Tampa, jeudi 24 février 2033
« Trinquons, les amis ! s’exclama Varun en levant son verre.
— Encore ? protesta Keitaro, en riant.
— Mais oui, chef. Au moins trois fois, c’est la règle. À la meilleure équipe du monde !
— À ceux dont le nom restera dans l’histoire ! renchérit Emilio.
— C’était du beau travail, ajouta Charlotte.
— Vive nous ! acheva Angélica, dont les mots furent repris par le groupe entier. »
Pour la troisième fois de la journée, Keitaro leva son verre pour le faire tinter contre celui de ses compagnons. Il souriait un peu bêtement, les joues en feu. La faute au champagne, à la bière, ainsi qu’à la bonne nouvelle qui les réunissait ici. Ils avaient gagné : leur papier de recherche sur la réincarnation venait d’être accepté et publié dans une des meilleures revues scientifiques. Le monde aurait bientôt accès à leurs travaux ! Dès que la presse se serait emparée du sujet.
Quelques heures plus tôt, le groupe des cinq avait célébré leur victoire en grande pompe dans les locaux de Rhapsody Blue USA. Puis ils remettaient ça ce soir, en privé, dans un bar du quartier d’Ybor City. En plus d’être éloigné du siège, cet établissement présentait l’avantage d’être si bruyant qu’on pouvait y discuter sans crainte d’être entendu. Et ça, Emilio l’avait bien compris :
« Je vous l’avais bien dit ! fanfaronna-t-il. Un bon coup de pied dans la fourmilière. C’est exactement ce qu’il nous fallait. Sans ça, nous y serions encore dans dix ans. »
Malgré l’atmosphère de liesse, Keitaro grinça les dents à cette remarque. Il sentit sa bonne humeur chuter aussi brutalement qu’un wagon de montagnes russes.
« Poc »
Au lieu de boire, il reposa son verre, un peu trop fort, sur le vieux bois de la table. Il ne souriait plus. Les yeux rivés sur l’ambré de sa bière, il ramena ses mains sur ses cuisses pour agripper, de rage, le tissu de son pantalon.
Il n’était pourtant pas du genre colérique, ni même rancunier. Il savait qu’au fond, Emilio avait raison ; avant le scandale, son équipe disposait de trop peu d’éléments pour espérer convaincre qui que ce soit. Il se doutait aussi que le chercheur n’avait pas agi par méchanceté, sinon par simple pragmatisme : Keitaro était le seul à posséder les données, le seul qui pouvait être à l’origine d’une fuite d’informations.
Pour autant, il peinait à lui pardonner son entourloupe. Il se sentait trahi. Il s’était fait humilier par son amie journaliste. Il avait dû endosser à sa place le rôle du coupable et rangeait désormais Emilio dans le même panier que son beau-père : celui des gens sans scrupules, pour qui la fin justifiait les moyens. Il avait pourtant accepté de mettre sa rancœur de côté jusqu’à la deadline imposée par les États membres de RB. Un mois à serrer les dents et à se comporter – avec lui, comme avec les autres – en bon petit chef, ferme, responsable et bienveillant… Sa mâchoire gardait encore le souvenir de toute la frustration accumulée.
Aujourd’hui, ils avaient franchi un cap important. Et il ne voyait plus aucune raison de contenir sa colère.
Enhardi par un taux d’alcoolémie supérieur à la moyenne, Keitaro releva fièrement la tête. Cette fois, il ne se laisserait pas piétiner sans rien dire. Et puis à quoi servaient les nomikaï[1], sinon à exprimer ses quatre vérités à ses collègues ?
Il se redressa, plaqua ses mains sur la table, se pencha vers Emilio – assis deux places plus loin – et lui lança :
« Ce n’était pas correct ! »
Bien sûr, tous ses collègues se tournèrent aussitôt vers lui. Emilio haussa les sourcils et baissa lentement son verre. Keitaro poursuivit d’une voix tremblante d’indignation :
« Ce que vous avez fait… J’aurais pu me faire renvoyer ! »
L’Uruguayen passa sa langue sur ses lèvres et le dévisagea en retour. Lui d’habitude si posé, si confiant, parut désarçonné par cette accusation. Mais peut-être n’était-ce qu’une impression ? Varun avança sa main dans leur direction et tenta de calmer le jeu :
« Eh là, eh là…
— Keitaro a raison, trancha Charlotte. Pas de quoi faire le fier. »
Autour d’eux, les éclats de voix des clients, ainsi que le bruit des couverts, allaient bon train. Le temps s’écoulait normalement ; à leur table, il semblait s’être arrêté. À l’abri de cette bulle, Keitaro se sentait tout permis, libre d’exprimer sa frustration sans conséquence. Demain ne comptait plus.
