La musique : elle, seule, importe. Le danseur est entré en état de grâce à elle. Il est en communion totale. Plus rien autour de lui n'a de sens, d'importance. Il vibre et épouse son rythme avec une grâce qui enchante les spectateurs. Le morceau d'électro navigue entre une ambiance lancinante et profonde avec des lignes de basses qui résonnent dans le corps du danseur noir qui captive les spectateurs. Il semble absolument hermétique à son environnement, à tel point que son corps ne trésaille pas lorsque des mains viennent se poser sur ses hanches. D'ailleurs, il met du temps à réaliser qu'il ne danse plus seul. À cet instant, il prend conscience de la délicatesse de son compagnon. Ils sont en parfaite harmonie. Son partenaire n'est pas aussi bon danseur, mais Aimé sent que la musique lui parle et il suit ses rythmes sans difficulté.
− Que le morceau ne se termine jamais pense-t-il
Et pourtant le charme se brise partiellement quand le morceau des années 80 enchaîne, en rupture avec l'univers de Solaria et ses titres si chers au cœur d'Aimé. Il ouvre enfin les yeux et rencontre le regard gris et amical de son partenaire de danse. Il est plus petit que lui et il est certain de ne pas le connaître et pourtant le regard que cet inconnu a pour lui, lui a fait chaud au cœur. Il n'ose pas bouger car il sait que dès que le jeune homme verra sa joue gauche clairement, il s'enfuira. D'ailleurs le cœur d'Aimé s'affole à cette pensée. Il était si bien, il avait oublié cette disgrâce et était enfin en harmonie avec son environnement. Ni l'un ni l'autre ne s'est éloigné. Ils restent tous deux dans cette pose figée. Leurs deux corps encore proches. Leurs mains ne se sont toujours pas lâchées. Finalement en plus du regard amical de son partenaire, Aimé voit poindre un sourire éclatant :
− Je t'offre un verre ?
Aimé accepte. Ensemble, ils se dégotent une place au bar dans un espace plus calme.
− Qu'est-ce que tu bois ? Au fait moi c'est Solal.
− Un white Russian
− Un jus de pomme pour moi.
Solal hausse le ton pour se faire entendre par la barmaid très demandée. Elle vient le voir et prend sa commande. Aimé remarque que cet homme a l'art de plaire à tout le monde. Il le voit même glisser un objet à la jeune femme aux cheveux violet. Quel homme intriguant.
− Alors avec qui j'ai eu l'honneur de partager cette délicieuse danse ?
− Aimé. Enchanté.
− De même. Un fan de Solaria, si je ne m'abuse. La musique t'avait emportée très loin. J'espère que mon intrusion dans ton monde ne t'a pas dérangé.
− Pas de soucis, c'était plaisant de partager ce moment. Et oui, j'adore Solaria. Sa musique possède un magnétisme et elle me parle parfois. C'est comme un enchantement.
− Tiens écoute. C'est justement un nouveau titre de Solaria que la barmaid va passer dans trois, deux un...
Aimé sirote son verre et prête l'oreille à la musique. Il y a eu un blanc de quelques secondes pour capter l'attention dans la pièce. Avant que des basses sourdes et profondes envahissent l'espace et qu'une ligne mélodique vienne enrichir la basse. Aimé a fermé les yeux. Solal l'observe avec intérêt. Cet homme a bien une mélodie aux notes d'or. Elles ont la couleur de l'or sombre, un peu comme si l'or était patiné. Le musicien lit la partition, il entend la musique dans sa tête. Une euphorie enfle en lui. Que c'est puissant ! Vu de l'extérieur, Solal semble avoir un véritable coup de foudre.
Lorsque Aimé ouvre les yeux, il est surpris de voir une excitation débordante lisible sur le visage de l'homme qui lui tient compagnie.
− Toi aussi la musique te met dans tous tes états ?
− Tu n'as même pas idée. Alors ce nouveau morceau ?
− Il est ... Je pourrais l'écouter en boucle. Les mots me manquent. C'est toi qui à donner le titre à la barmaid ?
− Oui. J'ai des relations, annonce Solal avec un clin d'œil.
− Tu connais Solaria ? réplique Aimé abasourdit
− De loin, on fréquente des gens en commun et des fois, j'ai le droit à des avants premières. Je crois que Solaria teste sa musique en me lâchant des inédits.
− Tu as le droit de les diffusés en public ?
− T'inquiètes, je n'ai rien fait qui ne soit préjudiciable pour le grand DJ. Si tu veux, je demande à la barmaid de remettre le morceau et on en profite sur la piste de danse.
− Carrément.
Les deux hommes rejoignent la piste de danse déjà électrisé. Lorsque le morceau démarre quelques décibels au-dessus de la normale, la musique les emportent dans une danse où leurs corps communiquent sans aucune pudeur. Aimé est surpris de sentir le désir de cet homme qu'il voit plutôt avec des femmes et pourtant pas de doute, c'est lui qui le met dans cet état et réciproquement. Le morceau est trop court et une nouvelle fois la transition est difficile. Les classiques des années 90 paraissent fades après ce titre. Pour Aimé, c'est le signe du départ. Il veut garder en tête cette danse et qu'aucune autre ne vienne entacher ce moment délectable. Il annonce son départ.
− Merci pour la découverte et la danse. Je vais y aller.
− Aimé, tu me laisse ton numéro ? On se revoit.
− Non. Je suis navré mais ce qui se passe en boite, reste en boite.
Le regard incrédule de Solal lui fait mal au cœur. La règle est là pour le protéger. Il doit la respecter. Même quand il aurait envie de dire oui. Aimé s'éloigne avec un geste de la main. Solal regard impuissant l'homme aux notes d'or s'éloigner loin de lui. Finalement, il va accepter l'invitation de la barmaid, Ivana, à finir la nuit avec lui. Pas moyen de rester avec cette frustration musicale et sexuelle. Les notes violettes d'Ivana lui murmurent une mélodie aguichante bien qu'elle soit très loin de celle d'Aimé. Que cet homme porte bien son prénom.
Ivana la barmaid a l'habitude de finir ses nuits avec Solal. Cette nuit, elle sent bien qu'elle n'est qu'un exutoire car Solal n'a pas eu la personne qu'il voulait. En même temps, Solal obtient toujours ce qu'il veut ce qu'il veut. Pas ce soir, le beau danseur noir avec qui il a passé la soirée l'a étonnamment rembarré. Pourtant, elle a perçu une sacrée alchimie entre ces deux-là. Après son départ, son plan cul s'est assis à un bout du bar, il lui a demandé papier et stylo et il a passé la fin de la nuit sur son bout de papier. Il n'a été réceptif à aucune invitation. Finalement, ils sont rentrés chez elle.
Ivana est passée sous la douche où Solal l'a rejoint. Malgré son air fatigué, son désir s'est réveillé dès les premiers baisers échangés. Il s'est placé derrière elle et s'est amusé à parcourir de sa langue le corsage qu'elle a tatoué dans le dos et qui lui s'arrête à la naissance des fesses. Ivana a cru un instant qu'il allait s'arrêter sans plus de préliminaires. Heureusement, il l'a caressé de ses doigts agiles avant qu'elle ne s'échappe de son étreinte le corps affamé et en pleine émoi, mais elle ne veut pas d'une partie de jambes en l'air à la sauvette sous la douche. Elle se sèche et rejoint son lit suivi de près par Solal qui prend une pause pour l'observer, là alangui sur le lit. Des fois, elle a l'impression qu'il observe des choses que seul lui peut voir. Trop impatiente, elle s'approche du bord du lit et prend sa virilité en bouche afin qu'il se rappelle que c'est avec elle qu'il finit la soirée. Son piercing sur la langue n'est là que pour les jeux sexuels. Et ça fonctionne. Elle a de nouveau l'attention de son amant. Elle ne le perd que lorsqu’il la pénètre. Elle sait qu'il pense à celui qui lui a échappé cette nuit. Tant pis, la frustration qu'il éprouve l'envoie dans les contrées d'un plaisir rarement rencontrer.
Ivana aurait aimé avoir plus que la relation charnelle que lui accorde Solal. Seulement, lorsqu'il l'a décidé, il devient totalement intouchable physiquement comme mentalement. Il y a chez lui une carapace qu'il ne laisse pas pénétrer. Malgré les efforts qu'elle a fourni au cours des années depuis qu'elle le côtoie, elle ne sait même pas ce qu'il fait vraiment ce qu'il fait dans la vie. En même temps, comme le vampire, il devient insaisissable, une fois, le soleil levé. Elle se doute qu'il appartient aux milieux de la nuit sans pourtant savoir dans quelle sphère il se trouve. C'est frustrant. Faute de choix, elle se contente de savourer les nuits de retours de boites, car il est quand même un amant divin. Ce sont les dernières pensées qui habitent Ivana alors qu'elle revient se coucher après avoir soulagé sa vessie. Alors que Solal dort déjà profondément, enfin détendu.
