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Comme chaque matin, Walter Cameron Fatbutt Junior sortit de chez lui en tongs et en peignoir pour hisser son drapeau sur le mât planté dans son jardin. The Stars and Stripes claquait fièrement au vent dans le ciel bleu, prometteur d’une journée radieuse. L’homme se retourna pour contempler avec fierté son magnifique pavillon flamant neuf, à l’architecture typique de la Virginie Orientale.

À 45 ans, W.C Fatbutt Jr. se considérait comme un parfait citoyen américain, le modèle à suivre pour tout individu de ce pays. Il avait tout ce qu’un homme se doit d’avoir pour réussir sa vie : une grande maison, deux voitures puissantes, une femme séduisante, un râtelier d’armes bien garni, un chien bien dressé. Et si l’une de ces possessions venait à faillir ou à le trahir, il en changerait sans l’ombre d’une hésitation. Il était républicain, patriote, allait à la messe tous les dimanches, prêchait l’amour de son prochain pourvu que celui-ci fût blanc, américain, riche et hétérosexuel. Pouvait-on rêver meilleure vie sur une meilleure terre ?

Il poussa un dernier soupir d’autosatisfaction et s’apprêtait à retraverser sa pelouse lorsqu’une chose énorme s’abattit droit sur son toit.

« WHAT THE FUCK...!!! »

La patte monstrueuse -car c’en était une - se releva, ne laissant de la villa et de son double garage qu’un tas gravas. Le brave homme resta figé de stupeur, la mâchoire pendante jusqu’au niveau de son nombril, tandis que des explosions de gaz secouaient les ruines, les incendiaient et achevaient de les réduire à néant. Il ne reprit ses esprits que lorsque des F16 en formation survolèrent son terrain à basse altitude. Ces gars-là avaient raison ! Il fallait se battre ! Lui qui était un ancien Marines allait prendre les armes pour protéger son pays, sa famille et ses actions en bourse contre ces monstres ! L’air déterminé, il se tourna dans la direction prise par l’ennemi, tandis qu’une gerbe de feu jaillissait dans son dos et que sa bannière s’envolait au-dessus de sa tête.

Cependant, à des dizaines de kilomètres de là, il y avait un être qui se moquait bien des S.U.V., des stock options et des barrières peintes en blanc. Cet être impie, qui n’avait ni pied pour appuyer sur la pédale, ni poignet à orner d’une Rolex, c’était Jean-Romuald le Poulpe Géant. Et lui occupait son dimanche matin à envahir la terre.

Armé de deux cuirassés en guise de mitraillettes, d’une plate-forme pétrolière pour bouclier et casqué de la coque pansue d’un porte-conteneurs, il combattait avec la vaillance d’un Rambo octopode. Face à lui et à son armée de pieuvres de tailles diverses, les lignes humaines ne faisaient pas le poids.

Leur plan d’attaque était parfait : ils commençaient leur conquête du monde émergé par les États-Unis d’Amérique car c’est ce que se doit de faire tout ennemi de l’humanité. Ensuite, ce serait le pays avec les pyramides, suivi par celui de Big Ben et celui de la Tour Eiffel. Enfin le Japon, sans doute la cible la plus difficile car familier des attaques de créatures à tentacules.

Usant d’un pylône de ligne haute-tension comme d’un chasse-mouches, Jean-Romuald abattit le dernier avion de chasse qui lui tournait autour de façon agaçante. Puis il accrocha l’une des seiches luminescentes qui leur tenaient lieu d’étendard au toit de la Maison Blanche et ondula ses huit bras à ventouses vers le ciel. Autour de lui, tous ses congénères répondirent à son signe de ralliement. La victoire était proche !

A bord de son camping-car dernier cri, Walter avait réuni son équipe : Erik, son meilleur ami, capable d’ouvrir n’importe quel truc fermé ; Zack, le mec un peu dingue féru d’explosifs et d’armes à feux, Josh et John, les jumeaux casse-cou aux gros bras et au petits cerveaux ; Jenny, qui ne servait à rien mais avait de beaux n... cheveux ; et Andy, le type maigre qui portait des lunettes et des chemises boutonnées jusqu’en haut, mais qui surtout savait réfléchir et utiliser un ordinateur.

La seule solution pour se débarrasser des monstres qui assaillaient le pays, d’après notre héros, c’était d’utiliser l'arme la plus puissante créée par les États-Unis : bombe atomique. Bien sûr, il risquait d’y avoir des victimes collatérales, mais c’était un sacrifice nécessaire pour sauver le monde. Et si ce sacrifice se faisait hors de leurs frontières, alors il serait d’autant plus acceptable.

L’affrontement final aurait donc lieu au Mexique.

Pour cela, ils allaient appâter ces horreurs en déversant des tonnes d’algues fraîches dans une ancienne usine de tequila. Pendant ce temps, la fine équipe se répartirait dans les bases américaines les plus proches, et se tiendrait prête à vider sur eux tous les silos à missiles. Quand, attirées par l'odeur alléchante de l'algue en décomposition, les créatures seraient réunies pour profiter du festin, ce serait, comme disait Zack, l’heure du feu d’artifice !

