Sitôt arrivés dans le gîte, Mara ne tarda pas à se précipiter dans la chambre qu’elle s’était auto-attribuée sans prêter attention à son environnement. Elle se jeta à plat ventre sur le lit, après avoir lancé son sac à son pied d’un geste négligent. Elle se retourna sur le dos puis glissa une main sur son front avec un soupir fatigué. L’adolescente avait dormi durant tout le trajet mais la chape de plomb qui pesait sur son corps ne s’était pas dissipée, et la migraine qui la tiraillait depuis plus d’une heure n’arrangeait rien. Par conséquent, elle n’avait pas observé la bâtisse ni rien considéré de ce qui les entourait et, de ce fait, elle n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient. Ses pères avaient refusé de lui indiquer leur destination, désireux de lui en faire la surprise. Mara nota alors que les murs et le plafond étaient en bois poli, ce qui l’étonna ; elle était davantage habituée aux murs de pierre et de métal. Où étaient-ils donc ? Avaient-ils quitté la sphère d’influence de la mégapole ? Le trajet avait été long mais elle n’aurait jamais cru qu’ils se seraient éloignés autant.
Sa curiosité se dissipa presque aussitôt lorsque les souvenirs de la semaine passée l’assaillirent une fois encore. Elle poussa un soupir malheureux, avant de froncer les sourcils en percevant les faibles murmures qui perçaient au travers du mur. Ceux de ses deux pères. Sans doute étaient-ils inquiets de son comportement renfermé qui n’avait pas cessé à leur arrivée en ces lieux… Cela faisait plusieurs jours qu’elle avait tendance à s’isoler, y compris d’eux, alors qu’ils étaient si proches. Elle savait qu’ils ne souhaitaient que lui faire plaisir et l’aider à s’aérer un peu l’esprit ; cependant, sa rupture violente et inattendue était encore trop fraiche pour qu’une telle initiative suffît. A cette pensée, elle eut un léger pincement au cœur tandis qu’un élan de culpabilité la tenaillait. Cela n’était pas tombé au bon moment non plus ; elle avait conscience qu’ils étaient un peu juste financièrement, ces temps-ci, alors ce type de dépenses inutiles était à éviter. Elle devrait sans doute faire quelques efforts pour limiter ce gâchis… Pourtant, elle demeura inerte sur son lit, molle et abattue. Elle ne ressentait aucune envie si ce n’était celle de fermer les yeux et de s’endormir pour oublier, tout en priant pour un sommeil sans rêves.
Emportée par ses réflexions maussades, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir dans un grincement inaudible ni ne vit une tête passer par l’entrebâillement de la porte pour la fixer.
– Mara ?
Nerho n’eut aucune réponse. Il attendit quelques secondes avant d’entrer ; son compagnon, quelques pas derrière lui, observait la scène sans bouger. Il s’approcha du lit avant de s’y asseoir. Il posa sa main sur l’épaule de l’adolescente puis la secoua avec douceur.
– Mara, lève-toi. Ne me fais pas croire que tu es encore fatiguée, tu as dormi tout le long du trajet.
Elle gémit mais refusa d’ouvrir les yeux. D’autres secousses sur son épaule l’incitèrent à obtempérer malgré sa réserve. Cependant, elle resta allongée, plissant les yeux pour fixer l’adulte.
– Mais papa…
Elle pria pour que la note plaintive transmise dans ces deux mots suffît à le dissuader de poursuivre. Un simple coup d’œil vers lui l’assura vite que sa tentative était malheureusement vouée à l’échec. Son sourire était bien trop large et ses yeux trop scrutateurs pour la laisser espérer.
– Allez, debout. Tu n’as même pas fait l’effort de jeter un coup d’œil à l’extérieur pour voir où nous sommes, que ce soit lorsque nous étions dehors ou ici, lâcha-t-il d’un ton déçu.
Il accorda une œillade au sac échoué près du lit et fit la moue.
– Tu n’as même pas pris la peine de défaire tes affaires, en plus.
Mara pinça les lèvres pour éviter de souffler. Montrer de l’exaspération ne lui donnerait pas gain de cause, au contraire.
– Ça peut attendre, ça ne va pas s’envoler… Et je n’ai pas envie de sortir. En plus, j’ai mal à la tête.
Il soupira mais ne se découragea pas.
– Nous avions compris que tu n’as envie de rien faire… Et je ne te parle même pas de sortir ; comme tu ne l’as sans doute pas remarqué, nous avons un grand balcon accessible depuis le salon. Tu devrais y aller, cela ne t’arrachera pas beaucoup d’efforts, même avec ta migraine. Respirer un peu d’air frais te fera du bien, il fait bon dehors.
– Lui non plus ne va pas s’envoler, grogna-t-elle pour toute réponse, un peu agacée par son insistance. Et puis, qu’y aurait-il à voir ?
Elle s’aperçut que Luis s’était finalement accolé à l’encadrement de la porte et la fixait avec un air dépité. Habituellement, cela l’aurait encouragé à s’incliner afin de leur faire plaisir. Cependant, son apathie surpassait ce besoin-là et la rendait peu encline à procéder ainsi. Chose dont son père était conscient. Il perdit patience et la tira vers lui.