À son réveil, Solal se rhabille sans bruit. Il laisse un mot à Ivana dans la cuisine et saute dans le taxi qui l'attend en bas de l'immeuble. Il s'envole dans quelques heures pour les USA pour le travail. Il est dépité de ne pouvoir revoir Aimé. Cette rencontre lui laisse une impression tellement forte qu'il faut qu'il le revoie pour danser mais aussi pour le connaitre. Il enrage sur ce choix de ne pas prolonger les rencontres hors des boites de nuit. C'est son choix, certes. Mais Solal n'aime pas ne pas avoir ce qu'il veut et ce qu'il veut maintenant c'est écouter la musique d'Aimé. Si prometteuse. Si électrisante. Si brillante. En plus de la couleur inédite de ses notes, il y a une complexité dans les mélodies qui subjuguent Solal qui voudraient les exploiter et les faire découvrir au monde entier. Seulement dans l'immédiat, il est dans l'incapacité de partir à la recherche d'Aimé même si pour cela, il doit parcourir tout le pays. Il ne peut échapper à ce voyage. Solal repère juste qu'Aimé l'attendra et qu'à son retour, il acceptera son invitation à faire plus ample connaissance.
« Dans deux jours, je pourrais sans doute le retrouver » se dit Solal alors qu'il vient de boucler son set. Il est content de lui bien qu'il ne soit pas été vraiment à fond dans ce qu'il faisait tant l'idée de revoir Aimé l'obsède. Il y a pensé tout son séjour. Résultat : Solal se sent frustré à tous les niveaux. Pendant son temps libre, il a commencé à travailler sur la mélodie qu'il a perçu chez cet homme aux notes d'or. Il est hyper emballé par ce morceau qui mélange une sensation d'érotisme et de fuite. Tout comme la soirée en question. Du coup, Solal repense à cette soirée non-stop, cela le met aux abois sur le plan sexuel. Malheureusement, les rencontres qu'il a fait pendant son séjour à l'étranger n'ont pas réussi à l'apaiser durablement : simplement car ces gens ne sont pas Aimé et c'est lui qu’il veut et personne d'autre.
Dans l'avion qui le ramène à Rennes, Solal liste les lieux où il pourrait retrouver celui qu'il cherche. Il va commencer par le Platinium, le lieu de leur rencontre puis il ira voir dans les bars du centre-ville et les discothèques. Une petite voix lui chuchote que si ça se trouve, Aimé n'habite pas du tout dans le coin et qu'il pourrait ne jamais le revoir. Solal repousse systématiquement cette idée tellement elle l'effraye. Si en trois semaines d'absence, il n'a pu oublier Aimé, il ne le fera jamais. Son envie dévorante de découvrir ces mélodies n'avait jamais été aussi forte depuis ces dernières années. D'ailleurs, il sort des titres qui marchent bien mais, selon lui, ils n'ont rien d'extraordinaires. Ils sont plaisants pas transcendant. Surtout que c'est la première fois qu'il rencontre une telle coloration dans la mélodie des gens. Elle lui permet de savoir un peu d'un coup d'œil quel type de personnalité lui fait face. Ces teintes dorées lui sont inconnues, Solal n'arrive pas à voir où situer cet éclat dans le spectre de la mélodie des gens. Il pressent qu'il va devoir creuser pour découvrir la particularité d'Aimé. Pour commencer, il va devoir le convaincre de le revoir hors des milieux de la nuit. Et pour une fois, il ne veut pas choper sa mélodie à la sauvette avec un rapport brusque et trop court dans les toilettes d'une boite ou un bar. Il sait que Aimé vaut mieux que cela. Solal est enfin de retour dans son appartement. Il s'accorde un sommeil réparateur avant de partir en chasse.
Aimé est très surpris de ne toujours pas parvenir à oublier la danse avec Solal. Il a même retenu son nom. Contrairement à ce qu'il pensait, il ne l'a pas recroisé en trois semaines. Au fond de lui, il a peur d'avoir fait une erreur car il ressent un je-ne-sais-quoi à propos de cette rencontre. C'est sans doute le regard que Solal lui a offert qui était peu commun. Il n'a pas eu l'infime sursaut au moment où il a vu la cicatrice, si immonde, qui lui barre la joue gauche. Alors que tous autres ont cette réaction de dégout, ils arrivent plus ou moins à le cacher rapidement. Et il n'y a rien à faire, elle ressort très bien sur sa peau noire. D'ailleurs, il n'a jamais compris pourquoi, elle a si mal cicatrisé. La maudite a ruiné tous ses projets. Aimé respire profondément. Il ne faut pas qu'il s'appesantisse sur le sujet, cela lui mine le moral. Surtout, qu'il est en pleine préparation pour se rendre au Platinium avec le fol espoir de le recroiser. S'il ose, il demandera à la barmaid, elle doit connaitre les habitués et ceux qui se permettent de lâcher des démos de Solaria ne courent pas les rues.
Dans la file pour entrer dans la boite, Aimé scrute la foule. Devant lui, certains se font rembarrer, il se demande sur quoi se base les gorilles à l'entrée pour refouler les uns ou les autres. Ce n'est pas qu'une question de physique sinon il se verrait refuser l'accès plus souvent. Quoique vu sa carrure et sa stature, il sait qu'il en impose. Une fois à l'intérieur, Aimé ne traine pas il se dirige directement vers la salle principale. Il observe avec attention les gens. Bien qu'ils ne les connaissent pas, ils repèrent des habitués qui viennent sans doute se libérer de la routine de la semaine. Pour sa part, Aimé a besoin de sa dose de danse et de musique, ce sont ses deux euphorisants naturels. Sans cette rencontre qui l'a laissé défigurer, il serait devenu la vedette d'une troupe de danse.
Le danseur choisit une place non loin du bar et commence à se détendre, à l'écoute la musique. Il attend le morceau qui lui parle pour s'élancer sur la piste ou une invitation. Et elle ne tarde pas, Dakota, qu'il rencontre souvent l'invite. Elle est une danseuse accomplie. Ils épousent le rythme entrainant de Daft Punk. C'est un bon morceau joyeux, Aimé son rythme. Sa partenaire murmure les paroles. Ils sont en harmonie et les autres danseurs se sont poussés et admirent leur performance. Aimé remarque que ce phénomène est régulier et cela ne fait qu’alimenter sa tristesse concernant la danse et les refus qu'il a essuyé. Il est prêt à parier que personne ne fait plus attention à son visage. Il secoue mentalement la tête et se concentre sur le plaisir que son corps éprouve à se mouvoir avec la sensation de baigner dans la musique. Dakota ne parle pas, elle est elle aussi de celle qui se font happer totalement par la musique. Aimé a souvent l'occasion de danser avec elle, cependant il ne connait rein de sa vie. Elle semble avoir la même politique que lui concernant les rencontres sur la piste de danse. Elle est heureuse de savoir que régulièrement, elle peut partager un moment intense de danse brillamment exécutée en compagnie de ce bel homme que la danse sublime. C'est comme-ci la danse lui permettait de retirer son masque de tristesse qu'il affiche en dehors.
Un nouveau morceau démarre. Aimé se fige quelques secondes, il lui semble reconnaitre la patte de Solaria bien que ce morceau ne colle pas tout à fait à son style. Un imitateur ? La musique est percutante. Elle recèle un sentiment de frustration que Aimé comprend bien. Une fois encore, la musique a pris le dessus et il met du temps à réaliser qu'il a changé de partenaire de danse. Un immense sourire éclaire son visage quand ses yeux rencontrent ceux de Solal.
Solal a rapidement repéré Aimé sur la piste de danse. Il l'a observé, ses notes dorées sont si belles, même si la mélodie qu'il dégage semble hésitante, comme si l'homme était en proie au doute. Les nuances qu'il parvient à percevoir chez cet homme épatent le musicien en lui. Par contre, il en veut plus. Il est certain que si Aimé se laisse plus approcher, il pourrait créer un chef d'œuvre hors du commun par rapport à tout ce qu'il a fait à ce jour. La couleur est une invitation à la découverte comme si son don était à un point de bascule. Si ça se trouve, son don est à deux doigts d'une nouvelle mutation ? Cette idée enthousiasme tellement le musicien que cette simple hypothèse provoque des réactions quasiment orgasmiques. À nouveau, il confie un inédit, celui sur lequel il a travaillé pendant son voyage, à Ivana et va rejoindre la piste de danse.
