Chapitre 5 : proposition
Devant l’air hésitant du jeune homme, Zélie décida de s’asseoir sur la malle. Elle aurait bien pris place sur le lit, mais craignait qu’il perde tous ses moyens. Ses yeux se plantèrent de ceux de son interlocuteur.
– Parlez, je suis à votre écoute.
Après avoir pris une grande inspiration, Walen se lança.
– Je vous ai observé depuis quelques jours…
À ces mots, la jeune femme eut envie de rire. Les attentions qu’il lui portait n’étaient pas passées inaperçues.
– Lorsque je vous ai croisé au théâtre, j’ai failli ne pas vous reconnaître. Pour moi, ce n’est pas rien, c’est un don. Je n’avais jamais rencontré une personne capable de faire ce genre de choses. J’en viens à la conclusion que vêtu richement, on vous prendrait pour une femme de la haute société sans se poser de question…
Zélie plissa les yeux. Qu’essayait-il de lui dire ?
– Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, coupa-t-elle.
– Pourriez-vous vous faire passer pour une femme d’une classe sociale élevée ?
Cette idée lui semblait étrange. Elle se demandait à quoi pouvait penser Walen.
– Je ne connais ni la façon de parler ni les gestes qui me seraient nécessaires… J’imagine que je manque aussi de connaissance…
D’un revers de la main, il balaya ses appréhensions.
– Si on vous les montrait, est-ce que vous pourriez les retenir ?
– Sans doute avec de l’observation et des lectures complémentaires…
– Avec des modèles ?
Les pensées de Zélie filaient à toutes allures dans son esprit. Ce que le jeune homme lui proposait avait quelque chose d’attirant. Sauf qu’elle ne comprenait pas ce que cela pouvait lui rapporter et préférait se montrer prudente.
– Certes, mais je ne sais toujours pas ce que vous souhaiter faire…
Avant qu’elle termine sa phrase, il la coupa avec une déclaration qui la surprit autant qu’elle l’énerva.
– Voulez-vous m’épouser ?
Devant cette demande saugrenue, Zélie éclata de rire.
– Vous déraisonnez, cher ami. Ou alors, vous vous moquez de moi, ce qui n’est guère charitable.
Walen resta muet quelques instants puis passa sa langue sur ses lèvres sèches, avant de reprendre. Son visage se fit plus déterminer.
– Non. Je suis sérieux.
Cette fois-ci, l’amusement quitta Zélie. Ses sourcils se froncèrent et son ton devint plus dur.
– Vous n’allez pas me faire croire que vous êtes tombé amoureux de moi, alors que nous nous sommes à peine parlés…
Son interlocuteur lui fit penser à un enfant prit en faute lorsqu’il baissa les yeux vers le parquet rayé.
– Non… C’est juste… J’imagine que vous êtes la femme qu’il me faut.
– Mais vous, vous n’êtes pas l’homme qu’il me faut, déclara Zélie en se levant.
Son corps s’avança vers la porte, mais la main de Walen se posa sur son bras pour la retenir. Elle se retourna vers lui.
– S’il vous plait, j’aimerais vous exposer quelque chose. Je sais que vous ne voulez pas d’homme dans votre vie. Mais je ne suis pas le genre qui vous contraindrait à quoi que ce soit. Ce que je vous propose, c’est une vie meilleure où vous n’aurez plus à recevoir des hommes pour… Vous n’aurez plus jamais faim ou besoin de vous faire de soucis…
– Tant que j’accepterais de me plier à vos envies ?
– Non !
Walen réfléchit.
– Enfin oui, mais je pense que cela ne vous coûtera pas. Je jure que je ne vous demanderai jamais rien sur le plan… intime.
Face au visage fermé de Zélie, le jeune homme comprit qu’elle n’en croyait pas un mot.
– Je pense que nous pourrions nous entraider vous et moi.
Zélie croisa les bras sur sa poitrine.
– Donc si je résume, vous allez m’aider, puis nous allons nous entraider. Bientôt, c’est moi qui vais vous aider…
Son interlocuteur soupira. Finalement, il alla s’asseoir sur son lit.
– C’est vrai, vous avez raison. J’ai besoin de quelqu’un qui m’accompagne pour jouer le rôle de mon épouse.
– Pourquoi ? Que lui est-il arrivé ?
Le jeune homme posa les coudes sur ses genoux avant de prendre son visage entre ses mains.
– Rien, puisqu’elle n’a jamais existé. Je me suis inventé un mariage que je n’ai jamais contracté.
Zélie haussa les sourcils, curieuse. Cet homme ne devait pourtant pas manquer de prétendante. Il était jeune, grand et bien bâti. À moins qu’il possède un vice caché. Cela ne lui disait rien qui vaille pour la suite.
Après avoir passé une main dans ses cheveux, Walen lui lança un regard empli de détresse, sans qu’elle n’en comprenne la raison. D’un air maladroit, il commença un argumentaire qui ne fit que raviver sa colère.
– J’aurais besoin d’une personne apte à jouer ce rôle. En contrepartie, elle aurait un logement spacieux et des vêtements de qualité…
– Donc vous vous êtes dit que j’étais la femme parfaite pour se faire acheter. Des robes parce qu’il est bien connu qu’il s’agit de la seule chose qui intéresse les femmes. En avez-vous à ce point si peu fréquenter que vous les connaissez si mal ?
– Non, c’est… Enfin…
Le regard noir que Zélie lui lança le fit taire.
– Si je comprends bien, vous m’avez observé et vous avez vu que je me débrouillais très bien seule alors vous vous êtes dit que vous alliez tenter de me faire plier !
