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tome 1, Chapitre 32 tome 1, Chapitre 32

Tampa, lundi 31 mai 2033

« Allez, s’il vous plait…

— Non, Varun, n’insistez pas. C’est non.

— Je suis sûr que vous mourez d’envie de savoir, en plus.

— Pas du tout. »

C’était faux ; mais Angélica adorait se faire prier. Elle inséra une pièce dans la machine à café et se détourna à demi, afin de ne plus avoir le téléphone de son collègue sous le nez.

« Si vous le faites, je vous révèle mon résultat.

— Qui vous dit que ça m’intéresse ?

— Ok, très bien. Je ne vous dirai rien… À tout à l’heure ! »

Varun s’éloigna pour rejoindre leur salle de réunion. Angélica soupira.

« Attendez ! souffla-t-elle en tendant un bras vers lui.

— Ah ça y est, on change d’avis ?

— C’est vraiment pour vous faire plaisir.

— Oui, bien sûr… Je sais bien.

— Ne vous faites pas d’illusions

— Loin de moi cette idée. »

Angélica récupéra son gobelet, puis le déposa sur une table haute à proximité.

« Ça s’appelle comment, déjà ? »

Elle savait parfaitement comment s’appelait cette appli ; Salomé leur en avait déjà parlé. Apparemment, ça faisait fureur dans les cours de récré. Il suffisait d’avoir un téléphone pour se faire harceler par les autres. Tout le monde voulait essayer et polluait les réseaux sociaux avec ses résultats. Si Angélica jouait les ignorantes avec son collègue, c’était dans l’unique but de le taquiner.

« Ça s’appelle Get Ready. Soyez Prêts. »

Soyez prêts : si vous mourez aujourd’hui, que serez-vous demain ? C’était leur slogan. Angélica pianota sur son téléphone et se créa un compte.

« Maintenant, vous appuyez là, pour savoir », lui indiqua Varun.

Elle s’exécuta. Un écran de chargement apparut, bientôt remplacé par l’image… d’un pigeon. Le genre gris et gras, qui repeignait les trottoirs de guano. Varun éclata de rire ; Angélica fit la moue ; Charlotte, qui traversait le couloir à cet instant, leur lança :

« On est attendu, les enfants… Et je crois que ce ne sont pas de bonnes nouvelles. »

Angélica baissa la tête, honteuse. Elle se laissait aller à des gamineries alors qu’elle savait parfaitement quel genre de discussion les attendait en salle 3B. Toute l’équipe le savait et l’appréhendait depuis des jours.

« La fête est finie, allons-y », l’encouragea Varun d’un signe de tête.

Son thé à la main, elle suivit son collègue d’un pas traînant, le moral en chute libre.

Retour à la réalité. Celle dans laquelle des agents de sécurité surveillaient sa résidence depuis trois semaines. Celle où ni elle ni sa famille ne pouvaient plus se déplacer seules. Celle où un chauffeur les escortait, elle et Keitaro, tous les matins et tous les soirs – ainsi que les autres membres de son équipe. Celle où un autre se chargeait des allers-retours de ses filles à l’école… Celle où elles avaient paniqué, un jour, coincées dans leur véhicule en plein milieu d’une manif’ anti-Rhapsody Blue. Celle où elles ne pouvaient même plus faire leurs courses tout seules.

Dans ces conditions, elle enviait presque Charlotte, qui venait de leur annoncer son départ. Dans deux semaines, elle serait partie – problèmes familiaux, apparemment. Elle partait au bon moment ; tout partait à vau-l’eau…

Devant elle, un geste lui fit lever les yeux. L’indien lui dévoilait, à la dérobée, son écran de téléphone. Elle eut tout juste le temps d’apercevoir la photo d’un lama avant qu’il ne glisse son appareil dans sa poche et ne disparaisse dans la salle de réunion. Un vague sourire s’invita sur ses lèvres, éphémère. Quel petit jeu stupide ; pourvu que personne ne prenne ça au sérieux… Hélas, avec tout ce qui se passait en ce moment, rien n’était moins sûr.

✲°˖✧*✧˖°✲

« Mes amis, l’heure est grave. »

Comme à chaque temps fort de leur mission, Denzel se tenait debout devant le tableau blanc, en face d’Angélica et du reste de son équipe. Seule différence depuis la dernière fois : une canadienne d’origine russe, du nom de Natalia, avait remplacé Emilio. Médecin légiste de renom, elle était chargée d’examiner les corps des enfants réincarnés, ainsi que des morts – quand elle en avait l’opportunité.

