Tampa, ? août 2032
« Ommmmh… Ommmmh… »
Assis en cercle sur le béton de la cour, les fidèles de Gary s’adonnaient à leur séance quotidienne de méditation. Leurs voix, graves et lancinantes, vibraient dans l’air en parfaite harmonie. Ils étaient une dizaine à se réunir ainsi, tous les après-midis à l’heure de la pause. Les yeux fermés, ils adoptaient toujours la même position : celle du lotus, en tailleur le dos bien droit, les deux mains posées sur leurs genoux, le pouce et le majeur réunis en forme de pétale. Et c’est en leur centre qu’il se tenait, lui, leur nouveau gourou.
Gary trouvait un peu ridicule les vocalises que ses disciples avaient ajouté à la pratique. Mais il avait laissé courir… S’ils trouvaient ça cool, pourquoi pas ? Il n’allait pas leur refuser ce plaisir, tant que personne ne remettait en cause son rôle de leader. Et comme il avait à cœur d’être un bon chef, il restait ouvert aux suggestions. Jusque-là, chacun y trouvait son compte : il les guidait, pas à pas, vers une réincarnation réussie. Ils l’escortaient et l’assistaient, protecteurs et chasseurs d’emmerdes – ce dont il avait bien besoin car il ne s’était pas fait que des amis ici. Quant aux gardiens, s’ils s’étaient montrés méfiants au début, ils semblaient aujourd’hui s’amuser de leurs petits rituels.
« C’est juste de la relaxation », leur avait-il expliqué peu après avoir commencé.
Et c’était passé crème. Ils laissaient quand même traîner une oreille ou un œil de leur côté pour s’assurer, sans doute, qu’ils n’en profitaient pas pour comploter. Mais globalement, ils leur fichaient la paix. Quelque part, ça devait servir leurs intérêts… Pas de bagarre, plus de zen et moins de drogue dans « l’Arche de Morgan ». Pour un peu, ils accepteraient de leur faire de la pub auprès des autres détenus !
Par une vocalise plus appuyée, Gary fit cesser les « ooommh » et prit la parole :
« Et maintenant, prenez une graaande inspiration ! »
Chacun de ses fidèles s’exécuta, certains assez bruyamment.
« Comptez jusqu’à 5, puis relâchez douuucement… »
Les prisonniers soufflèrent par la bouche, en chœur et en suivant l’exemple. Malgré sa réticence à commencer, Gary appréciait aujourd’hui ses séances de « purification mentale ». Il les trouvait adorables, ses élèves en pleine action ! Tous ces gros durs et ces roquets de bas étage, sagement assis à suivre ses mouvements. Chaque fois, des souvenirs de jeux de cours d’école lui revenaient en mémoire avec une pointe de nostalgie. Il se rappelait aussi du temps où on l’appelait « Cap’tain » et de l’émerveillement de ses premiers clients devant ses kits de réincarnation maison.
« Maintenant, faites le vide dans votre tête et projetez-vous… Imaginez la personne ou l’animal que vous aimeriez devenir. D’abord la tête... Les cheveux, ou les poils... »
À travers ces séances, il se sentait utile, et même bien plus qu’avant car au-delà de ces histoires de Karma, il savait qu’il contribuait à rendre leur vie ici plus tolérable. Morgan, médecin de l’âme et des consciences, chargé d’incorporer un peu d’espoir dans cet univers rempli de gris. Un rôle qu’il n’avait pas choisi, mais qu’il endossait avec enthousiasme.
Depuis peu, il reconnaissait que ces séances l’apaisaient, lui aussi. Celle d’aujourd’hui en particulier, car elle avait réussi à faire taire, pour un temps, les voix qui bourdonnaient dans sa tête depuis son échange d’hier.
L’échange qu'il avait eu avec Malika, ici, à la prison.
C’est lui qui l’avait appelé, à contre cœur. Il avait détesté la rencontrer dans ce contexte. Se présenter devant elle en tenue de prisonnier, derrière la vitre de la salle de visites, avait été un véritable supplice. Et ce n’avait été que la première étape… La deuxième, bien plus humiliante et délicate, avait été de lui expliquer sa situation et de lui demander son aide :
« J’ai pas réussi à joindre ma mère, lui avait-il rapporté. Les gardiens non plus... Son fixe, son téléphone, ça répond jamais. D’après la société de nettoyage où elle bossait, elle aurait quitté sans prévenir. Malika, ché pas quoi faire… ça me ronge. Ils disent qu’une enquête est en cours pour la r’trouver… Mais ché pas si j’peux les croire. S’ils vont vraiment essayer… Tu pourrais m’aider ? T’es mon seul espoir… »
Il avait dû lui expliquer pour son père et pour ses dettes. Pour son nouveau travail à Éthernal, aussi : pourquoi il avait commencé chez eux et comment ça s’était terminé. Le tout à vitesse ultra rapide, car le temps de visite était compté.