« J’aurais pu vous dénoncer… En fait, j’aurais dû. »
Emilio baissa la tête, enfin. Les commissures de ses lèvres plongèrent, ses épaules s’affaissèrent.
« Je suis désolé. Sincèrement. »
Keitaro ferma les yeux. Il se laissa glisser en arrière, contre son dossier, les mains à plat sur son pantalon de costume. Ses ongles s’enfoncèrent dans ses cuisses à travers le tissu. Dans sa tête défilaient quelques-uns des sacrifices qu’il avait dû faire pour cette mission, les humiliations subies, et toutes ces choses qu’il avait peut-être perdues à jamais. Son collègue n’était pas responsable de tout, évidemment – il n’aurait jamais dû imprimer ces documents, par exemple. Mais les excuses du chercheur lavèrent une partie de ses peines. Keitaro soupira et s’efforça de relâcher ses muscles. L’orage, dans ses entrailles, s’était calmé.
« Je pensais que… reprit Emilio. En fait, non, peu importe. De toute façon, je compte refuser l'offre de Denzel. L’aventure s’arrête ici, pour moi. C’est mieux ainsi, n’est-ce pas ? »
Plus tôt dans la journée, Denzel leur avait proposé de prolonger leur contrat. Il restait tellement de pistes à explorer, de cas particuliers, de points à confirmer : de quoi donner matière à un autre, voire plusieurs autres papiers de recherche. Keitaro s’en doutait, il faudrait bien plus qu’un article pour convaincre la communauté scientifique. Sans parler de l’opinion publique…
Keitaro saisit son verre et but une gorgée de bière, le temps de peser puis formuler sa réponse dans sa tête. Il avait déjà réfléchi à l’offre de prolongation, mais n’avait pas encore exprimé son avis.
« Comme vous voulez. Je pensais arrêter aussi, de toute façon. »
Il regretta aussitôt ses paroles. L’air consterné de ses collègues lui fit mal au cœur. Il baissa les yeux et tripota une branche de ses lunettes.
« Vous êtes sérieux ? demanda Varun.
— Oui. J’ai quelques soucis d’ordre personnel à régler, au Japon.
— Vous allez nous manquer, réagit Charlotte. Ce ne sera plus pareil sans vous.
— Vous pourriez partir quelque temps… et revenir ensuite ? proposa Angélica.
— Je ne sais pas… Je ne pense pas que ce soit possible. »
Au moins, personne ne défendait Emilio ni ne cherchait à le retenir. D’ailleurs, on ne l’entendait plus. Quant à la suggestion d’Angélica, elle lui paraissait bancale. Le projet le passionnait, travailler sur le voyage des âmes ! S’il restait, il pourrait continuer à éprouver leur théorie. Puis à mieux comprendre le phénomène et les lois qui le régissent. Évidemment, lui et son équipe ne seraient pas seuls sur le coup… D’autres scientifiques, de par le monde, devraient reproduire leurs observations pour valider – ou non – leur hypothèse. Mais un jour… Un jour, peut-être ! Si tout se déroulait à merveille, il aurait la chance d’être cet ingénieur qui pousserait leurs recherches encore plus loin. En inventant, pourquoi pas, une IA[2] capable de relier deux profils entre eux, par une simple analyse de données, et sans passer par un Rhapso-code – ce qui permettrait de s’intéresser à des gens décédés avant la mise en place du système Rhapsody Blue.
Une occasion pareille, ça n’arrivait qu’une fois dans sa vie. Il aurait voulu continuer. En fait, il en mourait d’envie. Il était devenu quelqu’un ici, il se sentait important, pour la première fois en 34 ans.
Mais il avait une femme et un fils qui l’attendaient. Et s’il avait la moindre chance d’obtenir le pardon de Saori, elle le lui reprendrait aussitôt s’il décidait de repartir aussi sec. Pendant qu’il jouait les héros à Tampa, Jun continuait à grandir, sans père. Et cette réalité lui était de plus en plus insupportable.
« Et pour votre projet de… plateforme de volontaires ? » demanda timidement Angélica.
