Bien après l’incident qui coûta la vie à Henry Winters et à près d’un millier de ses collaborateurs dans le complexe de recherche Waterfall basé dans le désert de Mojaves aux Etats-Unis , la compagnie TriCell avait rapidement retrouvé de sa vigueur et implanté en secret au cœur de l’Alaska un complexe souterrain dissimulé non loin d’un ancien petit village côtier.
Les températures y étaient rigoureuses toute l’année et l’endroit trop peu fréquenté pour susciter l’intérêt des médias. Bien sûr, l’incident avait eu des conséquences financières importantes pour le groupe qui, pour la première fois depuis sa création dans les années soixantes avait connu une année de résultats négatifs.
Le tout-terrain s’enfonça un peu plus profondément dans la forêt sombre de résineux et parvint au bout d’un chemin de terre enneigé devant un premier contrôle militarisé. L’homme en treillis et armé d’un fusil s’assaut, fit stopper le véhicule et la vitre s’entrouvrit sur un homme d’une quarantaine d’années.
« Ne bougez pas, l’informa l’officier Roderick en lançant le scan de la voiture et de son occupant.
— Professeur Rodriguez, j’ai une accréditation niveau 8.
— Je sais qui vous êtes, répondit froidement le contrôleur.
— Alors vous devriez savoir… »
Il ne chercha pas à s’étendre plus longuement, réalisant que le militaire ne l’écoutait déjà plus et scannait son véhicule à l’aide des gants qu’il portait. Le rayon lumineux englobait toute la carcasse métallique de son véhicule et Ricardo eut un bref moment de stress quand le militaire revint sur ses pas.
« Vous pouvez y aller, docteur, dit-il froidement. Suivez le sentier une escorte viendra vous accueillir. »
L’homme de science se sentait particulièrement mal à l’aise dans ce genre de situation, mais il savait qu’il retrouverait bientôt le calme et l’espace confiné rassurant d’un laboratoire. Soufflant un bon coup, il entreprit de suivre le chemin de terre balisé par des lampadaires bleus une fois que le garde lui eut ouvert la barrière métallique.
Le panneau indiquait clairement une zone à l’accès restreint et un potentiel danger pour ceux qui se risqueraient à y pénétrer sans autorisation. La semi-obscurité d’un début de soirée rendait au paysage déjà assombrit de la forêt enneigée une impression de tranquillité permanente.
Après deux kilomètres à rouler au pas, la voiture s’engagea devant une falaise rocheuse dénudée à l’orée de la forêt et où les arbres avaient été abattus par souci de sécurité et de visibilité. Un tunnel cloisonné par une porte de métal imposante était surplombé par une verrière où des individus en tenue de camouflage s’affairaient. Le ciel très bas faisait s’évanouir dans la brume blanche et duveteuse le sommet de la montagne de sorte qu’il était impossible de deviner si celle-ci était haute ou non.
« Docteur Rodriguez, veuillez avancer jusqu’aux balises de contrôle. »
La radio s’était mise en marche toute seule et son interlocuteur semblait pouvoir la manipuler à distance ; Ricardo pour qui tout cela était nouveau, se conforma aux instructions et avança son véhicule jusqu’à le positionner entre deux armatures métalliques, à l’entrée du complexe.
« Parfait, ne bougez plus et coupez le moteur. Nos hommes et le professeur Korskev vous accueilleront au garage. Bienvenue chez vous. »
Un vrombissement et un léger craquement surprirent le médecin peu rassuré et lentement la plateforme sur laquelle il se trouvait s’enfonça dans le sol neigeux ; le tunnel dans lequel il se retrouva était parcouru de lumières blanches et devait être aussi large qu’une grande avenue.
Il ressentit à peine l’accélération qu’il subissait et ne distinguait son mouvement qu’au travers du dessin discontinu des néons autour de lui. Après quelques minutes de voyage la plateforme pivota face à une porte blindée dont les couches successives s’écartèrent.
« Remettez le contact et faites avancer votre véhicule jusqu’à la place indiquée, » reprit la voix.
Deux personnes l’attendaient et il coupa finalement le moteur.
La jeune femme ne devait pas dépasser le mètre soixante-huit, une trentenaire au regard clair détonnant avec ses cheveux sombres et ondulés ; son ensemble gris anthracite contrastait avec la blouse blanche qu’elle portait ajustée. L’homme, un molosse barbu qui devait avoir une quarantaine d’années bien tassées avait le regard dur, et son crâne rasé accentuait encore cette sensation.