« C’que t’es bête, Morgan… Si tu m’avais parlé de cette histoire de dette, j’aurais pu t’aider. J’ai un peu d’argent de côté, j’aurais pu t’en donner… Pourquoi tu m’as rien dit ?
— J’voulais pas t’ennuyer avec mes problèmes… »
Le silence qui avait succédé à ces mots, l’expression affligée de son visage, autant de poignards acérés qui remuaient la douleur et la honte qu’il ressentait déjà.
« Je veux bien aller voir. Mais tu sais, Morgan, tu devrais faire confiance à la police. Ils ont dit qu’ils allaient enquêter, non ? Je ferai tout ce que je peux pour la retrouver, je te le promets, mais je doute d’arriver à faire mieux que les flics. En fait, je comprends pas pourquoi t’es pas allé les voir avant… »
Malika avait raison. Elle avait toujours raison, mais ne tenait pas toujours compte de tous les éléments et tolérait mal la faiblesse. Il savait bien qu’il aurait dû aller les voir, franchir les portes de ceux qui l’avaient choppé et enfermé quand il était ado. Il aurait dû leur accorder sa confiance alors qu’il les redoutait plus encore que ses créanciers. Se persuader qu’ils pouvaient protéger sa mère mieux que lui. Il aurait dû et il avait failli, mais n’avait pas réussi. Et maintenant, qui sait ce qu’il lui était arrivé ? Où était-elle ? Pourquoi ne répondait-elle pas ? Et si elle était… Non, il ne devait pas penser à ça.
« Et sinon, tu as parlé à un avocat ? »
Ses questions lui faisaient mal. Elle les enchaînait, les unes après les autres, impitoyable. Face à elle, il se sentait tellement petit… Tellement stupide. Il ne méritait pas son amitié. Il l’avait déçu, il avait échoué à suivre ses traces, il n’avait pas su cogner à sa porte quand il aurait dû. Et maintenant, il la mettait dans l’embarras avec ses histoires de dettes et de disparition.
« Oui. Vite fait… La prison m’en a fourni un.
— Et alors ?
— Il est plutôt positif. Éthernal a fermé, qu’il m’a dit. Anderson, le patron, a un procès au cul. Ça pourrait m’aider pour le mien, s’il était condamné. On pourrait dire que j’ai été manipulé… Abus de confiance ou de faiblesse, je sais plus. Ça pourrait réduire ma peine.
— Je vois… Morgan, t’as déconné, quand même.
— Je sais. J’suis désolé… »
Encore ce visage peiné. Il y avait autre chose dans son regard... De la colère ? De la frustration ? Peu importe. Il comprenait qu’elle lui en veuille ; il méritait tous les blâmes, même ceux qu’il s’adressait à lui-même.
Après ce pénible entretien, il n’avait jamais ressenti autant d’impatience à retrouver ses codétenus pour la séance de méditation du jour. Les mots de Malika l’avaient hanté toute la nuit et l’avaient poursuivi le reste de la journée. Maintenant qu’il avait retrouvé sa place au milieu du cercle de ses nouveaux amis, sa charge lui paraissait plus légère, même s’il savait que ça ne durerait pas. En attendant, il se concentrait sur sa mission et tâchait de ne pas décevoir ses fidèles, comme il avait déçu Malika.
« Essayez d’vous fondre dans cette nouvelle enveloppe, celle que vous v’nez d’imaginer. Quittez vot’corps, vos erreurs passées. Vos blessures. Vos mauvais souvenirs. Tout ! Ne gardez que l’image… Éloignez vos pensées parasites… Concentrez-vous. »
Se concentrer… Facile à dire avec tous ces éclats de voix. Qu’est-ce qui se passait, là-bas ? Une bagarre ?
Gary leva les yeux vers la source de l’agitation : à l’autre bout de la cour, les grilles venaient de s’ouvrir pour laisser entrer un nouveau – s’il ne distinguait pas son visage, la curiosité qu’il suscitait ne laissait aucun doute là-dessus. Certains s’approchaient, d’autres le toisaient de loin, tandis que les plus proches le noyaient de question.
