Des squelettes de vaches disséminées dans les champs constituèrent le premier aperçu de Blüdhaven. Il mettait bien dans l’ambiance.
Après ce rappel historique les bâtisses apparurent. Il s’agissaient d’une bourgade d’une taille respectable, nettement supérieure aux villages paumés que Bruce avait traversé lorsqu’il était sur les traces de Sélina et d’Edward. Puis des détails se révélèrent progressivement aux deux visiteurs : revêtements écaillés, trous dans les toitures...
« Observes. » Dit Bruce à son élève.
Cette prospection ne devait être qu’un simple exercice à l’attention de Harper, pourtant il examina les alentours également. Cet endroit fantomatique le rendait méfiant.
En l’absence de passant pour obtenir une direction, Bruce se dirigea vers le clocher. Généralement les lieux de culte se situaient au centre de la ville.
Enfin une trace d’activité humaine se manifesta à un détour : un vaste potager. Malgré sa taille il ne semblait pas très fructueux. On ne pouvait pas espérer mieux. Du fait des plaines herbeuses aux alentours les habitants de Blüdhaven s’étaient consacrés exclusivement à l’élevage.
Hélas une terrible épidémie avait décimé les troupeaux. Les quelques gens n’ayant pas eu les moyens de partir, subsistaient comme ils pouvaient, c’est-à-dire modestement.
Pour quelle raison avaient-ils conservés les carcasses à proximité leur rappelant leur déchéance ? Paresse, résignation, nostalgie.
Un habitant émergea des plants de légumes. Il se trouvait trop loin pour être vraiment identifiable. De son coté il se contenta d’un simple regard à l’égard des deux visiteurs avant de reprendre son labeur. Ce ne devait tout de même pas arriver souvent.
L’impression de malaise de Bruce continua. Quant à Harper la misère lui était familière ainsi que l’abrutissement la suivant de près.
L’église probablement consacré à un culte protestant était d’apparence sobre, et disposait de proportions importantes. Sa structure en bois était d’une excellente qualité. Bref elle avait eu son heure de gloire. A présent elle aussi était à l’abandon. Ainsi Dieu lui-même avait déserté l’endroit.
Le duo croisa une épicerie, un saloon, et un hôtel. Ce dernier contrairement aux autres paraissait entretenu. Les volets étaient ouverts et la façade à peu près propre. L’entrée en scène était donc imminente.
« Rappelle-toi de ton rôle. » Déclara Bruce avant de descendre de leur véhicule.
Harper hocha de la tête, puis mit pied à terre maladroitement. Elle avait perdue l’habitude de porter une robe. Comme si ça ne suffisait pas sa tête était attifée d’un capuchon. Le tout était destiné à lui donner une apparence ordinaire. Il est vrai que présentement elle faisait penser à une jeune fille banale quoiqu’un peu godiche, c’est-à-dire tout son contraire. Bruce lui s’était choisi une garde-robe plus rustique : jeans, bottes usées, veste épaisse...
C’est donc deux simples citoyens, qui pénétrèrent dans le bâtiment. L’intérieur méritait qu’on s’y attarde un peu. L’entrée donnait sur une sorte de salon assez vaste avec un large tapis en son centre surmontés de fauteuils de tissus et de petites tables rondes. Ce mobilier de bonne qualité ne présentait pas encore de véritables traces d’usure. Bien que la poussière çà et là suggérait un âge avancée, et un entretien tout juste correcte. Un peu plus loin on distinguait deux escaliers circulaires donnant sur les étages. Ces ouvrages plutôt soignés présentaient eux aussi toujours bonne figure.
Une foule occupait la pièce, du moins c’est l’impression que cela donnait après cette traversée de la ville où juste une vague silhouette s’était manifestée. Trois hommes buvaient un verre ensemble. Aucune impression festive n’émanait de cette activité. Ils donnaient plutôt l’impression de tuer le temps.
Le premier avec sa grossière veste en fourrure et sa barbe de trois jours, ne paraissait pas à sa place au milieu de ce luxe même modeste. Il perçut rapidement la présence des visiteurs. Il étira alors son cou, et plissa ses yeux à l’instar d’un oiseau de proie.
Le second vêtu d’une salopette d’ouvrier rapiécée et coiffé en brosse, n’avait pas vraiment l’allure campagnarde. Il était d’une maigreur presque squelettique. Sur son bras gauche on distinguait le tatouage plissé d’un requin.
Le dernier membre du groupe était le seul à bénéficier d’une tenue correcte : un costume trois-pièce rouge bordeaux. Sa chevelure rousse parsemée de blanc sur le devant était soigneusement ramenée en arrière.
Le trio manifesta un certain étonnement face à la présence d’inconnus. Le plus surprenant est que dans cet univers morne et désœuvré tous les trois présentaient un sourire. Qu’est-ce qui pouvait encore leur donner cette force ? L’homme en costume bordeaux alla à leur rencontre, tandis que celui à la fourrure continuait de les observer du coin de l’œil. Le tatoué lui finissait son verre tranquillement.
« Bonjour, je me présente Warren Lawford propriétaire et gérant de cet établissement. Que puis-je pour vous ? »
Autant de mondanités étaient-elles nécessaires ?
« Oui ma sœur et moi avons besoin de chambres pour quelques jours, des communicantes si possibles. »
Bruce qui considérait cette chasse au charlatan comme une distraction tout au plus un entrainement, jugea tout de même prudent de ne pas en dire plus. Depuis son arrivée à Blüdhaven il était devenu très méfiant.