« Docteur Rodriguez, je suis le docteur Helena Korskev, je suis tellement heureuse de vous rencontrer enfin ! dit-elle avec un enthousiasme rehaussé par un accent trahissant ses origines d’Europe de l’Est.
— Je le suis tout autant Docteur, répondit Ricardo avec une joie mesurée avant de faire face à l’armoire à glace qui escortait la jeune femme.
— Ryan Perkins, chef de la sécurité. »
La présentation était aussi concise que précise, révélant un trait de caractère assez prononcé et une rigueur particulière, héritage d’une carrière militaire passée.
Ricardo ouvrit la porte arrière du tout-terrain et tira une valise de l’habitacle ; Ryan l’invita à avancer et tous trois quittèrent le garage sombre tandis que la plateforme où se trouvait la voiture s’éloignait en destination d’un garage sécurisé.
Le couloir était un boyau étroit, blanc et très lumineux où flottait une vague odeur de naphtaline.
« N’ayez crainte, nous nous assurons qu’aucun germe ne passe ces portes, expliqua la jeune femme en voyant l’inquiétude de Rodriguez transpirer par tous les pores de sa peau.
— Etonnant dispositif, commenta-t-il simplement, absorbé par le peu que l’on pouvait distinguer au travers des vitres ajourant le sas suivant.
— Le complexe est ultra-sécurisé, vous connaissez la nature des recherches menées ici, docteur.
— Oui, oui, c’est évident… »
L’agent de sécurité s’était mis en retrait, laissant les deux scientifiques avancer côte-à-côte ; lorsqu’ils arrivèrent devant le sas en question, la jeune femme posa sur l’écran la paume de sa main droite et l’ordinateur analysa son empreinte ; les détecteurs biométriques s’allumèrent et analysèrent les données physiques des deux scientifiques.
« Accès autorisé, Docteur Helena Korskev. Docteur Ricardo Rodriguez, bienvenue, veuillez-vous présenter au poste de contrôle médical sur votre gauche pour bilan médical et décontamination. »
La voix se tut soudainement et une alarme avertie de l’ouverture du verrou auquel ils faisaient face.
Le hall d’accueil se divisait en deux parties : l’une se composait à l’étage inférieur d’une zone de décontamination et d’un bureau médical devant lequel l’attendait un homme d’une soixantaine d’années, les yeux las et une étrange expression sur le visage ; Ricardo décida de ne pas y prêter attention et observa l’escalator qui menait à l’étage supérieur, là où, derrière des baies vitrées quantité d’hommes en noir s’affairaient sur les écrans allumés de leur poste de travail.
Le logo de la sécurité s’y trouvait incrusté en blanc, trahissant la présence d’une vitre totalement transparente.
« Je vous retrouverais de l’autre côté, lui dit alors Helena en souriant.
— Bien, bien, » se contenta de répondre Rodriguez, perdu dans ses pensées.
Il ne se sentait pas vraiment à l’aise en réalité, il sentait peser sur lui le regard insistant du garde qui les accompagnait, comme un poids supplémentaire sur sa nuque endolorie par le voyage.
« Docteur, je suis le responsable sanitaire du complexe.
— Docteur Pemberton si je ne m’abuse ? répondit Ricardo.
— Affirmatif. N’ayez crainte c’est une simple mesure de sécurité pour diminuer la propagation de germes. Vous trouverez votre uniforme ainsi que votre badge à la sortie de la décontamination. »
L’homme en blouse blanche, le dos légèrement vouté par les années attrapa un nécessaire de prélèvement sanguin posé sur son bureau et le montra à Ricardo en guise d’explication. Se pliant au rituel, Rodriguez releva la manche de sa chemise et tendit son bras face à lui ; il n’était pas étranger à ce genre de pratique et spécifiquement lorsqu’un nouveau membre se préparait à intégrer une équipe en place depuis des mois. Bien entendu, il n’était pas n’importe quel membre de cette équipe : un futur chef de projet en devenir, amené à remplacer un collègue ayant décidé de se retirer des opérations de recherche de la compagnie pour des raisons qu’aucun des deux partis n’avait choisi d’aborder.