Morgan, concentré… Les gars comptent sur toi.
Il ouvrit la bouche pour reprendre, mais l’attention de ses élèves s’était dissipée : à part les plus motivés, le reste scrutait les grilles d’un air méfiant. Inutile d’insister, mieux valait écourter la séance :
« Et après une dernière expiration, lente et profonde, on rouvre les yeux… C’est fini pour aujourd’hui. »
Microbe, le plus zélé de ses fidèles, lui lança un regard frustré. Gary haussa les épaules en indiquant le petit nouveau du menton. Enzo comprit et lâcha l’affaire. Bon petit.
C’était toujours un événement, quand quelqu’un arrivait ou partait. Distraction bienvenue, espoir d’y trouver un camarade ou un souffre-douleur, peur d’un potentiel rival, chacun voyait midi à sa porte. Alors ça jaugeait, ça frimait, ça jasait, ça fuyait, ça provoquait… Gary avait connu ça quelques semaines plus tôt. Et lors de sa première incarcération, c’était déjà le même cinéma. Pour sa part, il se contenta de l’observer de loin.
Jusqu’à ce que la sonnerie de fin de récréation retentisse et qu’il doive se ranger, avec les autres, devant les grilles.
C’est là qu’il aperçut son visage…
Le petit nouveau, c’était Joel.
Deux cellules plus loin, de l’autre côté du couloir. C’est là qu’il créchait, en compagnie du gars qui lui avait craché dessus le premier jour et d’un autre avec qui Gary n’avait encore jamais parlé. Joel se montrait si à l’aise dans ses nouveaux quartiers qu’il donnait l’impression d’y avoir vécu toute sa vie. C’était pourtant, à ce qu’il en savait, sa première incarcération. La raison ? Gary s’en foutait royalement et n’avait pas l’intention de demander.
Tout ce qui lui importait, c’était qu’il se tienne à distance et ne vienne pas le faire chier. Mais c’était mal connaître Joel de penser qu’il resterait dans son coin.
Dès le premier jour, tous les deux s’étaient mis à jouer à « je t’aime moi non plus » : lui tentait de se rapprocher, Gary le fuyait. Hors de question de le laisser fourrer son nez dans le mécanisme bien huilé de son nouveau quotidien. Son groupe de fidèles, ses séances de purification, les menus végé de la cantine, sa bonne entente avec les gardiens... Joel était capable de tout faire foirer sans même le faire exprès. Ce mec cassait tout ce qu’il touchait.
Et puis un jour, le troisième exactement, il débarqua avec son plateau à la table où Gary siégeait avec ses compagnons :
« Hey, cap’tain ! J’peux m’asseoir ?
— Non.
— Et pourquoi pas ? Si moi aussi, j’avais envie de… sauver mon âme ?
— J’ai dit non. »
Santino et Microbe, ses camardes de cellule, lui lancèrent un regard surpris. Les autres non plus ne semblaient pas apprécier son refus. Et ça y est, les problèmes commençaient ! Il devait rattraper le coup, d’une façon ou d’une autre. Soigner sa réputation.
« T’as pas b’soin d’moi pour ça, reprit Gary. Toi aussi, t’as eu droit aux stages, non ? Au moins un… Tu sais d'jà quoi faire, j’ai rien à t’apprendre. Et pour le reste, j’t’ai aidé, tu m’as aidé, on est quitte. Maintenant lâche-moi la grappe. »
Il vit Joel déglutir, ses traits se durcir. Ils se toisèrent un moment. La tension, à table, grimpa de plusieurs échelons jusqu’à ce son adversaire cède enfin :
« Toujours aussi amical, dit-il en se détournant.
— C’est pas très cool, quand même, intervint Santino. C’est ton pote, non ? Il veut juste apprendre, comme nous… J’croyais qu’on était tous égaux face à la mort ? »
Joel s’immobilisa, dans l’attente. Gary serra les dents. Il faillit briser sa fourchette en plastique tant il peinait à garder son sang-froid. Mais il aurait trop à perdre à s’énerver ici et maintenant. Alors, il se composa la meilleure poker-face dont il se sentait capable et l’invita d’un ton neutre :
« Santino a raison… Ça va, viens t’asseoir. »
Le sourire de Joel, à cet instant, lui donna envie de lui enfoncer son poing dans les dents.
