Tampa, vendredi 16 juillet 2032
« Évidemment, je comprends votre point de vue, Martin… Mais n’oubliez pas que les animaux ont aussi une âme.
— Ce sont des rats ! Deux rats, pour être exact. Allez, peut-être quatre en cas d’échec. Mais des rats, il en meurt tous les jours dans les labos du monde entier !
— Les rats aussi ont une âme, ne vous en déplaise… et l’opinion le sait. Et vous savez pourquoi elle le sait ? Parce que NOUS leur avons prouvé. Si notre objectif, aujourd’hui, est de protéger la réputation de Rhapsody Blue, alors je me demande s’il serait sage de procéder à cette exp… »
Angélica étouffa un bâillement du dos de sa main. Déjà deux heures… Cette réunion n’en finissait pas. Le sujet l’ennuyait à mourir et Samuel le théologien lui tapait sur les nerfs.
Charlotte était partie. C’est elle qui la rappelait à l’ordre quand elle commençait à s’assoupir. Varun avait démissionné, lui aussi. La semaine dernière. Il avait même quitté le pays pour « prendre de longues vacances » sans préciser où il irait. Finies leurs parties de Puissance 4 griffonnées sur un bout de feuille quadrillée, qu’ils se faisaient passer sous la table pour tuer le temps pendant ce genre de débats interminables. Ses taquineries lui manquaient, aussi. La rigidité de Charlotte, un peu moins, même si sa petite tête aux boucles brunes dépassait elle aussi de son sac à main, à côté de celles de Varun, Keitaro et même celle d'Emilio. Sa petite collection de peluches l’accompagnait tous les jours au bureau. Leur présence silencieuse ne remplaçait pas son équipe, mais il arrivait à Angélica de leur parler dans son for intérieur. Par nostalgie. Et pour remplir le vide qu’ils avaient laissé en partant.
Elle n’appréciait pas ses nouveaux collègues. Elle les trouvait froids. Trop nombreux. Trop détachés. Trop théoriques. En fait, elle leur attribuait tous les défauts du monde. Et pour cause, ils avaient investi leurs bureaux. Ils étaient assis à leurs chaises. Ils avaient pris leur place. Toute la place. Et sa voix, à elle, n’avait plus aucune importance. Elle ne faisait pas partie de « ceux qui pensent ». Elle poursuivait uniquement son travail de psychologue avec le peu d’enfants qu’ils recevaient encore au siège, amenés par des parents curieux ou coopératifs – et presque toujours américains. Rien à voir avec les files d’attente qu’ils avaient connues quelques mois plus tôt.
Avec la fermeture de la plateforme de volontaires, elle avait aussi perdu toute possibilité de retrouver la trace de Gabriel. Plus aucun moyen de vérifier par elle-même si le code d’un enfant récemment enregistré correspondait à celui de son ex-mari.
Si elle était encore là, c’est parce qu’elle attendait le retour de Keitaro. Lorsqu’il reviendrait, elle retrouverait alors un peu de la fraîcheur d’autrefois, un peu de l’enthousiasme des premiers jours et la compagnie de quelqu’un qui avait connu, avec elle et les autres, le frisson de la découverte. Un complice, au milieu de tous ces nouveaux employés protocolaires.
Et puis surtout, elle regagnerait voix au chapitre. Keitaro représentait son seul et dernier espoir d’influencer la direction de Rhapsody Blue, de les convaincre de rétablir un système qui l’aiderait à parvenir à ses fins. Elle savait qu’avec ses soucis familiaux, l’ingénieur devrait repartir au Japon à un moment… mais peut-être pas tout de suite ? Peut-être qu’il reviendrait ensuite ? Tant que subsisteraient l'une ou l'autre de ces possibilités, elle refusait de lâcher le morceau.
La bonne nouvelle, c’est qu’il rentrait demain, Keitaro. Elle avait tellement hâte ! Pour fêter son retour, elle lui avait proposé de se rendre au glacier du coin, avec ses filles et sa mère. Il devrait se déplacer en béquilles pour quelques temps encore, mais il lui avait assuré qu’il en était capable.