– Bien, je vais t’y porter alors.
– Quoi ?
Mara se débattit et, extraite de ses bras, bondit hors de son lit pour s’éloigner de lui. Elle le jaugea, fâchée et perplexe, tandis que son père se contentait d’hausser un sourcil et d’adopter une pose nonchalante sur le lit. Luis se mordit les lèvres, amusé par la scène, tandis que son compagnon pointait une direction du doigt.
– Vas-y, l’encouragea-t-il avant de se vautrer sur le lit.
Mara faillit hurler en le voyant s’étaler de tout son long, lui en interdisant ainsi l’accès. Elle renâcla un instant, hésitante, avant de se retourner brusquement en pestant :
– Raaaah, vous me soûlez !
– Je n’ai rien fait, se défendit l’autre, les mains levées en signe de défense, alors que Mara filait devant lui comme une flèche.
Furibonde, elle traversa le couloir sans s’en rendre compte, et ralentit un peu lorsqu’elle se mit à chercher le salon en question, qu’elle ne mit pas longtemps à trouver. Quelques secondes après, la baie vitrée était en vue. Elle s’y dirigea, sa colère passée et l’abattement revenu, le pas trainant. Elle ne se rendit pas compte que les deux hommes s’étaient glissés à sa suite pour observer sa réaction.
Mara gagna le balcon avec un soupir pour se presser contre la rambarde, pas le moins du monde convaincue. Pourtant, lorsqu’elle ouvrit les yeux et contempla la ville qui s’étendait devant elle, juste sous ses pieds, elle crut un instant sentir son souffle s’arrêter.
On ne voyait tant d’Argos que les grandes mégapoles et leurs mégadomaines que l’on en oubliait les quelques régions plus reculées et relativement préservées de la gangrène technologique, comme ici. S’étendaient à sa vue non pas des bâtiments de métal et de verre aux multiples étages mais de petites maisons de bois et d’ardoise d’un style étrange qu’elle devinait d’un autre âge, plus ancien, voire même d’un autre monde. Droit devant elle s’ouvrait une large place circulaire, en grande partie occupée en son centre par un arbre immense, aux racines et au tronc eux-mêmes envahis par des plantes de plus petite taille qu’elle ne distinguait qu’à peine. Les branches maitresses étaient terminées par des masses feuillues étranges en forme de dôme qui oscillaient entre le rouge, le rose saumon et l’orange et irradiaient d’une vive lumière orangée en leur base. De fins fils bleutés piquetés d’étoiles mêlés à des fils plus épais et plus sombres en pendaient et ondulaient doucement au gré d’une brise que Mara se plaisait à imaginer mais qu’elle ne sentait pas. C’étaient comme autant de créatures suspendues dans les airs et perdues dans les étoiles, étranges et insaisissables, figées dans le temps tout comme cette ville issue d’une autre réalité.
Une parenthèse féérique et enchanteresse qui pourrait laisser croire que la menace qui planait sur la planète entière n’existait pas, comme si elle n’affectait pas cet endroit, et qui lui donna envie de rester là pour toujours, à contempler ce paysage qu’elle n’aurait jamais cru capable d’exister.
Transportée par cette vision, elle n’entendit pas ses deux pères s’approcher dans son dos. Aucun d’eux ne gagna cependant le balcon ; le premier se cala contre le cadre de la porte vitrée, un bras glissé sur la taille de l’autre qui se tenait bien droit. Fiers d’eux-mêmes et quelque peu rassurés, ils regardèrent leur fille laisser son regard errer sur le village, les yeux écarquillés. Toute trace de tristesse ou d’abattement avait déserté ses traits, remplacés par un certain émerveillement surpris. Ils avaient conscience que jamais elle ne s’était attendue à cette vision. Ils s’entreregardèrent et s’adressèrent un sourire complice avant que l’un d’eux ne se détachât de ce jeu de regards pour rejoindre Mara.
La bulle hors du temps dans laquelle l’adolescente avait été plongée explosa lorsqu’une main se posa sur son épaule. Elle se retourna après un sursaut et jaugea son père avec étonnement, comme si elle se demandait ce qu’il faisait là, ce qui accrut l’amusement des deux hommes.
– Alors ? Que penses-tu de la vue ? Pas trop mal ?
– C’est carrément super ! s’enthousiasma Mara avec excitation, ce qui fit glousser Luis, resté en arrière.
La jeune fille ne s’en aperçut pas, réclamant plutôt de voir de plus près cet arbre immense et si fascinant. Toujours saisie par cette vision et la curiosité qu’elle avait suscitée chez elle, elle en oublia momentanément sa tristesse et sa déception amoureuse, ce que ses parents observèrent avec soulagement. Ils n’auraient pu espérer meilleur effet, même s’ils furent stupéfaits lorsque la jeune fille demanda le soir-même, après avoir été au pied dudit arbre, s’il leur était possible de vivre là pour toujours. Abandonner son mode de vie, y compris ses heures passées devant les écrans, serait un bien maigre sacrifice pour vivre dans un tel cadre !
Propos qu’elle nuança cependant quelques jours plus tard, confrontée à la réalité de ce sevrage technologique. La technologie des grandes villes avait fini par lui manquer.
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