Tampa, samedi 27 novembre 2032
Angélica referma son livre. Voilà une demi-heure qu’elle relisait le même paragraphe sans parvenir à l’intégrer. Ses yeux lisaient, mais son cerveau vagabondait ailleurs. Elle s’était pourtant passionnée pour cet ouvrage quelques jours plus tôt… jusqu’à ce que ses collègues critiquent son auteur, Ian Stevenson[1]. Le célèbre psychologue avait consacré sa carrière à analyser des témoignages d’enfants au sujet de leurs vies antérieures, mais aucun, à Rhapsody Blue, ne semblait prendre ses méthodes au sérieux.
Elle soupira et reporta son attention sur la grande baie vitrée de l’aéroport de Tampa – immense théâtre de bleu et de gris, au-delà duquel s’illustraient quelques ballerines ventrues en tutus blancs et aux ailes métalliques. Hypnotisée par ce curieux ballet d’atterrissages et décollages, ses pensées s’envolèrent à nouveau.
Arrivée trop en avance, elle s’était installée dans un café bondé pour tuer le temps ; d’ici, elle pouvait surveiller le panneau des arrivées, sans compter qu’ils y servaient du jus d’orange pressé dans des gobelets maxi format. Ses mains soulevèrent le récipient cartonné posé devant elle pour le porter à sa bouche. Après deux gorgées, elle lécha le sucre laissé sur ses lèvres, puis vérifia l’heure. Encore trente minutes… Elles seraient bientôt là.
Tout cela valait-il vraiment le coup ? Le déménagement, le changement d’école des filles, le long processus d’adaptation à un pays étranger, à une langue étrangère… ? Angélica craignait d’imposer à sa famille tous ces efforts pour rien, car plus le temps passait, plus sa mission lui paraissait sans lendemain. Qu’importait le salaire, si elles devaient repartir dans un mois ?
C’était un pari. Un pari qu’elle commençait à regretter d’avoir accepté. Gabriel… Comment avait-elle pu imaginer pouvoir le retrouver ? Cette possibilité l'avait séduite quand Denzel l’avait mentionnée, la première fois. Mais le manque de progression de ces deux dernières semaines lui avait remis les idées en place.
Clairement, ils tournaient en rond. En l’absence de nouveaux cas, ils exploitaient le peu qu’ils possédaient déjà jusqu’à la dernière miette. Après quelques enquêtes discrètes menées auprès des familles, ils avaient procédé à des comparaisons pour chaque duo de vivants et de morts. Quelques coïncidences intéressantes commençaient à apparaître, la plupart liées au domaine médical. Hélas, ça ne suffisait pas.
« Impossible de prouver quoique ce soit avec si peu de cas » s’était plaint Emilio, le chercheur en neurologie. »
Angélica avait accusé le coup. Puis elle avait réfléchi et demandé la permission à Keitaro de jeter un œil au profil jumeau de Catalina – seul lui et Denzel y avaient accès. Avec ce compromis, plus besoin d'impliquer sa fille : puisqu’elle la connaissait mieux que personne, elle aurait pu indiquer à l’équipe si elle trouvait des points communs. Et au diable leur protocole de double aveugle… C’était toujours mieux que rien.
Son offre avait été transmise puis rejetée par Denzel : « Une promesse reste une promesse ». Soit elle acceptait d’amener Catalina pour se faire examiner, soit son cas resterait ignoré, comme il le lui avait garanti. Aucun compromis possible. Dommage, elle aurait bien aimé savoir… Ne serait-ce que pour se positionner vis-à-vis de Gabriel : existait-il, oui ou non, un espoir de le retrouver ?
10 h 35. Parfait, allons-y !
Angélica rangea ses affaires, jeta son gobelet, puis quitta le café en se forçant à ne pas sourire pour éviter d’avoir l’air idiote. Elle allait revoir ses filles ! Comme elles lui manquaient… Jamais elle n’avait passé autant de temps loin d'elles.
