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tome 1, Chapitre 31 tome 1, Chapitre 31

Toulouse, jeudi 26 mai 2033

« Toc ».

Lorsqu’elle gravit l’unique marche, le bruit de ses semelles résonna, emplissant le silence environnant.

« Frrrrrrr », froufrouta le rideau qu’elle tira pour se dissimuler.

La pénombre l’enveloppa, apaisante. Suzanne adorait cette vieille odeur de bois. Et ce je-ne-sais-quoi d’authentique, de vrai, dans cette atmosphère. Ce qu’elle appréciait moins, c’était la fraîcheur du lieu. D’habitude, elle apportait une laine ; aujourd’hui, sa visite n’était pas prévue. À l’opposé de la cabine, une porte roula sur ses gonds rouillés. Le gémissement, aigu, rebondit le long des hauts murs de pierre pour lui revenir, amplifié. Magnifié. Grandiose.

Le panneau protégeant la grille s’ouvrit : le prêtre, qui venait de l’inviter à entrer, se tenait prêt à l’entendre. Suzanne approcha une chaise de la paroi qui les séparait, se signa devant la croix, et s’assit. Inspiration, expiration… Son cœur pesait lourd, mais tout irait mieux dans peu de temps. Elle avança son visage vers les croisillons :

« Bénissez-moi, Seigneur, car j’ai péché, souffla-t-elle comme un secret.

— Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, je vous bénis. Que le Seigneur vous inspire les paroles justes pour vous confier en sa miséricorde.

— Amen.

— Combien de temps s’est écoulé depuis votre dernière confession ?

— Environ cinq mois. Je suis venue en janvier. Je crois. »

Mensonge. Elle s’en souvenait parfaitement, car la honte l’habitait encore. Pendant les fêtes, elle avait caché plusieurs paquets de papillotes en chocolat – offerts par Antoine – dans son placard à vêtements pour son usage personnel. Quand Théodore les avait réclamés, elle avait prétendu qu’il n’en restait plus. Il les finissait tellement vite qu’elle avait craint qu’il ne les dévore tous, cette année aussi. Double péché – d’égoïsme et de gourmandise – qui avait donné lieu à une diète de deux semaines en guise de pénitence.

« Oh oui, je me souviens… Je vous écoute, mon enfant. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? »

Heureusement, le prêtre eut la délicatesse de ne pas lui rappeler les faits.

« Je me suis montrée faible. J’ai… cédé à la curiosité.

— Que le Seigneur vous entende. Mais pourriez-vous, je vous prie, être un peu plus précise ? »

Suzanne passa une langue sur ses lèvres, cherchant ses mots avec soin.

« Disons que j’ai… visité une boutique pas très catholique.

— Une boutique impie ?

— C’est ça.

— De quel genre de lieu parlez-vous, au juste ? Allons, ma fille, ne me dites pas que… ?

— Un cabinet de voyance, mon père, s’empressa de préciser Suzanne. »

À travers les grilles, elle perçut le soupir, soulagé, du religieux. Elle ôta le foulard ornant son cou ; la température de la cabine paraissait avoir grimpé de deux ou trois degrés.

Qu'avait-il imaginé ?

Elle enchaîna rapidement pour dissiper sa gêne :

« Je ne sais ce qui m’a pris. J’ai posé mes yeux sur ces babioles étranges et sur ces fleurs. Et j’ai même… »

Elle se pinça les lèvres, incapable de poursuivre. Quelle situation embarrassante ! Elle aurait voulu revenir en arrière et tout recommencer, différemment.

« Allons, ma fille… N’oubliez pas que le Seigneur fortifie dans la foi celles et ceux qui reconnaissent leurs fautes avec contrition. Continuez, je vous en prie.

— J’ai même osé m’asseoir à sa table et… »

Sa voix vacillait, à l’image des petites flammes dispersées dans la nef, de l’autre côté du rideau. Elle s’éclaircit la gorge et poursuivit :

« J’ai encouragé cette femme à lire mes vies passées. Et futures, aussi. Alors que je n’y crois pas… Je suis même partie avant la fin de la séance. »

Un court silence accueillit ses aveux.

« J’ai eu tort, je sais. J’aurais aimé revenir à la raison plus tôt. Comment faire pour me racheter ? J’ai peur d’avoir déçu le Seigneur…

— Ma fille, en confessant vos erreurs, le Seigneur vous a déjà pardonné à moitié. Dites-moi seulement : avez-vous donné crédit à cette voyante ?

— Non, bien sûr que non ! Juste… mon argent.

