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tome 1, Chapitre 13 tome 1, Chapitre 13

Samedi 11 décembre 2032

Saori ne répondait plus à ses messages, ce qui n’empêchait pas Keitaro de continuer à lui en envoyer. Depuis son lit, ce samedi matin, il fit un nouvel essai. Ses doigts s’agitèrent sur le clavier de son petit écran :

« Sao-chan, comment vas-tu aujourd’hui ? Pas trop froid, à Tokyo ? Noël approche. J’ai une idée de cadeau pour Jun, je te l’expédierai par la poste. Pourras-tu lui déposer à côté de son oreiller, le 24 ? Prenez soin de vous. J’ai hâte de vous revoir. »

Il appuya sur le bouton d’envoi en laissant échapper un soupir. Dire qu’il s’était imaginé une mission de quelques jours… Au rythme où se déroulaient leurs recherches, il faudrait compter plusieurs mois avant qu’ils parviennent à un résultat. Saori devait tellement lui en vouloir de l’avoir abandonnée ainsi, avec le petit. Quand elle répondait encore à ses messages écrits, c’était de façon froide et succincte, presque formelle. Ils s’étaient aussi parlé par vidéoconférence une ou deux fois, mais sa mine triste et fatiguée lui crevait toujours le cœur.

Il lui tardait vraiment de rentrer… Mais rentrer pour de bon, pas juste pour les fêtes. Braver sa phobie du vide pour dire bonjour et repartir aussitôt, quel intérêt ? Et puis surtout, il souhaitait se laisser une chance – une vraie chance – de mener à bien sa mission avant de reparaître devant Saori et son père. S’il regagnait le Japon maintenant, ce serait la tête basse et un post-it avec le mot « échec » collé sur le front. Et ça, c’était hors de question.

Si au contraire il attendait un peu, s’il se démenait et arrivait à prouver quelque chose d’aussi extraordinaire que la réincarnation, il pourrait rentrer en héros ! Évidemment, ce ne serait qu’une première pierre que lui et son équipe parviendraient à poser, il faudrait d’autres études et un paquet d’années pour confirmer leurs résultats. Mais cette pierre, elle avait le pouvoir de changer la face du monde. Et surtout, de causer suffisamment de bruit pour résoudre une grande partie de ses problèmes. Qui refuserait une célébrité internationale en guise de mari ou de gendre ? Sans parler des bénéfices sur son orgueil mille fois blessé à RBJ.

Enfin… pour en arriver là, il fallait d’abord sortir du lit. Allez, Keitaro, lève-toi !

Il y avait longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi électrisé. Aussi positif, malgré les résultats mitigés obtenus jusque-là par son équipe. Peu importaient les efforts ou la durée, il donnerait tout ce qu’il pouvait. Pour Saori. Pour Jun. Pour le monde aussi, un peu.

Lorsqu’il fut habillé, il s’approcha de la fenêtre pour écarter les doubles rideaux. Une vive lumière pénétra dans la chambre ; le temps était magnifique. Son programme, beaucoup moins : étudier jusqu’à ce soir. Il devait absolument améliorer son anglais, quitte à y passer tous ses week-ends. Et s’il allait bachoter à l’extérieur ? Bonne idée.

Il ouvrit pour aérer, puis laissa son regard myope errer dans la cour intérieure. Amusant, ce changement d’atmosphère, d’un pays à l’autre. Ça ne tenait pas à grand-chose, seuls quelques détails et l’esprit comprenait qu’il se trouvait ailleurs : le parfum de l’air un peu différent, le type de végétation, le chant des oiseaux. Adieu les corbeaux, bonjour les mouettes et autres passereaux dont il ne connaissait pas le nom ! Il prit une grande inspiration et commença à se détourner, lorsqu’il aperçut une silhouette familière. Il plissa les yeux – ce qui n’eut, évidemment, aucun effet sur son acuité. Ses lunettes trônaient encore sur sa table de nuit. Il s’en saisit et reporta son attention sur la cour.

« Angélica ? »

La jeune femme traversait d’un bon pas la surface dallée du patio en direction de son bâtiment à lui. Paniqué, Keitaro hésita à lever la voix pour se faire entendre, mais renonça par égard pour ses voisins. Qu’est-ce qu’elle fabriquait ici ? Venait-elle lui rendre visite ? Elle aurait pu s’annoncer avant… Son salon était en bazar. Du linge y séchait encore – dont quelques caleçons. La femme de ménage n’était pas passée depuis lundi, impossible de l’accueillir dans ces conditions.