Elle l’aimait bien, Keitaro. De plus en plus au fil des mois. Elle ne s’en rendait vraiment compte que depuis son absence prolongée : il lui manquait beaucoup. Elle appréciait sa droiture et sa maladresse. Et elle se souviendrait toute sa vie qu’il avait failli mourir, par sa faute.
Non, ça, elle ne pourrait jamais l’oublier.
« Pin-poooon » fit la sonnette du 2e étage, appartement 205.
Depuis les bras de sa mère, Catalina venait d’écraser le petit bouton luminescent adjacent à la porte de son voisin d’en-dessous. Angélica la reposa au sol et elles patientèrent un instant, toutes les quatre – Salomé et Sofía étaient aussi descendues.
« On re-sonne, dis, mamá ?
— Attends un peu, cariño… Tu sais qu’il a du mal à marcher.
— D’accord, alors.
— Tu n’as pas oublié ton dessin, Caty ?
— Non, mamie. Je l’ai plié pour le mettre dans ma poche. »
Angélica glissa un œil vers son aînée, qui fixait la moquette d’un air renfrogné. Elle hésita à lui demander si tout allait bien, mais craignait de se faire mordre – au sens figuré. Ces dernières semaines, Salomé se montrait encore plus à cran que d’habitude. Elle lui répondait de façon agressive, semblait la bouder en permanence. Qu’est-ce qui avait changé ? L’adolescence qui fleurissait ?
Angélica leva un regard désemparé vers Sofía, qui comprit.
« Tu n’aimes plus les glaces, Salomé ? Ça ne te fait plus envie ?
— Si…
— Ah bon ? Tu n’as pas l’air contente.
— Ça va.
— Bon… Si tu le dis. »
Sofía se retourna vers elle, ses lèvres tordues en signe d’incompréhension. Angélica inclina la tête pour la remercier : elle avait fait son possible...
La porte s’ouvrit enfin, laissant entrevoir un Keitaro amaigri, pâle, mais souriant.
« Holaaa ! Bon retouuur ! » s’enthousiasma Angélica.
Pas besoin de faire semblant ou de forcer le trait, elle était réellement enchantée de le revoir. Il était devenu son rayon d’espoir dans le brouillard qui, depuis peu, recouvrait sa vie. Les « bonjour-comment-ça-va » bondirent ici et là, puis l’on se mit en route. Le sourire d’Angélica n’avait d’égal que celui de Catalina, qui se comportait avec Keitaro comme un tube de super glue. S’il n’avait eu ses béquilles, elle lui aurait pris et tenu la main.
« Does it huuuurt ?[1] lui demanda-t-elle de son anglais balbutiant.
— Beaucoup moins qu’avant. »
Son ton de voix et son attitude se voulaient rassurants. Mais en le voyant claudiquer dans le couloir, Angélica se pinça les lèvres. La culpabilité lui étreignait la poitrine ; oui, c’était à cause d’elle s’il était dans cet état. Elle aurait volontiers pris sa place. Keitaro n’avait pas à payer pour ses bêtises. Ni lui, ni personne d’autre.
L’ascenseur les relâcha au rez-de-chaussée. Elles laissèrent Keitaro sortir le premier en retenant les portes, puis se calèrent sur son rythme de marche. Catalina continuait à l’assommer de questions. Angélica l’aidait à traduire, Sofía commentait les réponses et Salomé avançait en silence.
Le beau soleil de ce dimanche après-midi se reflétait sur les tables en acier de la terrasse de « Chez Ruby ». Formes arrondies, couleurs pastel et tabliers en dentelle, tout ici rappelait l’enfance et les volutes de crème qu’on y servait dans de jolies coupelles. Angélica aida Keitaro à s’asseoir, puis ils examinèrent la carte et commandèrent.
Leurs cinq desserts arrivèrent sans tarder, sous leurs yeux gourmands.
« Mmmmh ! s’exclama Catalina en goutant sa glace.
— J’ai l’impression de revivre, avoua Keitaro en replongeant sa cuillère dans la sienne. »
C’était vrai. Angélica ne l’avait pas vu sourire ainsi depuis longtemps. Il avait quand même l’air épuisé, mais à cet instant il semblait heureux.
« C’est bon, n’est-ce pas ? renchérit Sofía.
— Vous venez ici souvent ?
— De temps en temps, répondit Angélica, l’air de rien.
