Aux premières lueurs du soleil, Walen ouvrit les yeux. Malgré la fatigue accumulée, il se sentait reposé. En partie grâce au lit dont il avait disposé pendant la nuit, imaginait-il. Pendant quelques minutes, le jeune homme resta allongé sur le matelas. Mentalement, il énumérait les tâches qu’il aurait à effectuer. S’il s’arrêtait en ville, ce n’était guère pour se tourner les pouces.
L’image de la jeune femme de la veille lui revint en mémoire. Sa curiosité envers elle, était un moteur pour séjourner plus longtemps dans les lieux. Peut-être était-ce sa peur du mariage imposé par sa famille qui le poussait à s’intéresser à une inconnue rencontrée la veille ?
Les intentions de son père avaient toujours été claires : lui faire épouser Louise, fille d’un de ses amis qui possédait une vaste propriété ainsi que des champs. Ce destin qu’il ne souhaitait pas, il l’avait repoussé en s’enfuyant. Ce n’était pas que la demoiselle était laide ou inculte, seulement elle n’était pas pour lui. À aucun moment, il ne s’était imaginé à ses côtés pour toute la durée d’une vie. Faire semblant l’espace d’une soirée lui était déjà pénible alors en permanence…
Si jamais il devait contracter un mariage, il tenait à choisir son épouse. Une femme qui saurait le comprendre, et l’accepter tel qu’il était. Mais aussi une personne forte, capable de prendre son destin en main. La brune de la veille lui avait paru plus que convaincante sur ces points.
En douceur, il se redressa puis étira ses muscles. Le fait d’avoir gardé la même position pendant de longues heures de trajets se faisait sentir dans son corps. Ce n’était pas une surprise, il s’y attendait. Après quelques étirements, il gagna le couloir pour descendre manger. À nouveau, son regard se perdit sur la porte de la chambre de Zélie. S’il avait osé, il y aurait toqué. Mais pour dire quoi ? Qu’il avait envie de la revoir ? Cela aurait sûrement fait rire la jeune femme.
Son attention quitta le bois du battant pour se tourner vers la salle en contrebas où quelques personnes prenait un repas composé d’une bouillie de céréale chaude à laquelle on avait mêlé un peu de lait et quelques morceaux de fruits afin d’obtenir un léger goût sucré. Comme les autres, il accepta le bol puis le mangea avec appétit. Il avait déjà connu pire.
Une bonne partie des voyageurs présents quittaient la ville dans la matinée, poursuivant le périple qu’ils avaient initié avec leur diligence. L’oreille tendue, Walen écouta les discussions qui l’entouraient sans rien saisir d’intéressant. Certains s’interrogeaient sur la possibilité de rattraper le retard accumulé, d’autres parlaient d’un spectacle au théâtre. Chose qui surprit le jeune homme. La ville lui paraissait trop petite pour avoir ce genre d’animation. Mais peut-être, un riche mécène y vivait-il ?
Une fois son repas avalé, il demanda le chemin pour aller envoyer un télégramme. Le tenancier lui donna quelques vagues indications avant de lui conseiller de chercher un gamin pour lui servir de guide moyennant quelques pièces. Au vu de ce qu’il avait compris, Walen jugea que cela serait préférable s’il tenait à trouver l’endroit.
Après avoir quitté le relai, ses pas le menèrent jusqu’aux écuries. Une forte odeur animale le prit au nez. Sans en avoir la permission, il entra pour chercher le box de sa jument. Lorsqu’elle prit conscience de sa présence, elle s’approcha pour qu’il lui caresse la tête. Ce qu’il fit tout en jetant des coups d’œil sur l’état de sa mangeoire. Avec soulagement, il put constater que de la nourriture s’y trouver encore. Elle n’était pas moisie ou pleine d’insectes, ce qui le rassura. De même, l’équidé avait accès à de l’eau.
Au moins, il pouvait partir l’esprit léger pour envoyer son télégramme. Chapeau bien vissé sur la tête, Walen rejoignit la rue. La ville s’éveillait et avec elle venait le bruit accompagné par les odeurs. Celles agréables des pains sortant du four mêlées à d’autres, plus répugnantes comme le crottin.
Après avoir posé la question à plusieurs personnes croisées sur son chemin, il avait fini par atteindre le bureau du service des télégrammes. En vitesse et avec le moins de mots possibles, Wallen composa le messager à envoyer. Comme il n’y avait que peu de clientèle à cette heure, il ressortit rapidement délesté au passage de plusieurs pièces.