Décidé à partir à sa rencontre, Keitaro enfila une veste, recoiffa d’une main ses cheveux coupés en brosse, attrapa sa mallette, ses oreillettes, et sortit. Il parvint à intercepter sa collègue dans le hall de réception. Comment avait-elle pu entrer sans sonner à l’interphone ?

« Hello ? »

— Keitaro ? Que faites-vous ici ? Vous m’avez fait peur…

— J’habite ici.

— Vraiment ? Ah, mais attendez… Denzel m’avait prévenu qu’un autre employé logeait tout près. Étonnant qu’on ne se soit jamais croisés !

— En effet. »

Keitaro adopta le ton le plus neutre possible pour camoufler son soulagement. Elle ne venait pas spécialement le voir ! Inutile de s'inquiéter à propos du bazar de son appartement.

« D’ailleurs, vous tombez bien, j’avais justement quelque chose à vous dire. »

Il la vit hésiter un instant, mais ne la brusqua pas. Il n’avait rien d’urgent, de toute façon.

« J’ai changé d’avis.

— À quel sujet ?

— Vous savez bien… non ? »

Il redressa ses lunettes. Non, il ne savait pas.

« Catalina, reprit-elle enfin. J’accepte de l’amener à l’Agence pour l’interroger, à condition de le faire moi-même. »

Keitaro haussa les sourcils, perplexe. S’il s’attendait à ça ! C’était plus ou moins inutile dans la mesure où les résultats seraient biaisés, mais qui sait ? Ils pourraient peut-être en tirer quelque chose. D’où venait ce soudain revirement ? Elle paraissait, jusque-là, si révoltée à l’idée de mêler sa fille à leur mission…

« S’il vous plaît, ne me demandez pas pourquoi… J’aimerais juste savoir : pensez-vous qu’en échange, Denzel accepterait que je rencontre la famille de son jumeau de code ? En Uruguay.

— Je peux essayer d’en discuter avec lui. Mais honnêtement, vous n’êtes pas obligée de faire ça. En ce moment, je travaille avec lui sur un moyen de trouver de nouveaux cas. Nous allons bientôt le présenter à la direction.

— J’aimerais quand même le faire. »

Keitaro s’écrasa devant sa détermination. Visage ferme, petit menton relevé, regard fixe. Elle ne changerait pas d’avis, inutile d’essayer. Après tout, si ça lui convenait ainsi, pourquoi pas ?

« Ah. Eh bien… d’accord. Je lui en parlerai.

— Vous alliez sortir ? Excusez-moi, je vous ai retenu.

— Pas de problème ! J’allais chercher un café pour étudier. Vous en avez un à me conseiller ?

— C’est un peu loin, assez proche du bureau, mais j’aime bien le Coco Loco. L’ambiance est sympa. »

Elle lui indiqua l’endroit à partir de son téléphone, le salua puis disparut dans l’ascenseur, un sourire satisfait aux lèvres. Lui aussi se réjouissait, mais pas pour la même raison : il avait réussi à s’exprimer en anglais sans aide électronique. C’était maladroit, hésitant et haché, mais… ça restait un premier pas.

✲°˖✧*✧˖°✲

En bon mélomane, Keitaro tomba amoureux de l’échoppe dès qu’il en poussa la porte.

« drililiiiing »

Un sourire bourgeonna sur ses lèvres lorsque le son des maracas vint chatouiller ses tympans.

L’intérieur du Coco Loco, avec ses mille couleurs et son bazar accroché sur les murs, lui rappelait l’izakaya où il traînait souvent le soir, à Tokyo – en plus exotique, bien sûr. Il était peu familier avec ce type de musique ou d’ambiance, même s’il en devinait aisément l’origine ; un portrait de Che Guevara l’aiguillait vers l’Amérique du Sud. Quel pays exactement ? Aucune idée.

La clientèle l’étonna par sa variété. Un vieillard assis au bar, un homme sur son ordinateur, deux étudiants, et c’était tout. Au moins, il n’aurait pas l’air étrange avec ses écouteurs et livres d’anglais. Sans oublier ses fiches de vocabulaires, déjà cornées, qu’il transportait toujours dans sa mallette au cas où. Au moindre quart d’heure disponible, il les sortait pour potasser ; que ce soit dans le bus, ou à l’Agence pendant la pause déjeuner.

