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tome 1, Chapitre 39 tome 1, Chapitre 39

Tampa, jeudi 15 juillet 2032

« Allo… Maman ? »

À présent bien réveillé, Gary se tenait assis en équerre, dos contre le mur, les jambes encore glissées sous la couette. Plaqué contre sa joue, son téléphone. L’angoisse, telle une vague d'acide déferlant dans son organisme, avait chassé l’apathie et repoussé la nausée pour un temps. Sa tête, en revanche, lui donnait toujours l’impression d’être serrée dans un étau.

« Gary ! Merci d’avoir rappelé. J’ai tellement peur qu’ils reviennent… Je ne sais pas quoi faire. J’hésitais à prendre le train pour venir, mais peut-être qu’ils me surveillent… Alors je n’ose plus sortir. J’ai fermé tous les stores. Je…

— At… Attends. Explique-moi. C’est qui, ils ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Des hommes… Un groupe d’hommes. Ils connaissaient ton père ! Ils savaient qui j’étais. Ils disaient… venir pour récupérer l’argent. Qu’on ne payait pas assez vite. Qu’il leur fallait, tout de suite, une partie de la somme qu’on leur devait. Que si j’appelais la police… »

La voix de sa mère flancha avant qu’elle ne finisse sa phrase.

« … combien ?

— 6 000 dollars. Et 4 000 le mois prochain. »

Gary pressa ses paupières l’une contre l’autre en étouffant un juron. Cet argent, il ne l’avait pas. Et d’ailleurs, il ne l’avait jamais eu. La somme la plus importante qu’il ait possédé s’élevait à 4 000 dollars, quand il économisait pour payer ce fameux voyage à sa mère. En plus…

« Je leur ai donné tout ce que j’avais, poursuivit-elle sans l’attendre. J’ai pu rassembler 800 dollars, mais ils voulaient plus. Ils m’ont accusé de mentir. Ils m’ont menacée… »

… En plus, il venait de s’engager auprès d’Éthernal, pour une série de stages dont le coût serait retenu sur ses prochains salaires. Ce qui voulait dire qu’il possédait encore moins de marge que d’habitude. Quel irresponsable… Quel fils ingrat ! Lui qui cherchait à purifier son âme… Au final, il ne valait pas mieux que son père.

« Ils m’ont frappé.

— Ils t’ont… ? Oh, les enflures ! »

Gary crispa ses doigts autour de sa couette. Sa nausée et tout le reste n’avaient plus aucune espèce d’importance. Il n’avait plus qu’une envie : retrouver ces connards et leur régler leur compte lui-même. Mais il était seul – son gang n’existait plus – et il gâcherait tous ses efforts en essayant. Fini, le gars honnête. Finis, ses rêves de vie rangée. Retour en enfer.

Quelles solutions lui restait-il, à part tenter de rassembler cet argent ? Et comment s’y prendre ? Il entrevoyait mille façons d’y parvenir, mais rien qui ne soit vraiment réglo.

« Gary, tu es toujours là ?

— Oui… Je réfléchis. Ça va, toi ? »

Question stupide.

« Tu… Besoin que je vienne t’aider ? Que je t’emmène à l’hôpital ? Ou…

— Ça va aller… J’ai surtout peur qu’ils reviennent. Oh Gary… Qu’est-ce qu’on va faire ? Tu penses que je devrais quitter la ville ?

— Non. J’pense pas. J’vais essayer d’trouver un moyen… Et oui, promis, pas de bêtise ! Quand j’aurai trouvé, j’viendrai te rejoindre à Miami. J’veux pas t'laisser gérer ça toute seule. Mon taff, ils comprendront. J’espère.

— D’accord… Tiens-moi au courant.

— Bien sûr.

— Gary ?

— Oui ?

