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volume 1, Chapitre 6 « Un simple échange » volume 1, Chapitre 6

Nouvelle écrite dans le cadre du Festival des Lumières sur l'Allée des Conteurs, décembre 2018.

La porte coulissa dans un bruit feutré et Mara pénétra à l’intérieur de la pièce d’un pas tout aussi léger. La luminosité de la pièce, qui contrastait avec la semi-obscurité du corridor, la gêna un instant et lui fit plisser les yeux. De longues bandes bleutées s’agitaient doucement au gré d’une brise imaginaire sur les murs gris pâle de la petite pièce à vivre, créées par les reflets relayés par la grande baie qui s’ouvrait devant elle. A travers la vitre, elle n’apercevait que les plantations et au-delà, la bulle qui protégeait la cité. Ils avaient eu la chance de se voir attribués un logement dans le cercle périphérique avec une vue qui donnait sur ses limites extérieures et non sur son centre ; même si les constructions étaient de bel aspect, au contraire des mégadomaines qu’ils avaient fuies en venant sur cette planète, elle préférait ce panorama-là. Ce n’était pas tant l’organisation de cette dernière ni même la salle commune qui l’intéressaient. La pièce était presque vide et peu meublée, agencée de sorte à optimiser l’espace. Une seule personne, un homme vêtu de son uniforme, s’y dressait et lui tournait le dos, debout devant la grande table de bois gris, ainsi ce dernier ne perçut pas son intrusion. Elle reconnut son collègue à sa silhouette haute et mince et à ses cheveux roux. Il s’élevait de celui-ci un chant aux notes légères qu’elle eut quelque difficulté à reconnaitre. Sans doute déformée par les siècles, elle évoquait une fête joyeuse et innocente tombée en désuétude et tirée d’un héritage passé et presque oublié, du moins concernant ses origines.

Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Lionel paraissait toujours si détaché des choses, jamais elle n’aurait cru le retrouver en train de chanter à tue-tête une chanson aussi stupide ! C’en était presque comique. Elle se mordit les lèvres pour ne pas rire et s’avança vers lui tout en glissant ses mains dans son dos, de sorte à lui cacher le petit paquet qu’elle tenait. En même temps, un certain trouble la saisissait à le voir si expressif – du moins, à exprimer une telle tranquillité bienheureuse. L’explication se tenait sans doute dans l’étrangeté de la scène.

Lionel se retourna alors vers elle, sans pourtant réagir à un son quelconque. Il sursauta et se raidit aussitôt qu’il la vit, et sa chanson s’arrêta là. Les traits de Mara se firent narquois mais ses yeux se voilèrent de curiosité à la vue du petit paquet entouré de papier kraft que le jeune homme tenait entre ses mains. Il était évident qu’il s’agissait un cadeau, même si son esthétisme laissait clairement à désirer : l’emballage était mal fait et froissé et de gros bouts de scotch tenaient le tout. Voilà donc à quoi il s’affairait durant sa journée de pause… Elle en devina aussitôt la raison, identique à celle de sa propre venue. La coutume s’était installée récemment dans la communauté et elle ne voyait personne d’autre avec qui la partager. Mais lui, pour qui était-ce destiné ?

— Belle chanson.

Ce n’était sans doute pas la meilleure façon d’amener les choses, pourtant elle n’avait pas pu s’en empêcher – pas avec lui. Elle ne le regretta pas, encore moins lorsque Lionel y répondit d’abord par une mine stupéfaite. Puis il se renfrogna et plaça ses mains derrière son dos pour le cacher de sa vue bien que ce fût désormais inutile.

— Au début je croyais que c’était un enregistrement mais je ne vois pas d’appareil, ajouta-t-elle pour le pousser à réagir.

Elle se glissa vers lui pour s’arrêter à quelques centimètres de lui. Lionel refusa de répondre. A sa mine crispée, il était évident qu’il était vexé mais hormis cela, il ne témoignait aucune réaction particulière. Son silence et son air sombre finirent par mettre la jeune femme mal à l’aise et elle se demanda un instant si elle n’était pas allée trop loin – le jeune homme était si introverti qu’il était tout à fait possible qu’il le vécût mal mais ne le dît pas. Son sourire se fana et gênée, elle tenta de s’expliquer :

— Je dis juste ça parce que je n’aurais jamais cru t’entendre chantonner, ne le prends pas mal !

— Pourquoi es-tu ici ? marmonna alors le rouquin sans considérer sa phrase.

Il ramena ses mains devant lui alors qu’il lui tournait de nouveau le dos et soupesa son paquet, songeur. Mara fronça les sourcils et croisa les bras, oubliant par la même occasion le sien qu’elle lui révéla inconsciemment.

— C’est notre salle de vie commune ici, crétin ! J’ai autant le droit d’y être que toi, quand je veux.