Il s’approcha du bar pour commander son premier café de la journée et… patienta. Le vieillard du comptoir accaparait l’unique serveuse ; curieux et pas spécialement pressé, Keitaro tendit l’oreille pour décrypter son monologue. Il renonça bien vite, l’ancien s’exprimant comme s’il mâchait un sandwich en même temps. Seul un nom perça le nuage de son incompréhension, celui de la jeune femme : Malika.

Une personne étonnante d’ailleurs, cette Malika. Les deux perles noires suspendues au-dessus et en dessous des lèvres, ainsi que le petit anneau qui ornait son nez, attirèrent son attention. Au Japon, les établissements acceptant ce genre de look se comptaient sur les doigts d’une main. Sans oublier ses longs cheveux turquoise lâchés sur ses épaules. Impossible de voir ça chez lui. Elle aurait été, au mieux, obligée de les attacher, au pire de les reteindre. Les Américains disposaient apparemment d’une plus grande liberté. Keitaro leur enviait ce point et s’en effarait en même temps. Qui sait à quels débordements cela pouvait mener ?

« Excusez-moi… Bonjour ! Qu’est-ce que je vous sers ? »

Une fois à sa table avec sa boisson, il se mit enfin à l’étude. Il sortit ses affaires, ouvrit son livre de grammaire, et lut une première fois la consigne d’un exercice. Puis une deuxième fois. Puis une troisième… Les mots semblaient coincés quelque part entre sa rétine et son cerveau. La faute à Malika, derrière le comptoir, qui lui rappelait – sans trop savoir pourquoi – sa collègue argentine. En l’observant du coin de l’œil, il repensa à la discussion de ce matin. Angélica… Pourquoi avait-elle changé d’avis ? Ce brusque revirement le dépassait complètement. Quelque chose avait dû se produire, mais quoi ?

Allons Keitaro, concentre-toi…

Il parvint à grand-peine à terminer toute une page de grammaire, puis souffla, satisfait. L’heure était venue de commander un deuxième café, histoire de remettre un peu de carburant dans la machine – et parce qu’il l’avait bien mérité. Il ôta ses écouteurs et s’apprêtait à se lever quand une femme, à sa droite, lui adressa un signe de main. Une femme qu’il n’avait jamais vue, qui avait dû s’installer pendant qu’il étudiait. Il fronça les sourcils. Que lui voulait-elle ? Figé dans une posture inconfortable – à mi-chemin entre la position assise et debout – il déglutit sans savoir que dire. Enfin, il lui rendit son geste, un sourire crispé aux lèvres. Au Japon, on n’aurait pas idée d’aborder un inconnu dans un café. Du moins, il n’en avait jamais fait l’expérience.

« Bonjour ! Vous étudiez l’anglais ?

— Oui, c’est ça.

— C’est ce que j’ai cru voir. Pardonnez-moi… J’étais curieuse de savoir ce qui vous absorbait autant.

— Aaah... »

Keitaro redressa ses lunettes, mal à l’aise.

« J’étudie aussi les langues, reprit-elle. Je me suis mise au japonais récemment.

— Ah vraiment ? »

Il retomba au fond de son siège, déconcerté. Quel intérêt pouvait-on avoir, aux États-Unis, à apprendre sa langue ? Il détailla son interlocutrice, intrigué. La dame, plus jeune que lui, devait approcher de la trentaine. Cheveux noirs remontés en queue de cheval. Chemise d’été bleu ciel, un peu trop échancrée à son goût. Ses fines lunettes rondes cerclées d’or lui donnaient l’air d’une bibliothécaire.

« Je viens de Tokyo », lui confia-t-il, en pointant son nez de son index[1].

Un sourire gigantesque illumina le petit visage de l’Américaine.

« Enchantée ! Je m’appelle Erika. Erika Sullivan. Ma grand-mère est japonaise.

— Oh, c’est pour ça…

— Oui, et non. J’aimerais visiter le Japon pendant mes prochaines vacances. Je dois me préparer. Dites, ne vous sentez pas obligé d’accepter, mais… On pourrait s’entraider ? Je vous donne un coup de pouce en anglais, vous m’enseignez quelques bases de japonais.

— Euh je… oui, pourquoi pas ?

— Vous permettez que je rapproche ma table ? »

Pendant un court instant, Keitaro perdit ses mots face à cette incursion dans son espace privé. Enfin, il se raisonna et répondit :

« Ou… oui, je vous en prie. Je vais juste me chercher un café. Vous en voulez un ?