— Merci…

— C’est normal. Essaie de te reposer. J’m’occupe de ça. »

Et le voilà avec un problème de plus sur les bras. Et de taille, celui-ci ! À croire que la vie ne lui foutrait jamais la paix. Quelqu’un, sur cette terre ou au-delà, devait lui en vouloir à mort pour lui jeter autant d’épreuves dans les pattes. Et si c’était un test ? Si ça faisait partie du jeu ?

Adam l’avait bien dit : plus on part d’en bas, plus les barreaux se révèlent traitres et glissants. Dans son cas, seule une discipline de fer lui permettrait de grimper sur l’échelle de la réincarnation.

Allez, Morgan, debout… Ton jour de congé, tu peux l’oublier.

✲°˖✧*✧˖°✲

« 6 000 dollars tout de suite… 4 000 le mois prochain. »

Ces mots tournaient encore et encore dans son esprit, façon linge sale dans une machine à laver d’occaz’. Tout y était, depuis le martellement du tambour contre ses tempes fatiguées, jusqu’au goût d’eau usée au fond de sa gorge nauséeuse. Et tout ce bleu et ce blanc commençait à lui filer le vertige. Ces couleurs, omniprésentes dans les locaux d’Éthernal, lui donnaient l’impression de voguer en plein ciel, sans aile ni filet de sécurité.

À sa gauche, il surprit le regard agacé d’un client. Pas sur son visage, mais sur son genou. Gary comprit qu’il faisait trembler la banquette. Il plaqua son talon au sol, cessa de s’agiter et soupira. Il ne parvint à conserver l’immobilisme que quelques secondes. Lorsqu’il s’en rendit compte, il plongea sa main dans la poche et reporta son stress sur son caillou poli, sa turquoise, pierre de la sagesse et de la sérénité.

Après une éternité à patienter, la silhouette d’Adam apparut à l’orée du couloir. Adam ! Lui, il comprendrait. Il le connaissait et pourrait l’aider. Il était là pour ça. Gary se redressa, guettant un signe de sa part. Lorsque le client qui l’accompagnait eut rejoint l’accueil pour payer son dû, son coach l’invita à rejoindre son bureau.

« Bonjour Morgan ! Stella m’a prévenu. Désolé de ne pas avoir pu te recevoir plus tôt… »

Porte fermée. Fauteuil en cuir. Petite fumée blanche. Légère musique d’ambiance dont Gary se serait bien passé. Lorsqu’ils furent assis tous les deux, Adam prit la parole en premier :

« Alors, qu’est-ce qui t’arrive ?

— Je vais y aller franco… J’ai des problèmes d’argent.

— Ah.

— Des gros problèmes… J’suis pas responsable, ça m’est tombé dessus c'matin. Adam, j’aurais b'soin d’une avance. »

La réaction du coach le rendit encore plus nerveux : il s’était renversé dans son dossier, la mine sombre, le regard vague, puis il avait saisi l’un de ses fameux stylos – ceux qu’il fallait vendre pour de faux lors des entretiens – et le passait d’une main à l’autre d’un air absent.

Le pessimisme de Gary atteignit des sommets lorsqu’il l’entendit soupirer.

« Ça veut dire non… ?

— Ça veut dire… que ce n’est pas à moi de décider. Je suis coach, pas directeur. Je peux négocier quand il s’agit des stages, mais une avance sur salaire, ce n’est pas de mon ressort. Je pourrais transmettre ta demande, mais tu sais, Éthernal est encore jeune… et ne dispose pas de ressources infinies. »

Gary sentit son cœur sombrer au fond de son thorax. Ses épaules s’affaissèrent. Ses yeux se perdirent sur ses chaussures.

« Après, c’est vrai que tu fais partie de nos meilleurs éléments. Six semaines de suite en tant que meilleur employé, c’est un record ! Dis-moi… il te faudrait combien ?

— 6 000 dollars…

— 6 000… ? Et il te les faut pour quand ?

— Pour… j’en sais rien. Le plus vite possible.

— Wow… C’est beaucoup, tu sais ?