« Comme prévu, je me mêle à votre petite réunion du lundi pour faire un point sur la situation », poursuivit Denzel.

Il saisit une épaisse liasse de papiers qu’il étala sur toute la surface de la table ronde. Des coupures de presse, majoritairement. Angélica se pencha pour en lire les titres, ce qui lui arracha quelques grimaces. L’heure était grave, en effet ; mais ce n’était qu’à moitié une surprise. Elle en avait eu un avant-goût, quelques semaines plus tôt, avec sa fameuse lettre piégée. Et puis un peu chaque soir, à la tv, ou même dans les rues, sur les pancartes des manifestants.

« Vagues de suicide en Europe : quand la mort devient une activité de groupe, lut Charlotte à voix haute. Insatisfaits de leur vie actuelle, des centaines d’individus se rassemblent en secret pour sauter le pas ensemble vers leur prochaine existence.

— C’est terrible, commenta Natalia avec un fort accent. Et celui-ci n’est pas mieux : Rhapsody Blue, responsable de dizaines de kidnappings d’enfants.

— Des… kidnappings ? réagit Keitaro, horrifié. »

Denzel confirma d’un hochement de tête :

« La faute à des douaniers malhonnêtes… Ils auraient vendu les coordonnées de jumeaux RB à des individus mal avisés. Résultat : des enfants – souvent originaires de pays défavorisés – enlevés ou achetés, puis vendus aux familles des défunts. Parfois, ce sont les parents eux-mêmes qui leur vendent ou louent leur propre enfant.

— C’est monstrueux, dit Charlotte. »

Angélica faillit, elle aussi, exprimer son indignation, mais quelque chose la retint ; sa conscience… Comment réagirait-elle si, un jour, elle rencontrait un enfant possédant le code de Gabriel ? Serait-elle tentée de l’enlever ? De le garder pour elle, au risque de devenir hors la loi ? Elle n’en avait aucune idée et son indécision l’effrayait.

« Le problème, observa Denzel, c’est que l’opinion nous tient responsable de tout ça. Et c’est pas fini... Regardez celui-là. »

Il dégagea dans la pile un article intitulé : « La réincarnation à l’origine de persécutions religieuses. »

—Forcément, dit Angélica. Une nouvelle excuse pour se taper dessus…

— Les enfants réincarnés : la secte qui ne dit pas son nom, lut Charlotte, à son tour. Apparemment, c’est loin d’être la seule. Il paraît que ça pousse comme des champignons en ce moment !

— Oh non, regardez celui-ci, s’exclama Varun. Des enfants désignés comme meurtriers dans leur vie antérieure sont assassinés, par vengeance. »

De pire en pire…

« Celui-là est vraiment étrange, ajouta Keitaro. Le mouvement anti-blattes… »

Intriguée, Angélica récupéra l’article. Apparemment, un groupe de personnes, très actif sur les réseaux sociaux, encouragerait l’élimination totale et systématique des blattes – et autres insectes dégoûtants – sous prétexte qu’elles seraient la forme réincarnée des pires individus que la terre ait portés. Absurde… Absurdement triste, même.

« Comme je vous l’annonçais, reprit Denzel, la situation mondiale est préoccupante. Et Rhapsody Blue ne peut se permettre d’ignorer ce qui se passe. Beaucoup de gens nous désignent comme coupables et notre réputation en pâtit. Le Gouvernement nous demande de réagir. »

Froncement de sourcils d’Angélica. Réagir, oui… Mais comment ? Si les gens se montraient stupides et violents, que pouvaient-ils y changer ?

« Si nous ne parvenons pas à calmer le jeu, l’aventure devra s’arrêter là. Ces recherches deviennent dommageables pour l’Agence et créent des tensions à l’international. Palmer est en discussion avec le Président, qui envisage de faire cesser la mission, ainsi que les campagnes d’enregistrements dans les pays non-membres, la plateforme de volontaires et la production des casques RB pour animaux. »

Cette nouvelle tomba comme un couperet. Voilà exactement ce que craignait Angélica : que tout s’arrête avant qu’elle ne parvienne à ses fins. L’angoisse lui comprima la poitrine. Tout son corps lui criait « non ! » Avec tous ces enfants enregistrés à la pelle, chaque jour, elle était pourtant si près du but ! Si proche de le retrouver… Pourquoi les gens venaient-ils tout gâcher ?

