11 Octobre 2036
J’ai trouvé le carnet dans lequel j'écris ces lignes par pur hasard. Je suis tombé dessus en fouillant un magasin pratiquement vide et en vrac, qui tient étonnamment encore debout, enfin partiellement, après tout ce qui s’est passé.
Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai décidé de le prendre, mais la seule raison possible pour moi est que j’ai simplement envie de me vider l’esprit, de me débarrasser de toutes ces pensées qui tournent en boucle dans ma tête.
Tout est arrivé si vite… Personne n’a eu le temps de se rendre compte de quoi que ce soit. J’ai entendu brièvement à la radio de mon taxi que des séismes de magnitude 9,8 allaient survenir un peu partout dans le monde, juste avant de subir ce tremblement de terre dévastateur.
Je ne sais pas comment j’ai fait pour survivre à ça. Tout s’écroulait autour de moi. Je n’oublierais jamais la femme que j’ai vue à ce moment-là, accompagnée de son enfant qu’elle tentait de protéger du mieux qu’elle pouvait en le serrant dans ses bras. Elle m’a jeté un regard effrayé, me demandant de l’aide. Et puis plus rien. Un énorme morceau de béton appartenant à l’immeuble juste derrière elle s’est écrasé là où elle se trouvait. Je ne pourrais jamais oublier ça…
Enfin ce n’est pas la seule chose choquante que j’ai vue ces derniers jours, mais elle est de loin celle qui m’a le plus marqué. Car contrairement aux nombreux autres corps, elle était encore en vie lorsque je l’ai vue disparaître. Depuis la catastrophe, le monde s’est littéralement écroulé. Tout a été réduit en ruine. Il ne reste rien. À cause de mon foutu déplacement professionnel, qui ne devait durer qu’une semaine, je me retrouve seul, loin de ma maison et ma famille. Enfin, j'ai choisi d'être seul. Il y avait bien un camp qui a été mis en place par des survivants pour se rassembler et s'entraider, mais je ne suis pas resté avec eux.
J’ai depuis lors, commencé à chercher de quoi survivre, en arpentant les décombres des magasins et autres bâtiments. Je m’en suis tiré aujourd’hui avec ce carnet, quelques barres de chocolat et des cartes. Je ne savais même pas qu’elles se vendaient encore comme ça, car avec les GPS et les portables, plus personne n’en avait besoin. Mais maintenant que plus aucun appareil ne fonctionne, ou du moins ne peut plus être connecté en réseau, c’est mon seul moyen de pouvoir un jour revenir chez moi. Car c’est mon unique but désormais. Rentrer chez moi. Même si mon espoir semble vain, il faut que j’y retourne. Que je les retrouve.
Je me suis posé dans un restaurant abandonné pour cette nuit, au moment où j’écris tout ça. Et je compte bien étudier ces cartes au maximum avant de dormir pour partir dès l’aube et retrouver mes deux amours au plus vite.
12 Octobre 2036
J'ai essayé de me repérer comme je le pouvais avec les cartes. Même si c'est un peu compliqué, je pense être sur la bonne voie. Cependant ça risque de prendre des jours avant que j’y parvienne.
Pour l’instant j’arrive à m’en tirer, j’ai trouvé un sac à dos dans des décombres et j’ai pu emporter plus de vivres avec moi. J’ai encore une barre de chocolat de la veille et j’ai déniché aujourd’hui une bouteille d’eau, un paquet de chips et une boîte de conserve. Toute cette merde venant d’arriver, on peut encore facilement trouver de quoi se nourrir, mais ça risque de ne pas durer. C’est pour ça que je dois faire vite. Je récupère aussi les vêtements et tissus que je trouve pour me couvrir du froid, car mon costume allait bien pour me présenter à la réunion qui était prévue, mais il ne me tenait pas assez chaud.