La seringue pleine, Robert Pemberton, l’invita à se rendre dans la salle de décontamination dont les murs de verre s’opacifièrent à son entrée. Ricardo soupira et se déshabilla, préparé à subir l’arrivée des vapeurs de bactéricides et autres cocktails de produits désinfectant de toutes sortes.
La sanction ne fit pas attendre et une bruine fraîche à l’odeur désagréable se répandit dans la petite pièce hermétiquement fermée.
« Décontamination terminée, veuillez récupérer votre uniforme et rejoindre votre agent d’accueil, merci de votre patience et bienvenue sur le site d’Arcadia. »
Le hall suivant ouvrait sur une coursive indiquant un métro menant à la base des opérations tandis qu’au centre trônait sur un terre-plein parfaitement délimité, un cube translucide et éclairé dans lequel s’épanouissaient les racines d’un chêne génétiquement modifié. Une plaquette comportait la mention « Chêne de Marakov, développé en 1978, TriCell ».
Il n’avait pas échappé à Rodriguez que le nom du responsable de ce détournement de la nature n’était autre que le créateur et actuel directeur de TriCell et l’homme qui l’avait contacté deux mois auparavant pour lui proposer un contrat juteux.
Ressources illimitées, contraintes secondaires réduites du fait d’une négociation à couteaux tirés avec les responsables politiques locaux, avait-il énoncé alors. Si ce concept lui paraissait assez effrayant, les possibilités étaient quant à elles multiples.
« Docteur ? le héla Helena depuis l’autre côté de l’arbre.
— Oui, je présume que nous allons emprunter ce métro ?
— Tout à fait. La ruche, comme nous l’appelons, se trouve à trois kilomètres d’ici, sous la surface du lac Kinuan. »
L’idée de se retrouver enfermé dans une base sous-marine ne l’enchantait pas plus que de se retrouver cerné par des collaborateurs admiratifs, mais il devait avoir son propre bureau, un laboratoire équipé et une équipe triée sur le volet.
« Pour des raisons de sécurité les points d’accès à la ruche sont limités, afin d’éviter toute contamination par les agents biologiques que nous développons.
— Sacré dispositif en effet, commenta Ricardo en observant la porte du métro.
— TriCell a mis des ressources à notre disposition qu’aucune autre compagnie n’était capable de déployer. Monsieur Marakov est arrivé il y a trois jours, il vous expliquera tout cela bien mieux que moi. » s’excusa la jeune femme quand la porte s’entrouvrit sur une navette semblable à la cabine d’un avion de transport aérien contenant une cinquantaine de sièges.
Les parois ajourées révélaient un conduit sombre, faiblement éclairé par deux rangées successives de néons blancs ; Ricardo prit place à l’avant et la jeune femme s’installa à côté de lui.
« Bienvenus à bord de la navette, estimation du temps de voyage : trois minutes. Pendant toute la durée du transfert, merci de ne pas vous lever. »
Le discours mécanique de l’Intelligence artificielle ressemblait clairement aux annonces faites aux visiteurs dans les parcs d’attraction et cette situation assez étrange arracha un sourire à Rodriguez.
« Vous savez, j’ai suivi tous vos travaux avec attention, s’aventura la jeune femme.
— J’en suis persuadé, soupira Ricardo. Mes travaux me semblent si lointains, poursuivit l’homme sur un ton empreint de nostalgie.
— Mais ils ont servi de base à nombre d’applications récentes.
— Certes. » consenti le scientifique.
La situation était étrange et si sa réputation d’homme de science l’avait clairement précédé, il en était totalement autre chose de sa vie personnelle et affective.
Il n’était pas rare qu’il attire l’œil des étudiantes dans les conférences où il était amené à intervenir, et certains lui prêtait même un cercle de groupies assez virulent ; mais Ricardo était dévoué corps et âme à la science malgré l’insistance de son ex-épouse quant à son absence dans l’éducation de sa propre fille. Emma n’avait que 6 ans et malgré la présence de son beau-père, elle demandait constamment à voir son père.
Plusieurs fois par le passé, Ricardo avait cédé à l’appel de de Jane, mère de son unique enfant mais il s’était chaque fois retrouvé dans une situation peu confortable : sans cesse en manque d’argent, la jeune femme qui avait lors de leur relation mit sur le dos de Rodriguez nombre de relations extra-conjugales fantasmées ne pouvait que se tourner vers lui dans l’espoir d’obtenir davantage que la simple pension alimentaire obtenue lors de la décision de leur divorce.