Arrivée aux portes de débarquement, elle se plaça de façon visible et patienta une durée qui lui sembla infinie. Les autres passagers du même vol défilaient pourtant devant ses yeux… Et si Catalina avait encore fait boguer les machines ? Non, impossible… Du moins si l’on s’en tenait aux théories de Rhapsody Blue. Sa cadette n’était censée partager son Rhapso-code qu’avec une seule autre personne, enregistrée en Uruguay, et aujourd’hui décédée. Mais admettons que de son vivant, cette personne ait voyagé aux États-Unis : son code se trouverait également dans la base américaine, non ? Voyons, est-ce que ça collait en matière de dates ? Caty avait bientôt 5 ans et Rhapsody Blue…
« ¡ Mamááá ! »
Elle n’eut pas le temps de faire le calcul ; la voix stridente de sa fille l’interrompit avant, dissipant ses inquiétudes.
« Mamááá, tu m’as trop trop manqué ! »
Catalina échappa à sa grand-mère pour se précipiter dans ses bras. Angélica la serra fort contre son cœur. Salomé, plus réservée et l’air fatigué, vint l’embrasser en même temps que Sofía et toutes trois prirent la direction de la sortie en jacassant.
« Attention, précisa Angélica, aujourd’hui, on rentre comme des princesses… en taxi ! Tous frais payés par le travail de maman. Ensuite, je vous ferai visiter votre nouveau palace… puis on ira manger une glace pour fêter votre arrivée.
— Il n’a pas l’air si mal ce job, finalement, ironisa sa mère. »
Angélica grimaça. Elle avait raison en ce qui concernait l’aspect matériel, mais il lui coûtait de l’avouer.
« Ça dépend pourquoi… On en reparlera. »
Une semaine de plus s’écoula sans que l’équipe ne parvienne à progresser réellement. Angélica ne pouvait s’empêcher de ressentir de la culpabilité à ce sujet. Elle ne subissait pourtant aucune pression, de personne. Mais la déception générale de ses collègues face à la lenteur de leurs recherches la désolait. Elle-même se sentait frustrée de tourner en rond et de voir ses espoirs – vis-à-vis de Gabriel – lui échapper peu à peu. Malgré tout, son instinct maternel la poussait à tenir sa fille à l’écart de toute cette histoire. Quelle mère digne de ce nom accepterait de sacrifier ses enfants à l’autel de son travail ?
Un soir, pourtant, la curiosité l’emporta.
C’était un samedi. Elle se trouvait seule à la maison avec sa cadette, qu’elle avait déjà mise au lit ; Sofía et Salomé étaient parties au cinéma. Calée dans le canapé en velours de son nouveau salon, elle profitait de cet instant de solitude pour progresser dans son livre. Quelques bruits de pas feutrés lui firent lever la tête en direction de l’escalier.
« Caty ? »
Elle distingua bientôt les chaussettes de sa fille en haut des marches, puis le reste de son petit corps emmitouflé dans son pyjama. Catalina descendait jusqu'au salon en se frottant le cou des deux mains – un geste qu’elle réitérait dans les moments de stress ou d’angoisse.
« Mamá, j’arrive pas à dormir… J’ai encore fait un cauchemar. »
Angélica prit une moue désolée et lui ouvrit les bras. Sa fille s’y réfugia.
« Ils ne te laissent pas tranquille ces cauchemars, hein ? »
Catalina secoua la tête. Sa mère la berça un instant tout en réfléchissant. Elle avait déjà tenté l’hypnose pour l’aider à chasser ses vilains rêves, mais ceux-ci ne cessaient de revenir depuis leur retour d’Uruguay. Peut-être qu’elle ne s’y prenait pas de la bonne façon ?
« C’est quoi que tu lis, mamá ?
— Ca parle de petits enfants qui… racontent leur vie d’avant.
— La vie d’avant quoi ?
— La vie avant de naître. »
Une question lui brûla soudain les lèvres. Une question un peu folle, mais qu’elle ne put retenir longtemps :
« Tu t’en souviens, toi ? De la personne que tu étais autrefois.