« Je vais vous faire préparer çà. » Enchaina immédiatement Warren. « En attendant je vous conseille de déposer vos montures à l’écurie en bas de la rue. Elle est très abordable. »
Forcément au vue de l’isolement de la ville, les visiteurs n’étaient pas venus à pied. Toutefois Bruce avait remarqué des attaches à l’usage des montures à l’entrée de l’hôtel. Le patron de l’établissement avait-il un arrangement avec le responsable de l’écurie ou en était-il également le propriétaire ?
A moins que se soit une diversion destinée à cacher, qu’il préparait lui-même les chambres. Car aucun employé n’avait pointé le bout de son nez jusqu’à présent. Puis Bruce se reprit, et cessa de chercher là où il n’avait pas de raison de le faire.
« Merci pour ce conseil. Nous recherchons quelqu’un qui se serait installé ici. Il vend des médicaments très réputés. »
Cette simple mention fut l’équivalent d’un coup de tonnerre. Les deux autres hommes jusqu’ici plutôt indifférents à la conversation fixèrent leurs regards dans la direction de l’auteur de ces mots. Quant Warren son visage s’illumina.
« Vous avez bien fait de venir ici, quelque soit votre problème. Il a installé sa roulotte à la sortie est de la ville. Vous ne pouvez pas le louper. »
Pour un vulgaire charlatan il avait un sacré succès. Un peu en retrait Harper se crispa, et laissa échapper un « enfin » à peine perceptible. Ce simple mot contenait toute l’impatience du monde.
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Après s’être installé le duo en provenance de Gotham, continua sa visite de la ville par l’est. L’impression lors de leur arrivée perdura : une ville dont les habitants s’étaient évaporés comme par magie. Quelques exceptions se montrèrent en chemin. Ils erraient dans les rues sans but apparent renforçant ainsi l’aspect fantomatique de Blüdhaven. Puis de la vie se manifesta. Comme annoncé une modeste roulotte était présente au bord de le route de l’est. On y avait attaché une bâche. En dessous se trouvait une table où était disposé un assortiment de bouteilles aux couleurs étranges, de tubes, et d’ustensiles divers. Un peu plus loin un braséro grésillait.
Bref l’endroit donnait l’impression d’être occupé contrairement au reste de Blüdhaven.
Au milieu de tout cela s’agitait un petit homme. Sa redingote rouge associée à son chapeau haut de forme rappelait l’annonceur d’un théâtre ou d’un cirque.
Ce monsieur loyal égaré se préparait tranquillement un petit thé sur son réchaud. Il n’était pas beau à proprement parler. Ses cheveux d’un blond filasse en bataille ressemblaient à un tas de paille. Ses grandes dents lui gâchaient le visage.
Malgré tout il conservait une certaine forme de charisme. Son dandinement et son air enthousiasme faisaient penser à un enfant joueur. Dès qu’il aperçut les deux personnes, il les salua avec son chapeau d’un geste appuyé
« Bonjour jeune demoiselle, et charmant monsieur. Je me présente Jervis Tetch humble vendeur en pharmacopée. Puis-je vous être utile ? »
Bien que ses simagrées soient dignes d’un saltimbanque de seconde zone, Jervis y montrait un certain talent en les exécutant voir même de la conviction. Bruce dans l’intention d’endormir toute méfiance en lui joua le jeu :
« Enchanté je suis Robert Kane et voici ma soeur Jane. »
Sa propre prestation fut tout à fait convenable. Du fait de l’existence de son alter-ego il avait l’habitude de jouer un double jeu. De son coté Harper se contenta de hocher la tête comme le voulait la consigne. Bruce ne l’aurait jamais cru si disciplinée.
« J’ai entendu dire que vous possédiez des médicaments particuliers. Et ma sœur souffre de...»
Jervis qui jusqu’ici s’était montré aimable voir obséquieux, se détourna brusquement de son interlocuteur au profit de Harper.
« Que ressentez-vous ? »
Jervis s’était totalement transformé en posant cette question. Finis les simagrées, la comédie, il n’émanait de lui qu’une compassion visiblement sincère. Cette réaction prit de court Bruce. Heureusement Harper rattrapa le coup en récitant le texte prévu.
« Ça me fait comme des brûlures au ventre le matin...»
Jervis écouta en manifestant toujours un réel intérêt. Une fois la description des symptômes achevée il s’éloigna un peu, et redevint un charlatan.
« Voici ce qu’il vous faut ! » Dit-il en brandissant une bouteille contenant un liquide bleuâtre. « Ce médicament a été inventé par l’un des meilleurs médecins de Londres... »
Le plus étonnant était toujours la ferveur que Jervis mettait dans ce baratin grossier. Bruce le laissa sagement finir, puis prit le produit en question en échange de seulement quelques dollars. Pour un escroc si motivé, il ne se montrait pas très ambitieux.
Le chemin du retour se fit en silence. Le duo attendait d’être dans leurs chambres avant de quitter leur rôle et de se mettre au travail. Ce qui n’empêchait pas chacun d’eux d’avoir déjà des interrogations en tête.
L’esprit analytique de Bruce se focalisait sur les différents détails du campement de Jervis. Plusieurs d’entre eux indiquaient que l’installation du bonimenteur remontait à un certain temps. Par contre aucun ne suggérait des préparatifs de départ.
Pourquoi restait-il dans un endroit à la clientèle si réduite ? Il détenait visiblement encore un stock conséquent à vendre ailleurs. Qu’est-ce qui le retenait à Blüdhaven ?
De son coté Harper se concentrait sur son ressentit. L’attitude de Jervis à son égard lui donnait une impression de déjà-vu. D’une certaine façon elle espérait se tromper sur ce point.
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