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*✲゚❁*°˖✧ Mélancole s’ennuie ✧˖°❁*✲゚*

Il y a très très longtemps, dans un royaume fort fort lointain, vivait une reine merveilleusement belle. Elle était aussi immensément riche, et son château aux vingt tourelles faisait pâlir d’envie les monarques voisins.

Chaque jour, à sa porte, frappait un nouveau prétendant prétentieux. Il réclamait audience à la reine Mélancole et ressortait peu après, marri de son échec, brisé dans son honneur.

Il n’était guère aisé de plaire à la souveraine ; elle semblait de la vie avoir tout vu, tout touché, tout goûté. Au point de s’être dégoûtée de tout, et de ne plus prendre plaisir à rien. Quelle rude mission s’infligeaient ces jeunes gens, à paraître devant elle munis de cadeaux toujours plus somptueux, espérant allumer en ses yeux une lueur d’intérêt ! D’aucuns optaient pour une parure, d’autres pariaient sur la nourriture, d’autres encore sur l’exotisme d’un objet.

Pas un, à ce jour, n’avait réussi.

Mélancole ne frémissait pas d’un sourcil ; elle les congédiait les uns après les autres d’un geste las de la main. Puis elle retournait à son quotidien, consistant à se morfondre et songer à de meilleurs lendemains. Toutes ces babioles qui l’entouraient n’avaient plus aucune valeur à ses yeux. La vue, depuis le haut de ses tourelles, ne l’impressionnait plus. Et ses repas lui laissaient tous un arrière-goût de poussière. C’est d’ailleurs là ce qui la chagrinait le plus : la perte du plaisir de manger. Elle avait pourtant tout essayé : changer de cuisinier aussi souvent que de robe du soir, varier le degré de cuisson de ses œufs matinaux, tester les associations les plus improbables, jouer avec les épices, aromes, sauces, textures… Rien n’y faisait.

Comme la vie était fade, lorsqu’on s’asseyait à table sans envie.

Les jours s’enchaînaient, pareils aux précédents, sans saveur ni rebond. Sans sourire non plus, et sans vraiment d’espoir d’amélioration.

Un jour, pourtant, une curieuse rumeur parvint à ses royales oreilles. Il se murmurait qu’en son royaume vivait une pâtissière un peu sorcière, dont les confections possédaient des propriétés particulières ; elles rendraient la joie et l’entrain à ceux qui les avaient perdus, égayeraient petits et grands jusqu’aux plus bourrus.

Voilà enfin sa chance ! se dit-elle, sans trop y croire non plus. Elle dépêcha aussitôt son meilleur valet, à qui elle confia la tâche de trouver et ramener cette faiseuse de miracles.

Guidé par les racontars, Neurasthène le valet emprunta un carrosse à la reine et se mit en route. Il lui fallu deux bonnes semaines pour enfin localiser cette fameuse magicienne du sucre. Ses errances le menèrent en bordure du royaume, dans un patelin si rustique qu’on y connaissait à peine le nom de la suzeraine. Le valet s’étonna même de ne point tout entendre à ce que racontaient les gens du coin, tant ils écorchaient la langue officielle. Qu’à cela ne tienne, il n’y comptait pas rester longtemps. Une fois rendu devant « Le palet des merveilles », il en franchit le seuil et demanda « Madame Euphore ».

— C’est moi ! chantonna la vendeuse, derrière son étalage de gâteaux secs.

Tout surpris de voir cette enchanteresse se charger elle-même de la vente de ses créations, il la toisa de ses deux grands yeux ronds. Aussi ronds que les jolis palets qui s’alignaient devant lui et qui fleuraient si bon.

— Madame Euphore, dit-il enfin. La reine eut vent de vos confections et souhaiterait vous inviter en son château.

— La reine, monseigneur ?

— Oui. Elle serait curieuse de goûter à vos sucreries.

— Ah ! Mais dans ce cas, il vous suffit de m’en acheter.