À présent, il avait le temps de se balader en ville. Cette pause lui parut presque irréelle. D’habitude, il aurait été occupé à encaisser les achats ou à trouver une place pour les livraisons dans le minuscule commerce. À deux, c’était gérable. Seul… Il n’avait même pas eu envie d’essayer. Tout lui paraissait trop difficile, sans personne pour le conseiller.
Ses pas le menèrent vers le cœur de la cité. Il y découvrit une petite librairie à la devanture sombre. Elle était coincée entre un barbier et une boulangerie dont émané une douce odeur qui le faisait saliver. Pour peu, il serait bien entré chercher une tarte, mais il lui fallait économiser son argent. Même si Lee James l’accueillait, il lui faudrait quand même financer l’autre partie du voyage. Peut-être pourrait-il prendre le train ? Mais cela voulait dire se séparer de sa jument. Cette idée le peinait. C’était une monture calme et robuste. Le genre fiable qu’on prenait plaisir à avoir.
Pour éviter les tentations, il entra dans la librairie. Une odeur de papier mêlé à des relents de poussière lui chatouilla les narines. Le propriétaire ne devait pas être un zélé de ménage. Cependant, les ouvrages paraissaient en assez bon état, même s’ils avaient déjà connu un ou deux lecteurs auparavant au vu des traces d’usure sur les couvertures.
Après avoir salué le petit homme chauve derrière son comptoir, Walen passa entre les rayonnages. Il ne savait quoi choisir. Le mieux serait de trouver un roman qu’il avait déjà lu puisqu’il voulait faire croire qu’il lui appartenait. Son regard se posa sur une histoire de chevalier qui lui était familière. Son frère lui en avait fait la lecture alors qu’ils étaient plus jeunes. C’était Oswald son cadet qui s’y connaissait le mieux dans le domaine des arts et de la littérature. Mais l’ouvrage ferait l’affaire. Il allait repartir avec sa trouvaille en main, lorsqu’il s’arrêta pour s’en aller quérir un recueil de poèmes. Cette attention ne pourrait que faire plaisir à sa voisine. Ravi de son idée, il paya puis quitta les lieux.
À nouveau, il retrouva la rue embouteillée par les chariots, les hommes et les animaux. Tout le monde se pressait, n’ayant aucun doute sur l’endroit où il devait aller. Lui seul, flâné, curieux. Il avança jusqu’à être face à un parc. Cette trouvaille l’interloqua. Ce genre d’espace de verdure se voyait en général dans les villes les plus grandes. Compte tenu de la localisation, il était probable que l’on est dû détruire des maisons pour le créer. Qui pouvait être à l’origine de celui-ci ?
Malgré sa surprise, il profita de l’espace. Des bancs avaient été installés, sans doute calqués sur les modèles anglais. Des photos qu’il avait eu la chance de voir lui revinrent en mémoire. Un riche étranger excentrique vivait-il en ce lieu ? Plus rien ne l’aurait étonné après avoir découvert cette tentative de création d’un écrin de verdure.
Sur le chemin du retour et non loin du parc, il aperçut le théâtre de la ville. Celui-ci n’avait rien d’excentrique. C’était une simple bâtisse de bois qui devait avoir été aménagé à l’intérieur pour accueillir une scène et ses spectateurs. Un coup d’oeil sur le programme lui apprit qu’une chanteuse inconnue s’y produisait. De même, on y jouait une pièce humoristique bien loin des classiques étrangers. Le lieu s’adaptait à son public, c’était commun. D’ailleurs, il ne se souvenait pas d’avoir vu des titres connus à l’internationale depuis qu’il avait quitté sa famille. Cette constatation ne le fit pas souffrir. Les ambiances trop guindées le mettaient mal à l’aise.
Peut-être pourrait-il revenir le soir même pour découvrir cette fameuse pièce. Parfois celles-ci changés de nom selon l’endroit et il la connaissait peut-être déjà. Cela l’occuperait pendant la soirée, et cela lui éviterait d’être tenté de jouer aux cartes.