— Je sais… pardon. »

Silence. Malaise.

« Non, Morgan. Désolé, je ne peux rien faire pour toi… Il faudrait en parler avec la direction. »

Morgan déglutit avec difficulté. « La direction »… Ce mot sonnait comme un mur, du genre de ceux qu’on se prend dans la gueule.

Mais à part Éthernal, vers qui d’autre se tourner ? Malika ? Hors de question… Jamais il n’irait l’ennuyer avec des histoires de fric – plutôt retourner en taule. Alors, Joel ? Il ne l’avait plus croisé depuis des mois, et n’avait d’ailleurs jamais vu son nom sur le tableau des employés de la semaine. Avec sa tête de junky, il avait dû être viré fissa. Il pourrait demander son numéro à l’accueil, mais à quoi bon ? D’une part, il était toujours fauché, et d’autre, le contacter serait la meilleure façon de retomber dans les embrouilles. Et sinon… la police ? Jamais ils ne l’écouteraient ! Lui, l’ex-taulard… Sans compter qu’il n’avait aucune envie de remettre les pieds dans un commissariat. Qu’est-ce qu’il restait… les banques ?

« Gary ?

— Oui, désolé… Tu pourrais au moins annuler mes prochains stages ? J’aurai pas les moyens…

— Tu veux annuler, vraiment ? Et ton suivi ? Morgan, tu étais si bien parti !

— Je pourrais continuer seul… »

Le regard chagriné d’Adam lui fit l’effet d’un coup de poing dans l’abdomen. Il l’avait déçu… Lui, son coach personnel qui l’aidait à ne plus être un raté !

« Écoute… Je vais t’arranger un rendez-vous avec monsieur Anderson, le directeur. D’accord ? Je vais même plaider ton cas devant lui. Par contre, il faudra te montrer patient. C’est quelqu’un de très occupé, qui n’est pas souvent là. Mais je t’en prie, n’annule pas tes stages. Ce serait vraiment trop dommage ! On s’arrangera, tu verras. »

Dix minutes plus tard, Gary se retrouva dehors, pas plus avancé et au bord de la panique. Il était 9:45 et une longue journée de travail l’attendait. Son cerveau avait beau tourner au ralenti, le temps, lui, continuait d’avancer.

✲°˖✧*✧˖°✲

Le lendemain, aucune nouvelle de M. Anderson. Adam disait l’avoir contacté mais ne rien pouvoir faire de plus. Attendre, attendre, attendre ! S’il attendait trop, c’était sa mère qui allait prendre. Il devait trouver autre chose... Essayer, au moins.

Il commença par se rendre à la banque dès l’heure d’ouverture. Il demanda rendez-vous avec un conseiller, qui lui fit rapidement comprendre qu’il perdait son temps. Un prêt, dans sa situation ? Impensable. Suicidaire. Trop risqué. Blablabla. Au moins, on ne l’avait pas retenu longtemps. Sans surprise, Gary ressortit bredouille.

Et maintenant ?

Maintenant, il devait mettre sa mère à l’abri, car les agresseurs de la veille pouvaient revenir n’importe quand.

« Allo m’man ? »

Il avait attendu le soir pour l’appeler – comme elle travaillait de nuit, elle rattrapait son sommeil en journée.

« J’veux pas qu’tu restes à la maison… Tu pourrais venir chez moi ? J’ai pas beaucoup d’place, mais on va s’débrouiller… Ton travail ? Tu peux pas prendre de vacances ? … Tu ne pourrais pas en trouver un autre ? … Bon, j’ai compris. Je vais trouver de quoi t’payer l’hôtel… Oui, t’inquiète, ça va l’faire. Fais-moi confiance ! J’te rappelle. »

Sa mère voulait absolument garder son travail. Voilà qui allait lui compliquer la tâche et l’obliger à racler les fonds de tiroirs. Il y perdrait sans doute quelques amis... Quant à sa fierté, il pouvait tirer un trait dessus.