— Je vois. »

Nouveau silence.

« D'ailleurs, reprit le prêtre, cette curiosité… Serait-elle liée à l’actualité ? Vous parliez de vie antérieure…

— Eh bien… oui, mon père. Vous savez, j’ai l’impression que le monde est devenu fou. Et je me demandais comment des personnes aussi raisonnables que ma fille ou mon mari pouvaient croire à ces histoires de réincarnation.

— Intéressant. Continuez !

— L’ambiance est… houleuse depuis quelque temps, à la maison. Mon époux est persuadé que les études de Rhapsody Blue sont véridiques. Il fait tout pour m’en convaincre. Il insiste, il insiste… Et j’ai beau lui expliquer, il ne respecte pas mon opinion. Nous ne faisons que nous disputer depuis des semaines. Non, des mois ! Et je suis fatiguée. Je me disais que peut-être, si j’arrivais à comprendre… Je trouverais un moyen de rétablir la paix entre nous.

— Je vois. Très bien... Évidemment, rien ne justifie le péché. Sachez toutefois que le cœur a ses raisons que la foi ne connaît point.

— Je… Pardon ? »

Il arrivait souvent au prêtre de sa paroisse d’employer des expressions par trop alambiquées. La plupart étaient de son cru et Suzanne n’était jamais sûre d’en saisir le sens.

« Je veux dire que c’est le cœur qui sert Dieu, et non le simple fait de croire.

— Ah… »

Son silence appelait une explication plus détaillée. Le religieux la lui fournit, une pointe d’agacement dans la voix :

« En laissant parler votre cœur, en agissant par amour et pour la paix de votre mariage, vous agissez aussi pour Dieu. Car c’est bien par amour que vous avez agi, n’est-ce pas, ma fille ?

— Mais oui, mon père. »

Par fatigue, aussi. Et lassitude… Et curiosité, peut-être, un peu.

« Bien. Si je peux me permettre, je vous inciterais à poursuivre vos efforts.

— Mes efforts ?

— Envers votre époux. Vous savez, discuter ne constitue pas une faute en soi. Ne soyez pas si dure avec vous-même, ou avec lui. Rien ne vous empêche de l’écouter, puis d’échanger – calmement – vos points de vue. Je vais vous dire, mon enfant… La curiosité ne fait pas partie des sept péchés capitaux. Et la tolérance, comme la compréhension mutuelle, sont de saintes vertus. Tant que vous restez fidèle au Seigneur, tant que vous agissez par amour et pour rétablir l’harmonie entre vous, je ne vois aucune raison de vous fermer à ce sujet, ou à d’autres. »

Suzanne réfléchit à ces dernières paroles. Elles lui semblaient très justes et merveilleusement déculpabilisantes. Elle se sentait déjà plus légère, comme si un poids énorme venait de quitter ses épaules.

« Merci, mon père. Je comprends. »

Quand même… elle s’attendait à tout sauf à des encouragements.

✲°˖✧*✧˖°✲

En sortant de l’Église, Suzanne se trouvait un peu groggy. Un peu… sonnée. Elle s’avança d’un pas d’automate vers la place, le regard vague. Dans son esprit tournoyaient les saintes paroles de l’ecclésiastique ; il lui faudrait du temps pour les intégrer et les mettre en œuvre.

Ouvrir son cœur et discuter… C’est tout ce qu’on lui demandait. Il n’était pas question de croire ni de renier son Dieu et ses préceptes. Écouter n’est pas pécher. La tolérance est une vertu. L’harmonie au foyer, un devoir conjugal. Elle ne trahirait rien du tout, n’offenserait personne et n’irait pas en enfer pour si peu.

Au centre de la place, elle leva les yeux sur la mère à l’enfant qui trônait, figée dans son habit de pierres, au milieu de la fontaine. Autour d’elle, quelques passants déambulaient, absorbés par leur quotidien. D’autres lézardaient sur des bancs, un sandwich dans une main, un livre ou un téléphone dans l’autre.

Un sandwich… Le poulet ! Mince, quelle heure est-il ?

13 h 30 indiquait la grande horloge au-dessus des portes de l’église.

Ses yeux s’écarquillèrent, ses membres se raidirent comme changés en statue. Elle avait oublié le repas ! Théodore devait être mort d’inquiétude. Ou peut-être seulement de faim, car elle n’était même plus certaine de lui manquer vraiment lorsqu’elle quittait la maison. S’apercevrait-il de son retard si son estomac faillissait à lui sonner les cloches  ?

