Tampa, vendredi 11 février 2033
« Gary… ton père est mort. »
La nouvelle était tombée peu après la fameuse « affaire des codes dupliqués », il y a environ un mois. Et curieusement, elle ne lui faisait ni chaud ni froid. « Okay et alors ? » avait-il failli demander à sa mère par téléphone. Par crainte de la blesser, il s’était retenu. Son père, il ne l’avait pas revu depuis 20 ans. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire, de savoir qu’il n’existait plus ? Il n’avait jamais appelé, jamais dit où il allait, où il vivait, jamais envoyé de mail ou de courrier, rien. Non pas que Gary ait vraiment cherché à le contacter… Il n’était qu’un gamin quand il s’était retrouvé seul avec sa mère. Et déjà à l’époque, son chagrin avait rapidement laissé place au soulagement. Souvent ivre, violent dans ses gestes comme dans ses mots, son géniteur ne leur avait toujours apporté que des emmerdes. En plus de dilapider toutes leurs économies en paris sportifs et en alcool.
Le comble, c’était qu’il continuait à les faire chier jusque dans la mort. Lorsque Gary avait rendu visite à sa mère deux semaines plus tôt, elle lui avait montré l’avis de décès… ainsi que la reconnaissance de dettes qui l’accompagnait. Leur seul héritage. La somme inscrite sur le document lui avait brûlé les yeux. À quel point allait-il devoir se saigner pour arriver à rembourser tout ça ? Quant au fameux voyage qu’il s’apprêtait à offrir à sa mère, il avait terminé aux oubliettes : à ce rythme-là, ça devrait attendre qu’il gagne au loto…
Derrière le comptoir du Coco Loco, Gary laissa échapper un soupir. Il y avait foule ce soir, mais personne ne faisait vraiment attention à lui. Il évitait, en général, d’exprimer ses états d’âme sur son lieu de travail, mais se dit qu’avec la musique, on ne l’aurait de toute façon pas entendu. On pouvait soupirer en souriant. Question de pratique et d’habitude.
« Drililiiiing ! »
Oh, mais qui voilà ? Son Japonais préféré venait de passer la porte. Gary rangea ses idées noires au placard ; il les ressortirait plus tard, quand personne n’aurait besoin de lui. « Hello ! » salua son client. Il avait bien meilleure mine qu’au Nouvel An, quand il était parti en courant, sans payer son café. Devrait-il le lui rappeler ? Bah, il pouvait bien lui en faire cadeau. Le pauvre, il paraissait tellement au fond du trou, ce jour-là… Et puis sa boisson, même pas entamée, c’était lui qui l’avait bue.
« Hey ! Ça fait un bail que j’vous ai pas vu par ici. La dernière fois, on aurait dit qu’vous aviez l’diable à vos trousses. J’avais peur qu’il ait fini par vous choper ! »
L’Asiatique en costume émit un petit rire poli puis, comme d’habitude, enfila son bidule dans les oreilles. Gary secoua la tête, amusé ; son client n’avait pas dû comprendre un seul mot de ce qu’il venait de lui dire – faut reconnaître qu’il ne lui facilitait pas la tâche non plus, à parler à cent à l’heure sans bien articuler. Mais d’ailleurs… Il connaissait son nom maintenant !
« Momoyama, c’est ça ? Et qu’est-ce qu’on boit, ce soir ? Une bière ?
— Oui, une bière s’il vous plaît. Et oui, c’est mon nom. Comment le savez-vous ? »
Attendri, Gary le vit examiner sa veste, puis son sac à la recherche de l’indice qui l’avait trahi.
« Ahaaa ! J’en connais des choses… Alors c’était bien vous, à la conférence de Rhapsody Blue ? J’ai cru vous reconnaître à la télé, mais j’étais pas sûr.
— C’est là que vous avez entendu mon nom… Je comprends ! C’était moi, oui. »
Les pupilles de Gary s’élargirent ; son visage se fendit d’un sourire en tranche de courge. Envolés, les soucis. Une star des médias se tenait devant ses yeux ! Ce serait un crime de ne pas en profiter pour assouvir sa curiosité. Avec une attitude de conspirateur, il s’approcha du Japonais pour lui chuchoter :
« Alors vous travaillez dans la fameuse équipe dont tout le monde parle ? La réincarnation, tout ça ? »
La star à lunettes confirma d’un hochement de la tête.
