Le cimetière l’autre endroit maudit du comté bénéficiait d’une large surface, une conséquence du vécu violent de Gotham. Il se reflétait aussi sur l’écart généralement faible entre les dates de naissance et de morts inscrites sur les tombes. C’était un peu cela sa malédiction : rappeler sans cesse de tristes histoires.
On y avait aménagé une cabane à outil en son centre, afin de faciliter le travail du croque-mort et fossoyeur du comté. Il était donc normal que Jonathan Crane s’y rende, mais pas en pleine nuit.
Comme si ce n’était pas assez suspect, il n’utilisait pas de lampe. Ce qui ne semblait pas le gêner outre mesure.
A peine ouvrit-t-il la porte, qu’une voix d’outre-tombe retentit derrière lui.
« N’oubliez pas de bien nourrir les corbeaux des alentours. »
Jonathan ne sursauta même pas. Il se contenta juste de se retourner vers l’origine de la voix. L’ombre s’approcha tout en poursuivant.
« Ces volatiles sont plus utiles, qu’on pourrait le croire. A l’instar des pigeons, ils peuvent servir de messagers. Dommage que peu de gens le savent. »
Le clair de lune associé à la réduction progressive de la distance, permit au croque-mort de distinguer l’auteur de ces mots.
L’étrange combinaison qu’il portait, provoqua un semblant d’émotion chez Jonathan.
« Vous êtes qui ? » Demanda-t-il plus intrigué qu’inquiet.
« Batman. »
C’était venu naturellement. Il s’agissait du nom que son père avait donné à son prototype d’exploration souterraine. En y réfléchissant ce choix était plutôt logique. Cette tenue permettait à un homme de s’aventurer aux mêmes endroits que les chauve-souris.
Ça gênait tout de même Bruce de dévoiler ainsi l’invention de son père. Mais comme pour l’attaque dans le défilé, il n’avait pas vraiment eu le choix. Les plumes noires présentes sur certains sbires de Falcone l’avait poussé à prendre une nouvelle fois les choses en main et donc à être présent dans ce cimetière. Ayant consciencieusement mis au point son texte il poursuivit ses explications destinées à déstabiliser Jonathan.
« J’ai trouvé dans votre cabane les graines, et les bagues pour les messages. Quant au masque en toile vous l’utilisiez probablement, lorsque vous alliez terroriser Randal ou rencontrer Falcone. Il y a aussi les draps et les loupiotes. Je suppose que c’est avec cela que vous faites croire à l’existence de fantômes la nuit dans le cimetière. Ainsi personne ne vous dérange pendant vos préparatifs et vos envois de messages. D’ailleurs vous êtes là pour entretenir la malédiction du cimetière, n’est-ce pas ? »
« Rien ne vous a échappé à ce que je vois. » Conclut le croque-mort toujours de marbre.
« Si la cachette de votre butin. »
« Mon butin ? »
« Votre part sur les pillages du gang de Falcone. Vous devez la rendre à qui de droit. »
Jonathan laissa transparaitre enfin une trace d’émotion. Il émit un rire lent et rythmé. Même en se marrant il demeurait sinistre.
« Je n’ai pas fait ça par appât du gain. »
« Mais pourquoi ? » S’exclama Bruce ne s’attendant pas à cette révélation.
« Pour Gotham, le vrai Gotham. Celui d'avant avec ses pillages et ses morts incessantes. Celui que les Wayne ont détruits. Les gens étaient habités alors par le sentiment supérieur à tous les autres, celui qui permet de survivre : la peur. »
Le croque-mort demeura toujours aussi inexpressif en dévoilant ses sinistres justifications. Comme si ça allait de soit. Bruce savait au moins les raisons de sa présence. Il ajoutait sa part une nouvelle fois à l’œuvre familiale.