Les heures, puis les jours qui suivirent furent un calvaire. La sangsue était de retour… Comme un bon petit croyant, Joel s’asseyait à leur table à tous les repas. Il assistait à toutes leurs séances avec zèle. Ne posait aucune question. Faisait copain-copain avec ses camarades de galère. Et l’appelait « Morgan », comme les autres, et non plus cap’tain. Il ne donnait aucune raison de s’en plaindre.
Le problème, avec Joel, c’est qu’il y avait toujours requin sous caillasse. Il n’agissait jamais sans raison et sa raison concernait rarement autre chose que lui-même. « Aide-toi et le ciel t’aidera ». Quant à ses petits airs d’angelot qui suit les consignes à la lettre, Gary n’y croyait pas un seul instant.
Alors il se rongea les sangs, prolongea la mascarade et joua son rôle de coach avec lui comme avec les autres, jusqu’à ce qu’il trouve enfin l’occasion de discuter seul à seul avec lui. Ce jour-là, Joel se trouvait dans la buanderie, en pleine corvée lessive. Gary maniait la serpillère lorsqu’il déboula dans la pièce. Personne d’autre à l’horizon. Sans lâcher son arme en plastique, le second se rapprocha du premier et le coinça contre un mur :
« À quoi tu joues, au juste ? »
Encore ce regard… Un vrai chien battu. Gary détestait l’image que lui renvoyaient les pupilles de Joel, agrandies par la peur ; dans ses yeux, il avait l’impression d’être un monstre.
« … à rien ? Je lave ton linge… et c’ui des autres. C’est pas beaucoup mieux que le ménage, tu sais. Mais on peut échanger, si tu…
— Tu sais très bien d’quoi j’parle. Et non, j’parle pas chiffons, là. Ni serpillère, d’ailleurs. Qu’est-ce tu fous ici, pour commencer ?
— … Je… lave le linge ?
— DANS LA PRISON, FILS DE CHIEN ! Arrête de jouer avec moi !
— Hey, cap’tain… Mais qu’est-ce qui te prend ? »
Ah, le cap'tain est d'retour... Sans doute pour m'amadouer.
Joel tenta de passer sous son bras pour se dégager. Gary le plaqua de nouveau contre le mur.
« Qu’est-ce que j’ai fait ?
— Rien, pour l’instant… Réponds juste à ma question.
— Je pensais que tu savais… Éthernal a fermé. On a arrêté les dirigeants… et moi.
— Toi ? Mais pourquoi ? T’as été viré y’a longtemps, non ? »
Joel haussa les épaules et détourna les yeux.
« Réponds !
— Non, je… J’ai jamais travaillé comme commercial. J’ai pas fait de stage, non plus.
— Ça m’étonne pas, tiens.
— J’étais… associé. Un genre d’associé dans l’ombre… tu vois ? Anderson, il est de Miami… Un vieux pote à moi. Tu sais, cap’tain, quand t’es parti, il a bien fallu qu’on se…
— C’est bon, range tes violons et continue.
— Ok ok, c’est bon… J’étais chargé d’aide au recrutement. Je… eh bien, je…
— Oh je crois que j'commence à comprendre… Tu jouais les chasseurs de tête, c’est ça ?
— Ou… Oui. Désolé. Mais cap’tain, attends ! Je pensais vraiment t’aider en t’proposant c’travail…
— Désolé… J’espère bien qu’t’es désolé ! aboya Gary en lui postillonnant dessus. »
Ça n’allait pas du tout. À crier comme ça, il allait finir par rameuter les gardiens… Difficile de se calmer, alors que ce rat les avait précipités dans l’abime, lui et sa mère.
Une question lui brûlait les lèvres. Mais cette fois, au lieu de hurler, il rapprocha son visage de celui de Joel pour lui cracher rageusement à l’oreille :
« Dis-moi… Est-ce que tu savais ? Tu savais qu’c’était du pipeau, ses histoires de stage, de coaching et de machine qui calculent les chances de réincarnation ? Tu savais déjà tout ça, quand t’es v’nu m’voir, pas vrai ?
— Écoute, je…
— Avoue !
— Oui, je le savais ! Voilà, t’es content ? Mais tu vois, cap’tain... J’te respectais assez pour penser que tu te laisserais pas avoir par ces conneries. Que t’aurais assez de bon sens pour juste te faire du fric et pas tomber dans l’panneau. Et j’me suis trompé ! »
Sous le choc, Gary resta sans voix. C’est vrai qu’il s’était fait avoir comme un bleu. Lui-même avait du mal à y croire.