Pour toute réponse, Lionel lui adressa un haussement d’épaules indifférent et ne lui prêta pas davantage attention. Son chargement occupait toujours ses mains et il le fixait, pensif, comme s’il se demandait ce qu’il devait en faire.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle alors pour détourner le sujet, préférant ne pas insister au risque de créer un certain malaise entre eux.

Elle le contourna et lui-même recula instinctivement en réponse. Il se retrouva face à elle, la chose emballée placée devant lui. Il fit mine de ne pas comprendre et s’apprêta à ouvrir la bouche lorsque Mara intervint :

– Je te parle de ça, fit-elle tout en pointant l’objet du doigt.

Lionel baissa la tête vers ce dernier et se mit à le fixer sans un mot, le visage neutre. Mara roula des yeux, comme elle le savait capable de conserver le silence pendant un moment ; cependant, elle n’avait pas la patience d’attendre jusque-là.

Quelques pas lui suffirent pour qu’elle pût poser une main sur la poitrine du jeune homme, et elle se pencha un peu vers lui afin de croiser son regard – il faisait bien une tête de plus qu’elle et ne se montrait pas très coopératif. Habituellement, il se montrait plutôt gêné lors de contacts rapprochés et ainsi plus réactif. Pourtant, il ne fit qu’hausser les sourcils, vaguement surpris, et Mara en fut quelque peu déçue. Elle tiqua lorsqu’il lâcha :

– Tu as entendu parler de la supposition de Moriss et de Kreya, c’est ça ?

– Hein ?

Mara se figea avant de faire quelques pas en arrière en laissant ses bras retomber le long de son corps, dépitée. Elle fronça les sourcils avant de comprendre et ses traits se détendirent. De manière peu étonnante, comme ils étaient les deux seuls humains de leur équipe – excepté Bérénice mais elle restait leur supérieure –, leurs deux collègues rêvaient sans doute d’une possible idylle entre eux. Elle secoua la tête, amusée, avant de s’asseoir sur la première chaise venue en restant face à lui pour le fixer avec sérieux. Elle avait posé son petit paquet sphérique entre ses cuisses.

Il n’y avait bien que lui pour parler d’une chose pareille alors que les circonstances ne s’y prêtaient pas du tout. Ce n’était pas parce qu’elle avait pressé sa main sur son torse qu’elle comptait le séduire, même pour de faux !

– Tu es vraiment bizarre.

Lionel ne donna pas l’impression de l’avoir entendue. Il était désormais concentré sur l’objet qui ornait les jambes de sa collègue. Elle aperçut la lueur de curiosité dans son regard et sans prévenir, elle le lui tendit. Il l’observa bêtement sans comprendre.

– Ouvre-le, insista-t-elle comme son geste n’y suffisait pas, en le lui présentant. C’est pour toi.

– Pour moi ? s’étonna Lionel, les yeux toujours rivés vers la boule en question.

Le geste était pour lui si incongru qu’il ne s’enthousiasmait ni ne s’inquiétait de l’initiative de la jeune femme, car il ne savait pas du tout comment l’interpréter. En levant les yeux, il aperçut le sourire étrange de Mara qui ne fut pas pour le rassurer et qui s’agrandit à ses mots.

– C’est ce que je viens de dire, lui confirma-t-elle.

Elle avait reposé le cadeau sur la table, fatiguée de le tenir à bout de bras. Elle désigna celui de Lionel d’un mouvement faussement nonchalant. Son indifférence n’était que feinte et dans son esprit, Lionel avait intérêt à faire attention à sa réponse.

– Et lui, il est pour qui ?

– Pourquoi me faire un cadeau ?

L’art de détourner la conversation uniquement vers ce qui l’intéressait. Mara haussa les épaules avec négligence, blasée. Elle n’en était même pas étonnée.

– Pourquoi pas ? C’est un peu le principe aussi. Tu devrais l’ouvrir, tu fais grand cas de pas grand-chose. Alors, pour qui est celui-là ?

L’attention de Lionel revint à son propre paquet et une légère rougeur gagna ses joues. Il le lui tendit brusquement, un peu gauche, et ce fut au tour de la blonde de le fixer étrangement. Contrairement à lui, elle n’eut pas besoin de parole et même si elle n’avait aucune idée de ce qu’il contenait, elle ne put ignorer le plaisir qu’elle ressentit. Il était si minimaliste et détaché qu’elle imaginait sans mal qu’il n’en faisait que rarement.

Cela rendait le geste d’autant plus exceptionnel et plaisant.

Sans un mot, elle le récupéra avant de placer derechef le sien entre les mains désormais vides du rouquin. Le silence fut coupé quelques secondes par des bruits de papier qu’ils déchiraient avant qu’ils ne missent à découvert les objets en question. Tous deux les contemplèrent, perplexes.

– Une… une boule ? s’écria alors Lionel en fronçant les sourcils tandis qu’il l’observait sous toutes les coutures, cherchant vainement l’intérêt de lui offrir une telle chose.