Dans un premier temps écœuré il s’approcha encore afin d’apporter la touche finale, à savoir ligoter Jonathan et placer les différents éléments énumérés précédemment autour de lui. Les gens en le découvrant le lendemain finiraient bien par comprendre. Et si le croque-mort parlait de son agresseur vêtu de noir ? Même si on le croyait, aucun moyen ne subsistait de découvrir la véritable identité de Batman. Et quand bien même ce risque valait d’être encouru.
Jusque-là indifférent le croque-mort réalisa enfin l’imminence de sa défaite. Il se mit à trembler, et recula instinctivement vers le cabanon. Il n’y avait pourtant aucune arme à feu, ni possibilité de fuite à l’intérieur. Bruce s’en était assuré. Ce n’était donc qu’un geste de désespoir.
Bruce s'avança sans le savoir vers une nouvelle leçon. Si Jonathan savait provoquer la peur, il était logique qu'il soit également capable de la feindre.
Soudain une longue forme jaillit rapidement de son bras droit. Totalement prit au dépourvu Bruce grâce à ses réflexes de boxeur parvint au dernier moment à interposer ses bras.
Jonathan Crane avait toujours su surprendre. On se méfiait des hommes musclés, et des armes. Alors il se reportait sur un simple outil dont l'usage lui était familier, et permettait de palier à son corps chétif.
La violence du choc fit tomber Bruce à la renverse. Quant au croque-mort il s’avança la pelle bien en main. En bondissant en arrière de toutes ses forces, Bruce put esquiver le second assaut de justesse.
Sa vitesse de mouvement et la portée de son arme, rendaient Jonathan extrêmement dangereux. Comme si ça ne suffisait pas, le coup que venait d’encaisser Bruce ralentirait ses frappes sans oublier la sensation d’étourdissement.
Après avoir triomphé d’une bande de hors-la-loi armés jusqu’au dent, allait-il mourir de la main d’un simple croque-mort ? Non car contrairement à ses bras, ses jambes fonctionnaient encore parfaitement. Bruce effectua une brusque accélération, et s’éloigna le dos courbé derrière des tombes.
Jonathan lui conserva le même rythme de marche.
« Je suis sur mon terrain. Vous ne pouvez ni m'échapper, ni me surprendre. » Déclara-t-il à la volée.
En annonçant cette évidence, il espérait faire paniquer son adversaire et par extension le pousser à l'erreur.
Le boxeur ayant échoué, l’ingénieur prit le relai. Entre l’affrontement au défilé et celui au cimetière, Bruce probablement poussé par une sorte de réflexe professionnel, avait tenté d’apporter des améliorations à sa tenue.
Or qu’est-ce qu’il lui avait fait défaut face à Falcone ? La possibilité d’attaquer à distance. Sans des pierres à proximité il ne s’en serait pas si bien tirer. Bruce ressortit alors le cadeau d’un camarade d’étude. Oliver Queen était un passionné d’armes de jet et de trait avec une nette préférence pour l’arc.
Parmi sa collection il détenait un objet australien, dont Bruce avait rapidement assimilé le maniement. C’est ainsi qu’il se retrouva à jeter son boomerang au milieu du cimetière.
Alerté par le sifflement le croque-mort plaça sa pelle devant lui comme protection. Hélas pour lui la trajectoire d’un boomerang est courbe. Il fut frappé en pleine tête sur sa gauche, et sombra dans l’inconscience.
Bruce sortit alors de sa cachette et contempla son œuvre : un gringalet avec une arme improvisée. Tu parlais d’une victoire. Pourtant le gringalet en question était à l’origine d’un tel chaos. Il avait trompé, et terrorisé le comté de Gotham dans son entier, sans oublier ses macabres motivations. Personne ne connaitrait son histoire dans sa globalité sauf Bruce. Ce serait un secret de plus à garder.
Il ne lui restait plus qu’à en revenir à son projet d’entravement et de disposition des preuves. Après il regagnerait le réseau souterrain, rejoindrait sa maison, et oublierait Batman.
Des gens aussi fondamentalement mauvais et dangereux que Jonathan étaient rares. Gotham ne devrait plus avoir besoin de Batman à présent.
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