Il avertit discrètement la danseuse qu'il souhaite prendre sa place. L'échange se fait en douceur afin de ne pas faire éclater la bulle dans laquelle se trouve Aimé. Solal sent déjà l'affolement de son corps au contact d'Aimé. La puissance et la force physique qui émanent de lui sont contre balancé par la fragilité que son attitude laisse transparaitre. Solal rend son sourire à Aimé sans rien ajouter avant la fin du morceau. Après quoi, il l'entraine vers le bar où deux boissons les attendent déjà grâce à la prévenance de la barmaid.
− Je me languissais d'une nouvelle danse avec toi Aimé.
− J'avoue avoir beaucoup pensé à notre dernière danse ces dernières semaines. Je m'attendais à te revoir plutôt.
− Tu n'as pas voulu prendre mon numéro et pourtant tu voulais me revoir remarque Solal, heureux de cet aveu
− Oui, c'est vrai. Il se peut que j’aie regretté un peu ma politique !
− Qu'entends-tu par politique ?
− Mon choix de ne pas sortir les rencontres de soirée de leur cadre.
− Pour éviter les mauvaises rencontres ?
− Très juste.
− Tu t'es fait agresser en sortant de boite ?
− C'est ce qui me vaut cette magnifique estafilade !
− C'est arrivée une fois, qui dit que ça recommencera ? Ces gens-là tu les sens venir, non ?
− Justement, non. J'ai passé un très bon moment avec lui à danser et à discuter et quand je l'ai suivi dehors avec l'intention d'effectuer un rapprochement physique, j'ai croisé une lame aiguisée et un mec odieux et violent.
− Tu ne donnes plus ça chance à personne du coup ? Et cela ne te chagrine pas ? Il ne te reste quoi, qu'à te branler pour évacuer le désir accumulé pendant la soirée ?
Aimé sursaute en entendant ses paroles dures. Il pensait que Solal comprendrait son point de vue après avoir entendu son histoire. Il a envie de s'éloigner, il n'aime pas l'agressivité. Son partenaire a dû le sentir car il lui prend la main doucement pour le retenir.
− Je suis désolé de me montrer aussi maladroit. Je comprends ta réaction. Je suis frustré car cela fait trois semaines que je veux te voir et que je cherche la faille dans ta politique pour que tu acceptes de me voir en dehors de la piste de danse. Et à ce que je n’entends rien ne fera plier.
− Et pourquoi tu me veux moi ? Tu n'as pas l'air d'avoir de souci pour ramener du monde en fin de soirée si je me fie au regard enfiévré que la barmaid à pour toi.
− Tes déductions sont bonnes. Il m'arrive de finir la soirée avec la barmaid. En toi, Aimé, je descelle une aura particulière et elle me donne envie d'en apprendre plus sur toi. Et je ne te parle même pas de l'état d'excitation dans lequel me met ton physique, peu importe cette cicatrice d'ailleurs.
− Une aura ? C'est une technique de drague innovante sourit Aimé
− Je ne sais pas comment t'expliquer ce qui me donne tant envie d'approfondir la relation avec toi. Si tu veux, on passe un marché : tu acceptes de te joindre à moi pour le reste de la nuit, nous allons où tu veux et si besoin te me fouilles intégralement avant que l'on parte. S’il le faut, je me mets à poil devant toi dans les toilettes pour te prouver que je n'ai aucune intention de te nuire, juste apprendre à te connaitre et si tu le souhaite partager au minimum une nuit de plaisir.
Aimé en reste coi. La fougue et la volonté de Solal lui faire accepter une exception pour lui dans sa politique de ce qui se passe en boite reste en boite lui a mis le feu aux joues. Elles sont cuisantes, heureusement qu'il n'a pas le teint qui rougi facilement.
− Je réserve mon jugement après d'autres danses conclut Aimé avec un clin d'œil
Sans plus attendre, il prend la main de Solal et l'entraine sur la piste alors que débute le morceau Something about us de Daft Punk. Titre langoureux, parfait pour une danse rapprochée.
Ivana observe Solal, elle ne l'a pas vu depuis trois semaines et voilà qu'elle n'a plus du tout le droit à ses attentions. Il est obnubilé par ce danseur affligé d'une hideuse cicatrice. Franchement, elle ne sait pas comment Solal arrive à ne pas y prêter attention. Elle forme un bourrelet de peau pale qui lui barre la joue gauche et descend le long du cou. Elle n'est pas récente, elle a mal cicatrisé ou celui qui l'a recousu a fait un travail de boucher. Pourtant, Solal bave et, Ivana constate que maintenant qu'il danse, il a l'air moins crispé et sur les nerfs. Elle reconnait qu’en dehors de sa défiguration, le danseur à un corps de rêve bien musclé, à la limite du un peu trop, il a des gestes graciles et un regard amical. D'ailleurs, lui semble aussi se détendre et s'ouvrir maintenant qu'il a eu l'occasion de discuter avec Solal. Ivana réalise avec dépit qu'elle est jalouse. Elle aurait donné beaucoup pour avoir un tel degré d'intimité avec Solal. Elle couche avec lui, et quelle chance elle a, cependant, son amant ne parle pas de lui et ne lâche rien sur sa vie. Elle n'a jamais vu son appartement. Et en l'observant avec cet homme, elle perçoit bien que Solal est prêt à plus d'effort pour lui. Elle n'a jamais réussi ce tour de force. D'ailleurs, elle s'interroge sur Solal car elle a vu passer nombres de ses conquêtes et contrairement à la plupart des gens, il n'a pas un type de physique de préférence. Il est clairement bisexuel. Sa longue expérience dans les boites de nuit lui a montré que les habitués des lieux ont toujours un type favori que ce soit la taille, la rondeur, la couleur des cheveux ou quoi que ce soit d'autre. Habituellement, Ivana finit par le deviner après trois quatre soirées. Solal ne rentre pas du tout dans ce schéma. Il doit bien y avoir un critère commun à ses conquêtes. Lequel ? Cela reste un mystère complet pour elle. Elle croit l'avoir entendu parler d'aura tout à l'heure. Elle n'écoutait pas vraiment, essaye -t-elle de se convaincre. C'est sans doute le critère de sélection de Solal.
Il n'est qu'une heure et demi du matin quand elle voit Aimé et Solal quitter la salle ensemble, main dans la main. Ivana, jalouse, aurait bien aimé retenir Solal et le garder pour elle. Dans son for intérieur, elle espère qu'il traitera Aimé aussi mal qu'elle. Dans le fond, Solal est un consommateur qui utilise et jette les gens dès son intérêt passé.
Solal attend dans sa chambre l'apparition d'Aimé qui se rafraîchit dans la salle de bain attenante. C'est la preuve de sa bonne foi, il a emmené Aimé chez lui au mépris de sa propre règle qui stipule que jamais il ne ramène personne chez lui, dans son intimité. Puisque l'homme aux notes d'or a fait un grand pas vers lui, il devait lui rendre la pareille. De toute manière, même ici, il n’y a pas moyen que son identité ne soit percée à jour. Son studio d'enregistrement est fermé à clef et vu qu'il est rentré de voyage, il y a peu, rien ne traine dans l'appartement de taille modeste mais agréable qu'il occupe.
Aimé revient vêtu d'une serviette autour de la taille. Solal, que la fatigue du voyage tente d'assommer, se réveille tout à fait. Le corps sculpté qu'il a en face de lui est sublimé par les portées chargées de notes qui s'enroulent lentement autour de sa silhouette. Les notes d'or scintillent un peu plus forts par rapport au jour de leur rencontre. Solal est subjugué par la beauté du spectacle et la mélodie qu'il déchiffre emplit sa tête. Elle est si envoutante à mi-chemin entre de la house aux tonalités tristes. Solal se demande comment une telle coexistence est possible. La mélodie prend des airs pompeux et sensuels alors qu'il constat l'érection que Aimé tente de minimiser, les mains devant son entrejambe.
Solal se lève et s'approche.
−Pourquoi cacher une si belle invitation ?
− Ton regard me déroute. Jamais, personne ne m'a regardé avec un tel désir, ni même une telle adoration.
− Voilà qui est bien triste. Laisse-moi alors te montrer comment mon regard peut se traduire en geste.