— À peu près tous les dimanches, précisa sa mère en riant.
— Voilà, à peu près.
— Je vois. »
Il se mit à rire. Angélica était aux anges. Elle vit son regard se tourner vers Salomé et le suivit ; sa grande dégustait son unique boule, lentement et sans un mot. Elle aplatissait d’abord la surface du dos de sa cuillère, avant de porter cette micro portion à sa bouche. Keitaro l’observait, curieux.
« C’est pour la faire fondre », expliqua sa sœur.
Salomé confirma de la tête, sans manifester la moindre émotion. Keitaro indiqua qu’il comprenait, sans oser commenter.
« Et si tu offrais ton dessin ? » proposa Sofía à la cadette.
Angélica admirait sa mère pour sa capacité à changer de sujet au bon moment. Catalina fouillait maintenant dans sa poche pour en sortir son « cadeau secret ». Elle l’avait confectionné dans sa chambre et ne l’avait montré à personne.
« Et voilààà ! Bon retour à la maison. »
Elle tendit le papier à Keitaro qui la remercia. Curieuse, Angélica jeta un œil dessus. Elle y reconnut les bonhommes classiques – aux bras et jambes en forme de bâtons – de Catalina. Il y en avait seulement trois : deux adultes et un enfant qui se donnaient la main.
« C’est toi, là ? demanda Keitaro en montrant la silhouette du milieu.
— Oui ! Et là, c’est toi. »
Elle indiqua la silhouette de droite. Difficile de se tromper tant les lunettes occupaient de place sur le dessin. Chaque verre était quasiment aussi grand que le visage derrière.
« Et l’autre personne à qui tu donnes la main… c’est ta maman ? »
Angélica sentit ses joues chauffer. Elle les cacha en plaquant ses paumes dessus. Les enfants… Ils avaient le don de vous embarrasser. Keitaro aussi, d’ailleurs, commençait à prendre une jolie teinte framboise.
« Mais non... Maman, elle a les cheveux longs. Ça, c’est mon papa ! Gabriel… »
À cet instant, Salomé surprit tout le monde en poussant sa sœur à l’épaule.
« C’que t’es bête ! lui hurla-t-elle à plein poumons. T’es vraiment trop bête ! »
La chaise en fer forgé racla les dalles de la terrasse. Salomé se leva, se pencha pour arracher le dessin des mains de Keitaro et s’enfuit en courant. Sofía, qui était assise à côté d’elle, essaya de la rattraper par le bras, mais elle réussit à se dégager. Catastrophée, Angélica se redressa, attrapa son sac à la volée et se faufila derrière la chaise de son collègue.
« Je m’en occupe. »
Elle s’élança en appelant sa fille qui avait déjà une bonne avance. Un peu plus loin, elle la vit se retourner, puis traverser la rue in extremis. Le feu venait de passer au rouge et une file de voitures appuyait déjà sur l’accélérateur. Trop tard… Angélica se retrouva à pester sur le trottoir. Lorsqu’elle put enfin traverser, Salomé avait disparu – avec tous ces bus et ces camions, elle l’avait perdue de vue. Malade d’angoisse, elle se remit à courir. Elle soupçonnait sa fille d’être revenue à la résidence et s'y rendit sans attendre. Le portail franchi, elle s’arrêta le temps de promener son regard sur la cour et les jardins.
« Salomé ! Salomé, réponds ! »
Pas de réponse. Pourvu que son intuition soit la bonne et qu’elle se cache vraiment là, quelque part… S’il lui arrivait quelque chose, elle ne pourrait jamais se le pardonner. Elle avait déjà perdu un mari. Elle avait failli perdre un ami. Elle refusait de perdre une fille.
« Salomé ! Promis, si tu reviens, je ne me fâcherai pas… Je veux juste discuter ! Salomé, où es-tu ? »
Elle se mit à chercher sans cesser de l’appeler. D’autres enfants jouaient près des balançoires. Elle leur demanda s’ils avaient vu sa fille, ils répondirent que non. La panique commençait à lui faire tourner la tête. Et tous ces gens qui la regardaient bizarrement… Pourquoi ne l’aidaient-ils pas ? Elle les ignora et poursuivit ses recherches, vérifiant chaque arbre, chaque buisson, chaque poubelle. Elle fit le tour de chaque bâtiment. Son cœur battait si fort qu’elle l’entendait dans sa gorge et jusque dans sa tête. La sueur recouvrait son front, alors même qu’elle frissonnait.