En attendant, il était là, assis à son petit bureau, la tête enfouie dans ses mains. La fatigue l'accablait au point qu’il peinait à reprendre son souffle. Ses paupières étaient si lourdes… Ses muscles pesaient une tonne. Mais avant de s’effondrer sur son matelas, il prit le temps de dresser une liste de tous ses contacts à Tampa. Demain serait encore une longue journée…

Les jours qui suivirent, Gary rencontra, un à un, toutes les personnes de sa liste. Il put ainsi récolter 200 dollars de son ex-patronne du Coco Loco et 300 de la part d’une poignée d’amis. 500 dollars au total, de quoi payer quelques nuits d’hôtel. Et pour le reste, il ne pouvait plus compter que sur un geste de la direction d’Éthernal…

Trois jours s’écoulèrent. Puis quatre, puis cinq. Puis une semaine entière. Une semaine à se tuer au travail pour grapiller quelques dollars de plus. À écrémer sa liste de personnes à laquelle il rajoutait parfois quelques noms – à l’exception de celui Malika. Chaque matin, il relançait Adam pour savoir s’il avait des nouvelles. Et chaque soir, il appelait sa mère pour se rassurer.

Combien de temps faudrait-il à leurs débiteurs pour retrouver leurs traces ?

Qu’attendait le grand patron pour le recevoir ?

Après huit jours, il n’avait toujours pas de réponse à la première question – et c’était tant mieux. Quant à la deuxième, c’est chez son coiffeur qu’il découvrit le pot aux roses. Puisque le nom du proprio du salon s’était récemment ajouté à sa liste, il s’y était rendu ce soir, après le travail, pour voir s’il pouvait l’aider.

« Hey Morgan ! Installe-toi. Je finis avec mon client et j’arrive ».

Mal à l’aise, Gary se coula dans l'un fauteuil de l'espace d'attente. Ce qu’il pouvait détester ça, quémander de l’argent ! Dire qu’il pensait ne plus jamais avoir besoin de s'y adonner. Sa vie marchait bien, il avait enfin réussi à reprendre le contrôle… jusqu’à ce que son père ait la mauvaise idée de passer l’arme à gauche.

Il était si nerveux que l’odeur de spray capillaire ne l’apaisait même plus. Devant lui, toujours le même poste de radio miniature réglé sur une station cubaine. Toujours ces mêmes magazines au papier lustré, dont les titres flashy rivalisaient de bêtises.

…dont les titres flashy… rivalisaient de bêtises.

Pourquoi parlait-on d’Éthernal dans celui-ci ?

✲°˖✧*✧˖°✲

Au matin du neuvième jour, Gary était de retour à l’accueil d’Éthernal.

« Bonjour, dit-il à l’ange en costume bleu qui s’occupait de la réception, vous pourriez m’indiquer où se trouve le bureau de M. Anderson ? »

Elle haussa les sourcils puis cligna des yeux plusieurs fois, sans même ouvrir la bouche.

« S’il vous plait, ajouta-t-il avec un sourire trop mielleux pour tromper qui que ce soit.

— Mais… Vous avez rendez-vous ?

— Non.

— Dans ce cas, je crains que…

— Vous pigez pas, je crois. Soit vous me l’indiquez, soit je l’trouverai tout seul.

— Ah… Je… Attendez. Je vais le prévenir.

— Ce s’ra pas nécessaire. »

Il se pencha par-dessus le bureau et plaqua sa main sur le combiné.

« Dites-moi juste où il est. Je sais qu’il est là, sinon vous auriez pas proposé d’l’appeler. »

La réceptionniste recula, au supplice. Elle murmura un nom de salle qu’il n’entendit pas.

« Plus fort, j’ai rien compris.

— 2e étage, porte au fond à droite.

— Merci. »

Arrivé au 2e étage, au fond, porte à droite, Gary frappa trois coups et entra sans attendre.