C’est vrai, il avait presque oublié ce projet-là… L’idée lui était venue peu après leur première conférence à Tampa. Puisque les États membres de Rhapsody Blue refusaient toujours de leur céder les coordonnées de leurs citoyens, Keitaro avait pensé s’adresser directement aux particuliers, via un site internet.
« Ce n’est pas si technique à faire. N’importe quel ingénieur pourrait me remplacer… »
… même s’il rêvait de le développer lui-même. Ah, si seulement il pouvait demander à Saori et Jun de le rejoindre ici ! Tout serait tellement plus simple… Mais il n’était pas en position de négocier. Ni pour ça ni pour le télétravail – après sa fameuse bourde, qui avait failli coûter si cher au gouvernement américain, comment Denzel pourrait-il encore lui faire confiance ?
« Et votre… votre projet d’IA… pour retrouver des vies antérieures de profils non enregistrés ? »
La jeune femme insistait. Elle avait les joues bien roses et ne trouvait plus ses mots. À son tour, elle fit glisser sa main sur la table jusqu’à lui effleurer les doigts. Keitaro sentit son visage s’enflammer un peu plus. Il la revit soudain dans ses bras, un soir d’égarement où ils étaient tous deux épuisés, dans le couloir de leur résidence commune. Même s’ils n’en avaient jamais reparlé, lui n’avait pas oublié.
« Angélica, vous êtes saoule.
— Pas du tout… Et puis même… Ça ne change pas qu’on a besoin de vous. »
Dans ses yeux, une sorte de supplication. Et ce bras tendu qui semblait l’appeler à l’aide… Keitaro se sentit faiblir.
« Je… vais réfléchir. »
La soirée se poursuivit un peu, mais il n’y trouva plus aucun plaisir. La joie de la réussite avait laissé place au doute et à l’amertume. En plus, il détestait la nouvelle bande sonore rediffusée par le bar. Il n’avait qu’une envie : rentrer chez lui.
Lorsque le reste de son équipe se lassa enfin, chacun paya sa part et sortit attendre les autres. Le vent frais de la nuit lui fit l’effet d’un grand verre d’eau après l’effort.
« Keitaro, chuchota Varun à son oreille, peut-on vous confier Angélica ? Elle n’a pas l’air bien… Charlotte non plus d’ailleurs, je vais la raccompagner. Emilio rentre à pied.
— Compris. À demain ! »
Lorsque les trois autres eurent disparu, Keitaro se retrouva seul avec la jeune femme sur un bout de trottoir. Toute recroquevillée, les bras en croix contre sa poitrine, elle grelottait. Il ne faisait pourtant pas si froid en comparaison avec les hivers de Tokyo. Il faisait même carrément chaud, par rapport à ceux d’Hokkaido. Mais sa collègue venait d’Argentine… Il lui jeta un œil soucieux, se gratta la joue, puis lui demanda :
« Ça va ? Tenez, prenez ma veste. »
Craignant de passer pour un lourdaud, il ôta son pardessus et le lui tendit du bout des doigts, à bonne distance – plutôt que de l’enrouler dedans, comme dans les comédies romantiques qu’appréciait Saori. Elle se tourna vers lui, sourit et le remercia d’un hochement de tête. Il s’inclina légèrement en retour. Puis elle s’approcha pour attraper le vêtement… et sans crier gare, se pendit à son cou. Dans l’esprit de Keitaro, tous les voyants virèrent au rouge. Il se figea, le dos bien droit, et la dévisagea d’un air effaré. Il n’osait pas bouger par crainte de la déséquilibrer, ni même la toucher par égard pour elle – il avait déjà fait cette erreur et le regrettait. Il s’efforça de rationaliser. Sa collègue avait trop bu, comme lui cet autre soir. Inutile de s’affoler.
« Keitaro… Vous ne partirez pas, hein ? Dites-moi que vous ne partirez pas… »
Il aurait aimé lui dire que non. Mais il refusait de lui mentir. En fait, il ne savait plus… Et il n’était pas en état de réfléchir. Angélica non plus d’ailleurs ; ses yeux roulaient dans ses orbites et elle donnait l’impression de se servir de lui comme béquille pour rester debout.
« Ah, voilà un taxi ! »
Malgré le poids de la jeune femme, il leva le bras tant bien que mal pour appeler le chauffeur. Quand celui-ci approcha, Keitaro avança en crabe jusqu’au rebord de la route, entraînant Angélica dans son mouvement. Puis il dénoua gentiment les doigts serrés sur sa nuque. Enfin, il pilota sa collègue en direction du véhicule, où elle s’affala sur le siège du fond. Il prit place à côté et ferma la porte.