« Attendez, intervint Charlotte. Est-ce qu’on n’est pas en train de tout confondre ? En quoi Rhapsody Blue est responsable de tout ça ? Nous n’avons fait que dévoiler un mystère. Nous avons seulement apporté la preuve scientifique que ce phénomène existe. Nous ne l’avons pas créé ! Les gens se réincarnaient déjà par le passé. Et ils continueront après nous. Si vous voulez mon avis, les gens cherchent seulement un coupable. Parce qu’ils ont peur…

— Vous avez entièrement raison, approuva Denzel. Le problème, c’est que ça dérange le Président. À l’origine, cette mission avait pour but de préserver, puis de redorer la réputation de l’Agence. Si elle cesse de remplir cet objectif, alors elle doit s’arrêter. Ce qui n’empêchera en rien les autres scientifiques, non affiliés à Rhapsody Blue, de poursuivre leurs travaux sur la réincarnation, si c’est ce qui vous inquiète. Nous n’avons plus le monopole de ce projet. »

L’injustice de la situation réveilla les vieilles rancœurs d’Angélica. Elle le savait, pourtant. Elle avait toujours su que Rhapsody Blue menait ces recherches de façon intéressée ! Depuis quand Denzel et toute sa clique de requins agissaient-ils par bonté d’âme ? Ou par amour de la science ? Tout n’était qu’une question d’argent et de réputation. Depuis le début.

Pour sa part, elle se fichait de savoir que d’autres scientifiques prendraient la relève. Tout ce qui comptait, c’était leur mission actuelle. Car si son équipe était dissoute, elle perdrait d’emblée la possibilité de retrouver Gabriel, sa seule et unique motivation. Elle devait réagir… Trouver une idée. N’importe quoi.

« Nous pourrions organiser une nouvelle conférence ? proposa-t-elle, d’un ton un peu trop suppliant à son goût. On inviterait les dirigeants des autres pays membres… et tous ceux qui voient nos recherches d’un mauvais œil. On discuterait de solutions. Ensemble. Il existe peut-être des compromis !

— Mmh... Ça pourrait, approuva Denzel. La conférence de la dernière chance. J’aime bien l’idée. Je vais en parler à Palmer.

— Angélica, lui glissa Keitaro, vous aviez promis de ne plus intervenir publiquement… Cette lettre de menace, on ne sait toujours pas d’où elle vient. C’est dangereux. Pour vous et votre famille. »

Elle baissa la tête et soupira d’un air ennuyé. Un pli, reflet de son dilemme, se forma sur son front. Elle avait promis, c’est vrai. Et en échange, Keitaro avait accepté de renoncer, à sa demande, à poser sa démission de suite. Il attendrait que la situation s’apaise, pour la rassurer, malgré sa situation familiale apparemment complexe. Dans ces conditions, elle se voyait mal insister. Elle était coincée.

« Keitaro a raison, renchérit Denzel, inutile de mettre de l’huile sur le feu. Si conférence il y a, vous n’interviendrez pas. C’est non négociable. »

✲°˖✧*✧˖°✲

Mardi 8 juin 2032.

Une date qui resterait dans l’Histoire ; celle de la fameuse Conférence de la dernière chance – ou « Conférence de Tampa », comme on l’appelait dans les médias. Elle devait réunir les représentants de chacun des pays membres du système Rhapsody Blue, ainsi qu’un grand nombre de personnalités influentes issues de divers milieux – scientifique, judiciaire, religieux, etc. Et bien sûr, une armée de journalistes du monde entier.

Le jour venu, Angélica n’en menait pas large lorsque leur chauffeur habituel vint les cueillir, elle et Keitaro, à l’entrée de leur résidence. Ce matin, ledit chauffeur était même flanqué d’un garde du corps qui ne devait les lâcher qu’à l’intérieur de l’édifice hébergeant l’événement.

Malgré sa nervosité, elle s’estimait heureuse de pouvoir participer : Keitaro et Denzel avaient essayé de la décourager de venir, par prudence. Elle avait réussi à les convaincre, à la condition d’y assister en tant que simple spectatrice : elle éviterait les caméras et refuserait toute demande d’interview. Bien consciente du danger, elle n’avait pas cherché à négocier ces quelques points. Elle avait simplement remercié, soulagée de ne pas être laissée à l’écart, condamnée à suivre la Conférence en direct depuis sa télévision.

« Tout va bien ? » demanda-t-elle à son voisin de banquette.

Les mains crispées sur son pantalon noir, le regard fixe, il donnait l’impression d’être assis à bord d’un train de montagnes russes en route vers le prochain pic. Il se tourna vers elle et fit « non » de la tête, un pauvre sourire sur les lèvres. Malgré son angoisse, il resplendissait dans son nouveau costume. Tout l’inverse d’elle-même, habillée de façon la plus ordinaire possible pour éviter d’attirer l’attention.