Elle ravala sa rancœur et sortit son téléphone de son sac. Plusieurs appels en absence, de Théodore ; il devait réellement être affamé. Elle le contacta aussitôt.

« Allo, Suzon ? Bon sang, où es-tu ?

— Je… passe au boucher et puis je rentre. Je me dépêche… Excuse-moi, j’ai eu un contretemps.

— Ah… Ok. Je rentre aussi alors.

— Tu étais sorti ?

— Comme tu ne revenais pas et ne répondais pas au téléphone… je suis parti te chercher.

— À pied ?

— Oui, bien sûr, à pied. Pour être sûr de ne pas te rater.

— Oh la la, mais c’est loin, pour toi ! Avec tes genoux, ça fait beaucoup de marche. Théodore, je suis vraiment désolé… Où es-tu maintenant ?

— Je suis presque à la boutique. Je fais demi-tour, du coup. Tu m’as fait une de ces peurs… Je croyais qu’il t’était arrivé quelque chose ! Bon, je vais chercher un bus pour rentrer. »

Elle raccrocha. Ouf… Théodore ne semblait pas lui en vouloir. Et puis surtout, il s’était inquiété pour elle ! Et une preuve d’amour pareille, ça méritait le plus gros poulet du monde. C’est d’ailleurs ce qu’elle demanda au boucher, avant de rentrer d’un bon pas, sourire aux lèvres.

À la maison, la table était déjà mise, mais Théodore tardait à revenir, faute de bus. Elle déposa ses affaires et se détendit sur le canapé en attendant son retour. Elle s’en voulait de l’avoir poussé à sortir pour rien.

Ses yeux se posèrent sur son classeur rouge, rangé au niveau de ses pieds. Celui où Théodore stockait toutes les coupures de presse qu’il jugeait captivantes. Elle n’avait jamais pris la peine de l’examiner ; l’actualité l’intéressait peu et il lui en parlait tellement qu’elle saturait d’informations.

Ouverture… Discussion. Paix et harmonie.

Un premier geste s’avérait nécessaire. Un premier pas dans sa direction. Pourquoi ne pas commencer par-là ? Théodore ne lui avait jamais interdit de toucher à son recueil. Et ce n’est pas comme si les articles allaient lui sauter à la figure pour lui manger le cerveau… Tant qu’elle s’efforçait de garder un minimum de sens critique, tout se passerait bien.

La curiosité n’est pas un péché… C’est le prêtre qui l’a dit.

Elle se pencha vers la table basse, attrapa l’épais classeur rangé en dessous et le déposa sur ses genoux. Page après page, elle le parcourut rapidement en se concentrant sur les titres. Quel travail de fourmi ! Chaque extrait de journal était trié par catégorie, scotché proprement sur une feuille d’imprimante, elle-même glissée dans un film plastique. Alors qu’elle progressait vers le centre, quelque chose s'en échappa et tomba au sol.

Oups !

Une enveloppe. Suzanne se pencha pour la ramasser. « M. Théodore Leroux — Rhapsody Blue France », lut-elle à mi-voix. Voilà bien Théodore… À se servir de lettres officielles comme marque-page ! Est-ce qu’il l’avait ouverte, au moins ? C’était bien son genre d’oublier de traiter les tâches administratives… Combien de factures impayées avait-elle retrouvées dans des tiroirs ou autres ? De combien de pénalités avaient-ils dû s'acquitter à cause de ses étourderies ? Non, en fait, elle préférait ne pas le savoir.

Voyons si c’est important.

Elle détachait le rabat quand sa conscience la rappela à l’ordre : et si c’était confidentiel ?

Le bruit d’une clef insérée dans la serrure de l’entrée la fit bondir. Vite, elle replaça l’enveloppe, referma le classeur et le glissa sous la table basse. Pourquoi tremblait-elle ? Elle n’avait pourtant rien fait de mal. Ce qu’elle pouvait être gamine, des fois… Pire que Théodore.

« Je suis rentré ! »

Elle se leva pour l’accueillir.

« Théodore, excuse-moi encore… Ça va, tes genoux ?

— Pourrait aller mieux. Mais toi alors, qu’est-ce qu'y s’est passé ? Oh, mais ça sent bon…

— C’est pour me faire pardonner. Tu dois avoir faim, mettons-nous à table ! Je te raconterai après. J’espère que les frites n’ont pas trop refroidi… Je peux te laisser couper le poulet ? »

Le repas servi, Suzanne commença par exposer des banalités, gardant pour plus tard ce qui l’avait retenue en ville. Lorsque Théodore eut englouti la moitié de son assiette, elle se lança :

« Ce matin, ça se bousculait à la boutique. C’est plutôt rare, autant de monde, un jeudi.