***
Après avoir mis ses affaires en ordre, Walen s’était dirigé vers le théâtre. Il n’était d’ailleurs pas le seul à avoir eu cette idée. Les places assises se trouvaient devant la scène et étaient réservées aux personnes les plus prestigieuses de la ville. Derrière eux, se trouver une barrière de bois contre laquelle se massaient les curieux. Les moins aisés regarderaient le spectacle debout. C’était aussi le cas du jeune homme.
Il se plaça dans un coin qui lui permettait d’observer la scène entre les têtes des gens devant lui. Ce n’était pas le paradis, mais il pourrait suivre la représentation. Alors que son regard passait sur les personnes assises, la surprise le prit. Une jeune femme brune dans une robe bleutée murmurait à l’oreille d’un homme dégarni à la barbe blanche et taillée avec soin. Son costume bien coupé avec des tissus luxueux le situait comme un homme riche. Une personnalité de pouvoir dans la ville sûrement. Mais ce n’était pas lui qui retenait son attention, mais bien sa jeune compagne. Même s’il ne l’avait vu qu’une seule et unique fois, Walen reconnut Zélie dans cette toilette de qualité.
Le changement entre ce qu’il avait aperçu la veille et ce qu’il percevait maintenant était saisissant. Cette femme avait beaucoup plus de capacités qu’il ne l’avait imaginé. À aucun moment, elle ne ressemblait à une pauvre chose déguisée. Au contraire, elle semblait si à l’aise qu’on l’aurait sans peine pensé issu de ce milieu. Si la veille, elle avait souffert à cause de son frère, elle n’en laissait rien paraître. Ici, dans ce théâtre, elle rayonnait. Pour peu, il aurait pu imaginer que c’était elle l’attraction principale de la soirée. Le cœur du Walen fit un bon dans sa poitrine.
Cela expliquait pourquoi l’homme qui avait au moins l’âge d’être son grand-père l’avait choisi pour être à son côté. Cependant, savoir que Zélie devait partager sa couche, répugna le jeune homme.
Cette femme l’avait marqué et plus il en apprenait sur elle, plus il ressentait le besoin de la connaître. En un sens, son esprit commençait à entrevoir le bénéfice qu’il pourrait tirer de sa fréquentation. Pas seulement pour lui-même, mais aussi pour eux deux.
Dès qu’il le pourrait, il irait la retrouver pour lui parler. Discuter de son idée pour avoir son avis lui serait d’une grande aide. Le jeune homme avait besoin de savoir si celle-ci pouvait ou non, être réalisable.
Son attention se reporta sur la scène. Bien qu’il ne connaisse pas la pièce jouée, Walen ne pouvait empêcher son regard de dériver vers la brune. Assise bien droite, elle posait la main de temps à autre sur le bras de son compagnon. Un moyen de maintenir le contact et de conforter l’homme dans son image de puissance. Ce geste, Zélie le faisait pourtant avec un air candide qui donnait l’impression que l’attachement entre elle et son aîné était réel. La façon délicate avec laquelle elle exerçait ses talents de manipulatrice bluffa celui qui l’observait.
Lorsque le spectacle se termina, il attendit. Cependant, la jeune femme prit le bras tendu par son compagnon et l’accompagna alors qu’il discutait avec d’autres spectateurs. Zélie les saluait de manière discrète. Pendant l’échange, elle se tenait en retrait, tout en souriant poliment. Pourtant, Walen avait la certitude qu’elle écoutait avec attention chacune des phrases prononcées. Mieux, il imaginait qu’elle connaissait les projets ou personnes concernées, avec une opinion sûre sur le sujet.
Puisqu’elle lui était inaccessible en l’état, il consentit à regagner le relai diligence. Après tout, Zélie finirait bien par rentrer. Il lui parlerait à cet instant.
***
Walen avait récupéré une lampe à huile, pour ne pas être seul dans le noir. Il craignait de s’endormir si cela avait été le cas. Fébrile, il attendait le retour de la jeune femme tout en fixant les ombres sur le plafond. L’idée qui avait germé dans sa tête pouvait être folle, mais il ne perdrait rien à l’exposer.
Sa main caressa la couverture du livre à son côté. Pour être occupé, il l’ouvrit à une page au hasard et lut le poème qui s’y trouvait. Les yeux dans le vague, le jeune homme se demanda s’il avait vraiment perçu le sens des vers. Son frère aurait sûrement pu l’éclairer sur le sujet. Malgré le fait qu’il était son cadet de deux ans, il comprenait beaucoup mieux la littérature que lui.