« J’ai horreur de parler en public. Et ce… cet… cet événement… Je n’ai jamais… C’est trop…

— Je comprends. J’aurais aimé vous appuyer.

— Je sais… Mais vous avez promis.

— Je sais. »

Heureusement, son chef ne serait pas seul à devoir s’exprimer. Le reste de son équipe, Denzel et même Palmer devaient se partager le micro – ce qui rassurait Angélica, à défaut d’apaiser Keitaro.

Après un court et silencieux trajet le long de rues sécurisées pour l’occasion, le chauffeur s’arrêta devant le centre de conférence de la ville. Situé à l’embouchure de la rivière Hillsborough, il s’étalait sur une large surface, mais ne s’élevait que sur deux étages. Une rangée de palmiers ornait le trottoir, côté rue. Et quelques notes bleu ciel, ici et là, donnaient à la façade des airs de station de villégiature.

À quelques mètres de l’entrée, au-delà de barrières de fortune, se tenaient une foule de gens de tous bords : simples curieux, journalistes sans invitation officielle, contestataires à pancartes, et même des familles, dont les enfants reposaient sur les épaules pour mieux voir. Angélica se demanda quel genre de parents emmenaient leurs fils et filles se mêler ainsi à la foule.

« Monsieur Momoyama ! Madame Munoz ! Une petite minute pour radio Kiss FM Chicago ? »

D’autres voix s’élevèrent, tantôt pour réclamer leur attention, tantôt pour les encourager, tantôt pour les traiter de noms d’oiseaux. Le garde du corps s’imposa entre eux et ses clients, et les enjoignit à se diriger vers les escaliers, sans prêter attention à leur comité d’accueil. Plus facile à dire qu’à faire… Angélica sentait ses jambes flageoler. Elle se cramponna à la rampe pour éviter de trébucher. Sa tête semblait légère, comme du coton. Sa gorge desséchée. Ses mains moites. Elle ressentit l’envie pressante de s’asseoir, n’importe où.

« Allons, avancez », murmura le garde du corps.

L’intérieur était immense. Du beau monde s’y trouvait déjà, à en croire les troupeaux de journalistes qui se pressaient autour. Angélica n’en était plus à sa première conférence, mais n’avait jamais rien connu d’aussi intimidant. En plus, avec son jean et sa casquette, elle se sentait totalement dépassée.

« Madame Munoz, pour vous, c’est par là », indiqua leur guide à matraque, en pointant du doigt l’entrée des spectateurs de la salle la plus vaste.

Elle souhaita bon courage à Keitaro, s’acheta une bouteille d’eau dans un distributeur et partit rejoindre son siège, au 5e rang. Des agents de sécurité se tenaient proche des portes ; elle soulagea sa soif et parvint à se détendre.

La conférence s’étala sur trois bonnes heures. Après avoir rappelé ce qui motivait leur mission de recherches, Palmer, Denzel et les autres se livrèrent aux questions et aux débats lancés par les divers intervenants. Keitaro s’en sortit très bien, malgré quelques blancs et fautes d’anglais. Le reste de son équipe aussi, même si leur temps de parole était plus limité. Angélica aurait tant voulu se tenir à leurs côtés… Pour défendre leurs intérêts et les aider à apaiser les craintes. Qu’il était frustrant de les observer, d’en bas, se battre sans elle pour trouver des solutions ! Mais aurait-elle vraiment changé la donne ? Sans doute pas.

À la fin des discussions, elle se sentait aussi épuisée que si elle avait discouru. Et maintenant, sortir de là… Se frayer un chemin parmi la foule pour rejoindre le hall d’exposition, où elle pourrait retrouver ses collègues autour d’un verre. Elle déboucha bientôt dans l’espace où se déroulait la suite de l’événement. Une odeur de grillades et de pain chaud la cueillit sur le seuil : son lot de consolation ! Malgré le stress, son estomac ne connaissait aucune trêve. Son nez la guida vers le buffet, où elle saisit un petit four. Ses yeux balayaient la salle à la recherche d’un visage familier, mais pour l’instant, rien à l’horizon. Juste une marée de profils inconnus, circulant et bavardant en petits groupes.

« Mme Muñoz ? C’est vous, n’est-ce pas ? »

La bouche encore pleine de pain, elle se tourna vers sa gauche… où l’attendait une caméra sur pattes. Son cœur rata un battement. Elle leva une main devant son visage et recula, sans répondre.

