaler une gorgée de café brulant.

— Ce n’est rien, dit-elle sur le ton de la conversation. Le professeur Marakov devait vous recevoir, c’était entendu.

— Est-il vrai que vous avez obtenu votre doctorat en ingénierie génétique auprès de lui ? » dit-il pour briser la glace.

La jeune femme approuva d’une brève inclinaison de la tête, puis, reposant sa tasse sur la table expliqua :

« Le professeur Marakov trouvait mes théories intéressantes et lorsque mes travaux de recherche sur l’hybridation des cellules souches des mammifères ont abouties, il a voulu que je travaille pour lui. »

Helena se surprit elle-même à faire une phrase aussi longue pour parler d’elle-même tandis que d’ordinaire elle se serait contentée d’évoquer la chance qu’elle ait eu d’être au bon endroit au bon moment.

« J’ai lu votre publication à ce sujet dans la revue scientifique, de solides arguments… approuva-t-il. J’aurais donc l’honneur de travailler avec vous durant ma mission ici. »

La jeune femme eut un petit sourire, heureuse de se voir approuver par celui qui allait devenir son mentor pendant l’espace de plusieurs mois.

« Alors, enchaina-t-il pour éviter un silence trop pesant, j’ai pu consulter les notes de recherche de mon prédécesseur et j’ai hâte de voir les résultats obtenus au laboratoire.

— Ses recherches étaient bien avancées en effet, développa la jeune femme avec prudence.

— Mais il n’est nulle part fait mention de la raison de sa démission.

— Je ne sais rien à ce sujet, tempéra-t-elle, mal à l’aise. Le docteur Marcus avait des idées bien arrêtées sur l’exploitation des travaux que nous entreprenions.

— Des idées qui ne devaient plus correspondre aux objectifs de la compagnie, j’imagine, » en déduit-il à haute voix.

Helena était subitement devenue nerveuse, et sans réellement s’en rendre compte elle avait commencé à faire claquer ses ongles sur le bois verni de la table. Soucieux de ne pas froisser la jeune femme, Ricardo reprit de plus belle :

« J’ai le sentiment que nous ferons du bon travail ensemble. »

A ces mots, la scientifique d’origine slave se détendit et cessa immédiatement son tic d’anxiété.

« Notre projet le plus récent est sur le point d’aboutir, il ne restait plus que quelques semaines d’expérimentation à mener sur les primates pour que le dossier puisse être bouclé.

— Travaux exemplaires d’après ce que j’ai pu en lire, dit-il sur le ton de la conversation en relisant les notes inscrites sur l’écran de la tablette dont il ne se séparait plus depuis son arrivée. Quelle est votre implication dans ces travaux ? »

La jeune femme ne comprit pas immédiatement le sens de la question ; pourtant son côté méfiant s’était envolé dès l’arrivée du docteur Rodriguez et contre sa propre volonté.

« De quoi étiez-vous en charge exactement ?

— Je secondais le docteur Marcus dans ses décisions… bredouilla la jeune femme, un peu gênée.

— J’aimerais que vous interveniez davantage dans le projet, pour ma part. Vos idées et vos thèses de recherches allaient dans un sens auquel je crois, et je souhaite vous donner davantage de crédit. »

Helena le gratifia d’un sourire qui illumina son visage et avala la dernière gorgée de café.

« Je ne suis pas du genre à laisser dormir un potentiel quand j’en vois un. Nous travaillerons ensemble. »

A ses mots, le scientifique se releva, sa blouse blanche portée sur son avant-bras et, voyant qu’elle avait également terminé sa boisson, l’invita à le précéder.

Ils échangèrent quelques banalités sur le trajet menant au laboratoire de recherches et après un voyage en ascenseur puis le passage sous-marin vers la seconde structure du complexe, ils s’arrêtèrent devant le sas numéro sept.

« C’est ici, l’informa la jeune femme en posant sa main sur l’écran de scan intégré dans le mur.

— Marakov n’a pas lésiné sur les moyens, » commenta le chercheur, surpris.

