Décidément Dieu avait bel et bien déserté Blüdhaven. Il suffisait de pénétrer dans l’église pour le réaliser. L’endroit n’avait pas eu de visiteurs depuis bien longtemps. Batman lui-même ne s’y sentait pas à sa place.
Ce bâtiment sans doute d’un courant protestant rigoriste ne semblait pas être destiné à des présences humaines. En plus de la poussière s’ajoutait un agencement froid dénué d’ornement hormis un immense crucifix. Les bancs eux-mêmes insufflaient une forme de rejet. Ils étaient carrés, serrés, et réduits à l’extrême. D’un simple regard on les sentait rudes et inconfortables.
Faisant fi de la misanthropie du lieu de culte Batman se précipita vers le clocher sans même fermer la porte derrière lui. Ce n’était pas un oubli de sa part. Batman avait évolué. Désormais en plus d’un combattant et d’un détective, il était également un stratège.
Ses poursuivants trouvèrent l’indice plus rapidement que prévu. Pour Batman qui comptait gagner du temps, ça se présentait mal. Heureusement il avait encore une carte en main, la meilleure de son jeu. Et Harper qui ne comprenait pas l’intérêt de lire ces vieilles histoires. C’est pourtant à la fameuse bataille des Thermopyles, que Batman devait cette idée au pied levé.
Tout comme dans le légendaire défilé, l’escalier en colimaçon amenant au sommet du clocher réduirait à néant l’avantage numérique des attaquants. Ils seraient obligés de venir un par un. Batman se plaça bien en hauteur histoire d’avoir en plus des adversaires essoufflés.
Il était fin prêt et même s’il le niait excité. Comme si ce coin paumé était en mesure de lui offrir un adversaire intéressant.
L’escalier se mit à grincer vers le bas. La première charge était imminente. D’après les bruits il s’agissait d’une seule personne. Quelques encouragements l’accompagnaient : « Gunther ! Gunther ! »
Visiblement ses complices lui accordaient une grande confiance. Batman commençait à se méfier. Puis apparut le dernier auquel il aurait cru avoir à faire : le gringalet au tatouage de requin de l’hôtel.
Il ne brandissait même pas d’arme afin de compenser sa carrure. Gunther leva les poings sans trembler et le regard déterminé. Même l’étrange de tenue de son futur adversaire ne le perturbait pas.
Si on se fiait à son attitude il détenait visiblement une certaine expérience du combat. Comment avait-il fait avec un tel physique ? En tous cas son vécu souffrait de quelques lacunes. La garde de Gunther était loin d’être parfaite. Ses bras étaient trop écartés en bas.
Batman exécuta un direct dans le ventre pas trop appuyé, juste le nécessaire pour le mettre hors combat. A sa grande surprise Gunther tressaillit à peine sous l’assaut, puis répliqua. Son coup de poing était accompagné par l’élan de son corps. Par contre il demeurait trop ample.
Au final Gunther était seulement un bagarreur des rues. Or Batman avait déjà affronté bien pire. Un simple pivotement du buste lui suffit à esquiver l’attaque, puis il enchaina par une série de jabs destinée à l’achever. Là encore Gunther ne réagit pas comme prévu. Ces attaques paraissaient juste l’agacer.
Son ennemi était plus rapide, et plus habile. Il jouait avec lui. Par conséquent Gunther décida de casser la distance. Dans un combat rapproché tous ces beaux enchainements ne serviraient à rien. Le vice et la hargne l’emporteraient. C’était un plan judicieux, mais aussi trop prévisible.
Batman dévia la charge du bras, qui finit dans un mur de planches. Le mur en question vola en éclat comme sous l’effet d’une masse. Face à cette puissance incroyable Batman se dégagea immédiatement par réflexe.
Gunther même pas étourdit par son tour de force, enchaina par un coup de poing avant l’accomplissement complet de la manœuvre. Bien que ce coup effleura à peine la garde de son rival, il suffit à le faire chuter. Gunther était tellement impressionné par ce spectacle, qu’il laissa Batman se relever. Même du temps de sa gloire passée il ne serait jamais parvenu à mettre à terre un tel adversaire aussi facilement.