Les mots n’avaient pour Walen que le sens premier qu’on leur donnait. Oswald lui y remarquait des sens cachés, des sensations évoquées et dans sa bouche, le texte prenait toute sa beauté. Parfois, il en venait à se demander pourquoi il n’avait pas été rédigé de cette manière dès le début.
Un léger bruit de pas dans l’escalier suivit d’un grincement du parquet lui annonça que quelqu’un montait. Le jeune homme se releva en trombe et fit glisser l’ouvrage du matelas. Il s’écrasa sur le sol. Avec un soupir, Walen le ramassa. Son but n’était pourtant pas de l’abîmer plus qu’il ne l’était déjà.
Son livre à la main, il quitta sa chambre après avoir fermé à clé. Le couloir était vide. Personne n’était passé devant sa porte, il en déduisit donc qu’il s’agissait bien de Zélie. À pas léger, il s’approcha puis frappa. Du bruit à l’intérieur lui annonça qu’on venait lui ouvrir. Lorsque le battant pivota, il fut surpris de la découvrir chevelure lâchée. Elle portait toujours sa robe bleutée, mais son chignon avait disparu au profit d’une cascade de cheveux bruns qui couvraient ses épaules pour venir caresser sa poitrine. La voir ainsi l’embarrassa. Se montrer en cette tenue devant un inconnu pouvait passer pour de l’indécence. Plus encore parce qu’elle ne savait pas qui venait lui rendre visite.
D’ailleurs, elle écarquilla les yeux avant de se reprendre et de sourire. Sa tête se baissa délicatement sur le côté, dans un geste séducteur. Une autre preuve qu’elle avait connaissance de ses capacités et n’hésitait pas à les utiliser.
– C’est vous ?
– Vous pensiez à quelqu’un d’autre ?
– Vu l’heure, j’aurais imaginé que Gérald reviendrait à l’assaut. Sobre sûrement à moins qu’il n’ait réussi à travailler aujourd’hui… Auquel cas, je ne lui aurais pas répondu…
Sa silhouette se redressa, comme si le fait de se savoir en sécurité lui donnait plus de force.
– Je ne m’attendais pas à vous revoir aussi rapidement. Plus encore quand on sait que je ne vous intéresse pas.
– J’aurais besoin de vous parler…
Avec un petit rire, elle lui laissa le champ libre pour entrer dans sa chambre. Il hésita avant de se rappeler du sujet dont il souhaitait l’entretenir. Mieux valait qu’ils soient seuls tous les deux, dans un endroit tranquille. Il n’y avait peu de chance que quelqu’un vienne les interrompre dans cette pièce.
La porte se referma sur lui. La jeune femme lui indiqua le tabouret alors qu’elle s’emparait d’un peigne, qu’elle passa dans sa longue chevelure. Il l’observa faire ce geste comme hypnotiser avant de se reprendre.
– Je… Vous souhaitez peut-être vous mettre à l’aise ? Si tel est le cas, je peux détourner le regard.
Elle haussa les épaules.
– Vous pouvez me regarder si ça vous fait plaisir. Certains apprécient particulièrement ce spectacle. Ils payent même pour le voir.
Cette remarque parue aberrante à Walen. À la limite, il aurait compris si l’on parlait de l’être aimé. Un corps que l’on prenait plaisir à découvrir ou redécouvrir. Mais dans le cas d’une inconnue, cela n’avait rien à voir. Était-il si naïf ? Ou trop romantique ?
En tout cas, il se tourna sur le côté, ce qui ne fit qu’ajouter à l’hilarité de la jeune femme. Il s’interrogea tout de même sur les choses étranges que Zélie avait pu voir en exerçant son activité. Le souvenir du vieil homme assit près d’elle, lui revint en mémoire. Sans savoir pourquoi, il se prit à espérer que celui-ci ne réclamait pas d’autres faveurs que les sorties.
– Je vous ai aperçu au théâtre ce soir…
Le bruissement d’étoffe s’interrompit. Walen n’osa pas se retourner.
– Vous m’avez donc vu en compagnie de monsieur le maire… Félicitation ! Il aime beaucoup me sortir pour me montrer à tous ceux en visite en ville. Ainsi, il se sent puissant.
Le jeune homme hésita quelques instants avant de poser la question qui le tracassait.