« Terrible ! s’exclama Gary en se redressant. J’ai une célébrité dans mon café ! Faudra que je le dise à la patronne, elle va jamais me croire. »
Il surprit quelques regards curieux dans la salle et réalisa qu’il avait mis son client mal à l’aise ; Momoyama rentrait la tête dans ses épaules à la manière d’une tortue effrayée.
« Oups, désolé… Mais, je… c’est juste énorme ! Pardon, je m’occupe de vot'commande. »
Gary se détourna un instant. Calme-toi, la groupie, tu vas le faire fuir, se fustigea-t-il en actionnant la tireuse à bière. Ses mains tremblaient sous l’effet de l’agitation. Il devait refréner son enthousiasme… Avec la conférence de mercredi – dont il avait regardé la rediffusion en compagnie du petit-vieux-du-matin – le sujet échauffait encore plus les esprits. Dans cette fameuse conf’, l’équipe internationale de Rhapsody Blue présentait le papier de recherche qu’elle venait de soumettre. Gary n’était pas différent des autres : même s’il croulait sous les ennuis, la question l’obsédait. Croire ou pas croire ? Soutenir l’Agence ou lui cracher dessus ? Telle était le dilemme qui agitait son café, jour après jour, depuis un peu plus d’un mois. On ne discutait même plus de foot. Place à la philosophie, la vie, la mort et l’au-delà, sur fond de cumba et bachata.
Après avoir déposé la bière en face de son client d’honneur, il resta planté là, à l’observer en silence. Il se gratta la nuque, hésitant. Il craignait de l’importuner avec toutes ses questions – après tout, c’était quelqu’un d’important ! Il se sentit stupide. Jusque-là, il l’avait traité comme n’importe lequel de ses habitués ; maintenant, il l’intimidait et bloquait complètement. Momoyama dut remarquer son trouble car il lui sourit. Gary en profita pour se jeter à l’eau :
« Dites… J’peux vous demander un truc ? Sur vos recherches…
— Mais oui, allez-y, répondit Momoyama en riant. Ce n’est plus un secret. »
Conscient d’être épié par une partie de la clientèle, Gary se rapprocha de quelques centimètres et murmura :
« Je sais qu’c’est votre boulot, tout ça. Mais est-ce que… est-ce que vous y croyez vraiment ? À la réincarnation. Personnellement, j’veux dire. Oui, enfin… ce serait logique, puisque vous y travaillez. Mais pour rien vous cacher… Beaucoup d’gens traitent l’Agence de menteurs. De manipulateurs. »
D’illuminés aussi, mais ça, Gary le garda pour lui. Quelques plis se formèrent sur le front de l’employé de Rhapsody Blue. L’avait-il vexé ? Pourvu qu’il ne prenne pas la mouche… Il tenta de rattraper le coup, au cas où :
« C’est pas forcément ce que je pense, hein ! C’est juste… les racontars, ça y va pas mal, par ici. ais à vous, j’peux faire confiance. »
Au nom de quoi, il n’en savait rien… Une espèce d’intuition lui soufflait que Momoyama était incapable de mentir. Il semblait trop pur, trop innocent. Le Japonais redressa ses lunettes, releva les yeux vers lui et répondit :
« Oui. Je crois à la réincarnation. Mais ça, c’est depuis toujours… Ma famille est bouddhiste.
— Ah…
— J’avais quand même quelques doutes. J’y croyais sans y croire, comme beaucoup de Japonais. Maintenant, je suis convaincu. C’est clair dans ma tête. Mais vous êtes libre de penser ce que vous voulez. Après tout, nos recherches viennent de commencer. Elles n’ont pas encore été publiées. Ni été validées par la communauté scientifique… »
Une réponse honnête. Gary n’en attendait pas moins de lui. Il se redressa et tritura sa boucle d’oreille. Est-ce que ça changeait quelque chose pour lui ? Non, pas vraiment. Il n’arrivait toujours pas à se positionner. Il esquissa une moue déçue. Il aurait aimé obtenir un avis plus tranché, plus catégorique, de la bouche de Momoyama. Dans le meilleur des mondes, il lui aurait avoué que tout ça, c’était du pipeau.