Après Washington et Arlington, Jean-Romuald partit tout naturellement à la conquête de New-York, avec pour projet d’entourer de ses tentacules les plus hauts gratte-ciels, tenant une jeune femme pulpeuse dans l’une d’elle et se frappant la... Ah, mince... Il n’avait pas de poitrine. Bah, aucune importance.

Il mit le cap sur la Grosse Pomme par la mer, pour faire une entrée triomphale et tsunamiesque dans la baie.

Mais alors qu’il émergeait majestueusement des flots malpropres de la mégalopole, quelle ne fut pas sa stupéfaction de trouver une ville déjà ravagée par les flammes et en proie à la panique ! Le Giganticus Octopus gonfla ses joues de rage et chercha l’impudent qui avait osé lui pourrir son groove. Un puissant rugissement fit alors trembler le sol. L’impertinent se tenait là, entre deux tours incendiées : Un saurien au dos hérissé de crêtes, plus haut que l’empire State Building, dont la gueule béante le menaçait de ses crocs. Gojira ! Le roi des Kaijū était sorti de son sommeil, sans doute à cause de...

Non, en fait Jean-Romuald n’en avait aucun idée et il s’en moquait bien. Il n’allait pas se laisser voler la vedette par un sac à main sur pattes, même colossal !

De son côté, le dragon venu du Levant considérait avec appétit cet animal marin propre à cuisiner des takoyaki à sa taille.

Les deux immenses adversaires se jaugeaient du regard face à la mer, dans la lumière du soleil couchant. Un hélicoptère en feu chuta entre eux, tourbillonnant dans le vent du soir. Alors ils s’élancèrent.

Le choc des titans commençait.

Dans le désert du Mexique, Walter s’impatientait. Pourquoi diable ces maudites bestioles n’étaient-elles pas encore là ?

"Peut-être qu’il faudrait plus d’algues ? suggéra Jenny.

- Ou alors ils sont trop loin pour les sentir... tenta Erik.

- Andy, quelle est la portée de leur odorat ?

- Walter, je te l’ai déjà dit : je suis informaticien, pas biologiste."

Le brave leader saisit le binoclard par le col.

"C’est toi le putain de scientifique, ici ! Alors trouve une solution ! Le sort du peuple américain tout entier en dépend, on a pas le choix !

- Je... je ne sais pas... Bredouilla le malheureux analyste. On pourrait... tracer une route avec des algues pour les appâter jusqu’ici... "

Il fut relâché, retomba lourdement sur son siège à roulettes et reçut une grande claque amicale derrière les épaules en guise de gratification.

" Bravo ! Ça c’est une idée ! Allez, les mecs, on se bouge !"

Et la courageuse équipe se mit au travail, armée de camions et de pelles.

*****

Dix ans plus tard, le Royaume d’Octoctupie régnait sur la planète, dirigé par le bon et sage roi Œbbløblblhę 1 - ou Jean-Romuald Premier, pour les bipèdes à la prononciation limitée.

Il s’appuyait sur un système équitable de répartition des richesses, régi par une organisation administrative complexe et l’usage raisonné d’une technologie de pointe respectueuse de l’environnement.

Un réseau de canaux et de voies fluviales permettait de circuler à travers les continents, sillonné par des hydronefs à voiles ou propulsés à l’hydrogène. Les animaux autrefois exploités par l'homme bénéficiaient d’un programme scientifique de retour progressif à la nature, les espèces sauvages menacées étaient réintroduites, les forêts replantées.

Les centrales nucléaires, jugées trop dangereuses par l’encéphalopodocratie, avait été démantelées avec moult précautions. Les énergies fossiles n’avaient plus cours. Tous les puits, plateformes de forages et raffineries avaient été condamnés. La principale source d’électricité en Amérique était le kaijū Gojira, vaincu et capturé par le roi lui-même pendant la conquête.

Sur les autres continents, on avait pris l’habitude de faire courir les humains d’élevage dans de grandes cages à écureuil. En plus de produire une ressource complémentaire aux énergies solaires et éoliennes, ceci permettait de garder le bétail en forme, les bipèdes constituant l’essentiel de l’apport en protéines des nouveaux maîtres de la terre et des océans.

Mais alors, l’humanité était-elle donc tout entière réduite en esclavage et destinée à finir en sandwichs pour pieuvre ?

Non ! Car, quelque part au Sud de ce qui avait autrefois été le territoire des États-Unis d’Amérique, subsistait dans le plus grand secret une petite troupe de survivants, dernier bastion de la résistance à l’oppresseur poulpe.

Leurs noms ? Walter Cameron Fatbutt Junior, Erik Bestmate, Josh et John Kickass, Jenny Bigboobs, Zack Blowitup et Andrew Helpmipliz.

Ces héros, sur-armés et surentraînés n’attendaient qu’une chose : que l’ennemi tombât dans leur piège aussi imparable que mortel et fût ainsi atomisé, exterminé, éradiqué et définitivement vaincu !

... Ce qui entre nous ne risque pas d’arriver un jour, les pieuvres géantes ne se nourrissant pas d’algues.


Texte publié par Leliel, 11 mars 2021 à 17h21
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