– Puisqu’il n’a pas peur d’être vu en votre compagnie, n’a-t-il jamais souhaité vous épouser ?
– Si, bien sûr.
Cette réponse inattendue le surprit.
– Pourquoi avoir refusé ?
Ses pas résonnèrent sur le parquet, alors qu’elle venait se placer face à lui. Il la découvrit dans une chemise de nuit, qu’il jugea bien légère pour la saison. Ne craignait-elle donc pas le froid ?
– Pourquoi aurais-je accepté surtout ?
Sa virulence le surprit.
– Vous auriez pu échapper à votre frère et vivre paisiblement…
– Vous lisez trop de contes de fées, très cher…
La tristesse visible dans ses yeux peina Walen. Plus encore parce qu’il en était responsable. Zélie baissa la tête, puis s’en alla quérir son châle qui l’attendait au pied du lit. Elle le passa sur ses épaules. Soudain, elle lui parut plus fragile que précédemment.
– Pourquoi aurais-je épousé un homme pour qui je n’ai aucun sentiment ? Un homme qui ne tarderait pas à m’imposer sa propre volonté ? Je préfère encore être prisonnière de mon frère que de quelqu’un qui ne m’apportera pas le bonheur. Après tout, je suis libre la majorité du temps. Ensuite, je me dispute avec Gérald puis je finis par lui donner ce qu’il veut et je redeviens libre.
Ces paroles troublèrent Walen. Jamais il n’avait vu les choses sous cet angle. Il ne s’était pas posé de questions sur le sujet. Lui ne rencontrerait pas les mêmes problèmes qu’elle. Il en aurait d’autres.
– Je comprends, murmura-t-il.
– J’en doute fort. J’imagine que vous me prenez pour une folle qui souhaiterait garder son statut de prostituée alors qu’elle pourrait devenir une épouse légitime…
Le jeune homme s’approcha puis s’assit sur le lit à son côté, tout en gardant une distance respectueuse.
– Vous craignez que votre vie ne prenne un tournant plus malheureux ?
Zélie releva la tête avec étonnement.
– Vous êtes moins bête que vous en avez l’air.
Cette phrase fit froncer les sourcils à Walen. Il ne savait pas comment il devait prendre cette remarque.
– J’avoue ignorer ce qu’on a pu vous faire. En partie parce que je n’ai jamais pris le temps de réfléchir à ce qu’il pouvait arriver à une femme seule dans ce monde. Ce n’est pas quelque chose que je pourrais apprendre par moi même. Mais si vous vouliez bien m’en parler, je pourrais sûrement mieux comprendre ce que vous vivez ou avez vécu.
Pendant quelques instants, le silence resta le seul maître dans cette pièce.
– Que dire… Qu’un homme qui ne vous a pas ou juste quelques heures pour lui déploiera des trésors d’imagination pour vous garder. Il se montrera agréable en permanence, puisque si ce n’est pas le cas vous pourriez partir. De même, il sera plus à même de vous faire des cadeaux puisqu’il souhaitera se faire voir sous son meilleur jour.
– C’est tellement pragmatique ce que vous dites…
Zélie soupira.
– Une fois marié, vous lui appartenez. Il n’aura plus besoin de faire d’efforts pour vous avoir alors il pourra montrer son véritable visage. De toute façon, vous ne pourrez plus l’abandonner et vous serez soumise à sa volonté.
Cette vision horriblement réaliste s’éloignait de celle romantique de Walen. Il en fut frappé. Avait-il trop vécu dans un cocon protecteur ?
– N’êtes-vous jamais tombée amoureuse ?
– Qu’est-ce que cela peut bien vous faire ?
Elle avait haussé le ton. La question venait de la mettre mal à l’aise. De la tristesse passa sur son visage, et il en déduisit que cela avait déjà été le cas. Que s’était-il donc passé ? Avait-elle été ignorée ? Repoussée ? Moquée ? Abusée ? Ou alors la personne était-elle morte ? Ou bien partie ?
Malgré sa curiosité, Walen n’osa pas en demander plus.
– Je suis désolé. Je n’aurais pas dû vous poser cette question.
La jeune femme se reprit puis planta ses yeux dans les siens.
– Et vous monsieur, êtes-vous déjà tombé amoureux ?
Il se sentit rougir en entendant ces mots. Peu désireux de travestir la réalité, il préféra avouer la vérité.