Une fois les instructions transmises au chauffeur, la voiture démarra. Sur la banquette voisine, Angélica somnolait. Keitaro l’observa un instant. Pourquoi tenait-elle autant à ce qu’il reste ? Le jugeait-elle à ce point compétent ? Il sourit lorsqu’elle gémit dans son sommeil. Il la trouvait touchante, avec sa joue aplatie contre la vitre et sa propre veste de costume passée autour de ses épaules. Elle lui paraissait, à présent, bien moins intimidante qu’au début. Il la revit s’enfuir en douce de leur salle de réunion, le premier jour… S’énerver à chaque échec. Puis s’extasier comme une gamine à chacune de leur réussite majeure. Toujours dans l’excès, à l’inverse de lui. Angélica, Charlotte, Varun, ils lui manqueraient tous quand il aurait quitté le pays… Il redoutait d'avance le moment des adieux.
Mais Saori…
Et puis Jun.
Sa vraie famille. Si loin et si proche en même temps. Si distante et importante à la fois.
Paraît-il que la vie n’est qu’une série de choix. Qu’on en possède une ou plusieurs n’y changeait rien. À chacune, ses responsabilités, ses peines, ses joies et ses dilemmes.
Le lendemain, Keitaro reçut un message d’Isamu : son collègue avait des nouvelles pour lui et proposait de l’appeler le week-end, après sa journée de travail. Voilà qui tombait à pic ! Il avait justement des questions à lui poser. Il espérait qu’Isamu pourrait l’aider, d’une façon ou d’une autre, à se décider. Il disposait encore d’une semaine – en plus de celle en cours – pour considérer l'offre de Denzel et son cœur balançait toujours.
Il attendit samedi pour lancer l’appel, peu après son petit déjeuner.
« Sasaki-kun ? Konban wa[3] ! Il est quelle heure chez toi, déjà ?
— Konban wa ! 22 heures et quelques. Mais ça va, je suis plutôt Couche-Tard… Et sinon, comme je vous le disais, j’ai plein de trucs à vous raconter.
— Des bonnes nouvelles ? Des mauvaises ?
— Un peu les deux. La mauvaise c’est que je n’ai pas identifié le traître… Je suis désolé.
— Ah… J’ai oublié de te prévenir. Je l’ai trouvé. En fait, il s’est dénoncé tout seul… Quelqu’un en interne.
— Je vois. De mon côté, je n’ai rien remarqué de suspect. Par contre, ça parle beaucoup de vous ! Croyez-le ou non, mais dans l’équipe, plus personne ne rigole. Vous êtes devenu le meilleur ami de certains. D’autres chantent carrément vos louanges. D’autres, enfin, ont l’air jaloux… Mais les moqueries, c’est fini. On vous a tous vu à la TV, pendant votre conférence. En direct ou en diffusé. Vous avez sauvé nos jobs à tous, ainsi que des millions de yens au gouvernement. Tout le monde à RBJ connaît votre nom ! »
Keitaro sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Il n’avait jamais songé que ses recherches changeraient à ce point son image au sein de la branche japonaise de Rhapsody Blue. Il n’avait pensé qu’à Saori et à son beau-père. Une bouffée de fierté gonfla son torse et souleva légèrement les commissures de ses lèvres.
De l’autre côté de l’écran, Isamu adopta une pause théâtrale, yeux fermés, bras levés :
« Momoyama Keitaro… Celui qui a levé le voile sur l’au-delà. »
Keitaro redressa ses lunettes avec un rire gêné.
« Levé, en partie seulement. Et puis je n’ai pas fait ça dans mon coin !
— Allons, pas de fausse modestie. Et puis l’idée vient de vous, n’est-ce pas ? Momoyama-san, vous venez de prouver scientifiquement la réincarnation ! Du pur génie ! De quoi changer la face du monde…
— Si le monde nous croyait, oui peut-être. Ce n’est qu’un premier pas. Tu le sais, non ?
— Ça va venir. J'ai confiance en vous. Et je vous envie un peu, aussi. J’adorerais pouvoir rejoindre votre équipe. Je suis tellement impatient de connaître la suite de vos recherches !
— À ce sujet…
— Oui ?
— J’hésite à continuer. En fait, je pense rentrer au Japon. J’ai terminé ma mission. Rien ne m’oblige à rester plus longtemps. Je trouve le projet passionnant, mais tu sais… Saori.
— Ah ! Mais à ce propos, inutile de vous faire du mouron.