« Salomé ! Salomé, réponds… ! » cria-t-elle une dernière fois, en pleurant.
Elle sentit son sac vibrer contre elle. Quelqu’un l’appelait. Keitaro… Elle décrocha, les yeux fouillant encore le parc.
« Oui ? Non… Je… Je la cherche encore. Je suis à la résidence. Mais je ne suis pas sûre qu’elle soit là… Vous pourriez dire à ma mère que… ? Ah elle est partie, déjà ? Tant m… Ah, attendez… »
Une femme, un peu plus loin, semblait vouloir attirer son attention. Son bras gauche soutenait son bébé, le droit montrait une vague direction avec insistance. Angélica ôta le téléphone de son oreille, remercia la jeune mère d’un sourire, puis se dirigea vers l’endroit en question : un parterre de fleurs surélevé, à l’opposé de la cour.
Elle était là.
Petite silhouette recroquevillée derrière le muret fleuri.
Angélica retenait sa respiration. Elle n’osait approcher de peur que sa fille ne s’enfuie à nouveau. Ce moment de flottement sembla s’étirer à l’infini, jusqu’à ce que Salomé l’aperçoive. Résignée, sa fille se redressa et ne bougea plus ; elle regardait ses pieds d’un air vaincu.
Angélica soupira de soulagement et fit un pas vers elle. Elle cessa d’avancer quand elle vit Salomé se tendre, prête à reculer. Alors elle changea de tactique et risqua un sourire, sans s’attendre à une réciproque. Elle voulait juste lui montrer qu’elle n’était pas fâchée. Qu’elle l’aimait. Que tout allait bien.
« Tu m’as fait une de ces peurs… »
Salomé releva la tête. Ses joues rouges et ses yeux gonflés contrastaient avec son attitude de défi.
« Je ne veux pas y retourner ! »
Angélica avisa le dessin froissé dans l’un de ses petits poings. Elle ne comprenait pas encore tout, mais commençait à entrevoir quelques pistes. Ne restait plus qu’à dénouer le conflit… Pour ça, elle s’accroupit, étendit les bras et patienta.
« Viens. Explique-moi… »
Salomé hésita, puis finit par se rapprocher. Les premiers pas furent difficiles. Et lorsqu’elle ne fut qu’à un mètre, elle s’arrêta et s’assit sur le muret. Tant pis pour le câlin… Angélica laissa retomber ses bras et prit place à ses côtés en laissant vingt bons centimètres de distance. Elle tourna son regard vers sa fille et attendit – le silence s’avérait souvent la meilleure option pour encourager quelqu’un à parler.
« Je n’aime pas Keitaro », dit-elle enfin.
Ça, Angélica l’avait déjà deviné. Mais cette inimité n’expliquait pas tout : le froid qui s’était glissé entre elle datait de bien plus longtemps. À l’époque, pas de Keitaro, pas de Rhapsody Blue, pas de déménagement. Angélica hocha la tête pour l’encourager à continuer.
« Tu sais, je comprends bien ce qui se passe, reprit Salomé. Je suis pas bête… Tu te sens seule, pas vrai ? Papa te manque. Et tu veux le remplacer… par lui. »
Angélica détourna les yeux et déglutit. Gabriel lui manquait, sur ce point elle ne pouvait la contredire. Sur le second, Salomé se trompait. Elle n’avait jamais envisagé cette option… Personne ne pourrait jamais remplacer son ex-mari, peu importe l’estime ou l’affection qu’elle portait à Keitaro. Elle fit « non » de la tête, mais n’osa répliquer avant que Salomé ait terminé.