Depuis, Ricardo avait cette sensation d’être un lâche ayant fui le combat et laissé sa fille derrière lui ; il s’était promis qu’une fois sa mission pour TriCell terminée il reprendrait le contrôle de sa vie et exigerait la garde de sa fille après s’être trouvé un travail plus tranquille. D’ailleurs si sa situation financière le lui avait permis il n’aurait sans doute pas parcouru le monde, allant de laboratoires en laboratoires mais se serait installé à Red Bank dans le New Jersey, là où il était né et avait grandi.
Passant sa main droite dans ses cheveux courts, il chassa les pensées négatives de son esprit et se concentra sur ce qu’il savait de sa mission chez le géant de la recherche biologique et génétique. Eugène Marakov s’était déplacé en personne à l’une de ses conférences sur le futur de la manipulation génétique dans le traitement des maladies malignes ; un domaine qu’il maitrisait amplement et pour lequel le seul nom de Ricardo Rodriguez sonnait comme l’avant-gardiste par excellence.
Marakov avait usé d’arguments plus convaincants les uns que les autres, donnant à sa proposition la forme alléchante de son dernier contrat ; Ricardo s’était alors senti pousser des ailes, miroitant son installation là où il l’avait toujours voulu, un rêve qui devenait accessible bien plus vite qu’il ne l’aurait cru. Aussi, se doutait-il que cette proposition regorgeait de coins sombres, d’aveux à demi-formulés et d’autres entourloupes. Si pour le grand public la réputation de TriCell restait intacte et liée aux plus grandes découvertes médicales de ces cinquante dernières années, pour un scientifique comme Rodriguez il paraissait évident que la compagnie opérait également en marge de l’éthique scientifique commune.
Le rail unique déboucha sur une partie translucide du tunnel qu’ils traversaient ; le spectacle était étonnant et effrayant à la fois : au-dessous de lui les abysses profondes du lac disparaissaient dans l’obscurité la plus totale tandis que plus loin le complexe scientifique sous-marin prenait la forme d’une ville dont les buildings s’amincissaient vers une surface gelée. Dans ces contrées reculées de l’Alaska, les lacs d’eau douce étaient totalement gelés en surface et bien souvent, la croute glacée ne disparaissait même pas en été.
« C’est impressionnant, n’est-ce pas ? dit la jeune femme pour briser le silence.
— Combien de personnes travaillent dans ces locaux ? fit-il, ébahit par les grandeurs du complexe autant que par son architecture.
— Un millier d’après les chiffres officiels, la station est entièrement autonome, expliqua-t-elle. Nous produisons notre propre énergie grâce à nos stations géothermiques et éoliennes en surface. »
Atlantis était le nom donné par le milliardaire du développement génétique à la ruche scientifique destinée à devenir le berceau de milliers de découvertes importantes, qui dessinerait probablement l’avenir de la médecine et de la science au cours du siècle.
Le tunnel redevint noir et un vrombissement sourd et aigu en même temps fit vibrer la navette sous-marine ; Ricardo cru d’abord reconnaître le son émit par les baleines blanches en pleine mer lorsqu’il avait été amené à les étudier quelques années plus tôt, mais réalisant que ce parallèle était totalement absurde dans un lac d’eau douce il jeta un regard interrogatif à sa consœur.
« Ne vous en faites pas, le professeur Marakov vous expliquera tout une fois que nous serons arrivés, dit-elle sans lui fournir ce qu’il attendait.
— J’aurais juré avoir reconnu les infrasons des baleines… tenta-t-il.
— Je vous l’ai dit, notre travail est important à tous les niveaux et les ressources de TriCell sont illimitées, mais notre directeur vous expliquera tout cela bien mieux moi. »
Ricardo se contenta de cela et redevint silencieux, le regard tourné vers l’extérieur, espérant une nouvelle fois revoir la cité sous-marine et apercevoir la créature qu’il avait entendu.
« Arrivée à la station 2. Terminal de contrôle Atlantis, vous êtes invité à débarquer. »
La voix métallique le sorti de ses réflexions profondes et la navette s’arrêta devant un hall parfaitement décoré et illuminé ; il n’y avait plus rien à voir avec les locaux froids et artificiels du début, non, l’endroit ressemblait au hall d’un grand hôtel, richement décoré. Une réception se situait à l’opposé de leur porte d’arrivée et un homme en costume taillé sur mesure les attendait, accompagné d’un garde de la sécurité identifiable à son uniforme noir rayé de deux bandes blanches.