— Comment ça ?
— J’ai mené ma petite enquête et je peux vous dire que votre femme, elle va pas si mal. Enfin, je crois. C’est l’impression qu’elle m’a laissée, en tout cas.
— Tu l’as vue ? Où ça ? Dans quelles circonstances ?
— J’ai pas mal tourné du côté de chez vos beaux-parents. La première fois que je l’ai aperçue, elle sortait Jun-chan au parc, avec sa propre mère. Du coup, j’y suis retourné à la même heure pendant mes congés, accompagné de ma petite nièce pour avoir l’air moins louche. La deuxième fois, sa mère était encore là. Je me suis juste posé à portée de vue pendant qu’Emiko, ma nièce, s'occupait aux balançoires. »
À l’évocation de sa femme, Keitaro sentit sa respiration s’affoler. Il déglutit et saisit un stylo qu’il manipula pour évacuer sa nervosité.
« De loin, elle avait l’air d’aller bien, poursuivit Isamu. La troisième fois, elle était seule avec le petit. J’en ai profité pour l’aborder en lui disant que j’habitais dans le coin.
— Tu lui as parlé ? demanda Keitaro, paniqué.
— Il fallait pas ?
— Je… suis surpris, c’est tout. Continue.
— J’ai pris soin d’observer ses mains. Elle porte toujours son alliance. Alors je me suis assis à côté et je lui ai raconté des banalités. »
Keitaro se renversa contre le dossier de sa chaise à roulettes, de plus en plus agité. Il redoutait la suite et, en même temps, l’attendait avec impatience.
« Elle m’a dit qu’elle enseignait le piano. Je lui ai répondu que je cherchais justement à prendre des cours ! J’en ai profité pour lui suggérer d’échanger nos coordonnées.
— Tu as… quoi ? s'étouffa-t-il en se rapprochant de l’écran. Tu ne vas pas faire ça quand même ? Sasaki-kun !
— Pourquoi pas ? Au moins, je pourrai garder un œil sur ce qui se passe.
— Elle enseigne chez elle, n’est-ce pas ?
— Plus maintenant. Apparemment, elle loue un petit studio pour ça.
— Et si Kikuchi l’apprenait ?
— J’ai le droit de prendre des cours de piano avec qui je veux, non ? »
Keitaro déglutit avec difficulté, puis considéra la question quelques secondes. Isamu avait raison : il s’inquiétait pour rien. Pourquoi son beau-père se sentirait-il gêné que sa fille enseigne à un subordonné ?
« Si tout va bien, je la reverrai dans deux semaines. Si j’apprends quelque chose ou si j'observe un changement, je vous avertirai. En attendant, concentrez-vous sur votre travail. »
Keitaro soupira longuement. Son souffle s’échappa de manière saccadée. Il sourit à son collègue et inclina la tête.
« Merci. Merci, mille fois… Je suis vraiment soulagé de savoir qu’elle va bien. Et Jun ?
— Pas de problème, à première vue. Il jouait toujours tranquillement. Malgré quelques caprices... »
Keitaro perdit son sourire. Son fils lui manquait tellement… Comme il aimerait le voir, ne serait-ce qu’en vidéo ! Avait-il fait ses premiers pas ? Quels mots pouvait-il prononcer ? Combien de centimètres avait-il gagnés ? Autant de questions restées sans réponse.
Il se promit d’essayer de rappeler Saori, de la convaincre de communiquer à nouveau. Comment s’y prendre ? Que lui dire pour qu’elle accepte ? Il commençait à être à court d’idées. Et n’irait certainement pas demander ce genre de conseils à Isamu. Ce serait trop… pathétique.
« Sasaki-kun, merci encore. Grâce à toi, j’y vois un peu plus clair.
— Avec plaisir. Je vous envoie la facture bientôt !
— On ira les boire ensemble, ces bières. Je te paierai même les intérêts. En attendant, prends soin de toi et va dormir. »
Lorsqu’il raccrocha, sa décision était prise.
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Notes de bas de page :
1. Au Japon, il s'agit d'une petite fête alcoolisée dans un bar ou équivalent, souvent entre collègues pour décompresser après le travail. Elle se prolonge parfois en changeant d'établissement ou bien au karaoké. Au cas où l'un des employés en profite pour se plaindre ou critiquer quelqu'un, la règle d'or, c'est que personne n'y fasse mention le lendemain.
2. Intelligence Artificielle.
3. « Bonsoir », en japonais.
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