Hélas, la question du croire ou ne pas croire allait continuer à le hanter. Il trouvait l’idée fascinante, mais plus il y réfléchissait, plus elle le rendait mal à l’aise. Entre ça et ces histoires de dettes à rembourser, il ressentait une sorte d’agitation permanente – ce qui lui rappelait ses états de manque, autrefois. S’il parvenait à camoufler son stress sur son lieu de travail, l’angoisse le rattrapait à la porte de chez lui. Le pire venait au moment d’aller dormir : il se retrouvait à cogiter jusqu’à pas d’heures, les yeux tournés vers le carré de ciel nocturne qui se détachait sur son plafond. Un coup, c’était la folie médiatique autour de la réincarnation qui prenait le dessus. Un autre, c’était son père et tous les plans qu’il piétinait en crevant comme un rat.
« S’il vous plaît ? »
Un client voulait payer son dû. Gary abandonna ses réflexions pour s’occuper de lui. Après quelques manipulations à la caisse, il lui souhaita une bonne soirée, puis se retourna vers Momoyama qui parcourait les news sur son téléphone :
« Y’a quand même un truc qui m’dérange, avec cette histoire. J’me demandais si ça pouvait s’contrôler ?
— Comment ça ?
— J’veux dire… D’après vos recherches, ce s’rait possible de choisir sa prochaine vie ? »
— C’est trop tôt pour le dire… Pour l’instant, on observe, on constate, mais on ne comprend pas exactement comment ça fonctionne.
— Bon, mais sinon, c’est juste un truc d’humains, pas vrai ? Pas d’animaux ?
— Nous ne savons pas encore. Vous aimeriez ça ? Devenir un animal ?
— Je… non, j’crois pas, non. Et vous ?
— Pourquoi pas. La vie serait plus facile… moins fatigante.
— Oui, c’est sûr. Moins savoureuse, aussi. »
Les animaux, ça ne pouvait pas danser ou faire la fête. Ça finissait écrasé sous les roues de voiture ou mangé par de plus grosses bêtes. Papi-grognard avait sans doute raison : mieux valait ne pas revenir, mourir pour de bon et basta, on n’en parle plus. Car si sa vie future dépendait de la façon dont il avait mené la sienne jusque-là, il pouvait s’attendre au pire… et c’est bien là ce qui lui causait toutes ses insomnies : si la réincarnation était réelle et fonctionnait au karma, il n’en sortirait jamais gagnant.
« En fait, je préfère encore ne pas y croire, avoua Gary. C’est plus simple comme ça.
— Je vous comprends. »
Refuser d’y croire, cesser d’y penser… plus facile à dire qu’à faire, alors que la ville entière se retrouvait en pleine effervescence. Donc à moins de se barricader chez lui, il serait impossible d’échapper au débat. Pourtant il allait bien falloir car il avait d’autres chats – plus polissons – à fouetter.
Le lendemain, Gary profita de son jour de congé pour se rendre chez le coiffeur. Il avait besoin de se changer les idées. Le lendemain, Gary profita de son jour de congé pour se rendre chez le coiffeur. Il avait besoin de se changer les idées. Et puis sa tignasse devenait vraiment épaisse, limite gênante… Il aurait aimé y ajouter une touche de couleur, mais ne pouvait plus se permettre ce genre de coquetteries. Pas avec l’épée de Damoclès que son père venait de suspendre au-dessus de sa tête. L’heure était aux économies, pas aux dépenses superflues.
Heureusement, il connaissait un petit salon bon marché, proche de son studio, et tenu par un Cubain comme lui. Enfin, à moitié comme lui, car seule sa mère était originaire de Cuba – même si l’autre moitié ne comptait pas vraiment. Aussi bavard que Gary, le patron l’accueillait les bras ouverts et refusait à ses assistantes le droit de le coiffer. Il lui parlait toujours en espagnol. Et chaque fois qu’il s’affairait sur ses boucles, il lui racontait ses histoires de jeunesse qu’il ponctuait de son rire de génie maléfique. Une sorte de radio humaine sans bouton "off".
« Mais qui voilà ! s’exclama le propriétaire aux cheveux poivre et sel. C’est l’ami Morgan ! Eh bien, il était temps que tu rappliques… C’est une belle choucroute que tu nous ramènes là.
— Ouais… Désolé. Y’a du travail, je crois ! Et bonne année, au fait.
