Ils étaient encore une dizaine à bord de l’aéroglisseur, pourtant Kreya avait l’impression d’être seule. Accoudée au bastingage, elle laissait son regard errer sur l’immensité bleue striée d’argent qui lui faisait face. Cette dernière occupait tout le champ de vision et le ciel interrompait à peine cette monotonie – d’une couleur azure à peine égayée par quelques nuages épars, il tranchait peu avec la surface ondulante. Seul le bruissement de l’eau et les quelques craquements émis par l’appareil rompaient le silence ambiant. Elle savait pourtant que l’on s’affairait près d’elle – car après tout, ils seraient bientôt en vue de leur destination, la station expérimentale d’Aqtôn. Mais qu’y pouvait-elle ? Elle était botaniste et ne connaissait rien à la navigation et aux bateaux, et elle n’était pas la seule. Ceux qui, comme elle, se révélaient inutiles s’occupaient comme ils le pouvaient, de préférence sans déranger le personnel naviguant. Certains préféraient avancer dans leur travail ou rattraper leur retard, au choix.
Elle, elle préférait admirer l’océan.
Elle baissa les yeux vers l’eau juste sous elle. Celle-ci refléta une silhouette mauve floutée et ponctuée de vert sur un fond sombre et presque opaque. Un maigre sourire se glissa sur ses lèvres. C’était drôle car en y repensant, toute petite, elle n’aimait pas l’eau. En fait, elle ne l’aimait toujours pas. Elle se rappelait des quelques vacances passées avec sa famille dans la cité balnéaire de Créshyld, où ses parents les trainaient chaque année durant son enfance. Elle était construite au bord d’un immense lac ceinturé par des montagnes. L’eau était particulièrement chaude et donc particulièrement prisée des baigneurs, ce qui en faisait une zone touristique par excellence. Mais pour sa part, elle l’avait toujours détestée. Elle n’aimait pas les lacs. Ni les rivières, ni les fleuves, ni les mers intérieures – aucun ne trouvait grâce à ses yeux. C’était bien simple : elle n’aimait pas l’eau. Alors pourquoi avait-elle choisi de se consacrer à la biologie sous-marine ?
Elle ferma brièvement les yeux tandis que l’embrun lui mouillait le visage. Elle ne prit même pas la peine de l’essuyer et se contenta de respirer l’air marin, lourd d’humidité et de sel ; de sentir les gouttelettes glisser le long de ses fines écailles pour créer un kaléidoscope de couleurs sur sa peau ; de goûter celles déposées sur ses lèvres lorsqu’elle les humectait ; d’écouter les vagues s’agiter et se briser sur la coque souple du bateau, et les balancements que ce dernier effectuait en réponse à la houle et au vent qui se levait. Puis elle ouvrit les yeux pour regarder tout cela à la fois avant de les reporter sur l’horizon, réduit à une simple ligne droite. Juste de l’eau, tout autour d’eux. Elle n’aurait pas dû l’aimer. Mais celle de l’océan était différente. Immense au-delà du visible mais aux frontières bien réelles, tantôt douce et calme, tantôt violente et déchainée, indolente mais agitée, baignée de lumière mais plongeant dans l’obscurité, si primitive et si mystérieuse à la fois, tant de pluralité et d’opposition l’avait séduite dès la première fois qu’elle avait posé ses yeux sur l’un d’eux. C’était de l’eau, mais pas seulement – c’était bien plus que cela. Elle était vibrante. Vivante.
Libre.
Elle sourit au vent qui lui fouettait le visage même si elle dut plisser les yeux face à une telle démonstration de puissance. C’était ça que lui procurait l’océan et qui la grisait à chaque fois qu’elle posait les yeux sur lui. La liberté. Une simple sensation qui la transportait d’une joie presque euphorique et qui, en même temps, la plongeait dans une plénitude surprenante alors qu’elle ne faisait rien, si ce n’était fixer le paysage devant elle. Finalement, c’était cette sensation qui l’avait orientée vers ce secteur – sa passion pour la biologie et les plantes avaient fait le reste. Juste une sensation. Elle aurait pu choisir bien d’autres voies qui auraient pu la lui offrir, mais ce n’était jamais la même chose – et surtout, jamais aussi riche et intense.
Quelques cris interrompirent sa rêverie mais ce fut tout juste si elle tourna la tête en leur direction. Pourtant, la vue seule suffit à l’en tirer complètement pour la faire soupirer de dépit. Une haute tour de pierre, de bois et de métal, large et imposante mais que la distance réduisait à un simple trait, se dressait devant eux et déchirait le ciel et l’atmosphère tranquille qui l’entourait. Un îlot de technologie perdu dans une immensité vide et sauvage, si incongru. Un point gris, morne et triste dans un environnement éclatant de clarté. Et parmi toute cette étendue, c’était là leur destination.
La station expérimentale.
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