S’il y avait bien quelqu’un qui n’avait aucun attrait à la décoration d’intérieur – et à tout ce qui n’avait aucune utilité – c’était bien lui. Or, ce qu’il tenait dans le creux de sa main n’en avait visiblement pas : ce n’était qu’une simple boule de petite taille, bleu marine, brillante et parsemée de quelques éclats argentés. Il vit juste un lien abstrait entre elle et sa chansonnette et se demanda si seul le hasard l’expliquait.

Mara quitta la pince à cheveux noire des yeux pour sourire face à la tête désappointée qu’il affichait. Elle se retenait de lui rire tout simplement au nez.

– C’est quoi ça ? finit-il par lui demander en le lui désignant, sceptique.

– C’est une boule décorative. Comme son nom l’indique, ça permet de mettre un peu d’ambiance dans ton intérieur, ironisa Mara, amusée.

– Mais ça ne sert à rien !

Elle haussa un sourcil, pas vexée le moins du monde. A vrai dire elle s’y était attendue et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle avait choisi cet objet qui n’avait pas plus d’intérêt pour elle-même. Elle se retint de ronronner, satisfaite. De toute façon, son tempérament faisait qu’il était difficile ; quoiqu’elle eût choisi d’autre, le cadeau l’aurait très certainement déçu. Au moins il était certain qu’il percevrait la plaisanterie, même s’il n’était pas très subtil de nature.

Et puis les quelques boutiques dispersées dans les rues de la cité expérimentale n’offraient pas un choix immense.

Elle lui montra alors la pince noire et simple qu’elle avait posée sur ses jambes.

– Pas plus que cela. Et pourtant tu as –

– Si, c’est fait pour retenir les cheveux. Je pensais que ça te serait utile puisque je n’arrête pas de recevoir les tiens sur le visage lorsque nous travaillons ensemble.

Les yeux de Mara s’agrandirent brièvement sous la surprise avant de se plisser. Même si elle avait l’habitude de s’attacher les cheveux, elle privilégiait le plus souvent des queues-de-cheval hautes puisqu’elle n’avait que peu l’habitude des chignons. Ce n’était pas la présence de la pince dans ses affaires qui changerait ce fait.

Ils n’ajoutèrent rien sur la pertinence des cadeaux reçus et s’observèrent en chiens de faïence pendant quelques instants, silencieux. Mara fut la première à interrompre cet échange muet.

– Elle finira à la première poubelle venue.

La chaise racla sur le sol tandis qu’elle se relevait et la pince inutile tomba au sol dans un tintement à son mouvement. Malgré ses paroles, elle se baissa pour la ramasser.

– Moi de même, répliqua-t-il sobrement.

Mara jeta un coup d’œil vers la porte qui donnait sur sa chambre. Un simple pan métallique qui coulissait pour donner sur une pièce plus petite que celle-ci, elle aussi réduite à un aspect purement fonctionnel. Elle n’assurait ainsi qu’un confort élémentaire. Ces logements avaient été clairement conçus pour du personnel présent de manière transitoire car il s’avérait difficile de s’imaginer y vivre durant de longues périodes. Ainsi, ses quelques achats – elle n’était pourtant pas si dépensière, loin de là – s’entassaient dans quelques cartons plaqués contre les murs. Il lui faudrait fouiller dedans pour sortir une tenue convenable, ce qui la démotivait déjà par simple pensée. Un simple coup d’œil sur la tenue stricte de son homologue amplifiait ce sentiment ; pourquoi s’embêter à essayer de se faire jolie quand lui-même ne ferait pas grand-cas de ses propres vêtements ?

— Tu comptes vraiment sortir comme cela ?

Lionel ne cilla pas à la question ; une moue ennuyée gagna juste ses lèvres, lui révélant, sans surprise, qu’il n’était pas plus enchanté qu’elle de devoir faire cet effort. Il soupira.

— Je suppose que je devrais faire un effort là-dessus.

— Ce pourrait être bien, oui.

Au moins qu’il troquât son uniforme de travail contre une tenue plus décontractée, ce ne serait déjà pas si mal. A quoi ressemblerait-il ainsi ? Jamais elle ne l’avait vu autrement et était curieuse de le découvrir. C’était bien l’occasion…

Il ne la retint pas tandis qu’elle gagnait la porte de sa chambre. Celle-ci se referma derrière elle sans qu’aucun d’eux n’eût prononcé un mot de plus, leurs attentions rivées sur les futilités dont ils s’étaient chacun vus affublés. Chacun assuré du fait que de toute manière, ils sortiraient bientôt de leurs existences.

Cependant, ni la pince à cheveux ni la boule décorative ne gagna la poubelle ce jour-là, pas plus que les autres jours, ni même un coin obscur de leurs placards.


Texte publié par Ploum, 7 février 2021 à 21h15
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