« USA Today, poursuivit l’homme sans attendre sa permission. Nous avons assez peu évoqué la question Trans… Beaucoup se demandent s’ils appartenaient au sexe opposé dans leur vie antérieure. Ils réclament des réponses. Qu’avez-vous observé par rapport à ça ? Comptez-vous orienter vos recherches dans cette direction ?

— Désolée, je… je ne peux pas vous répondre. »

Ils insistèrent. Comment s’en débarrasser ?

« Bonjour ! »

La voix de Charlotte, juste derrière elle, l’emplit de soulagement. Angélica s’écarta et disparut sans demander son reste. Au passage, elle aperçut enfin le reste de ses collègues, en proie à d’autres journalistes, un verre à la main. Elle n’osa s’approcher et préféra s’orienter vers les toilettes, hors de la salle.

Le silence des lieux d’aisance l’apaisa. Dans cette bulle de quiétude, elle se surprit à regretter de ne pas être restée chez elle, à l’abri du monde et des curieux. À quoi servait-elle, ici ?

Elle ressortit, hésitant sur la conduite à tenir. Mieux valait se tenir loin du hall d’exposition pour ne pas retomber dans le même piège. Quelles options lui restait-il ? Pas grand-chose, à part attendre que ses collègues ressortent… ou au moins Keitaro, car ils rentraient avec le même chauffeur.

Elle avisa quelques bancs alignés le long de la baie vitrée et s’y dirigea. Au-delà des fenêtres s’étalait le spectacle de la rue. Fascinée, elle resta là, debout, à observer la foule s’agiter derrière les barrières de sécurité. Elle avait triplé de volume depuis leur arrivée. Les agents de sécurité peinaient à maintenir l’ordre et à empêcher les plus audacieux de traverser. Malgré le double vitrage, Angélica entendait leurs mises en garde, régulières, ainsi que les hurlements virulents de certains protestataires. Elle distinguait aussi les fronts suants sous le soleil, les tâches sombres sous les bras et les visages déformés par la colère ou la fatigue. Ils les attendaient… Elle et ses collègues, Denzel et Palmer. Pour quoi faire ? Sans doute les acclamer ou les invectiver, comme ce matin. Ou juste prendre des photos ou des selfies à la sauvette…

C’est alors qu’elle le vit.

Petite frimousse blonde, parmi les corps transpirants. C’était lui… La même bouille qu’à ses 6 ans. Copie conforme de la photo qui dormait dans son portefeuille. Ne lui manquait que son coléoptère dans sa boite en plastique.

Gabriel…

Sans réfléchir, elle s’élança. Son cœur cognait à tout rompre contre ses côtes et résonnait jusqu’à ses tympans. Ses jambes filaient toutes seules, presque sans effort. Elle ne jeta pas un regard sur les agents postés au niveau des portes. Elle les franchit sans un regard en arrière, ignorant les voix qui l’appelaient pour la retenir.

« Madame ! Madame, attendez ! »

Elle crut même distinguer la voix de Keitaro, quelque part dans le lointain, avant que les portes ne se referment et que bruit de la foule occulte tout le reste.

Où était-il ? Elle ne le voyait plus…

Panique. Désespoir. À peine retrouvé, il disparaissait déjà. Non, il était forcément quelque part… Elle se rapprocha de l’endroit où elle pensait l’avoir vu. Ses yeux fouillaient chaque visage à la recherche de celui du garçonnet. Ses oreilles bourdonnaient, ignorantes des insultes qui pleuvaient sur elle et des avertissements des agents de sécurité.

Enfin, elle crut apercevoir la petite silhouette un peu plus loin sur la droite, de l’autre côté des barrières. Quelqu’un, en arrière, hurlait son prénom. Elle ne pouvait se retourner sous peine de perdre le petit Gabriel des yeux. Elle avança, lentement d’abord, le long du trottoir dégagé. Puis elle gagna en vitesse et se précipita vers la foule pour se faufiler sous les barrières en prenant de court les agents de sécurité.

Et maintenant ?

Jouer des coudes… Retrouver l’enfant. Lui parler. Embrasser ses joues. Le serrer contre elle, caresser ses cheveux… et pleurer. Un long moment.

« PAM »

Le coup de feu calma la foule d’un coup.

Silence choqué. Bruit de chute. Et puis s’élevèrent les cris d’horreur et de panique.


Texte publié par Natsu, 5 juillet 2021 à 09h34
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