« Mais pourquoi tu m’as rien dit ? T’aurais pu me prévenir, quand tu m’as filé leur foutu prospectus ! Pourquoi tu…
— Hey mais ça va ? Tu vas pas m’faire la leçon alors que tu vaux pas mieux ! Ton groupe de toutous là, ça te fait rien de leur raconter des cracs à longueur de journée ? Ça te fait rien de laisser tomber tes potes ? Tu sais, si j'en suis là, c'est parce que tu voulais plus m'aider... La pire ordure, le pire escroc, c’est toi, Morgan. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu t’en rends même pas compte ! Je te respectais, tu sais. Mais là, tu me fais juste pitié. T’es vraiment pourri jusqu’à la moelle. »
Joel ne l’avait pas touché, mais Gary tituba en arrière comme s’il avait reçu un coup. Joel en profita pour s’écarter vers la droite, hors de sa portée. Gary bondit dans sa direction et réussit à lui bloquer le passage.
« Qu’est-c’tu viens faire dans mon groupe alors ? Pourquoi tu m’colles aux basques depuis qu’t’es là ? Puisque j’te fais pitié…
— Parce que… Parce que ça me fait une couverture. J’ai… Je tiendrai pas longtemps sans ma came, tu sais… Mais entre potes, on s’entraide, non ? »
Sa dernière phrase s’acheva dans un couinement lorsque le poing de Gary se leva au-dessus de sa tête. Son autre main avait saisi le col de sa blouse pour l’attirer à lui.
« Entre potes ? Non mais, je rêve ! J’vais t’passer l’envie d’être mon pote, une bonne fois pour toutes ! »
Le coup parti en plein dans le nez. Un autre s’enfonça dans ses côtes avant qu’il n’ait pu reprendre son souffle ou riposter. Joel s’écroula au sol, sous les yeux de quelques détenus qui les observaient depuis l’entrée du couloir. Manque de chance, les spectateurs ne faisaient pas partie des fidèles de Gary.
Une semaine plus tard, Gary apprenait que sa peine risquait de se voir prolonger de 5 ans – alors qu’il ne connaissait pas encore la durée de celle-ci. La nouvelle le laissa indifférent. Dans la cellule d’isolement qu’il occupait depuis son coup de sang, il était redevenu cet homme à moitié fou, à moitié vide, qui entendait des voix et ne supportait plus la lumière.
Les voix qu’il entendait maintenant, ce n’étaient plus celle des gardiens, ni celle de Malika. C’était toujours la même : celle de Joel, qui répétait sans relâche les mêmes accusations :
« Tu vaux pas mieux », « le pire escroc, c’est toi, Morgan. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu t’en rends même pas compte », « tu m’fais juste pitié », « t’es vraiment pourri jusqu’à la moelle. »
Quand il avait appris qu’Anderson serait traîné au tribunal, il avait espéré que sa peine ne durerait que quelques mois. Qu’il pourrait sortir dans pas si longtemps, retrouver sa mère et tout recommencer. Cet espoir-là venait de finir au trou, lui-aussi. Dans un autre type de trou, dont on ne ressort jamais.
Et tout ça avait finalement assez peu d’importance. La vie, elle-même, lui semblait dénuée de sens. Il était pourri à l’intérieur, il s’en rendait compte, à présent. En fait, il le savait depuis longtemps. Il avait essayé de lutter, de changer, de s’élever, de briller, il avait tout déployé, tout donné pour montrer à sa mère qu’il n’était pas un vaurien. Qu’il n’était pas comme son père.
Et tout ça n’avait servi à rien.
On ne se change pas. Pas dans cette vie.
Si t’es né avec un travers, tu le garderas jusqu’à ta mort.
Les gens n’oublient jamais.
Pas la peine de perdre son temps. Une limace reste une limace. Un fils, le portrait de son père.
On ne se change pas. Pas dans cette vie.
Mais dans la prochaine ? Qui sait.
Pardon, mamá…
Le lendemain, à 5h30, lorsqu’on apporta à Gary son plateau repas, personne ne vint le récupérer. Wayne, le gardien, l’appela plusieurs fois, mais son prisonnier ne répondait pas.
Alors Wayne entra dans la cellule et le trouva au sol, un drap noué autour du cou, l’autre extrémité pendue à un barreau de son lit retourné à la verticale. Sans vie.
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