— Euh… Mais j’étais dans ton ventre, non ? »
Bonne réponse… C’est ce qu’on lui avait toujours enseigné, après tout. Pourquoi irait-elle s’imaginer autre chose ? Les doigts d’Angélica caressèrent les cheveux d’ébène de sa fille, les démêlant au passage. Quels mystères se cachaient dans cette petite tête d’ange ? Probablement rien de plus que quelques peurs infantiles et tenaces. Elle sourit en repensant à l’auteur de son livre ; Stevenson aurait sans doute vu un lien entre ces cauchemars et une vie antérieure ; il semblait interpréter n’importe quel comportement étrange en ce sens…
La main d’Angélica cessa de se mouvoir un instant. Son regard se perdit au loin. Et s’il existait vraiment un lien ? Les douaniers uruguayens, ou cette nuit passée sur les bancs du Terminal n’étaient peut-être pas la cause du traumatisme de sa fille. Alors que le fait de se rapprocher de l’endroit où son jumeau de code vivait autrefois… ?
« Dis-moi, cariño… Mamá a peut-être une idée pour se débarrasser de ces cauchemars.
— Comment ?
— On va recommencer le jeu de l’hypnose, mais d’une autre façon. Tu veux bien essayer ?
— D’accord ! En plus, je l’aime bien ce jeu.
— Alors, c’est parfait. Tu viens ? On remonte dans ta chambre, ce sera plus confortable. »
Plutôt que de partir des symptômes pour en trouver la cause, Angélica comptait cette fois procéder à l’inverse : se projeter vers une hypothétique vie antérieure et voir si quelque chose en découlait. Une expérience qui, selon Denzel, enterrerait toute possibilité d’interroger Catalina à l’Agence selon le protocole, mais elle se fichait pas mal de l’opinion de son employeur. C’était sa fille, après tout. Et de toute façon, elle ne laisserait personne l’hypnotiser à sa place.
Bien. Commençons…
Chaque séance débutait par une simple conversation et se poursuivait par une étape appelée « induction hypnotique » qui permettait d’atteindre un état de conscience modifié. Pour les enfants, Angélica utilisait des images, des contes ou des jeux de concentration. Et pour Catalina, elle choisit d’invoquer sa nouvelle lubie.
« Rappelle-moi ton animal de ce matin ? J’ai oublié… »
Sa fille aussi, visiblement. Après une longue réflexion, elle en sortit un autre du chapeau :
« Un papillon ! »
Un classique… Bien plus facile que le chameau de la semaine dernière pour le genre d’activités qu’Angélica voulait lui proposer.
« Très bien. On s’assoit sur le lit ? Et maintenant, on ferme les yeux... Tu sens tes ailes dans le dos ? Fais-les battre pour voir ? »
Lentement, sa fille écarta ses bras vers l’arrière et les agita.
« Tu peux sentir le vent qui les remue ? demanda-t-elle en soufflant sur ses bras nus.
— Oui !
— Parfait. Et si tu profitais de cette brise pour aller butiner quelques fleurs ? Tu peux ouvrir les yeux, si tu veux. »
Quelques minutes plus tard, la petite trottinait de-ci de-là, se régalant de pistils imaginaires. Concentrée sur le jeu et guidée par sa mère, elle semblait avoir oublié le reste du monde. Alors qu’elle s’était immobilisée sur une nouvelle « fleur », Angélica examina la vitesse à laquelle se mouvaient ses pupilles ; Catalina était prête pour l’étape suivante.
« Maintenant que le papillon a bien mangé, il a besoin de se détendre un peu. Il trouve une branche où se poser, puis ferme les yeux un moment. »
Sa fille revint s’asseoir sur le lit, en tailleur, et laissa retomber ses ailes sur ses genoux. Il était temps pour Angélica d’improviser une petite histoire pour l’amener où elle le souhaitait.
« Pour arriver à s’endormir, le papillon se rappelle de quand il était dans un cocon, bien au chaud, à l’abri de la lumière. Comme c’était confortable ! »
Catalina se recroquevilla et porta son pouce à la bouche — une habitude qu’elle avait perdu depuis longtemps. Angélica saisit un plaid et l’en couvrit pour faciliter l’immersion.
« Mais le beau papillon n’a pas toujours été dans un cocon. Avant d’y rentrer, il existait sous une autre forme… Mais quelle était cette forme ? Le papillon essaie de s’en souvenir. Était-il grand ? Petit ? Était-il une femelle, un mâle ?