Pendant de nombreuses années Gunther avait sillonné le pacifique en tant que marin. A l’époque il arrondissait ses fins de mois en participant à des combats clandestins. Costaud et teigneux il s’en tirait bien. Puis une maladie exotique au nom imprononçable le frappa. Il en ressortit tout juste vivant et avec un corps d’avorton. Gunther qui était seulement habitué aux travaux physiques, subsista misérablement au point d’atterrir dans cette ville à moitié morte.
Au milieu de ce lent calvaire Jervis débarqua. Son élixir alla au-delà des attentes de Gunther. Lui qui voulait juste retrouver sa force d’antan, en acquit une autre bien supérieure, le genre dont il osait à peine rêver.
De son coté Batman raisonna d’abord en combattant. Dans cet espace restreint il ne pourrait pas esquiver indéfiniment les attaques de son adversaire. Et les bloquer n’était pas envisageable au vue de leur puissance. La solution s’imposait d’elle-même : il devait conclure au plus vite. Gunther gonflé de suffisance serait facile à surprendre. Sans parler de sa garde toujours aussi médiocre. Batman s’équipa de ses serres-poings, s’élança brusquement, et balança un puissant crochet en pleine tempe. Sous la violence de l’impact Batman cru avoir frappé trop fort. C’est alors que Gunther lui lança un petit air narquois.
Face à cet exploit le scientifique prit alors le relai. Etait-il drogué comme Bane ? Non le chasseur de prime était dans une sorte d’état second lors de leur affrontement.
Alors que Gunther semblait parfaitement maitre de lui. Il existait parait-il certaines personnes insensibles à la douleur. Ça n’expliquait pas sa force herculéenne. Des techniques de combat permettaient d’augmenter sa puissance en utilisant l’ensemble du corps, en jouant sur l’équilibre, en renversant la force de l’autre... Sauf que justement la technique faisait défaut à Gunther.
L’ancien marin lui ne s’embarassa pas de questions. De son point de vue la situation était claire. Il avait perdu du temps en se battant comme autrefois. Le temps était venu de profiter de ses nouvelles capacités. Gunther appliqua des frappes grossières, circulaires, et volontairement larges. Leurs buts n’étaient pas de toucher, mais de pousser à reculer. Car qu’est-ce que son rival pouvait-il faire d’autres ?
Pour Batman également sa situation devint évidente. Il devait gagner du temps afin que Bluebird puisse à accomplir sa part. Seulement il ne se voyait pas tenir tête à un tel adversaire encore bien longtemps. Alors il gravit les marches.
Gunther le suivit indifférent. Voir son adversaire détaler ainsi annonçait la fin du combat et donc par extension de son excitation. Batman était à présent acculé. Deux possibilités s’offraient à lui : le vide ou les poings de Gunther.
Comme il s'était bien défendu, Gunther le regarda donc patiemment choisir. A sa grande déception il préféra tomber. Mourir au combat était tout de même une mort plus digne.
En fait Batman appliquait la phase suivante de sa stratégie initiale. Il amortit sa chute à l’aide de son grappin. Ensuite il se laissa glisser sur le toit, et gagna le sol.
Sachant qu’il ne pourrait pas venir à bout d’une telle multitude, dès le départ il avait prévu cette porte de sortie.
Il parait que certaines fuites sont des victoires. Présentement Batman n’avait pas cette impression. Il se sentait plutôt comme entrain de retarder l’inévitable. Et dire que Batman et sa complice devaient seulement démasquer un petit arnaqueur. Et les voilà plongés dans un cauchemar.
Tout ce qu'ils pouvaient espérer tous les deux s'étaient survivre. Car une véritable victoire ne semblait plus envisageable désormais.
« Mon petit renard. »
La mère de Warren avait prit l’habitude de le surnommer ainsi depuis ses débuts à l’école. Il est vrai qu’il obtenait de bonnes notes sans être un génie non plus. Les parents se montrent parfois trop enthousiastes à propos de leurs progénitures.
Mérité ou non ce sobriquet poussa Warren à user de sa cervelle en toute occasion. Il fit des affaires çà et là, et amassa progressivement un petit pécule. Lorsque Blüdhaven prit forme, Warren décida de voir plus loin que les autres.