Solal retire son haut, ses cheveux sont maintenus en un chignon rapide, afin de ne pas le gêner. Il s'approche d'Aimé et l'enlace avant de goûter, enfin, à ses belles lèvres charnues. Dans l'immédiat, Solal ne se préoccupe plus de la mélodie, il lui faut d'abord assouvir son désir physique avant de se concentrer à nouveau. Par expérience, il sait que l'essence d'une personne, sa mélodie se révèle au cœur d'un grand plaisir et pour y avoir accès, il doit découvrir ce que l'autre aime. Les fluctuations sur les portées représentent un bon indicateur. Solal aime s'y fier car il renvoie à son ou sa partenaire le sentiment qu'il le connait déjà. Il adore jouer avec ce sentiment.
Dans l'immédiat, Solal découvre du bout des doigts les courbes musclées, qui semblent sculpté dans l'ébène. Un scintillement intense capte l'œil de Solal lorsque sa main passe sur l'extérieur de la cuisse. Le souffle raccourci d'Aimé confirme ce que suggère sa musique. La réceptivité de cet homme offre un terrain de jeu immense que ce soit sur le plan sexuel comme musical. La nuit est loin d'être terminée. Il conduit Aimé sur le lit, lui retirant au passage sa serviette. Une fois, Aimé installé, Solal finit de se dévêtir avant de reprendre ses explorations. Il découvre qu'il ne faut pas s'attarder sur les flancs, car cela chatouille, de même, pas de baiser à proximité de la cicatrice (ce qui semble logique). Par contre Aimé apprécie particulièrement les caresses au niveau des épaules, sur les cuisses et les fesses. La stimulation des tétons ne fonctionne pas beaucoup. Et la plus grande découverte de Solal est que Aimé prend quasiment autant de plaisir à ce qu'on s'occupe de lui comme à faire plaisir à l'autre. À peine Aimé a-t-il pris son membre en main et en bouche, la coloration de sa mélodie a irradié d'un jaune d'or presque aveuglant. Le DJ se gave de ce spectacle tant pour mémoriser la mélodie aux accents triomphants que pour ne pas s'oublier si vite. La mélodie d'or n'attend plus que d'être amplifiée par une apothéose entre les deux corps affamés. Son intromission provoque une mélodie digne d'un orchestre. Solal en a le souffle coupé. Jamais, il n'a rencontré des gens qui lui fournissent assez de matières pour écrire plusieurs lignes musicales en même temps. Avant de s'interroger sur la raison de cette richesse, le plaisir l'emporte loin de toutes pensées structurées.
Aimé émerge doucement. Il est étonné de se réveiller seul. Il aurait aimé un temps câlin avant de se lever. Il n'entend qu'une musique en sourdine, ainsi son amant à des talents de pianiste. Il en sait si peu sur lui qu'il est heureux de cette découverte. Tout en écoutant l'air fantastique qui est joué dans l'appartement, il repense à la nuit passée. C'est la première fois qu'il se sent en total osmose avec quelqu'un. Sur le plan sexuel, ce n'est pas si simple de trouver la personne qui correspond parfaitement. Il a eu l'impression que Solal avait une carte avec lui pour découvrir ses préférences. Cela énormément surpris. Et il est le premier qui le regarde avec admiration au point d'en être subjugué. À se questionner, il a réveillé un puissant désir de partager de nouveau les plaisirs.
Le danseur finit par se lever, enfilé boxer et t-shirt avant de quitter la chambre. Lorsqu'il pousse la porte de la pièce d'où provient la musique, le volume sonore le surprend. La pièce doit être insonorisée, c'est très étonnant. Solal ne l'a pas entendu arriver. Il pose doucement ses mains sur ses épaules. Une fausse note, dû au sursaut qui a sorti le musicien de sa transe. Aimé lui sourit alors qu'un éclair d'agacement traverse le regard de Solal, Aimé recule en s'excusant :
− Excuses moi. Je ne voulais pas te faire peur.
− C'est ma faute, j'ai oublié d'énoncer une règle d'or : ne jamais m'interrompre quand je travaille.
− Tu es compositeur de musique de film ?
− Je pourrais, mais non. Ce que tu as entendu n'est qu'un travail préliminaire.
− Ça me semble très aboutit pourtant. Je ne suis pas musicien donc je ne me rends pas compte. Un petit déjeuner, ça te tente ?
− Ce n'est pas une mauvaise idée. Une petite pause avant de reprendre.
Aimé est déconfit lorsqu'il comprend le sous-entendu : il a intérêt à vite déguerpir. Il se sent blessé et perdu. Le comportement de Solal ne colle pas avec celui d'hier. Ou alors, il obtenu ce qu'il voulait et c'est fini ? Aimé garde ses questions pour lui et va prendre le reste de ses affaires. Solal l'a déjà oublié, il transcrit une mélodie sur des portées vierges à une vitesse folle. Aimé prendra son petit déjeuner chez lui, inutile de rester. Il quitte l'appartement sans que Solal ne le remarque.
Le téléphone vibre à nouveau dans la poche d'Aimé. Il ne peut pas le consulter sur son lieu de travail. De toute manière, c'est probablement encore Solal et Aimé ne veut pas lui parler vu comment il a été traité. D'accord, il n'a pas été agressé cette fois-ci, mais la douleur est pire : celle de sentir utilisé, sans le moindre respect. Il n'aurait pas dû faire d'exception. Il a tellement aimé le temps partager avec cet homme et il sait qu'au fond de lui, il veut d'autres nuits avec lui. Pourtant, son comportement le lendemain l'a profondément déçu. Et dans l'immédiat, il ne sait pas quoi répondre, alors il se tait. Sa semaine est longue, ennuyeuse et pour couronner le tout, la mélodie de piano traine dans sa tête. Aucun moyen de réentendre ce morceau dont il n'a pas les références encore moins si Solal l'a créé de toute pièce. Si c'est le cas, il est doué d'un talent immense. S'il vit de sa musique, il est forcément connu. Un grand nom de la musique classique ? Aimé constate qu'il est frustré. Il a rencontré le mystère personnifié avec qui il est rentré en communion le temps d'une nuit de plaisir. S'il veut en apprendre plus, il est obligé de faire un pas vers lui au risque d'être à nouveau malmené. La délicatesse pendant l'amour n'existe pas dans les relations humaines de Solal. Une nouvelle vibration. Ouf, il est l'heure de clore la journée.
Aimé regarde enfin son téléphone, cinq sms de son amant d'une nuit. Il ne les lit pas. Il répond simplement : « Je passe chez toi dans une demi-heure, c'est ta chance de discuter ». La réponse est immédiate : « Ok, je te laisse le code de l'entrée, entre directement, si je n'ai pas fini attend moi dans le salon. » Vraiment curieux. Aimé se met en route. Il met son casque et lance une playlist de Solaria pour le trajet. La marche lui fait du bien et la musique l'empêche d'appréhender sa future discussion. Il arrive finalement quarante-cinq minutes plus tard. Il entre directement chez Solal. Le salon est vide. Encore une fois, il y a un bruit de fond indistinct. Une autre pièce insonorisée ? Aimé attend. Solal se montre cinq minutes plus tard. Il a les traits tirés et l'air surexcité.
− Je vais me faire un café, tu veux boire quelque chose ?
− Je veux bien un café répond Aimé en emboitant le pas à son hôte.
La cuisine est en désordre. Rien à voir avec ce qu'il a vu la première fois.
− Tu es sûr que tu vas bien Solal ?
− Hein ? Ah ne fait pas attention au bordel. C'est toujours comme ça quand je suis sur un gros projet.
− Tu te nourris au moins ? Tu dors ? Tu fais des pauses ?
− Mais oui. T'inquiètes. Je n’ai juste pas assez dormi depuis mon retour des US. Il faut que je bosse tant que tout est frais dans ma tête.
− Qu'est-ce que tu fais comme boulot ?
− Je suis musicien.
− Mais encore ? C'est vaste comme définition.
− Je ne peux pas t'en dire plus, désolé. Et toi comment vas-tu ? Tu ne me réponds pas pendant presque une semaine et pourtant tu débarques chez moi ?
Aimé réfléchit à sa réponse.
− Je préfère que l'on en discute en tête à tête pas par texto.
− Tu n'es pas revenu samedi.
− Je ne suis pas revenu car tu avais déjà replongé dans ta partition. Tu étais si loin de moi, comme inaccessible. Et puis ta réponse m'a laissé entendre que tu n'allais que bosser sans te soucier de moi. Tu n'étais pas disponible, je n'allais pas faire la potiche.
− Mouais, je n'aurais pas dû m'y atteler aussi tôt. La musique m'emporte très vite. Et puis je n'ai pas l'habitude d'avoir de la compagnie à mon réveil.
− Charmant. Alors les gens sont des consommables pour toi ?
− L'image est assez juste, oui.