— Bonne année, amigo. Tu veux bien patienter ? Je dois finir avec une cliente…
— Bien sûr. »
Gary se trouva un fauteuil et rangea ses longues jambes sur le côté pour éviter de buter contre la table basse. S’il appréciait le patron, son salon manquait cruellement d’espace. Ou alors, c’est lui qui était trop grand ? Sans doute un peu des deux. Une forte odeur de spray capillaire flottait dans l’air : Il s’en emplit les poumons comme il l’aurait fait avec un shoot d’héroïne. Sans savoir pourquoi, ce parfum chimique l’enivrait et le détendait à fond. D’un coup, il se sentit mieux et sourit bêtement à lui-même.
Ses genoux s’agitèrent au rythme d’un morceau de reggaeton craché par un mini-post radio. Sur la table reposaient une vingtaine de magazines ; leurs titres couvraient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Les yeux de Gary s’y attardèrent : régimes miracles, derniers potins, conseils relooking… Toujours les mêmes niaiseries sur papier glacé. Le genre qu’on feuillette sans y penser. Pourquoi les gens gâchaient-ils leur argent pour ces torchons ? Apprenaient-ils vraiment quelque chose ? À moins qu’ils ne trouvent ça distrayant ? Sa mère en achetait régulièrement, mais il n’avait jamais osé y toucher, craignant d’être contaminé par quelque maladie honteuse.
Et s’il résolvait enfin ce mystère ? Dans la vie, il fallait parfois prendre des risques. Sinon, on finissait par s’encroûter et vieillir avant l’heure.
Allez. Pour la science !
Après un coup d’œil autour de lui – pour s’assurer que personne ne le regardait – il saisit l’une des revues qu’il parcourut rapidement.
Au fil des pages, il découvrit des corps lisses et glamours photoshopés. Des starlettes trop maquillées. Quelques photos d’ailleurs laissant peu de place au texte. Des conseils pour mieux vivre, mieux séduire, mieux cuisiner, mieux sexer, mieux acheter, mieux mieux mieux… Du rouge, du rose, du flashy, du je-t’en-mets-plein-les-yeux. En fait, c’était presque hypnotisant. On en mangeait sans réfléchir, comme un paquet de chips abandonné, à portée de main. Alors, Gary comprit enfin.
Des vendeurs de rêve.
Il était bien trop facile de se perdre dans ces futilités ; elles permettaient d’oublier la banalité du quotidien, de s’imaginer qu’il suffisait d’un peu de volonté, d’un brin d’efforts, pour réussir à s’élever et devenir meilleur.
Mensonges…
Il existe toujours un autre chemin, Gary en était persuadé. Et pour avoir lui-même essayé, il savait qu’on ne changeait pas de voie ni de vie sans sacrifices, à coups de shampoing texturisant ou recettes de curry bio. « Tsss » fit-il en rejetant le magazine sur la pile. Tous ces rédacteurs devaient générer un max de fric sur le dos de gens comme sa mère… ou son coiffeur. Mais pouvait-il vraiment les blâmer ? Il avait aussi, autrefois, abusé de la crédulité d’autrui.
Sur l’une des couvertures, un sous-titre vert fluo attira son regard : « Énergie vitale, le pouvoir des graines ». Gary se figea ; ses yeux se perdirent au loin ; une idée géniale venait de lui traverser l’esprit…
« Morgan ? l’interrompit le coiffeur.
— Oups, désolé ! Je… pensais à autre chose.
— Tu cherches des recettes de régime ? lui dit l’autre en riant. À moins qu’une jolie brune de papier n’ait ravi ton cœur ?
— Errh…
— Allez, fais pas cette tête… Viens t’asseoir, je vais m’occuper de ton cas. »
Gary le suivit docilement. Sans surprise, le patron aborda lui aussi le dernier sujet brûlant : la réincarnation. Le concept le rendait furieusement enthousiaste et il finit par avouer qu’il avait toujours cru au « voyage des âmes ».
Sans déconner… Mon pote, si les âmes voyageaient vraiment, je s’rais déjà allé récupérer celle de mon père pour lui faire cracher tout l’fric qu’il a embarqué dans sa tombe. Jusqu’en enfer, s’il le fallait. Car si l’âme existe, l’enfer aussi, pas vrai ?