M. Anderson était un homme opulent, au niveau du ventre comme de l’habillement. Pas de costume de schtroumpf pour le grand chef, mais un complet d’une élégance rare, noir à fines rayures. Un visage à trois mentons, rasé de près, débordait du col de sa chemise, et à son oreille, un téléphone. La réceptionniste avait dû l’appeler à la seconde où il avait disparu. La garce…

Quant au bureau lui-même, il présentait un faste qu’on ne retrouvait nulle part dans le reste du bâtiment. À sa gauche, une étagère bien garnie occupait un pan de mur. Quelques titres lui sautèrent aux yeux : « Le Grand Livre du Karma », « Comprendre ses vies antérieures », « Réincarnation : votre destin vous appartient ».

« Merci, Betty. »

Le directeur raccrocha. Gary s’avança et ferma la porte.

« Monsieur Gary Morgan… C’est bien ça ? »

— Exact.

— Que me vaut cette visite ? »

La question le laissa perplexe. Il perdit contenance l’espace de quelques secondes.

« Adam ne vous a rien dit ? » faillit-il demander. Mais au fond, il connaissait déjà la réponse.

C’que tu peux être naïf, Morgan. Tu croyais quoi ?

« Asseyez-vous, l’invita Anderson, ce doit être important, n’est-ce pas ? Pour débarquer ici sans rendez-vous… »

Gary refusa de s’assoir. Il s’avança vers lui en fouillant dans sa besace.

« C’est votre coach, qui vous pose problème ? M. Smith, si je ne m’abuse ?

— C’est ça, mon problème. »

Il jeta sur le bureau le magazine de chez le coiffeur, ouvert à la bonne page. Puis il pointa du doigt la zone qu’il avait surligné et la lui récita – car il la connaissait maintenant par cœur :

« Sous couvert de société d’assurance, la compagnie Éthernal, basée à Tampa, pourrait bien faire partie de ces compagnies mensongères qui prétendent se baser sur les études relatives à la réincarnation, mais ne vendent en réalité que du vent. L’Agence Rhapsody Blue a confirmé, la semaine dernière, qu’elle n’avait aucun lien avec elle. Qu’il était impossible à des particuliers de retrouver la forme réincarnée d’un individu. Et qu’il n’existait, à ce jour, aucune méthode avérée pour calculer ou influencer ses probabilités à « bien renaître ». L’enquête de la police se poursuit, mais tout porte à croire que la compagnie devra fermer ses portes prochainement. »

Après sa lecture, Gary épia la réaction d’Anderson. Son air détaché, limite blasé, lui fit grincer des dents.

« Vous vous êtes fichus de nous.

— Monsieur Morgan… Ne vous emportez pas comme ça. Laissez-moi vous expliquer une chose. »

À nouveau, le chef lui indiqua la chaise en face de lui. Gary hésita, puis déclina une nouvelle fois l’invitation. S’il s’asseyait, il aurait perdu. Anderson haussa les épaules.

« Sachez, monsieur Morgan, que la réincarnation ne date pas d’hier et que Rhapsody Blue n’a rien inventé. Le Karma, on en parle depuis des siècles dans différentes religions et civilisations. La police ou les journalistes peuvent nous traiter de menteurs… Ils ne pourront jamais rien prouver. Pas sans remettre en question la spiritualité d’une partie de leur population, ainsi que la liberté de culte. »

Cet homme était en train de lui retourner la tête. Ses mots possédaient une logique, un raisonnement qu’il était difficile de rejeter. Il avait presque envie de le croire. De s’asseoir sur son foutu siège et de se laisser persuader que tout irait bien. Hélas pour Anderson, Gary avait dans son jeu un atout que le patron ignorait : il avait parlé, en personne, à Momoyama et sa collègue Angélica, les membres de la célèbre équipe de recherche.