− Nous, n'avons plus rien à nous dire alors. Sache tout de même, que ton comportement est blessant et j'ai cru qu'il y avait plus entre nous deux, qu'une partie de jambe en l'air.
− Je pense aussi. Tu es le seul que j'ai invité chez moi.
− Mais tout ce que tu voulais s'était me sauter ? Peu importe de me connaitre.
− Je t'ai recontacté, c'est que je veux te revoir, non ? Je ne vois pas ce qui te choque.
Aimé secoue la tête. Il est sidéré par l'incompréhension de Solal. Il ne voit pas comment lui faire comprendre que son comportement est blessant.
− Tu ne te lie jamais avec personne ? Tu n'as pas d'amis ?
− Je suis sociable, mais du genre un peu renfermé.
− Tu n'acceptes personne dans ton intimité ? Tu ne te confie jamais ?
− Non.
− On ne peut pas être heureux ainsi. J'ai de la peine pour toi. C'est très enrichissant une relation amicale ou amoureuse avec quelqu'un avec qui on peut parler à cœur ouvert.
−Je n'y arrive pas.
− Et tu n'as pas envie d'essayer ? Je suis d'accord, on ne peut pas se confier à n'importe qui. J'ai cru sentir en toi une avidité de sociabilité. D'après ce que tu me dis, je me trompais. Pourtant, tu as une manière bien à toi de regarder le monde qui t'entoure et tu t'intéresses aux autres. Je n'arrive pas à comprendre.
− Je ne sais pas quoi te répondre. Personnellement, j'aimerais que l'on se fréquente, tout en restant libre de fréquenter d'autres gens.
− Désolé, ce sera sans moi. Je suis quelqu'un de fidèle et je ne supporterais pas de savoir que tu couches avec d'autres gens.
Solal eut l'air contrarié.
− Et se fréquenter comme plan cul ?
− Non. Solal, tu me prouves que ma politique de boite a une raison d'être.
− Alors tu vas me soutenir que tu n'as pas apprécié la nuit que nous avons partagé ?
− Pas du tout, elle a juste un gout amer car je sais que je n'en revivrai plus d'aussi belle !
− Si cela t'attriste, pourquoi refuser mon offre ? J'ai besoin de continuer à te voir, sinon je vais devenir fou !
− Je ne comprends absolument pas comment tu peux tenir des propos pareils alors que l'idée de monogamie te pose tant de problème. Pour moi, cela n'a aucun sens.
Solal soupire, frustré. Il se lève et tourne le dos à Aimé pour lui cacher son agacement et son désarroi. Il ne peut rien dire de son don. Pour se donner une constance, il se refait un café.
− Il n'y a pas d'entente possible à ce que je vois. Merci pour les plaisirs de la nuit passée. Je te souhaite une bonne continuation.
Une larme de rage perle le long de la joue de Solal. Lorsqu'il trouve le courage de se retourner, Aimé a déjà quitté la pièce. La tasse de café vient s'écraser avec violence contre le mur.
Le don est apparu à la puberté. Solal s'en souvient parfaitement. Ça lui avait fait bizarre. Il était à l'époque dans un collège avec un parcours de musique renforcé. Depuis tout petit, il avait une connexion avec la musique et avait demandé tôt à ses parents d'apprendre le piano. Depuis, il était en osmose avec cet instrument. Il avait appris à maitriser les bases du violoncelle, sa préférence restait toujours au piano. Les premières mélodies apparurent alors qu'il flirtait avec une camarade de classe. Les portées et les notes étaient d'un blanc laiteux et un peu trouble. Sur le moment, il était resté interdit, elles s'étaient volatilisées. Doté d'une mémoire photographique, il avait retenu la mélodie et l'avait joué au piano. Elle lui avait plu, sortant de l'ordinaire.
Le phénomène ne s'était pas reproduit tout de suite. Solal n'y avait plus pensé, très accaparé par ses cours. Il revit les notes laiteuses un soir en soirée alors qu'il dansait avec une autre camarade de classe. La danse était langoureuse et ses hormones étaient en ébullition, comme souvent quand on a seize ans. Il avait alors déposé un baiser dans le cou de sa partenaire et les notes avaient gagné en lisibilité. Malheureusement, peu de temps après, ils avaient bu un peu d'alcool et la mélodie s'était évaporée. Depuis cette expérience, Solal avait renoncé à boire de l'alcool.
Les notes avaient commencé à prendre des couleurs l'été de ses dix-sept ans, quand il avait rencontré Riley, son correspondant Américain. Solal avait craqué pour ce garçon aux allures de surfer américain et à la créativité débordante. Il jouait du violon. Leur passion pour la musique les avait rapprochés. Ils jouaient ensemble, cela provoquait une exaltation nouvelle pour Solal qui rapidement rechercha le contact physique. Heureusement, son correspondant réagit favorablement à ses avances. Leur premier baiser, échangé en secret un soir lors d'une sortie cinéma, fit naitre les couleurs. Trop captivé par ces nouvelles découvertes, Solal n'y pris pas garde. Il remarqua le vert pastel de la mélodie de Riley un soir alors que tous deux osaient pousser la découverte plus loin. Solal venait de déposer un baiser délicat sur le bas ventre de Riley quand la brume musicale capta son attention, dans son esprit Solal, en lisant la musique, entendait des roulements de tambours aux rythmes rapides. Alors qu'il descendait encore plus bas, il eut l'impression que la partition exigerait plus que du piano pour rendre la puissance du moment. Solal mit cette idée de côté afin de ne pas perdre l'intérêt d'un Riley aux abois.
À partir de cette réflexion, Solal commença à jouer avec un petit logiciel, FL Studio, qui lui permit de retranscrire ses partitions simplement et d'ajouter instruments et des beats. Ce fut une révélation monumentale : le logiciel lui permettait de vraiment donner vie à la mélodie des gens avec plus de justesse et de subtilité. Par la suite, il put voir les mélodies de chaque personne qu'il croisait, il lui fallait établir le contact s'il voulait vraiment comprendre la partition dans le détail et le contact physique offrait les mélodies les plus riches et transposables sur son logiciel. Petit à petit, il comprit que la couleur émanant d'un individu le renseignait sur le ton général de sa musique. Ainsi, il développa une affinité particulière pour les ambiances chaleureuses traduites par de couleurs chaudes. Les résultats étaient toujours plus à son gout. Sa première expérience avec une femme lui confirma son attirance pour les mélodies aux tons chauds.
Il fit la rencontre de Faith à la fin d'un été très chaud. Il avait dix-huit ans. Il occupait une maison en bord de la mer et ses parents n'étaient plus sur son dos. Il passait ses journées à composer et à se baigner. Faith fréquentait la même plage avec assiduité. Elle l’avait remarqué et joué sur la curiosité pour l'aborder.
− Qu'est-ce que tu écoutes ?
Solal lui avait simplement passé un second casque et ils avaient écouté l'une de ses compositions.
− Waouh, c'est génial. C'est qui ce DJ ?
− Moi.
− Sérieux ? Tu devrais en faire profiter un max du monde, ça va faire un carton ! Tu en as d’autres à me faire écouter. Au fait, je m'appelle Faith.
− Solal. Je peux te faire une démo chez moi, si tu veux.
La proposition était innocente, Solal trop heureux de pouvoir faire entendre sa musique. Faith le suivit. Installée confortablement, elle laissa la musique l'emmener loin pour suivre Solal dans son univers. Pour finir sa prestation, il improvisa en suivant la mélodie d'un rouge scintillant qui émanait de Faith.
− C'est dément comme cette musique me parle ! Elle recrée des émotions qui me sont familières, si je puis dire. Je ne sais pas trop comment l'expliquer.
− Profites en, c'est de l'impro et de l'exclu totale !
Solal admira la femme aux formes voluptueuses devant lui. Elle était totalement emportée par la musique, c'était si beau à voir. Son corps se mouvait avec le rythme et le rouge lui montait aux joies. Solal vint la rejoindre sur le canapé, il ne dit rien. Le baiser fougueux qu'elle lui offrit le surprit agréablement. Il y répondit avec empressement. Laissant ses mains courir sur son dos, il tira sur le lacet retenant le haut de son maillot de bain. Pétillement de la mélodie. Il enveloppa de ses mains les seins ronds offert à lui, et continua ainsi à suivre les indications de la mélodie de Faith. Elle gagna en profondeur, laissant les tons pastel pour des tons plus affirmer à chaque fois qu'il offrait du plaisir à sa partenaire. Elle fut la première femme avec laquelle il coucha. Cette expérience encra définitivement son don dans des tons saturés. Solal obtint par la même occasion des gammes plus riches dans lesquels il pouvait piocher pour former une œuvre cohérente sans la nécessité d'ajouter trop de fioriture pour avoir un rendu fidèle à ce qu'il capte chez les gens.