Pour cette nuit, je suis tombé sur une sorte d’abri. Enfin c’est les restes d’une maison, je crois. Il manque un mur et le toit, mais au moins le reste me protège du vent froid d’automne, ainsi que le feu que j’ai réussi à allumer grâce à mon briquet. Une chance que je sois fumeur, car sinon je n’aurais pas eu ce dernier avec moi. Mais c’est à la fois une chance et une malchance puisque maintenant, tout ce que je demanderais serait une simple cigarette, pour décompresser. À la place je me contente d’écrire dans ce carnet…
Je me trouve aux abords de la ville, je vais bientôt quitter Nantes, enfin ce qui en reste, et les gens qui y sont restés pour me diriger vers Amiens, vers chez moi… Je me fais beaucoup de soucis pour Éléna et Clara, ma petite Clara… J’espère sincèrement qu’elles vont bien… Non, en fait, j’en suis certain. Elles vont bien.
14 Octobre 2036
Je n’ai pas pris le temps d’écrire hier soir, j’étais tellement fatigué qu’à peine allongé, dans le but de souffler un peu, je me suis endormi. Il faut dire que j’ai marché toute la journée, aujourd’hui aussi d’ailleurs.
Je pense être presque arrivé à mi-chemin d’Amiens, enfin selon la carte et si je me suis bien dirigé. Ça voudrait dire qu’il me faut encore environ trois ou quatre jours de marche intensive pour y arriver. Je touche au but. J’arrive, mes trésors…
Mais je n’ai plus beaucoup de nourriture, alors il va falloir que je prenne le temps d’en chercher dans la prochaine ville que je vais traverser. Ça me fera malheureusement perdre de précieuses heures, mais je ne peux pas me permettre d’échouer à cause de choses aussi triviales que la faim ou la soif. C’est un détour nécessaire.
15 Octobre 2036
Je n’ai malheureusement pas mis la main sur beaucoup de vivres aujourd’hui. J’ai fouillé rapidement, ne voulant pas perdre trop de temps, mais je pense que j’aurais dû un peu plus m’attarder. Car à cause de cela, je vais devoir chercher demain aussi. J'ai aussi croisé une femme et un homme cherchant eux aussi de quoi survivre. Je leur ai alors indiqué le camp à Nantes, en espérant qu'ils y arrivent.
Ce qui me manque le plus est l’eau, ou du moins de quoi boire. Les fonds de bouteilles que j’ai trouvés aujourd’hui ne m’ont apporté qu’un court répit. Et je n’ai même pas croisé un simple cours d’eau ou une flaque. La sécheresse de ces dernières années, devenant de plus en plus lourde en conséquence, sans que personne s’en soucie vraiment, ne m’a certainement pas aidé. Mais je suis aussi à blâmer, je fais partie de cette population insouciante. Et maintenant nous en payons le prix.
Car après réflexion, ce qu’il s’est produit est une simple réaction de la Terre face à la dévastation dont nous étions les auteurs. Elle s’est défendue, anéantissant ces êtres et leurs créations qui la tuaient à petit feu.
J’ai longuement réfléchi à ça aujourd’hui. J’ai tenté de comprendre la raison d’une telle catastrophe, et j’en suis arrivé à cette conclusion. Maintenant nous devons assumer nos actes et tenter de survivre.
17 Octobre 2036
J’ai passé toute la nuit d’hier à fouiller les décombres de tout ce que je trouvais. Et après avoir marché deux jours entiers sans dormir entre deux, je suis exténué. Par contre, mon sac est bien rempli et je peux maintenant avoir l’esprit tranquille pour quelques jours. Il est assez lourd avec les deux bouteilles d’eau pleines que j’ai réussi à trouver, mais elles en valent largement la peine.
Je vais pouvoir reprendre pleinement la route demain matin sans m’arrêter. En observant mes cartes tout à l’heure, j’ai pu voir que je vais bientôt rejoindre la ville d’Évreux. Ça veut dire que j’y suis presque. Je prie pour qu’elles soient là à mon retour, j’espère vraiment qu’elles seront là.