Malgré le visage catastrophé de Walen, elle ne s’arrêta pas sur sa lancée.
– Autrefois, j’ai aimé un homme, monsieur. Il était pauvre, mais je lui aurais tout donné, car lui avait du respect pour moi. D’ailleurs, il n’avait pas honte de vanter mes connaissances à ceux qu’il rencontrait. Il est le seul homme que j’aurais désiré épouser !
Sur ces mots, Zélie quitta la pièce, les larmes aux yeux. Comment avait-elle pu croire que quelqu’un pouvait être gentil avec elle sans que cela ne soit intéressé ? Ce n’était pas parce qu’il était jeune, poli et beau garçon qu’il était meilleur que les autres.
Elle se précipita dans sa chambre, où elle ferma la porte à clé. D’un revers de la main, la jeune femme essuya ses larmes. Pas parce qu’elle avait des sentiments pour cet homme, mais plutôt parce qu’elle repensait à celui qui lui manquait tellement. Il ne le fallait pas, sinon ses sanglots ne feraient que redoubler.
Pour chasser ses mauvaises pensées, elle se glissa en tenue de nuit sous les draps. À son côté, son frère bougea. D’une voix ensommeillée, il appela son prénom.
– Je suis là, Gérald. Repose-toi !
– Ça ne va pas ?
Bien sûr, il avait dû entendre la peine lorsqu’elle avait parlé.
– Ce n’est rien.
Les doigts de son cadet se posèrent sur ses joues humides.
– Tu pleures ?
Il se redressa pour s’asseoir sur le matelas.
– Je vais partir. Je n’aurais pas dû venir, je t’ai fait trop de mal.
Zélie le retint par la main.
– Non… Ce n’est pas ta faute… Je pensais à Melvin…
Sa voix se brisa en prononçant ce prénom. Aussitôt, les larmes redoublèrent sans qu’elle ne puisse les arrêter. Le bras de Gérald passa autour de ses épaules pour la rapprocher de lui.
– On va s’en sortir, murmura-t-il.
Ses mots, la jeune femme ne les connaissait que trop bien. C’était ceux qu’elle-même avait prononcés pour rassurer son frère quand tout aller mal.
Comme Zélie ne disait rien, Gérald reprit la parole.
– Je suis désolé. On aurait dû rester à Grey Stone. Là-bas, tu étais heureuse.
Elle secoua la tête avant de se décider à parler pour rassurer son cadet.
– Nous y avions trop de souvenirs tous les deux. Il fallait partir.
– Tu aurais pu rester. Tu y avais ta place. J’aurais dû partir seul…
Il posa ses mains sur ses genoux. Face à sa tristesse, la jeune femme ne resta pas insensible. Ses doigts serrèrent ceux de son frère. Sa peau était brûlante.
– Cela ne sert à rien de remuer le passé. Nous avons fait notre choix. L’important, ce serait de se concentrer sur le présent…
Un tremblement prit Gérald.
– Si j’étais mort à la place de Melvin, tu aurais pu être heureuse.
– Gérald ! le réprimanda-t-elle.
– C’est la vérité. Même si c’était papa qui était resté en vie, tu aurais été plus heureuse. De nous trois, j’aurais dû être celui qui meurt.
En entendant ces mots, Zélie soupira.
– Moi, je suis heureuse que tu sois en vie. Mais…
– Si Melvin avait été en vie, tu aurais pu l’épouser. Si papa avait été en vie, il t’aurait protégé. Moi… Je te fais du mal…
Ses remarques, bien que vrais, ne pouvaient être approuvées par sa sœur.
– Gérald, ce qui me fait mal, c’est ton comportement. Tu disparais et je n’ai aucune idée de là où tu es… J’ai souvent peur pour toi.
Il ricana.
– Tu ferais bien de te concentrer sur toi. C’est plus important.
Son cadet se laissa retomber sur le lit. Sa respiration parut plus forte à Zélie. Sa main se posa sur le front de son frère. Il était brûlant. La transpiration rendait la peau de son visage moite.
– Est-ce que ça va ?
Pendant quelques secondes, il ne répondit pas.
– J’ai très mal à la tête.
– Tu es malade !
Cette révélation fit bondir le cœur de Zélie. Elle se leva pour aller remplir un verre avec un peu d’eau. Un craquement du plancher indiqua à son cadet qu’elle bougeait. De retour auprès de Gérald, elle l’aida à se redresser pour le faire boire.
– Pourquoi tu es si gentille avec moi ?
– Parce que tu es mon frère. Je n’en ai qu’un et je dois prendre soin de lui.
Il souffla.
– Ton frère n’est même pas capable de prendre soin de lui tout seul. Tu devrais…
Sa voix mourut dans sa gorge.
– Dors. Nous en reparlerons demain.
Les doigts de Zélie passèrent dans les cheveux de son cadet.
– Tu as besoin de repos. Je vais veiller sur toi.
– Zélie… Je suis…
– Tu es malade et tu dois dormir pour aller mieux.
Il ne répliqua pas. Sa tête s’enfouit dans l’oreiller.
– Tu restes…
– Oui, je suis près de toi. Si tu te réveilles ou que tu fais un cauchemar, je serais là.
Malgré son âge et sa corpulence, cette réponse rassura Gerald. Ses paupières se fermèrent. La douleur dans son crâne était horrible. De même, la chaleur qui enveloppait son corps le mettait en nage. Il repoussa les couvertures pour se sentir mieux.
Un linge humide se posa sur son front. Cette initiative le fit sourire. Il reconnaissait bien là, sa sœur. Au milieu de ses tourments, il finit par plonger dans le sommeil sous le regard inquiet de Zélie.
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