— Ils seraient moins frais, madame. La reine a le palais délicat. Et je ne doute pas que vos gâteaux sont bien meilleurs tout juste sortis des fourneaux. Et plus efficaces, naturellement.

— Efficaces, monseigneur ?

— Eh bien, oui, voyons, répondit-il gêné. Ne dit-on pas qu’ils sèment la bonne humeur ?

Elle rit. Le valet s’offusqua.

— Qu’y a-t-il de si drôle ?

— Rien, monseigneur. Mais n’ayez crainte, tant que vous les consommez dans le mois, ils ne vous décevront pas.

— Vous n’avez pas compris. La reine requiert votre présence. Maintenant. Vous devez me suivre.

— Je refuse. Ma place est ici. Je n’irai nulle part.

Neurasthène commença à s’échauffer. Il insista lourdement, tapa du pied, menaça, mais rien ne fonctionna. Puisqu’il voyageait seul et sans gardes, il n’eut d’autre choix que de s’en retourner bredouille dans son carrosse doré aux roues crottées.

Evidemment, la reine Mélancole, à son retour, tempêta plus que de raison, réclamant à grands cris ce qu’elle attendait si ardemment depuis des lunes.

— Puisqu’il en est ainsi, j’irai la voir en personne ! annonça-t-elle à son valet horrifié.

Elle fit mander à Neurasthène une robe de paysanne taillée à sa mesure, un chapeau de paille, et une charrette de bois. Puis elle embarqua, entourée de gardes déguisés en cocher et petites gens. Le trajet fut long, bien plus long qu’elle ne l’imaginait. Difficile, aussi. Elle découvrit du paysage, mais aussi la pauvreté – concept qu’elle ne connaissait jusque-là qu’à travers les ennuyeuses doléances de ses sujets.

Enfin, après moult déconvenues, elle parvint au « palet des merveilles », éprouvée, exténuée, mais bien vivante.

— Madame Euphore ?

— C’est moi !

—J’aimerais, je vous prie, goûter à l’un de vos gâteaux.

La reine déposa une pièce d’or étincelante sur le comptoir, bravant la pâtissière du regard. Celle-ci, éberluée par cette paysanne au langage si châtier et à la bourse si garnie, s’empressa de répondre à sa requête.

Lorsqu’un palet doré, atterrit dans la paume de la reine déguisée, celle-ci hésita une seconde à le porter à sa bouche. Elle craignait d’être déçue. D’avoir espéré vainement. Et d’avoir souffert ce long voyage inutilement.

— Mangez-le tant qu’il est chaud, l’encouragea madame Euphore.

Convaincue, Mélancole croqua dans le palet… et là ! Une explosion de saveurs. Un ravissement des papilles. Un feu de joie dans son esprit ! Un sourire s’étira lentement sur ses traits, pour la première fois depuis dix ans. Ses yeux étincelèrent, ses pommettes rosirent. Elle frémit de plaisir et se tourna vers sa bienfaitrice :

— Ce biscuit est délicieux ! Nul doute qu’il est enchanté… D’où tenez-vous ce pouvoir ? Il me le faut…

Elle rit. Mélancole inclina la tête et fronça les sourcils.

— Pas de magie ici, ma chère. Juste un ingrédient secret, que je glisse dans toutes mes pâtisseries.

— Un ingrédient secret ? Alors, donnez-le-moi ! Il me le faut. Absolument. Je vous paierai très cher en échange.

Au diable sa couverture, tant qu’elle obtenait ce qu’elle était venue chercher.

— Je ne peux pas.

Les sourcils de Mélancole se froncèrent un peu plus. Sa mâchoire se crispa.

— Vous n’avez pas compris. C’est votre reine qui vous l’ordonne. Dites-moi le nom de cet ingrédient ! Immédiatement ! Ou je vous fais trancher le cou !

— Je ne peux pas !