— Ça ira, merci ! »

Keitaro fut soulagé de s’éloigner, même s’il devrait revenir bientôt. Quelle rencontre impromptue. Ce pays était, décidément, plein de surprises. Tout le monde y était si… ouvert ! Si sociable. Il devrait s’y habituer s’il devait séjourner plusieurs mois ici. Pour le moment, il avait gagné une partenaire d’études ; si Erika acceptait de le revoir.

✲°˖✧*✧˖°✲

L’examen de Catalina fut programmé quelques jours plus tard, ce qui plongea le reste de l’équipe dans la stupéfaction. Ni Keitaro ni les autres ne comprenaient les motivations de sa mère, mais personne ne jugea utile d’aller lui arracher cette information.

« Pourquoi ne fait-on pas appel à un psychologue extérieur, pour mener cette séance ? s’enquit Emilio, assis à la table ronde de leur salle de réunion. Quelqu’un de plus neutre, pour éviter une analyse biaisée.

— Ce serait préférable, évidemment. Mais Angélica a refusé…

— À quoi ça sert, dans ce cas ? demanda Charlotte en roulant des yeux. Si nous ne pouvons pas exploiter les résultats…

— Vous êtes un peu durs avec elle, riposta Varun. C’est sa fille, tout de même.

— Et nous essayons d’éprouver une théorie scientifique, rétorqua Emilio.

— Nous trouverons d’autres cas, promit Keitaro. J’y travaille. Denzel aussi. Mais cet examen semblait important pour elle…

— Très bien. Mais après ça, plus d’exception. »

Des bruits de pas dans le couloir interrompirent leur échange. La porte s’ouvrit bientôt, révélant l’adorable bouille de la petite Argentine, précédée par sa mère, Angélica. Le même petit nez en trompette, les mêmes yeux noirs, les mêmes fossettes au coin des lèvres quand elles souriaient. Impossible de se tromper sur leur filiation. Catalina présentait, en plus, un air espiègle qui donnait envie de pincer ses joues pleines.

La fillette, émerveillée par la vue du 42ème étage, lâcha quelques mots en espagnol et trottina vers la grande baie vitrée. Elle y apposa ses paumes et le bout de son nez, laissant trois belles traces sur le verre autrement impeccable.

« Hello ! Catalina, tu ne dis pas bonjour ?

— Hello ! répéta la petite.

— Voici ma fille, très contente d’échapper à un jour d’école. N’est-ce pas, querida ? »

Catalina confirma d’un hochement de tête ravi lorsque sa mère lui fournit la traduction.

« On commence quand vous voulez. Emilio, vous aurez besoin de moi ?

— Oui, j’aurai quelques questions d’ordre médical.

— Je vous suis. »

Ce premier examen se déroula sans problème, au grand soulagement de Keitaro – qui, s’il n’y assista pas, ne perçut aucun bruit qui le mit en alerte. Assis à son poste, il avait néanmoins du mal à se concentrer, tout comme la dernière fois. L’impatience l’empêchait de se replonger dans ses tâches de la journée, sans compter qu’il devait aussi supporter celle des autres – Charlotte ne cessait d’aller et venir, Varun faisait tournoyer son stylo à l’infini, stylo qui chutait toutes les trois minutes sur le sol en lino.

Lorsqu’Emilio réapparut, tous les regards se tournèrent vers lui. Sur son visage, un sourire qui contrastait avec l’air réprobateur qu’il exhibait plus tôt.

« On passe à la suite ? Approchez, dit-il en les invitant à son poste. Nous allons suivre la séance d’Angélica en direct. Sur cet écran, j’afficherai les zones actives du cerveau de Catalina. Et sur l’autre, l’intérieur de la pièce. Je vais vous traduire l’échange au fur et à mesure. Le petite ne parle pas bien anglais. Je reviens, attendez-moi ici. »

Il disparut bientôt avec Varun, Angélica et sa fille, pour mieux réapparaître sur l’écran de gauche. Dans le cabinet de fortune renvoyé par la caméra se trouvaient deux chaises à roulettes, un bureau surmonté d’une lampe et l’attirail permettant d’accueillir un Rhapso-casque. Emilio ôta celui-ci de son socle pour l’attacher sous le menton de Catalina, tandis que Varun fixait un petit micro au col de la mère et de sa fille. Les deux hommes refermèrent la porte pour rejoindre Keitaro et Charlotte, postés devant les écrans.

Keitaro s’écarta pour laisser Emilio s’asseoir, puis se plaça derrière son siège et activa son traducteur multilingue. La séance allait commencer… Son torse se comprima sous l’effet de l’anticipation. Même si cette expérience ne pourrait rien prouver en soi, il restait curieux et gardait l’espoir d’apprendre quelque chose.