Je me pose cependant une question depuis plusieurs jours. Pourquoi je ne croise absolument personne ? Certes, il y a sûrement des camps un peu partout dans les villes, comme à Nantes, mais cela reste très étrange. J’ai cependant croisé des animaux, beaucoup d’animaux même. Ils arpentent les villes mortes désormais en toute sérénité, reprenant ce qui était anciennement leur territoire.
À vrai dire, je me sens un peu seul.
18 Octobre 2036
J’ai réussi à rallier Évreux aujourd’hui. Mais… Il aurait mieux valu que je contourne la ville, que je reste seul. Je me demandais justement hier pourquoi je ne voyais personne. Et bien j’ai fait une rencontre cet après-midi. Un groupe de trois hommes est arrivé derrière moi, me criant de m’arrêter. En me retournant, j’ai pu voir qu’ils étaient armés.
Ils m’ont finalement menacé, simplement pour récupérer mon sac. Une bouteille d’eau dépassant de la fermeture de l’un des leurs m’a permis de constater qu’ils étaient déjà tous pleins à craquer de nourriture. Mais ce n’était apparemment pas assez. Il fallait en plus me dépouiller. J’ai réussi à récupérer discrètement mon carnet et mon stylo, mais c’est tout ce que j’ai pu garder, en plus de mes cartes que j’avais heureusement rangées dans la poche arrière de mon pantalon.
Mais même en ayant coopéré sans broncher, j’ai tout de même eu droit de recevoir une belle droite dans la mâchoire… J’ai toujours mal pour le moment, et l’endroit est gonflé. J’espère juste pouvoir réussir à m’endormir malgré ça.
Je n’ai plus rien à manger, ni à boire, mais je sais que je suis tout proche de chez moi, et ça suffit pour combler tous les manques. Je pense même faire une nuit blanche demain pour continuer à marcher et me rapprocher au maximum, voire même y arriver.
19 Octobre 2036
Je me suis un peu trop enflammé hier. Je pensais pouvoir rallier Évreux et Amiens en seulement deux jours, mais il faut me rendre à l’évidence, je ne suis pas un super héros. Avec ce qui s’est passé, je voulais fuir la ville au plus vite et rentrer chez moi, mais ce n’est pas la porte à côté non plus. À l’allure à laquelle j’ai été aujourd’hui, c’est-à-dire pas très vite à cause de la fatigue accumulée, je pense mettre au moins trois ou quatre jours.
Mais cette fois, je suis plus réaliste comparé à il y a cinq jours. Je commence à comprendre la difficulté du voyage que j’ai entrepris de faire seul. J’étais trop optimiste au départ, et après tout ce que j’ai vu, tout ce dont j’étais certain avant se remet en question. Vais-je vraiment y arriver ? Que vais-je trouver à la place de ma maison ? Vais-je réellement retrouver Éléna et Clara ? Dans quel état ?
Ces pensées me font mal au cœur. J’ai une boule au ventre et une envie de vomir. Si jamais je venais à découvrir qu’elles avaient succombé, je… Je ne veux pas y penser. Des images macabres de mes deux amours me hantent, j’imagine le pire et ça me terrifie. Je vais devoir continuer avec ces images en tête, espérant au plus profond de mon âme que je me trompe. Qu’elles vont bien. Où qu’elles soient.
21 Octobre 2036
Je n’arrive pas à penser à autre chose. Même la faim ne me distrait pas assez. J’ai tout de même été obligé de partir en quête de nourriture, mais maintenant que je n’ai plus de sac, je ne peux pas transporter grand-chose. J’ai quand même trouvé de quoi me rassasier aujourd’hui, mais ça ne va pas durer longtemps. J’ai aussi trouvé de quoi boire un peu.
Depuis mon altercation avec les trois hommes, il y a deux jours, je n’ai vu personne. Désormais, je préfère ça. De toute façon je n’ai plus rien à donner à part mes cartes et ce carnet. Mais je ne le donnerais pas. Je n’ai pas écrit hier, car je n’en avais pas envie, mais je me suis rendu compte que si je ne le fais pas, je risque de perdre la tête.