Faith et lui se fréquentèrent régulièrement malgré des lieux de vie éloignés. Sur son conseil, il commença à mettre des créations en ligne sous le pseudo de Solaria. Il ne fallut pas longtemps pour qu'il soit sollicité par l'industrie officielle de la musique. Cette rencontre avait stabilisé son don et depuis dix ans, il s'en servait pour créer des tubes planétaires et se construire une renommée mondiale, dans l'anonymat grâce à la stratégie empruntée à Daft Punk. Ne pas montrer son visage. Les rares personnes connaissant l'identité de Solaria, comme Faith ne dirait rien. Il leurs avaient fait promettre. L'information n'a jamais été éventée à ce jours.
Plongé dans ces souvenirs, Solal s'interroge. Devrait mettre Aimé dans la confidence ? Son don ne rend probablement pas son comportement acceptable pour autant. Maintenant, qu'il pense à son évolution, il se dit que son don stagne sans doute à cause de son attente car il est vrai qu'il ne cherche pas à en apprendre plus sur les gens qu'il côtoie. Il se satisfait de la superficialité de leur musique. Et dans un sens c'est suffisant vu ce qu'il a produit comme musique. Il ne met pas longtemps à comprendre, qu'accepter de fréquenter une seule personne lui fait peur. Car il a peur de perdre de la matière de travail et il a peur de tournée en rond musicalement. Tout ça ne peut être expliqué à quelqu'un qui ne soit pas dans la confidence. Incapable d'y voir claire, Solal décide de faire retraite dans la maison de ses parents au bord de la mer. Il faut qu'il change d'environnement. Cela fait des jours qu'il tourne en rond suite à son désaccord avec Aimé.
Quelques heures, Solal arrive à destination. Il pose ses affaires et file directement sur la plage quelques mètres plus loin. Il fait chaud en ce début de soirée. Il marche au bord de l'eau, apaisant enfin la tempête de pensées qui tournent dans sa tête. Il admire l'océan, les baigneurs et les enfants qui jouent avec le sable. Parfois, il aimerait mettre son don en pose afin qu'il puisse calmer ses ardeurs, mais le besoin impérieux de la musique ne se tarie jamais. Ou alors, il lui faudrait quelqu'un aux mélodies suffisamment riches pour calmer le besoin de toujours chercher la nouveauté. Un peu comme Aimé lui souffle sa conscience.
−Solal !!
L'appel le sort de ses réflexions. Un grand sourire éclaire son visage lorsqu'il reconnait celle qui l'a interpellé.
− Faith ! Salut, comment vas-tu ?
− Ça va bien et toi ? demande-t-elle en sortant de l'eau.
− J'ai besoin de prendre du recul, je suis nul à ce jeu.
− Tu es chez tes parents ?
− Ouais, ça fait longtemps que je ne suis pas venu, ça me manquait.
− Je suis heureuse de te revoir. On mange ensemble ce soir, si tu veux ?
− Carrément. Tu es seule ? Viens avec qui tu veux.
− Il n'y aura que moi, malheureusement.
− Je vais faire quelques courses, tu viens dans une petite heure ?
− Ok, à toute.
Faith dépose un baiser sure sa joue. Solal la regarde s'éloigner. Sa mélodie s'est assombrit par rapport à la dernière fois qu'il l'a vu. Il se demande ce qu'elle a vécu ces dernières années pour devenir rouge sombre et nettement plus triste. Solal s'en retourne vers la maison et part faire des courses.
À son retour, Faith l'attend, assise sur le perron de la maison. Elle se lève et le suit dans la maison. Sans rien dire, ils se lancent dans la confection de tacos. Il y a quelques années qu'ils ne se sont pas vu, le silence est pourtant dépourvu de tension. Une fois le repas prêt et installé sur la terrasse face à la mer, Solal parle :
− Alors Faith qu'est ce qui t'amène dans le coin ?
− Je viens de perdre un proche. Les funérailles ont eu lieu, il y a quelques jours et j'ai décidé de prendre le temps de savourer la vie en bord de mer. Plus paisible que ma vie dans une grande ville. Je suis absolument ravie que tu sois passé par là. Tu ne viens plus souvent ?
− Je suis navré pour toi. Je bouge pas mal pour des prestations, je ne prends plus assez de temps pour moi en vrai. Je n'arrive pas à m'arrêter quand je bosse.
− C'est clair que tu as une sacrée production. C'est super ! Bravo et merci pour ta musique si revigorante.
− De rien. La vérité, c'est que je stagne depuis un moment et ça me frustre. Je suis venu ici pour prendre du recul.
− Ça ne s'entend pas en tout cas.
Solal fait la moue.
− À vrai dire, est ce que tu accepterais de m'écouter. J'ai conscience qu'avec ce que tu traverses, c'est sans doute toi qui aurais besoin d'être écouté, j'ai besoin d'énoncer les faits et sans doute de conseils.
− Entendre parler de la vie d'un autre me fera du bien, au contraire. Je t'écoute.
Solal se lève et revient avec le dessert : un pot de glace et deux cuillères.
− Ces dernières années, je ne me suis posé avec personne. Je n'ai pas d'amis. Les gens que je fréquente sont des sources d'inspirations en matière de musique. Il y a quelques semaines, j'ai croisé un homme, un danseur sublime. Il est une source d'inspiration débordante et il semble que j'ai fait l'erreur de me mettre trop vite au travail après avoir enfin réussit à le convaincre de me côtoyer en dehors des boites de nuit. Il me l'a reproché et je n'ai pas compris pourquoi tant mon nouveau travail m'enthousiasmait. J'ai été honnête en lui disant que je voulais qu'il reste dans les parages, mais que je ne voulais pas être exclusif. Il a décrété que nous n'avions plus rien à nous dire et est parti.
− Je comprends sa réaction. Tu es en train de me dire que depuis tout ce temps, tu n'as eu aucune stabilité affective ? Personne ne peut vivre de cette façon indéfiniment. Tu n'as même pas essayé, une seule fois ?
− Non, ce n'est pas compatible avec mon mode de création.
− Qu’as-tu à perdre, si ce n'est du temps et un creux dans ta carrière ? À mon avis, tu peux te permettre prendre ce temps, financièrement, ce ne doit pas être un problème, si ?
Solal acquiesce.
− Je ne peux pas me couper de la musique. Ça m'est impossible. C'est mon essence vitale.
− Et alors ? Tu continues à faire de la musique sans tenir compte des autres, justes pour toi, sans publication. Et travailles ton équilibre entre relation et boulot. Je pense rester pas mal de temps ici. Restes, renouons et consolidons notre amitié. Tu verras le bien que tu peux en tirer même s’il n'y a pas de relations charnelles.
− Je vais y réfléchir. Et toi qu'est-ce que tu deviens ?
Faith parle longuement de sa vie et ses tribulations. Solal écoute attentivement. Pour terminer la soirée, il propose une impro musicale rien que pour elle. Comme il l'avait fait il y a plusieurs années de cela. Il veut l'égayer un peu après ces mois difficiles.
Quelques jours plus tard, Solaria annonce qu'il prend une année sabbatique.
Aimé n'a pas le moral depuis sa discussion avec Solal, il y a deux semaines. Il était si sûr qu'il y avait entre eux l'embryon d'une belle histoire. Portant, il sait qu'il ne peut s'engager dans une relation, si les deux partenaires n'ont pas les mêmes points de vue sur le couple. En plus de cela, Aimé vient de voir les gros titres : une année sans nouveauté musicale de la part de Solaria. Il n'a même plus envie de passer ses nuits à danser. Il reste enfermé chez lui à lire à l'abri des regards et de la chaleur estivale. Dans un coin de sa tête, il aimerait recontacter Solal, sans oser.
La seule nouveauté dans son quotidien, c'est qu'il s'est lié d'amitié avec la barmaid du Platinium, Ivana. L'une des dernières fois où il s'y est rendu, il s'est plaint quasiment tout le temps de Solal et elle l'a encouragé. Ils ont échangé leur numéro. Aimé aime bien cette femme en recherche d'affection. Ils ne se voient pas beaucoup, par contre ils échangent énormément de textos. Il est étonné, ce soir, de voir qu'Ivana propose de passé le voir. Elle ne travaille pas ce samedi soir. Il lui transmet son adresse. Ivana sonne à sa porte quelques minutes plus tard.
− Salut, ma belle. Tu as pris ta soirée ?
− Oui. Je crois que je vais arrêter ce job, j'en peux plus.