— Ah oui ? C’est pour ça que tu es rentrée tard ? »

Il était temps d’avouer… mais elle craignait sa réaction. Lui en voudrait-il d’avoir retardé le déjeuner pour une histoire aussi futile ? D’avoir gâché de l’argent ? Ça, ce serait un peu gonflé de sa part… S’il le lui reprochait, elle lui rappellerait la console qu’il s’était payée la semaine dernière. Tout ça pour continuer son jeu idiot.

Allez, Suzanne, jette-toi à l’eau.

« Non… En fait, il s’est passé quelque chose. »

Théodore cessa de mâcher. Sa joue gonflée lui donnait des allures d’écureuil.

« Oh, rien de grave, c’est juste un peu embarrassant. Tu promets de ne pas te moquer ? »

Il haussa les sourcils, puis reprit sa mastication.

« Je te le promets.

— Merci. »

Elle lui raconta ses aventures à la boutique de Shana la voyante. Si Théodore ne pipa mot jusqu’à la fin, son air ahuri prouvait qu’il n’en perdait pas une miette. Même que l’une de ses frites s’égara sur le chemin de sa bouche, s’écrasant contre sa joue avant de retomber dans son assiette. Suzanne dissimula son amusement derrière sa serviette en tissu.

« Oh, pardon… Je mange n’importe comment. Et tu es partie comme ça ? Tu as payé, quand même, pas vrai ?

— Bien sûr, enfin ! »

Son visage s’illumina d’un sourire qui s’élargit de plus en plus. Une myriade de pattes d’oies se dessinèrent au coin de ses yeux.

« Alors comme ça, ton « moi d’avant » collectionnait les amoureux ? »

Piquée au vif, Suzanne lui lança un regard lourd de reproches.

« Théodore, tu m’avais promis ! »

Il laissa échapper un rire. Un rire gentil, un rire poli, mais un rire quand même.

« Rooh, je ne me moque pas, voyons… J’ai seulement du mal à t’imaginer là-bas. Elle a bien dit « libertine » ? Eh bien, je vais devoir me méfier maintenant ! Qui sait si tu ne caches pas un amant dans le placard ? Tiens, je vais aller vérifier. »

Elle fit la moue et cessa de manger, sans le lâcher des yeux.

« Allons, je plaisante… »

Elle sentit le pied de Théodore se rapprocher du sien – une façon de lui exprimer son affection. Agacée, Suzanne ramena le sien sous sa chaise ; il comprit et n’insista pas.

« Mais enfin ? Je sais bien que tu n’as pas d’amant. Je ne parlais pas sérieusement...

— Mmh. En tout cas, je ne l’ai pas laissée finir son baratin, à la médium. Elle m’a tellement énervée !

— Je vois ça, oui.

— Entre ça et ma collègue Yolande… qui pense que j’étais catcheuse dans une autre vie.

— Catcheuse ? »

Théodore haussa les sourcils et se renversa dans son dossier, l’air ravi et surpris à la fois. Encouragée par son enthousiasme, Suzanne se dérida et lui raconta cette dernière anecdote. Elle avait gagné toute l’attention de son mari et se rappela combien elle aimait ça.

« Je trouve ça plus crédible, déjà. Elle t’a bien cernée, cette Yolande.

— Théodore !

— C’était pour rire… Et donc, tu es partie de chez la voyante et tu t'es rendue compte que tu avais oublié ce pauvre mari mort de faim.

— En fait, non. Pas tout de suite.

— Ah non ?

— Non. »

Théodore la dévisagea avec insistance. Il attendait la suite, curieux, mais pas fâché.

« Je me sentais tellement mal en sortant que je… suis allée me confesser. Je n’ai pas réalisé qu’il était si tard… Je suis désolée.

— Tu… Tu as fait quoi ? Tu t’es… confessée ?

— Oui… »

Théodore semblait sous le choc ; ses joues prirent une teinte cramoisie ; d’un geste vif, il porta son poing droit à sa bouche et mordit dedans comme pour contenir sa colère. Suzanne baissa les yeux et tritura sa serviette de table, inquiète. Qu’avait-elle dit pour le mettre dans cet état ? Ça lui apprendrait à ouvrir son cœur… Elle n’aurait jamais cru qu’il se fâche pour une histoire de confession ; pour son retard ou pour avoir gâché de l’argent, elle aurait mieux compris.