Au lieu d’investir dans l’élevage, il préféra l’immobilier. La ville allait se développer et vite avoir besoin de logements. Et c’est ainsi à vouloir être le plus malin, qu’il se trouva fauché et coincé sur place.
Malgré cette expérience malheureuse il continuait à croire en sa ruse. Inspecter les rues à la recherche des deux étrangers très peu pour lui. Ses proies allaient venir à lui et non l’inverse. Blüdhaven se trouvait dans une zone isolée. Par conséquent des montures étaient nécessaires, si on voulait partir. Or les quelques montures restantes étaient toutes rassemblées à l’écurie y compris l’attelage des intrus.
Ne voulant pas que quelqu’un d’autre s’accapare le mérite de la prise, Warren se rendit seul dans le bâtiment. A l’instar de Warren le concepteur de cette bâtisse avait vu les choses en grand. Tous ces box alignés et majoritairement vides donnaient une impression sinistre à l’endroit. Et surtout chacun d’entre eux constituait une cachette éventuelle. Pourtant cela n’inquiéta pas Warren le moins du monde.
Il était forcément arrivé le premier. Lui il connaissait bien la ville, et n’était pas obligé d’avancer dissimulé. Warren se dégotta un coin sombre au fond offrant un bon angle de vue sur l’entrée.
Une fois installé il dégaina son colt pocket police. Ce revolver se limitait à cinq coups. En contrepartie il était léger, et maniable, c’est-à-dire parfait en milieu urbain comme dans le cas présent. Warren eut une pensée à l’attention de ses complices. Au même moment ils devaient être entrain de fouiller la ville rue par rue.
De son coté il lui suffisait d’attendre que les deux proies viennent gentiment se placer en face de son viseur. Il en eut des remords... un peu. Après tout ce n’était pas un crime d’être intelligent.
Soudain un son interrompit sa séance d’auto-congratulation. Il provenait d’un box inoccupé à proximité de l’entrée. C’était un son régulier ne pouvant pas être issue de la chute d’un objet ou du passage furtif d’une bête quelconque. Warren saisit immédiatement l’étrangeté de ce bruit. Il voulait en avoir le cœur net.
Alors il s’avança prudemment jusqu’au box concerné. Un éclat lumineux émergeait de la paille. Warren se pencha quand brusquement une bille de plomb percuta l’arrière de son crâne, suivi rapidement d’une deuxième. Bluebird préférait ne pas prendre de risque.
Pour sa première tâche en solo, ça c’était joué de justesse. Batman en refermant derrière elle sa fenêtre de sortie et en laissant la sienne bien ouverte, avait volontairement attiré la foule sur lui. Ayant le champ libre Bluebird était rapidement parvenue à l’écurie un peu avant Warren.
L’arrivée peu discrète de ce dernier avait donné tout juste le temps à Bluebird de se cacher sous la paille. Se conformant aux leçons de Batman, elle attendit avant d’agir. Il fallait s’assurer du nombre exact d’adversaires, de leur type armement... Paradoxalement cette prudence se retourna contre elle. Le temps de s’assurer de tous ces éléments Warren s’était placé dans un coin d’où Bluebird ne pouvait plus le surprendre.
Agir comme Batman ne lui ayant pas tellement réussit, elle se reporta sur sa spécialité : le bricolage. Bluebird régla sa dernière invention, et la fit glisser sur le sol jusqu’à un autre box.
A l’origine un réveil, cet appareil émettait un bruit rythmé susceptible d’attirer les gens. Une fois cette tâche accomplie, le neutraliseur prit le relai.
Cette victoire n’était pas complète. Warren lui avait fait perdre du temps. Le temps nécessaire à ce que Bluebird accomplisse sa tâche en plus de celle donnée par son mentor. Que faire ? Elle tenait vraiment aller jusqu’au bout. D’un autre coté elle avait déjà menti, trop menti à Batman.
Et surtout l’abandonner serait dangereux, peut-être même mortel. Un homme comme lui généreux et sans préjugé, ne méritait pas ce genre de traitement. Alors que l’angoisse montait en elle, Bluebird se souvint de la manière dont elle venait de vaincre Warren. Une alternative devait bien exister encore une fois.
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