– Oui, cela fut déjà le cas.
– Et vous êtes là dans ma chambre à discuter de sottises au lieu d’être avec elle ?
Walen ne dit rien. De toute façon, il s’en sentait incapable.
– Enfin, pourquoi donc êtes-vous là ?
Son interlocuteur se reprit.
– Je… J’étais venu parce que…
Il lui tendit le livre qu’il tenait toujours dans ses bras. Zélie s’en saisit, l’observa avant de l’ouvrir à une page au hasard pour en découvrir le contenu.
– J’ignorais que vous étiez lecteur de poésie.
– Oui… Enfin non, je ne le suis pas. Disons juste que je l’ai vu et que j’ai pensé à vous…
Sa démarche était plus que maladroite. Il lui avait promis un de ses livres. Celui qu’il lui apportait avait été acheté pour elle. Pourquoi l’avait-il pris avec lui ? Parce qu’il l’avait fait tomber ? Parce qu’il voulait avoir une excuse pour lui parler ?
– Donc la journée, vous n’avez rien d’autre à faire que de penser à moi ? Alors même que nous ne nous sommes vus qu’une seule et unique fois ?
Sa maladresse agaça Walen. Rien ne se déroulait comme il le souhaitait. De plus, ce n’était pas le moment de poser des questions ou de faire des projets. Pourtant renoncerait-il pour autant ?
– Je… Je pensais à mon frère et par association d’idée, j’ai pensé à vous…
Son argument était faible. Il était en train de s’enliser dans ses explications. Mieux valait se taire. Pour le coup, l’image d’Oswald se fit jour dans son esprit. Lui aurait sûrement trouvé les mots pour apaiser la jeune femme.
– J’aimerais comprendre comment de votre frère vous êtes passé à moi ?
– Lui aussi est un amateur de poésie.
– Un homme de goût. Peut-être que lui m’aurait parlé de poésie avant de m’offrir quelque chose.
Le sous-entendu était facilement compréhensible.
– Vous aussi, vous souhaitez m’acheter monsieur ? Comme vous avez refusé mon corps hier, je cherche à comprendre ce que vous désirez.
Honteux de se savoir percé à jour, Walen se releva.
– C’était juste…
Mais lorsque ses prunelles croisèrent celles de la jeune femme, il préféra s’interrompre. À quoi bon se rendre encore plus ridicule qu’il ne l’était déjà ?
– Il est tard, je ferais bien de vous laisser vous reposer.
Elle le suivit des yeux alors qu’il se dirigeait vers la porte.
– Je vous souhaite une bonne nuit.
– À demain, déclara-t-elle.
Surpris, il se retourna vers elle.
– Où bien après-demain ? Enfin lorsque vous aurez décidé d’être honnête avec vous-même. En attendant, je vous laisse réfléchir au pourquoi de ce cadeau. Quand vous connaîtrez la réponse, je vous invite à revenir me voir.
Walen déglutit avec difficulté. Sans prononcer un mot de plus, il quitta la pièce. Une fois dans le couloir, il s’autorisa à respirer. Des bruits lui parvenaient d’en bas. Certains étaient encore attablés à jouer, discuter et boire. L’espace d’un instant, il fut tenté de les rejoindre pour oublier à quel point il avait été maladroit.
Comme cela ne l’aiderait en rien, il retourna dans sa chambre. La colère le prit. Pas contre Zélie, mais contre lui-même. Il avait été stupide de bout en bout. Comment avait-il pu croire qu’une femme qui avait un vécu comme elle pourrait accepter un présent sans chercher l’intention cachée derrière ? Il l’avait sous-estimé. Il n’avait vu en elle que ce qu’il imaginait être des réactions féminines. Mais en soi, elle n’avait pas besoin de lui, c’était même l’inverse.
Le souvenir de la façon dont elle touchait délicatement le bras du vieil homme lui revint en mémoire. Elle savait lui rappeler sa présence sans se montrer insistante. Par ce geste, elle le contentait et faisait en sorte qu’il ne lui en demande pas trop par la suite.
Walen soupira. Cette femme était celle qu’il lui fallait, il en était certain. Forte, avec de l’esprit, elle savait se démarquer sans trop se mettre en avant.
Son corps s’allongea sur le matelas. Il fallait qu’il trouve les mots pour lui parler. Peut-être devrait-il commencer par être sincère avec lui-même ?
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