« Sofía… Toi… Catalina, aussi. Vous ne parlez que de lui ! Keitaro par ci, Keitaro par là… Vous l’adorez et je ne comprends pas pourquoi. Moi, je n’ai pas oublié papa. Et je veux pas qu’on le remplace ! Par personne… Jamais ! »
Les yeux de Salomé lançaient des éclairs. Elle ouvrit le poing et, de rage, transforma le dessin en confettis. Angélica aurait aimé passer un bras autour de ses épaules pour l’apaiser, mais elle savait que sa fille l’aurait rejeté. Elle se contenta de l'observer éparpiller sa détresse sous forme d'une pluie de bouts de papier. Et elle comprit enfin. Le fossé qu’elle imaginait entre elles n’avait jamais existé : Salomé souffrait du même mal, elle était son miroir. Toutes deux vivaient dans le souvenir d’un être aujourd’hui disparu, mais qui prenait toute la place, malgré son absence.
Salomé, aussi, n’avait jamais accepté. Elle aussi n’avait jamais réussi à faire son deuil.
« Je n’ai pas oublié ton père, lui dit-elle enfin, la voix cassée par l’émotion. Personne, à la maison, ne l’a oublié. Et il n’est pas question de le remplacer. Jamais, par personne.
—C’est ce que tu essaies de faire, pourtant ! »
Angélica secoua la tête. Écrasa une larme au coin de son œil droit.
« J’aime bien Keitaro, c’est vrai. Il a fait beaucoup pour moi. Tu sais, sans lui, je ne serais peut-être plus là. Mais c’est juste un collègue. Un ami. Et un voisin, aussi. C’est tout. Pendant tout ce temps, je… n’ai jamais arrêté de penser à ton papa. Et tu sais, je vais t’avouer quelque chose… si tu me promets de le dire à personne. »
Elle promit.
« Si je me suis rapprochée de Keitaro, c’est parce que j’espérais retrouver ton père. Il n’aurait pas été le même… Ce n’aurait été qu’un enfant, ou peut-être un animal. Mais tout ce que j’ai fait depuis qu’on est là, c’était pour ça. Je sais que c’est bête. Que ça n’a aucun sens. Mais je… Pardon. Je n’arrivais pas à penser à autre chose. »
Salomé buvait ses paroles. Elle semblait comprendre et ne paraissait même pas lui en vouloir.
« Mais il n’y a pas que ça… Je l’ai fait aussi pour vous. Avec ce travail, je pouvais vous payer tout plein de belles choses. J’ai peut-être eu tort... Je sais que j’étais souvent absente et je le regrette… Vraiment. Mais jamais-jamais je n’ai voulu remplacer ton papa. »
Les lèvres de Salomé tremblèrent, puis elle fondit en larmes. La distance entre elle n’existait plus, Angélica venait de la combler en serrant sa fille contre elle. Salomé ne chercha pas à résister. Sa petite tête enfouie dans son cou, elle se laissait aller, enfin.
« Mamá… Je veux rentrer à la maison, dit-elle entre deux sanglots.
— J’ai compris. »
Angélica serra un peu plus Salomé. Elle lui caressa les cheveux, comme elle le faisait souvent avec Catalina. La honte lui nouait la gorge. La défaite aussi, car elle sut à cet instant qu’elle avait perdu. C’était terminé, elle ne pouvait plus se permettre de courir après un fantôme. Le coût devenait bien trop élevé, elle avait cassé trop de choses. Il était temps de réparer toutes ces fêlures, de se concentrer sur les vivants, sur ceux qui avaient besoin d’elle.
« On va rentrer, dès que possible. Je te le promets… Tu sais, il y a une chose qui est encore plus importante que ton papa, ou que mon travail, ou que l’argent. Et c’est toi… et Catalina, aussi. Et mamie Sofía. Si rentrer en Argentine vous rendrait plus heureuses, alors c’est ce qu’on va faire. »
Salomé leva les yeux vers elle, hocha la tête et lui sourit. Le premier sourire qu’elle lui adressait depuis… elle avait oublié quand.
« Allez, viens… Tout le monde doit s’inquiéter. »
Alors qu’elles se relevaient pour revenir au glacier, Angélica se figea, comme frappée par la foudre. Un affreux doute lui traversa l’esprit. Elle glissa la main dans son tote bag[2] et en sortit son téléphone – qu’elle avait lâché à l’intérieur en s’approchant du parterre de fleurs.
Elle n’avait jamais raccroché.
L’appel était toujours en cours.
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Notes de bas de page :
1. « ça fait maaal ? »
2. Sac de type « fourre-tout » qui se porte à l’épaule, en tissu, sans fermeture.
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