— Gaaaardes, emparez-vous d’elle ! Madame Euphore, vous parlerez, je vous l’assure.

La pâtissière se mit à paniquer. Elle recula et buta contre le mur, prise au piège.

— Je ne peux pas vous le dire, gémit-elle en vain. Sinon, ça ne marchera plus.

— Qu’est-ce qui ne marchera plus ?

— La magie, voyons.

— Je croyais qu’il n’y avait rien de magique ?

— Il n’y a rien de magique.

— Eh bien alors ?

— Si vous connaissez l’in… l’in… l’ingrédient, bégaya-t-elle en voyant les gardes approcher, les gâteaux n’auront plus la même saveur.

— Quelle bêtise racontez-vous là ?

— Je vous assure ! Si l’ingrédient cesse d’être secret, il perd tout son pouvoir.

— Balivernes. Gaaaardes, débarrassez-vous de cette sotte !

— DE LA CARDAMOME !

— Je vous demande pardon ?

— C’est le nom… de l’ingrédient secret. Je vous en prie, ne me faites pas de mal !

— Eh bien voilà ! Était-ce si difficile ? Ne vous en faites pas, je ne le dirai à personne. Même si je doute, qu’à vos cris, un seul habitant de ce hameau soit encore ignorant. Voyons maintenant si le mensonge s’ajoute à la sottise dans la liste de vos qualités.

La reine saisit un autre palet, sans même le payer, puis le porta à sa bouche.

Rien.

Pas de frémissement, nulle explosion, aucune magie, aucun plaisir. Juste un arrière-goût… de poussière.

La colère s’empara de la reine, qui recracha son biscuit dans le royal mouchoir glissé dans sa poche. Elle braqua un regard furibond sur l’artisane qui, prisonnière des gardes, rentra un peu plus la tête dans ses épaules.

— Je vous l’avais dit, couina-t-elle d’une voix à peine audible.

Le visage de la reine vira au rouge, et après plusieurs secondes à toiser l’importune, elle pivota vers la sortie.

— Allons-nous en ! ordonna-t-elle à ses gardes, sans un regard en arrière.

— Que fait-on de la fille, altesse ?

— Laissez-la en paix. Puisque ses pâtisseries n’auront désormais plus d’effet sur les villageois, elle est déjà bien punie.

À nouveau, Mélancole se confronta à la dure réalité de la vie hors de son palais. Si elle avait de quoi se payer les auberges les plus chères – ne craignant plus guère de trahir sa noble naissance – certains lieux n’offraient pas toujours d’établissements à la hauteur de ses exigences. Et puis la météo se montra bien capricieuse : il plut sans discontinuer pendant une semaine, avec de grosses rafales de vent sur les derniers jours.

Lorsqu’enfin les tourelles de son beau château parurent dans son champ de vision, son soulagement fut tel, que des larmes surgirent de ses yeux, traçant des sillons sur ses joues crasseuses de pseudo-paysanne. Elle pressa son garde-cocher de fouetter les chevaux, et retrouva bientôt son chez-soi, avec un plaisir non dissimulé. Ses gens l’observaient sans y croire : depuis quand n’avait-on vu la reine sourire ainsi ? Et s’adresser à eux avec tant de bonhomie ? Sa quête avait dû réussir, même s’ils ne voyaient nulle part la magicienne qui aurait dû l’accompagner. D’une certaine manière, ils avaient raison. La reine était guérie de son marasme, même si pour cela, elle avait dû emprunter des chemins détournés.

Les œufs de Mélancole, le lendemain matin, avaient même un goût particulier. Elle en savoura chaque bouchée avec délice, raclant le fond de son assiette en porcelaine avec sa cuillère d’argent, et riant à la grimace de sa femme de chambre lorsque son couvert crissait trop fort.

Ces œufs, ils avaient le goût du retour à la maison. Le meilleur ingrédient secret au monde.


Texte publié par Natsu, 15 mars 2021 à 06h09
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