Le laboratoire était une succession longiligne de salles hermétiques et translucides où s’affairaient les laborantins de l’équipe. Divisée en quatre, la section entière était desservie par un second sas de sécurité biologique où tous les membres du personnel étaient décontaminés à chaque allée et venue. Les caméras de sécurité étaient discrètes sans être dissimulées et Ricardo connaissait suffisamment la réputation de son nouvel employeur pour savoir que ses résultats ne seraient pas les seuls à être observés.

Les deux scientifiques entrèrent dans la partie de décontamination et une légère brume les enveloppa sans crier gare ; la sensation du cocktail bactéricide n’était pas très agréable, laissant une sensation de brulure froide ; c’était un mal nécessaire lorsque l’on s’amusait à manipuler les produits de recherches comme les leurs.

Helena l’invita à la suivre jusqu’au laboratoire dont la porte de verre arborait un numéro « 4 » incrusté dans la matière transparente.

« Vous souhaitiez voir nos plus récents sujets… dit-elle en lui indiquant un ordinateur avant d’opacifier les parois du laboratoire.

— Nos amis n’ont pas accès à toutes les informations ? rétorqua Ricardo, interloqué.

— Le professeur souhaite être le premier informé de ce que nos expériences donnent, expliqua la jeune femme, gênée.

— Je vois… »

Bien que Rodriguez n’ait jamais aimé les secrets, il se plierait bien volontiers aux volontés de son employeur ; il observa l’écran s’animer et la jeune femme entrait les codes d’accès sur le clavier disposé sur la table qu’il surplombait.

Les données défilèrent en une suite ininterrompue de code informatique s’exécutant sur la machine puis un fichier vidéo s’enclencha ; un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux gris tirant davantage vers le blanc portait une paire de lunettes sur le bout du nez en s’adressant à la caméra. Le journal vidéo indiquait la date du 1er septembre 2024 et le titre mentionnait le nom du projet : Deadalus#1-17.

« Les données recueillies sur les progrès du sujet 17 de nos tests tendent à confirmer ma théorie selon laquelle sa croissance serait modérée par la tension permanente des acides aminés en position 512, 784 et 1881. Seize avait quant à lui souffert des manques de ces allèles lors de sa génération, erreur que nous avons récemment corrigée. Les applications thérapeutiques pour l’homme sont encore très éloignées, mais si nous parvenons à domestiquer cette défaillance génétique et comprendre comment cette combinaison peut s’avérer déficiente dans son cas, alors nous connaîtrons la façon dont nous pouvons l’altérer. »

Le jargon scientifique de l’homme sur la vidéo laissa Ricardo de marbre ; après tout sa théorie née de l’observation du vieillissement de cellules sur une créature quelle qu’elle soit ne pouvait en outre pas s’appliquer à l’homme, à moins que son génome ne soit proche de celui d’un être humain.

« Où est ce sujet 17 ? s’enquit-il, les sourcils froncés.

— Il est décédé il y a de ça quelques jours maintenant, mais nous avons conservé des cellules viables de son organisme.

— Les précédents ?

— Les quinze premières créations n’ont malheureusement pas survécu.

— Et le seizième ? Que lui est-il arrivé ?

— Vous l’avez vu au dehors, lors de notre arrivée… »

Le ton ingénu qu’avait pris la jeune femme en énonçant cette vérité était passée complètement au-dessus de Ricardo qui s’était tout simplement arrêté à sa substance. Ainsi la créature 16 était cet énorme cétacé vivant dans les eaux gelées du lacs, sans prise d’air à l’extérieur ?

Si Marakov lui avait clairement caché que les travaux qu’ils menaient dans ses laboratoires aboutissaient à la création de la vie sous une forme si développée, il n’en venait pas moins de prendre un coup sur la tête : dans l’industrie génétique contemporaine, il était certaines barrières que l’éthique et le sens moral ne pouvaient outrepasser. Une ligne que très peu de laboratoires de recherche se risquaient à franchir sans crainte des conséquences financières.

TriCell était une compagnie capable d’absorber ce risque malgré son passé et les échecs cuisants des dernières années, son président avait décidé sciemment d’avancer en terre inconnue, de tenter l’impossible pour le compte d’un commanditaire aux exigences bien particulières.