Les portes s’ouvrirent enfin et Ricardo emboita le pas d’Helena.
Une étrange odeur florale lui parvint aux narines et l’espace d’un instant il détailla le hall d’un regard furtif ; çà et là des plantes en pot donnaient une touche naturelle au décor qui, à cette profondeur ne pouvait qu’être artificiel, une sorte de rappel à la civilisation éloignée d’eux par des milliers de kilomètres carré d’une forêt dense et endormie par l’hiver.
« Docteur Rodriguez, fit l’homme en s’avançant vers lui.
— Professeur Marakov, c’est un honneur, » dit il en lui serrant vigoureusement la main.
Eugène avait les cheveux poivre-et-sel et un sourire éclatant qui ne paraissait pas naturel ; il faisait également plus jeune que son âge : assurément il n’avait bénéficié d’aucune opération de chirurgie esthétique, mais pour un homme de soixante ans il en paraissait facilement vingt de moins.
« Venez, dit-il en croisant ses mains dans son dos, nous serons plus à-même de discuter tranquillement dans mon bureau. »
Les deux hommes marchèrent quelques minutes et Helena s’éclipsa au détour d’un couloir ; il était évident que l’administration d’Atlantis bénéficiait de locaux plus harmonieux et confortables que le reste de la base, mais Ricardo était réellement surpris.
Le vieil homme lui expliqua qu’il n’avait pas lésiné sur les moyens concernant l’installation d’une telle infrastructure, conduisant nombre d’innovations à fleurir dans des secteurs mêmes qu’il n’administrait pas au sein de son entreprise. La construction avait été financée par sa fortune personnelle, nécessitant le développement de nouvelles techniques de terrassement, de construction et d’entretien d’une complexité toute particulière.
Bien sûr, il aurait été plus aisé de creuser la montagne voisine et d’y installer en souterrain, un réseau de laboratoires, mais Marakov voyait les choses autrement : plus loin et plus grand. L’avenir était pour lui une notion sombre et pour lequel il n’entrevoyait aucune solution de son vivant ; aussi avait-il entreprit l’une des entreprise les plus marquantes, scientifiquement impossible et nécessitant une technologie avancée qu’aucun autre homme sur Terre n’était prêt à financer.
Atlantis était sortie des fonds marins, perchée sur un amas rocheux et solidement ancrée dans les eaux d’un lac à jamais gelé par l’hiver permanent à sa surface. Certains le prenaient pour un milliardaire excentrique, d’autres pour un génie visionnaire, mais tous s’accordaient sur l’importance que ses travaux et ses entreprises auraient pour l’avenir de l’humanité.
Ricardo était de la seconde catégorie évidemment, perdu entre l’admiration d’un être aussi talentueux et la crainte de voir son héritage transformé et utilisé à des fins peu recommandables.
Le bureau dans lequel ils arrivèrent était encombré de meubles en bois sombre et d’une vague odeur de tabac à pipe ; la pièce était vaste et ouvrait sur une large baie vitrée donnant sur une vallée de constructions à l’architecture inspirée. A y bien penser, Rodriguez avait l’impression peut-être pas si fausse que ça de se retrouver dans les quartiers du capitaine Némo de Jules Verne. Çà et là des vitrines éclairées exhibaient des documents et d’autres instruments de découverte que le vieil homme se plaisait à montrer à ses visiteurs comme les trophées d’une vie bien accomplie.
« Avez-vous fait bon voyage ? lui dit-il de sa voix parfaitement posée.
— La balade dans la forêt était apaisante, sourit le scientifique, flatté de l’attention que lui portait son hôte.
— Veuillez excuser les contrôles drastiques de notre service de sécurité mais je pense que vous savez que les enjeux de nos activités suscitent la convoitise de bien des façons.
— Je le comprends oui. »
Eugène s’installa dans le fauteuil confortable de son bureau, ouvrit un tiroir de son bureau imposant de bois patiné et verni puis en tira une bouteille de Scotch et deux verres.
« Vous n’avez rien contre un petit verre ? lui demanda l’homme, un sourcil levé.