Et il ne fut pas déçu : de toutes les représentations qu’il se faisait de l’hypnose, la version où l’on mimait des papillons pour élargir son champ de conscience n’en faisait pas partie. Et pourtant, la technique avait l’air de fonctionner à merveille. Au fur et à mesure des réponses, son sourire s’agrandissait ; il se rappelait du profil de la personne possédant, autrefois, le même code que Catalina et jusque-là, les correspondances se multipliaient. Ses collègues durent constater son agitation, car ils se tournèrent vers lui, interrogateurs. D’un geste de la main, il leur signala d’attendre, car il souhaitait rester concentré sur l’échange.

« Pour le moment, le programme suggère qu’il s’agit de vrais souvenirs ! C’est incroyable… » s’enthousiasma Emilio.

À l’image de son équipe, Keitaro retint son souffle, suspendu aux écrans. Emilio promenait son regard d’un moniteur à l’autre, scrollant parfois avec sa souris pour afficher différentes données.

Quelques éclats de voix les firent tous sursauter. L’expression de Catalina, de l’autre côté des caméras, changea brutalement. Elle leur apparut bouleversée, voire révoltée.

« Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Maman, dis-leur d’arrêter !

— Que faut-il arrêter ? Explique-moi et je pourrai t’aider. »

La petite demoiselle se figea. Son regard se perdit dans le vide. Des larmes coulaient sur ses joues.

« Je sais… Je sais comment les faire taire. »

Keitaro observa avec horreur la fillette se lever sur son siège à roulettes et poser un pied sur l’accoudoir. L’une de ses mains se porta à sa gorge, l’autre se tendit vers le ciel. Angélica réagit aussitôt, agrippant la chaise avant qu’elle ne vacille.

« Allons, chérie, descends ! intima la mère d’une voix légèrement tremblante.

— Non, laisse-moi !

— Chhh… Voilà, reviens t’asseoir. Tout va bien, maintenant. Le papillon s’est enfin endormi. Plus personne ne lui fera de mal. Jamais. »

Catalina cessa de se débattre. Ses yeux ronds parcouraient la pièce d’un air égaré. On aurait dit un petit animal effrayé, avec sa maigre poitrine qui se soulevait à un rythme endiablé. Sa mère la serra dans ses bras, la dissimulant aux caméras. Keitaro respirait à nouveau, son cœur résonnait encore à ses oreilles. Il avait envie d’accourir dans leur salle pour s’assurer qu’elles allaient bien. Mais ses collègues ne le laisseraient pas s’échapper avant d’entendre le verdict :

« Dites, intervint Charlotte, peut-on maintenant savoir de quoi l’autre personne est décédée ? »

Keitaro hocha la tête et leur livra les précieuses informations :

« Marisol était adolescente quand elle s’est suicidée. Elle s’est pendue dans sa chambre, après une longue dépression nerveuse. D’après son dossier, elle était victime de cyberharcèlement. »

✲°˖✧*✧˖°✲

Ce soir-là, lorsqu’il regagna sa résidence, Keitaro se trouvait encore dans l'état de choc et d’excitation qui l’avait saisi à la fin de l’examen. Un état partagé par son équipe, dès le départ d’Angélica et sa fille. Même s’il s’inquiétait pour elles, il avait le sentiment d’avoir vécu une expérience incroyable, le genre qui n'arrive qu'une fois dans son existence. Cette mission devenait passionnante… Pourvu qu’ils trouvent de nouveaux cas d’étude bientôt ! Et pourvu que la petite ne garde aucune séquelle de cette séance. Se rappeler d'un suicide commis dans une vie antérieure... Si elle se souvenait de tout, ses prochaines nuits risquaient d'être agitées.

Encore plongé dans les événements de la journée, il pénétra dans le hall de son immeuble et ouvrit machinalement sa boîte aux lettres. Il y trouva une enveloppe grand format dont il reconnut immédiatement l’écriture manuscrite : c’était celle de Saori. Que de bonnes surprises aujourd’hui ! Si sa femme prenait la peine de lui envoyer du courrier, c’est qu’elle n’était pas si fâchée. Impatient et curieux, il déchira le sommet du papier kraft en attendant l’ascenseur. À l’intérieur, il découvrit une autre enveloppe, plus petite. Ainsi que des formulaires de divorce.

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Notes de bas de page :

1. Au Japon, lorsqu'on se pointe du doigt, c'est son nez qu'on indique et non son buste.


Texte publié par Natsu, 2 avril 2021 à 10h11
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