« Quel est le but véritable de toute cela ? demanda-t-il sans détourner ses yeux de l’écran.

— Comment ? répondit-elle sans vraiment saisir le but de sa question.

— Je suis dévoué à la recherche, mais créer la vie de cette façon…

— C’est un peu comme jouer à Dieu, » poursuivit la jeune femme.

La perspective de participer activement à ce genre d’expérience ne l’avait jamais enchanté mais il n’avait plus vraiment le choix s’il voulait être en mesure de récupérer sa fille. Prenant sur lui pour ne pas laisser échapper un juron, Ricardo soupira et consulta les dossiers informatisés regroupant les divers compte-rendu des observations annotées par le docteur Andreas Marcus. Une longue journée de lecture l’attendait et s’il n’aimait pas particulièrement reprendre les travaux d’un de ses confrères, il comprit rapidement que ceux-ci étaient largement basés sur les théories qu’il avait lui-même exprimé et développé bien des années plus tôt.

Deadalus avait démarré il y a un peu plus d’un an et les données recueillies démontraient clairement qu’ils avaient passés de nombreux mois à tâtonner pour développer une première souche biologique viable.

Les heures passèrent et Helena l’informa qu’il était temps pour eux de faire une pause ; assimiler des centaines d’informations en quelques jours était épuisant pour n’importe quel esprit, elle pouvait en témoigner. Lors de son arrivée dans l’équipe du docteur Marcus, la jeune femme avait passé plusieurs jours en sa compagnie dans ce même laboratoire numéro 4 à éplucher les protocoles spécifiques et les relevés de données dans un silence de mort. Par la suite, Marcus l’avait aidé à prendre sa place au sein de l’équipe déjà formée depuis quelques mois, mais non un froid sens du devoir.

Ricardo délaissa un moment les notes qu’il consultait et rompit de nouveau le silence.

« Sait-on pourquoi chaque département travaille indépendamment des autres ?

— La façon de faire du professeur Marakov est assez inédite dans notre domaine, mais la nature des commanditaires doit être préservée. C’est l’explication qu’il donne à tous ceux qui s’en inquiètent en tout cas.

— Inquiétant, c’est le mot. Je lui en toucherais deux mots… » pensa-t-il à haute voix.

Helena préféra ne pas interférer dans les pensées de son responsable et se contenta de le suivre dans le sas de décontamination. La vapeur nauséabonde de désinfectant lui donnait à chaque fois l’impression assez désagréable de se trouver plongée dans du formol, mais avec le temps elle s’était faite à ce processus assez contraignant ; les maux de tête qui en résultaient s’étaient évaporés, laissant place à une vague sensation de gêne.

« J’ai vu votre inquiet lorsque j’ai évoqué Marakov, dit-il au sortir du sas aseptisé.

— Comment ? répondit-elle, gênée.

— Je connais cet homme bien plus qu’il ne le pense. N’ayez aucune crainte, je ne vous impliquerai dans aucune de nos conversations. »

Le brève échange avait eu lieu dans le court laps de temps où aucune caméra ni aucun micro ne pouvait percevoir leur conversation ; Ricardo, sous ses airs de nouveau venu semblait bien connaître les procédures et la jeune femme n’en fut que plus surprise.

« Le projet Deadalus, s’enquit-il alors qu’ils marchaient vers le cafétéria, pose de nombreuses problématiques relatives à l’éthique ?

— Oui, avoua la jeune femme, avant de poursuivre : c’est pour cela que l’Alaska était un terrain tout désigné, nous bénéficions de l’appui du gouvernement américain mais nous sommes loin des contraintes imposées aux infrastructures des états administrés.

— De plus le froid permet d’isoler la base de tout risque biologique.

— Tout à fait.

— Pourquoi ne pas avoir construit en Antarctique dans ce cas ?

— La zone est placée sous autorité internationale, nous nous serions risqués à des lourdeurs administratives bien plus importantes. »

Le dernier argument d’Helena avait fait mouche mais il subsistait tout de même de nombreuses interrogations sans réponse dans l’esprit du docteur Rodriguez ; ils bifurquèrent dans le tunnel menant à la principale construction de l’édifice sous-marin et croisèrent de nombreux collègues de spécialités et nationalités variées.