Après quelques secondes de lutte désespérée, Théodore finit par céder. Tel un bouchon de champagne qui saute, il éclata en un fou rire entrecoupé de hoquets. Suzanne, le rouge aux joues, claqua sa serviette sur la table et se leva pour rejoindre sa chambre.

« Ma… Ma Suzon, parvint-il à articuler entre deux salves de rire. Mais non, attends… Hic ! Je ne voulais pas… mais reviens, enfin ! Très bien, j’arrête. Promis. Hic ! Désolé. »

Elle s’immobilisa avant d’atteindre le couloir. Puisqu’il s’était excusé, elle pouvait bien lui laisser une chance. Une de plus. Elle se retourna et le vit prendre une grande inspiration, les joues encore écarlates, une main posée sur sa poitrine.

« Voilà. Ça… ça va mieux. Et que… que t’a dit le prêtre ? »

À peine avait-il prononcé ce dernier mot qu’il s’était remis à pouffer. Cette fois, c’était trop ! Elle tourna les talons pour de bon et rejoignit sa chambre en claquant fort des pieds.

✲°˖✧*✧˖°✲

Suzanne ruminait, seule, assise sur son lit, les yeux encore humides de larmes de frustration. Elle tâchait de ravaler sa honte tout en gardant l’oreille tendue vers sa porte. Théodore venait de finir de débarrasser la table. D’après le bruit de la tuyauterie, il s’occupait maintenant de la vaisselle, après quoi il irait faire sa sieste. Elle pourrait alors sortir et poursuivre calmement le cours de sa journée.

Quand même, il y avait bien longtemps qu’elle ne l’avait pas entendu rire d’aussi bon cœur. Pour se payer sa tête, c’est vrai – pour ça, elle ne lui avait pas encore pardonné. Mais cette bonne humeur qu’il avait manifestée au repas, et même ses taquineries, elles lui avaient tant manqué…

Hélas, sa fichue fierté lui interdisait de passer l’éponge sans avoir reçu des excuses en bonne et due forme. Des excuses sans éclat de rire, ni avant, ni pendant, ni après.

La porte voisine s’ouvrit, puis se referma ; Théodore était parti dormir. Parfait ! Suzanne se leva, sortit sans bruit et retourna s’installer dans le canapé où elle soupira, longuement. Elle disposait de quelques heures de tranquillité où elle s’occuperait comme bon lui semblait, sans avoir à se justifier ou à craindre de jugement.

Lorsqu’elle se pencha pour saisir la télécommande, un bout de plastique rouge accrocha son regard. Le classeur… Et Théodore qui sommeillait. L’heure idéale pour continuer sa lecture.

Elle retrouva aisément la page où elle s’était arrêtée, car la fameuse enveloppe en marquait l'emplacement. Et zut… Elle avait raté l’occasion de demander à Théodore de quoi il s’agissait… Et si elle ne s’en occupait pas de suite, elle risquait encore de passer à côté.

Ni une ni deux, elle sortit la lettre de son écrin et l’examina pour savoir quoi en faire. D’après les premières lignes, elle crut à un courrier de confirmation de l’enregistrement de Théodore au système RBF – le sien devrait d’ailleurs arriver le mois prochain. Un mot, vers le milieu, lui indiqua qu’elle s’était trompée. Suzanne interrompit sa lecture. Un ange passa. Puis un frisson lui parcourut l’échine, la ramenant brutalement à la réalité.

Elle se redressa dans son fauteuil et dépouilla le reste de la lettre, la gorge nouée par l’angoisse. Arrivée au point final, sa main s’échoua sur ses genoux, sans force. Son regard se perdit dans le vide. Si elle s’attendait à ça… Dans son esprit, les émotions s’enchaînaient puis s’emboîtaient à un rythme effréné, à l’image des wagons d’un TGV en marche.

Le choc.

La réalisation.

La peur, enfin.

Dès qu'elle en eut le courage, elle récupéra son téléphone et se rendit dans son jardin, le plus loin possible de la fenêtre de son mari. Quelle heure était-il aux États-Unis ? 10 h du matin… Très bien. Elle sélectionna le nom de sa fille dans son répertoire, colla son portable à son oreille et patienta. Sa poitrine se soulevait et retombait à une vitesse folle. Ses prunelles dansaient dans ses orbites, miroir de sa panique.

Et dans sa main libre, elle serrait la lettre si fort qu’elle en conserverait le pli.


Texte publié par Natsu, 28 juin 2021 à 10h10
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