— Je crois que ça ne se refuse pas. »
Ricardo n’aimait pas boire, encore moins quand son estomac vide lui signalait être en manque de nourriture, mais il ne pouvait (ou ne voulait) pas refuser un honneur que bien trop d’hommes sur Terre pouvaient venir à lui envier.
Après avoir servi son invité, le professeur Marakov l’invita à s’asseoir dans l’un des fauteuils en face du sien et ils trinquèrent à une collaboration pleine de promesses.
« Savez-vous ce qu’il manquait à cet endroit pour fonctionner comme je le souhaitais ?
— Non, répondit naïvement Ricardo après sa première gorgée.
— Un visionnaire, capable de prendre ma suite à la direction de la recherche. Les derniers collaborateurs nommés à ce poste ne savaient pas où aller, vers quoi se tourner… Non, il fallait un esprit chevronné et tourné vers l’avenir, et c’est en cela que vous m’avez convaincu à la conférence de Paris. »
Le scientifique n’osa pas répondre, ne sachant vraiment s’il devait se confondre en remerciements ou prendre ses jambes à son cou pour ne plus avoir à faire à cette situation aussi désarmante que flatteuse.
Eugène but une autre gorgée d’alcool ambré et, comme perdu dans ses pensées se releva pour faire face à la vaste étendue d’eau qui se trouvait de l’autre côté du verre renforcé.
« Nous devons prévenir nombre des besoins de l’humanité et si le dollar est une force de persuasion conséquente, elle n’égalera jamais celle de la peur. Cette compagnie vieillit, à l’image de son fondateur, réprit-il avec un petit rire, mais plus important je veux que TriCell laisse son empreinte sur ce monde, une trace de mon passage… »
La tirade n’était pas anodine mais sans être spontanée, les pensées du vieux professeur semblaient issues d’une profonde réflexion intérieure.
« Comme je vous le disais lors de notre dernière entrevue, cette place laissée vacante par votre prédécesseur depuis des mois aura besoin de tout votre savoir-faire.
— De combien de laborantins ai-je hérité ?
— Une petite équipe d’une vingtaine de spécialistes, tout au plus. Helena sera là pour vous seconder. »
Voilà donc ce qui se cachait derrière le visage angélique de la jeune femme d’origine slave qu’il avait rencontré ; un peu jeune pour diriger une équipe, pensa-t-il.
« Les derniers projets du départements se sont révélés très positifs pour nos affaires, expliqua le vieil homme en lui faisant de nouveau face.
— Quel était leur sujet, professeur ?
— La vie, dans sa forme la plus organique qui soit. Voyez-vous le concept même de la vie suggère une origine naturelle, mais nous travaillons depuis des années à la construction de vie artificielle et les derniers essais se sont soldés par des tentatives fructueuses de production d’organismes viables.
— La culture n’est-elle pas interdite ?
— Spécifiquement, oui. Mais son contrôle est l’une de nos priorités. D’autres départements suscitent l’attention de nos principaux investisseurs financiers parmi lesquels figure le gouvernement mais ce qui est essentiel et permettez-moi d’insister sur ce point, c’est que nous sommes aujourd’hui capable d’imiter la vie à la perfection. »
Ricardo resta un instant sceptique et totalement fermé à la possibilité que l’homme puisse un jour jouer à Dieu sans conséquence ; le génie génétique travaillait activement sur les cellules souches et la possibilité d’en tirer des bénéfices médicaux à long terme, mais créer la vie lui semblait totalement hors de portée. Pourtant, il ne pouvait remettre en cause les affirmations de son hôte sans raison.
« N’avez-vous pas observé la vallée pendant votre voyage ? » dit alors le vieil homme.
Une forme sombre se mouvait au dehors, massive mais bien trop lointaine pour être vraiment visible ; Rodriguez quitta son fauteuil, contourna le bureau et vint se placer juste à côté de Marakov qui observait lui aussi l’horizon sombre.
« Avez-vous déjà vu une chose semblable sur Terre ? »
La forme se précisa, les traits s’affinèrent et, un instant plus tard, il apercevait les yeux bleus et clairs d’une créature à la morphologie proche de celle des cétacés qu’il avait jadis observés en haute-mer.
« La vie est à notre portée, docteur, cultivée depuis le plus simple bouillon génétique, un ADN assemblé de toute pièce jusqu’à ce qu’elle survive au-delà du stade de la cellule unique. »
Le premier pas vers une nouvelle conception de la vie était franchi.
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