− Ah oui ? Que vas-tu faire à la place ?
− Je ne sais pas encore. Peut-être travailler dans une cave à bière. Il faut que je prenne le temps de réfléchir. Je veux juste reprendre un rythme de vie classique pour récupérer mes soirées et mes nuits. Pas moyen de trouver un mec sérieux avec cet emploi.
− Tu m'étonnes.
Les deux amis s'installent dans le canapé. Aimé ne résiste pas à la tentation de lui poser la question.
− Tu as revu Solal, ces derniers temps ?
− Non, du tout. Tu es accro où je me trompe le taquine Ivana
− J'aimerai pouvoir te dire non, mais ce serait un mensonge. Mais franchement, je ne sais pas quoi faire. Si je lui laisse une chance et que je suis le plus meurtri dans l'histoire parce que je ne lui suffis pas, je n'ai pas envie.
− Je te comprends et en réalité, je n'arrive pas à le cerner et pourtant j'aimerai qu'il m'offre plus que des nuits de délices.
− D'ailleurs, c'est ça qui est bizarre. Comment peut-il être un si bon amant avec des habilités sociales aussi nulles. Ça ne colle pas.
La sonnerie du téléphone d'Aimé retentit.
− Tiens quand on parle du loup souffle-t-il à Ivana avant de décrocher
− Salut Aimé, c'est Solal. Je ne te dérange pas.
− Salut Solal.
− J'ai beaucoup pensé à toi ces derniers jours et j'aimerai t'inviter quelques jours au bord de la mer, histoire qu'on prenne le temps de discuter et d'apprendre à vraiment se connaitre.
− Tout d'un coup, tu es intéressé pour me connaitre ! Qu'est ce qui t'a fait réagir ?
− Une amie. Je passe pas mal de temps avec elle ces dernières semaines et son point de vue sur les relations m'a fait réfléchir. Il faut que je change d'attitude si je veux de vrais amis comme Faith. Ce que je te propose c'est de me rejoindre et que l'on passe du temps ensemble sans se préoccuper des désirs charnels.
− Tu cherches à te faire des amis ? Dans ce cas, nous pourrions être deux à te rejoindre. Je me suis lié d'amitié avec Ivana.
− La barmaid du Platinium ?
− Oui, je passe la soirée avec elle. Tu dois aussi te rattraper avec elle.
− Il y a de la place pour vous deux, chacun sa chambre sans soucis. Je te texte l'adresse. Venez quand vous voulez. Merci et bonne soirée à vous deux.
Aimé regarde Ivana stupéfait et lui explique la proposition de Solal. Bien que surprise, elle accepte : un séjour au bord de la mer par cette chaleur, cela ne se refuse pas. Ils passent le reste de la soirée à trouver une date qui correspondraient à leur planning.
Après le départ de Ivana, Aimé reste pensif sur le revirement de Solal. Est-ce qu'un homme peut changer ses habitudes, dans le domaine social, si facilement ? Malgré tout, pour l'étincelle qui l'a sentie, il veut ben essayer. Et puis Solal a promis qu'il n'y aurait pas de proximité physique. Il sent que c'est une grande concession pour lui. Son amie lui a peut-être vraiment ouvert les yeux sur son attitude. Aimé constate qu'il espère très fort. Il a hâte de le revoir et de le découvrir. La seule découverte qu'il a fait à ce jour, concernant Solal, c'est que la musique à une place centrale dans sa vie. Elle semble même la diriger. Les réponses l'attendent là-bas dans deux semaines. Deux longues semaines, pendant lesquelles Aimé tourne en rond et sent les journées passées au ralenti.
Solal est impatient, Aimé et Ivana ne vont pas tarder à arriver. Il tourne en rond pendant ce temps, il réalise qu'il a hâte de les revoir tous les deux. Les deux semaines qui se sont écoulées ont été les plus reposantes qu'il ait vécu ces dernières années. Il a passé son temps en baignade, en promenade, et à renouer avec le piano. Plusieurs partitions de piano de sa jeunesse sont restées dans cette maison et Solal les a rejoués en se remémorant le temps où le piano occupait tout son temps et qu'il n'y avait ni don, ni house dans sa vie. Dans un sens, c'était un temps plus simple. D'ailleurs au lieu de tourner comme un lion en cage, il se remet au piano en compagnie de Beethoven et son Clair de lune.
La sonnette retentit et le pianiste sursaute, il s'est laissé embarquer par le morceau. Il accueille ses visiteurs avec un grand sourire, les invite à entrer et leur propose à boire.
− Qu'est-ce qui vous ferait plaisir, dans l'immédiat ?
− Perso, j'ai un petit creux annonce Ivana
− Je ne dirais pas non à une baignade réclame Aimé.
− Je peux préparer des milkshakes et on peut aller se baigner d'ici une petite heure.
Les deux amis opinent. Solal revient rapidement avec des milkshakes bien frais. Ses invités regardent les photos au mur. Solal a du mal à ne pas se sentir embarrasser, il se répète dans sa tête qu'il a promis de s'ouvrir, alors il ne fait pas de remarques et dépose les boissons sur la table basse du salon. Et sans rien dire, il remet devant le piano à queue qui trône dans la pièce. Aimé et Ivana se retournent en entendant les premières notes. Ils écoutent le piano dont les notes s'envolent par la baie vitrée entrouvertes. Solal a les yeux fermés et joue un morceau joyeux et entraînant à la limite du jazz. A la fin du morceau, les deux spectateurs ont sifflé leur milkshake et sont confortablement installé dans le canapé.
− Ta vie ne peut pas se faire sans musique remarque Aimé
− Tu n'imagines pas à quel point cette affirmation est vraie.
− Alors, tu es pianiste professionnel ? Demande Ivana
− Non, c'est ce que je pensais devenir quand j'étais plus jeune et j'ai découvert la house, la techno et genres associés et j'ai laissé le piano pour les platines.
− Tu es DJ s'exclament d'une même voix Ivana et Aimé
− Ça explique pas mal ta présence régulière au Platinium. Mais attends !
Ivana trépigne devant cette révélation. Elle a compris et Solal se sent soulagé de voir son secret éventé, finalement, il réalise que cet anonymat lui pèse. Il est temps qu'il élargisse un tout petit peu le cercle des gens connaissant l'identité de Solaria. Par contre, il ne peut rien dire du don, personne ne peut le comprendre.
− Je vois que tu as deviné, Ivana.
− Sérieux, c'est vraiment toi ?
− Oui !
− Qu'est ce qui m'a échappé ?
− Aimé, tu vas halluciner quand tu vas le savoir.
− Plutôt que de me faire languir, lâche ton scoop !
Solal regarde Aimé dans les yeux.
− Comme je vous le disais, je suis devenu DJ plutôt que pianiste et j'ai pour nom de scène... Solaria !
Aimé reste à le fixer : la mâchoire béante, les yeux ronds.
− Vraiment ?
− Tu veux une preuve ?
− Je te crois enfin peut être.
Solal les invite à le suivre jusqu'à une pièce dans le fond de la maison. Les murs sont couverts de récompenses musicales, d'articles.
− Ce sont mes premières récompensent que j'ai offert à mes parents pour les remercié d'avoir accepté de me laisser choisir cette voie bien qu'ils n'aiment pas du tout cette musique. Ils sont finalement très fiers.
− Attends, j'ai compris. C'est pour ça que tu as des pièces insonorisées dans ton appart : pour préserver ton identité.
Solal hoche la tête.
− Et si on allait se baigner propose Solal souhaitant couper court à l'avalanche de questions et de remarques, ils ont bien le temps pour avoir leur réponse. Solal essaie de réprimer son envie de noter la mélodie d'Aimé qui a enflé et s'est mises à scintiller comme de l'or pur après cette annonce. La musique transcrit la passion qui l'anime. Ce n'est pas le moment. Un petit plongeon devrait l'aider à se calmer.
Pendant la baignade, Faith se joint au groupe d'amis. Elle accroche très vite avec Ivana et Aimé. Elle voit aussi la difficulté de Solal et ne pas toucher quoique ce soit. Il lui a expliqué qu'il voulait renforcer son amitié avec eux deux sans qu'il n'y ait d'échanges physiques. Et cette exigence, qu'il s'est lui-même fixé, le met aux abois. Elle décide de l'aider.
− Ça vous dit un petit showcase privé pendant que je m'occupe du repas ? Tu ferais ça, Solal, pour tes amis ?
− Pas de souci. Quand vous voulez.
− Allons-y lance Aimé impatient.