Pedro le coiffeur poursuivit son monologue sans remarquer la grimace amère de son client. Il enchaîna sur sa tante medium qui savait parler aux esprits et gagnait sa vie à coup d’exorcismes d’enfants :
« S’il existe des âmes errantes ou des personnes possédées, c’est bien la preuve que la mort n’est qu’une étape ! Ma tante avait raison depuis le début… Mais non, il a fallu que la science s’en mêle pour que les gens commencent à accepter l’idée. C’est toujours pareil. »
Gary se garda bien de mettre en doute les talents et la bonne foi de la parente de Pedro et se contenta de quelques interjections polies : « Ah vraiment ? Ah oui ? Ah bon ? Ça alors… C’est fou ! ». Si le sujet l’horripilait, il n’essaya même pas de détourner la conversation. Avec Pedro, il savait qu’il avait perdu d’avance.
Quand il sortit du salon, il se sentait étrangement épuisé. Depuis qu’il avait choisi son bord, toutes ces absurdités au sujet de la réincarnation lui tapaient sur les nerfs. Elles le faisaient douter malgré lui et il détestait ça. Et s’il se payait un T-shirt précisant « J’y crois pas, foutez-moi la paix » ? Les gens comprendraient enfin. Il devait, malgré tout, quelques remerciements à son coiffeur : grâce à lui et à ses magazines, il tenait peut-être l’idée du siècle pour résoudre ses problèmes de dettes ! Et il comptait s’y atteler tout de suite.
Alors qu’il approchait de son appartement, il bifurqua dans une rue parallèle. Un peu plus loin se trouvait un convenient store[1] dont les portes automatiques s’ouvrirent face à lui. Il attrapa un panier, puis se dirigea vers le rayon presse. Là, il se planta devant la section de revues féminines et piocha indifféremment dans la masse jusqu’à remplir son bac en plastique rose. Satisfait, il prit la direction des caisses. Le vendeur lui jeta un coup d’œil halluciné quand il lui remit ses achats.
« 'pourriez faire vite ? J’ai une manucure dans 10 minutes », mentit Gary d’une voix haut-perchée, en examinant ses ongles d’un air affecté.
Le commerçant s’occupa de ses produits en hâte, le regard rivé sur son écran. Gary fut sorti en moins de deux, ses achats en main, et ravi de sa bonne blague.
C’que t’es con, Morgan… Y’a vraiment pas d’quoi rire, en plus.
De retour chez lui, il étala sur le sol le contenu de ses deux sacs plastique. Allez, c’est parti ! Il s’empara d’une paire de ciseaux, puis se lança dans une séance de découpage forcené. Il s’attaquait en particulier aux recettes de grand-mère et aux techniques et produits miracles. Après une bonne heure de travail, il s’estima satisfait. À sa gauche reposaient les cadavres d’une quinzaine de magazines déchiquetés. À droite, un joli petit tas de papiers. Il était temps de passer à l’étape suivante.
À cet instant, la question qu’il avait posée la veille à Momoyama lui revint en tête : « Vous pensez que ça se contrôle ? Qu’il est possible de choisir sa prochaine vie ? »
La prochaine, il n’en savait rien… Mais il avait peut-être trouvé le moyen de changer l’actuelle, sans même avoir besoin de mourir.
Mon pote, y’a vraiment que toi pour inventer des plans aussi tordus.
Toujours assis par terre, Gary s’étira vers son bureau pour attraper un stylo. De son autre main, il récupéra le premier article de la pile : une pseudo-pub qui vantait les bienfaits d’une tisane de désintox. Après l’avoir lu jusqu’au bout, il leva les yeux vers son velux, cherchant dans ce carré de ciel bleu un peu d’inspiration.
D’autres bribes de sa conversation de la veille lui revinrent en mémoire. « Oui. Je crois à la réincarnation », affirmait Momoyama. « Mais vous êtes libre de penser ce que vous voulez. »
Dans sa tête, une sorte de blocage sauta à la manière d’un bouchon de champagne ; une foule d’idées se bousculèrent aussitôt sur l’autoroute partant de son cerveau, pour aboutir à la pointe de son stylo. Gary saisit un prospectus traînant au sol, et sur le revers encore vierge, laissa libre cours à son imagination. La surface lisse et bleutée se retrouva bientôt couverte de notes et de schémas.
Il va me falloir plus de papier.
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Notes de bas de page :
1. Sorte de commerce de proximité proposant une grande variété de produits et services, et parfois ouvert 7j/7j, 24h/24h.
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