« Venons-nous de croiser le physicien Robert Lutèce ? s’étonna Ricardo en levant un sourcil interrogateur vers son assistante.

— Oui, c’était bien lui, confirma-t-elle, Après le malheureux incident survenu à Waterfall, le professeur Marakov avait décidé d’étendre le domaine de ses recherches. Il me semble que nombre de nos collègues chercheurs sont des physiciens, spécialistes en physique quantique, développement en énergies.

— Quelle tragédie, dit-il en conclusion aux évènements pourtant tenus secrets de l’accident de Waterfall. Mais c’est un choix surprenant.

— TriCell tend à se développer vers d’autres domaines de la science moderne.

— J’espère simplement qu’elle n’en perdra pas son âme au passage, » souffla-t-il quand ils arrivèrent à la grande cafétéria.

Ricardo n’avait pas pour habitude de discuter ainsi de ses employeurs mais ce qu’il redoutait par-dessus tout dans son domaine d’expertise était qu’un jour les travaux auxquels il serait amené à participer pourraient servir des causes qu’il ne cautionnait pas ; laissant de côté ses aprioris, ils passèrent leur pause à discuter de leurs vies personnelles et familiales respectives.

Rodriguez fut d’abord étonné que la jeune femme soit issue des peuples slaves non-favorisés, mais lorsqu’elle développa son histoire et particulièrement le malheur que lui causait la séparation d’avec sa famille, elle se transforma en compassion.

De retour dans leur laboratoire, Helena se répandit longuement sur l’enjeu thérapeutique des possibles découvertes que leur projet pouvait apporter ; Ricardo la trouvait particulièrement enthousiaste et se fit la réflexion qu’il avait dû être aussi idéaliste au début de sa carrière. Cette qualité était répandue mais bien peu d’étudiants parvenaient à conserver cet esprit après quelques années de pratiques de la science au sein de l’industrie pharmaceutique ou des agences privées.

« Ces formes de vie… créées présentent-elles un danger ?

— Aucun risque biologique, nous les avons conçues stériles et sans gènes capables de développer de tels systèmes de reproduction.

— Pourtant elles sont basées sur des formes de vie préexistantes ? »

La jeune scientifique qui savait où voulait en venir son nouveau chargé de recherche pris soin d’afficher sur la console de leur laboratoire un séquençage génétique de l’espèce créée.

« Ne vous fiez pas à sa forme, elle n’est génétiquement qu’une combinaison d’acides aminés que nous pensions inertes jusqu’à la première phase de mitose cellulaire. »

Une vidéo s’afficha alors en parallèle où la première cellule vivante artificielle débutait une série de division-réplication ; la cellule s’était complexifiée et développa des membres et des organes au bout de quelques jours de gestation dans un environnement récréant le ventre d’un mammifère.

« Scientifiquement parlant c’est une chimère, dit-il en croisant les bras et s’appuyant contre la large table.

— Une chimère artificielle, basée sur les travaux du professeur Marakov. »

Au nom évoqué, l’incompréhension força Ricardo à détourner son attention de la vidéo.

« Qu’y-a-t-il ? s’inquiéta la jeune femme.

— Je pensais que seul le docteur Marcus avait entamé ses propres recherches.

— En théorie oui, la découverte a été notifiée et parafée par lui, mais le professeur Marakov avait quelques pistes qu’il avait suivi avant de parvenir à ce résultat… »

Ainsi donc, Marakov était à l’origine des découvertes provoquées par le projet de recherche Deadalus ; ceci expliquait sans doute pourquoi Ricardo s’était vu confié un projet mené jusqu’alors par un de ses confrères sans que celui-ci n’y prétende aucun droit…

« Puis-je relire ces notes ? » demanda à nouveau Ricardo qui semblait avoir mis en lumières certaines zones d’ombre des dossiers qu’il avait consultés au cours de la matinée.


Texte publié par Théâs, 25 juin 2014 à 17h32
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