« Pour l'instant, on observe, on constate, mais on ne comprend pas exactement comment ça fonctionne », lui avait dit son client japonais.

C’est lui qui était dans le vrai. Il l’avait toujours su.

Comment avait-il pu se laisser embobiner ? C’était la faute d’Adam… Celle de Joel, aussi. Ils avaient joué avec ses peurs et le voilà dans une sacrée merde. Le pire, c’est qu’il y avait mis les pieds tout seul, comme un grand ! Il avait toujours eu le choix. Et cette fois, il prendrait le bon. Il ne décevrait plus personne, lui compris.

« Je m’en vais. J’ai pas l’intention d’attendre que tout s’écroule pour me barrer. J’en ai ma claque de vos arnaques. Je veux mon argent, celui que j’ai payé pour ces stages à la con ! Et j'le veux tout de suite. Je sais qu'vous en avez les moyens. »

Son regard se promena à travers la pièce, en s’arrêtant sur certains meubles de prix ou éléments de déco d’apparence coûteuse.

« J'veux un salaire d’avance, aussi ! Basé sur celui du mois dernier. Sinon, j’irai raconter aux flics vos méthodes tordues et comment vous embrouillez vos employés. J’irai aussi montrer ce magazine à tous les gens d’Éthernal, qu’ils apprennent la vérité. »

Un silence lui répondit. Les deux hommes se fixaient du regard, jouant à celui qui cèderait le dernier. Les lèvres d’Anderson s’étirèrent lentement.

« Vous êtes libres de nous quitter. Mais vous n’aurez pas un rond de plus. Vos menaces ne m’atteignent pas. Vous n’êtes rien, Morgan. Un simple ex-détenu dont la parole n’a aucune valeur. Vous êtes remplaçable en un clin d’œil, comme ces stylos jetables qu’affectionne monsieur Smith. Maintenant, sortez de mon bureau. »

Gary plissa les yeux. Le sang lui monta au visage et ses muscles, sous la tension, se mirent à trembler. La haine. Le dégoût. Le mépris. Autant de poisons qui naissaient dans son esprit pour se rependre dans ses veines.

« RENDEZ.MOI.MON.ARGENT ! »

Ce rugissement s’échappa de sa gorge à son insu. Il s’était penché sur le bureau, les deux mains à plat sur le bois lustré, pour se placer en position dominante.

Anderson recula sur sa chaise. Un éclat de peur traversa ses prunelles avant de s’évanouir, comme s’il n’avait jamais existé. Puis il se projeta en avant pour saisir le combiné. Gary réagit aussitôt, mais l’homme avait déjà appuyé sur un bouton et hurlé :

« MAINTENANT »

Gary serrait l’avant-bras d’Anderson pour le pousser à lâcher prise. Le combiné retomba, il raccrocha aussitôt.

Trop tard… Trop lent !

La situation lui filait entre les doigts. Il ne contrôlait plus rien, il avait tout perdu. Plus qu’à s’incliner, à quitter le ring, accepter la défaite. Rentrer à Miami et prendre les coups à la place de sa mère. Se faire descendre sous son ancien toit. Et puis tout recommencer, en limace ou en scarabée, car c’est tout ce qu’il valait. Tout ce qu’il méritait ! Un ex-taulard, un marchand de vent, un escroc en cravate.

Un stylo jetable.

Lorsque la porte s’ouvrit, Gary avait saisi le col immaculé d’Anderson dans sa main droite, et son poing gauche venait de s’écraser contre le nez de son propriétaire. Il avait enchaîné en plaquant la tête du directeur contre le bureau, avant d’entendre les voix, dans son dos :

« Lâchez-le ! Tout de suite ! »

Gary cracha sur la chevelure dégarnie d’Anderson, puis obéit. Il leva les deux bras, puis se retourna vers les agents de police. Ou ce qu’il pensait être la police, car ses larmes brouillaient sa vision.


Texte publié par Natsu, 28 juillet 2021 à 00h58
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