C’est mon exutoire, grâce à lui j’arrive à penser à d’autres choses et me changer les idées. Il reste cependant de moins en moins de pages. À vrai dire, il en reste très peu. J’espère ne pas arriver trop vite au bout, car après je n’ai pas d’autre support pour écrire.
22 Octobre 2036
Demain, j'arriverai à destination. À vrai dire, je suis vraiment proche du but, mais je n’arrive pas à avancer. Je mets ça sur le compte de la fatigue et de la faim, mais je sais que la raison est que j’ai peur. J’ai peur de ce que je vais y découvrir. J’ai à la fois très envie d’y aller et d’un autre côté je suis paralysé. Mais il va falloir que j’y aille tôt ou tard, je vais juste attendre qu’il fasse jour, mais je ne dormirai sans doute pas ce soir.
Je repense à il y a quelques jours. Tout allait bien, j’avais une vie modeste mais correcte, avec un job qui ne me passionnait pas, mais me convenait. J’avais une belle maison avec une famille incroyable. Ma douce Éléna était artiste peintre, envahissant la maison de ses multiples tableaux, pinceaux et croquis. Elle avait toujours au moins une tache de peinture sur le visage, que je prenais soin de nettoyer pour elle en rentrant du travail. Elle réussissait à me faire sourire malgré une mauvaise journée de boulot. Ses yeux bleus et son visage d’ange me faisaient tourner la tête, je ne pouvais m’empêcher de la regarder. Ça me valait d’ailleurs souvent un “Qu’est-ce qu’il y a ?” de sa part, lorsque je la fixais pendant parfois de longues minutes.
Et puis il y avait aussi ma petite Clara, mon grand bébé de onze ans. Elle était toujours joyeuse, cavalant dans la maison, voulant aider sa mère à peindre ou essayer de jouer de ma guitare trop grande pour elle. C’était une future artiste, sans aucun doute. En plus des cheveux d’or et des yeux océans de sa mère, elle avait aussi hérité de son don artistique, ou du moins de sa passion pour l’art, car elle n’était pas encore très douée, il faut le dire. Je lui disais le contraire quand elle me montrait ce qu’elle faisait, comme tout parent, mais j’étais certain qu’avec l’âge elle n’allait que s’améliorer et devenir “comme maman”.
Mes deux anges… J’arrive bientôt, où que vous soyez.
23 Octobre 2036
Ce sont les derniers mots et le dernier jour que j'écrirai dans ce carnet. Le dernier jour tout court pour moi. Je ne peux plus continuer. Je n’ai plus de raison de vivre désormais. Mes craintes étaient réelles. Alors que je pensais seulement imaginer le pire, j’espérais me tromper. Ce n’était pas le cas.
Depuis, ça fait je ne sais combien de temps que j’ai pleuré en les tenant dans mes bras. C’est seulement maintenant que je les ai lâchés pour écrire. Je me suis décidé. Si elles ne sont plus là, alors je n’ai plus aucune raison de l’être. Adieu.
Le corps sans vie tombe à la renverse, aux côtés des cadavres d’une jeune femme et d'une fillette, qu’elle tient encore dans ses bras, entre les décombres légèrement dégagés, dévoilant partiellement leur corps. L’homme tient dans sa main droite un morceau de pierre tranchant, recouvert de sang. Ce même sang se déverse depuis son cou et les veines de ses poignets, recouvrant petit à petit un carnet et des cartes, devenant alors imprégnés d’un rouge écarlate.
Quelques années ont passé depuis ce drame. Et aujourd’hui, un homme s’aventure dans des décombres à la recherche de nourriture. Il soulève des plaques de béton plus ou moins grandes tout en avançant petit à petit. C’est alors qu’en retirant un énième morceau de béton des restes d’une maison, il voit un petit carnet glisser à ses pieds. L’homme le ramasse alors, l’inspectant de tous les côtés. Il a été vraisemblablement déjà utilisé et est recouvert de ce qu’il conclut être du sang séché sur le coin en bas à gauche. Curieux, il s’assoit où il peut, l’ouvre, et commence à lire.
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