De retour dans la maison, Faith discute brièvement avec Aimé et Ivana pour le choix du repas pendant que Solal installe son matériel dans le salon. Il est hyper tendu et l'enthousiasme de Aimé le rend fou de désir. Ivana est aussi ravie par la découverte de son identité mais, elle n'a pas la passion dévorante d'Aimé pour la musique. Solal se lance avant même que ses amis reviennent. Il a encore en mémoire les notes scintillantes de son danseur à l'esprit et sait déjà comment il va les transposer. La musique qui éclate dans la pièce est puissante comme un Dies Irae version platine. Aimé, Ivana et Faith arrivent. Son amie de longue date vient se placer derrière lui et lui passe un bandeau sur les yeux et l'attache.
− Juste un test. Que donne ta musique sans les gens que tu regardes ?
Solal sursaute. Faith aurait-elle compris ? Le bandeau a coupé la visualisation de la mélodie. Ce constat le stresse. Il respire profondément et se concentre sur son cœur pour le faire ralentir, il parcourt des doigts sa platine. Il la connait, il peut jouer sans voir. Il se lance son set fonctionne, il est dans l'improvisation pure et dure et ça fonctionne bien. Il ne sait pas du tout si cela plait, par contre mais tant pis il relève le curieux challenge de Faith. Il ferme un instant les yeux sous son bandeau pour essayer de sentir la réaction de son public. Sans résultat. En ouvrant les yeux, il est surpris de voir des notes de cristal dans son champ visuel. Une idée germe dans son esprit. Il est vrai qu'il n'y avait jamais penser jusqu'à ce jour. Il laisse la musique s'éteindre. Il se dirige en aveugle vers le piano et prend place. La mélodie flotte devant lui. Il l'interprète au piano et elle se déroule devant lui. Maintenant, il est sûr d'avoir compris. Il lui aura fallu tout ce temps pour voir SA mélodie. Cette prise de conscience le libère complètement. Et ses amis perçoivent le changement rapidement durant le séjour au bord de la mer.
Après cette démonstration, le groupe passe un long moment à discuter de leur vie et à faire connaissance. Ivana évoque son envie de changer de boulot, elle veut reprendre un rythme de vie classique. Elle désire renouer avec sa première passion : trouver le parfait accord entre mets et vin. Elle raconte son parcours en école d'hôtellerie et sa spécialisation dans la sommellerie. Elle avait commencé à bosser en boite de nuit par nécessité d'avoir ses journées de libres pour soutenir sa famille confrontée à la difficulté d'un parent vieillissant et en perte d'autonomie. Puis, elle s'était faite au rythme et s'était laissé porter par la vie.
Aimé raconte son envie de trouver une troupe de danseurs qui l'accepterait comme il est. Il est sûr de son talent. Mais n'a plus vraiment essayer de trouver la troupe qui va bien après les premières réactions face à sa disgrâce physique. Tous l'encouragent à retenter sa chance car il est certain qu'il serait un atout pour n'importe quel spectacle. Solal lui suggère le port d'un masque si vraiment ça le dérange. Ivana évoque le tatouage pour sublimer son visage. Aimé est touché par leur proposition, en tout cas il va auditionner de nouveau. Il se tue à petit feu avec son job alimentaire.
Faith écoute les nouveaux amis de Solal, il a trouvé des gens agréables et amicaux. Elle a l'impression que cette réunion donne un nouveau souffle à chacun. Solal s'apaise un peu plus chaque jour qu'il passe dans la maison de ses parents. Elle ne sait pas ce qui lui est vraiment arrivé pendant la démonstration, elle n'a qu'une certitude : il est bien plus détendu. Faith sent sa tristesse s'amoindrir depuis qu'elle revoit Solal régulièrement. Sans le savoir, il est d'un grand soutien. Et elle se promets de garder le contact pour de bon avec lui et même Ivana et Aimé. Il y a une bonne alchimie dans ce groupe.
Alors que la nuit est bien avancée, Solal se lève et remercie ses visiteurs avant de prendre congé. Il est heureux d'être entouré.
Solal souffle profondément. La tournée de son nouvel album démarre enfin et tout d'un coup, il a peur que sa musique ne soit mal accueillie. Aimé lui envoie un bisou à travers l'écran du téléphone. Il est quelques parts dans l'Accord Hôtel Aréna de Paris Bercy en train de se préparer pour le show avec la troupe qu'il a monté il y a un peu plus d'un an. Solal lui sourit. Tout va bien aller.
Il repense au chemin parcouru depuis l'été d'il y a deux ans. Grâce à Faith, il a retrouvé une confiance inébranlable en sa musique. Sa mélodie le nourrit, il n'a plus besoin de collectionner les conquêtes pour avoir de la matière pour ses compositions. Et puis, maintenant il y a Aimé à ses côtés pour le reste de ses jours selon la déclaration qu'ils ont faite devant le maire. Ils se sont mariés, il y a six mois. Leur histoire n'a réellement démarré que depuis le retour de la maison de ses parents. Ils s'étaient vus lors de vrais rendez-vous dans le but de se séduire. En vérité, ils s'aimaient depuis le premier regard. Aimé avait fondu devant les efforts de Solal pour ne pas le toucher bien que son envie suintât de tout son être. Ils avaient réussi à tenir quatre rendez-vous avant de s'offrir l'un à l'autre. Le plaisir partagé fut encore meilleur que la première fois. Après ce partage, il ne se lâchèrent plus et Aimé emménagea chez Solal.
Sur les conseils d'Ivana, qui vient très souvent les voir, Aimé a caché sa cicatrice grâce à un tatouage. Cette démarche lui a redonné confiance et lui a inspiré la clef de son épanouissement : il a monté sa propre troupe de danse. Ainsi, il a recruté des danseurs et danseuses souffrants, comme lui, de défauts physiques, du moins du point de vue de la définition de la norme de la société. Sa troupe n'est pas encore connue, mais elle démarre fort en présentant un spectacle pour la première du nouvel album de Solaria. Elle s'assure ainsi une excellente visibilité. Vivre au quotidien avec un créateur, a fait comprendre à Aimé les impairs que commettait Solal quand ils se sont rencontrés. Son homme est voué corps et âme à la musique. Il oublie la base de la survie quand il est absorbé : boire, manger, dormir. Heureusement, Aimé est là pour veiller et lui rappeler de faire des pauses.
Pendant ces deux années, le couple a consolidé ses relations avec Ivana et Faith. Elles étaient toutes deux témoins à leur mariage et sont présentes dans le public ce soir. Ni Aimé, ni Solal n'auraient cru que la vie puisse être si réjouissante lorsque l'on est bien entouré.
Solal réintègre Solaria. Il finit de se vêtir et enfile son casque. Il est enfin prêt à faire découvrir Golden Faith à son public qui l'attend depuis deux ans. Il s'installe devant ses platines alors que la salle est plongée dans le noir. Il lance les premières notes et c'est le déchainement. La foule hurle de joie et la lumière se fait sur la scène où Aimé et sa troupe font la démonstration de leur talent. La soirée est l'une des plus belles que Solal ait connu. Il se sent entier, aimé et partage sa musique avec des gens très différents mais, à qui ses créations font du bien, permettent de s'amuser ou simplement partager un moment de plaisir en musique. Elle a un effet bénéfique sur tout le monde, quelques soient les goûts que l'on ait se dit Solaria du haut de sa plateforme. Il repense aux frissons qu'il a eu grâce à la musique, à la libération qu'elle procure et à quel point elle peut coller aux émotions que l'on rencontre dans notre quotidien. Il calme l'ambiance de la salle avec le morceau qu'il a écrit en mêlant sa mélodie et celle d'Aimé. C'est un morceau posé, sensuel et un peu triste. Il a adoré cette expérience de mélange de mélodie des gens. C'est encore plus riche ainsi, les possibilités lui donnent envie de sortir de sa zone de confort : écrire de la musique grandiose comme l'ont fait Mozart ou Beethoven ! Cette idée le fait sourire alors que le show touche à sa fin.
Pour le rappel, Solaria s'offre le plaisir d'improviser complètement avec les mélodies capter dans la foule. Le milieu musical présent au concert est bluffé par cette performance. Au fur et à mesure de la tournée, les rappels sont tous différents et très réussit. Ils ont l'air de parler au public, de bien retranscrire l'humeur du public. Et les retours des fans sont unanimes : Solaria retranscrit leurs émotions à travers sa musique. Et pour ce cadeau, il s'est vu offrir en retour, un enrichissement de son don ! Maintenant les mélodies des gens avec qui il prend le temps de discuter et faire connaissances, ne serait -ce que le temps de quelques mots, lui dévoile des mélodies bicolores : du passé et du présent !
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