— Il était… moyen. C’était une femelle.
— Ça alors ! Et de quel couleur était-il ? Ses… poils ? »
Pas de réponse, cette fois. Elle était peut-être allée trop loin dans la métaphore…
« Bon. Et comment il s’appelait, ce papillon, sous cette autre forme ?
— Elle s’appelait… Mari. Mariposa… »
Angélica secoua vaguement la tête. « Mariposa » signifiait simplement « papillon » en espagnol. Elle n’avait pas l’impression que l’expérience mène vraiment quelque part, mais décida de poursuivre encore un peu.
« Quel joli nom ! Mariposa… Et où vivait-elle ?
— Elle vivait… en Uruguay.
— Ah oui ? demanda sa mère, intriguée.
— Oui. À Colonia del Sacramento. »
Toujours rien de surprenant. Catalina avait dû choisir la seule ville qu’elle connaissait de tout le pays, la même où elles avaient failli passer un week-end en août.
« Bon, mais alors, que faisait-elle avant de se réfugier dans son cocon ?
— Elle… allait à l’école. Comme les autres papillons.
— Ah vraiment ? Elle devait avoir beaucoup d’amis.
— Non… »
Le visage de Catalina se ferma soudain. Angélica haussa les sourcils. Elle ne s’attendait pas à cette réponse, ni à cette réaction.
« Vraiment aucun ?
— Non. Ils étaient tous méchants avec Mariposa… Ils… »
La voix de la petite partit dans les aigus, puis s’interrompit. Sous ses paupières, ses pupilles dansaient à toute vitesse.
« Ils ne voulaient pas se taire…
— Se taire, cariño ?
— Oui… Ils ne m’aiment pas… Ils la détestent ! Ils se moquent toujours ! Ils veulent… »
Le ton devenait rageur, accusateur. En plus de mélanger les pronoms, Catalina se mit à crier. Sa main droite enveloppa et caressa sa gorge comme pour la protéger. Enfin, elle éclata en sanglots. Angélica sentit son cœur se serrer. Oh non… ¡Dios mío ![2] Qu’avait-elle fait ?
« Allons, c’est fini… Le papillon s’est endormi, il ne pense plus à tout ça. Il respire calmement… Oui, comme ça. Il ne pleure plus. Maintenant, il s’appelle Catalina et personne ne se moque plus de lui. Il rêve de choses agréables, de jolies fleurs, de… glaces à la fraise ! Et après un long sommeil, il se réveille. Douuuucement. Et enfin, il ouvre les yeux. »
Catalina prit une grande inspiration. Elle ôta le plaid de ses épaules et sourit à sa mère qui l'enveloppa de ses bras et la berça.
« Pardon, querida… Je n’aurais pas dû faire ça, excuse-moi… »
Cette fois, c’était Angélica qui pleurait. Elle cachait ses larmes dans le plaid pour ne pas les montrer à sa fille. Elle avait eu peur et en voulait à Denzel – et à son livre – de lui avoir inculqué toutes ces idées. D'un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher de se demander si elle avait touché quelque chose d’intéressant.
Un matin, depuis son poste, Angélica guettait les allers-retours de ses collègues. Elle commençait à bien connaître le rythme et les petites habitudes de chacun. Charlotte arrivait toujours très tôt, Keitaro partait souvent le dernier. Il y avait aussi les pauses café et toilettes que personne, évidemment, ne prenait en même temps. Le seul moment où leur espace de travail restait désert, c’était à l’heure du déjeuner, pendant un intervalle de 15 à 20 minutes : certains partaient manger à l’extérieur, d’autres allaient acheter de quoi grignoter devant leur ordinateur. Pas toujours les mêmes, ça dépendait des jours.
Emilio était en congé aujourd’hui – il devait travailler à distance pour son laboratoire de Montevideo – ce qui faisait une personne en moins à prendre en compte. À 11 h 52, Charlotte leva le nez de son écran :
« Quelqu’un mange dehors aujourd’hui ?
— Ça me plairait bien, répondit Varun. Dans 10 minutes ?
— Angélica ? Keitaro ?
— J’aimerais finir quelque chose, réagit le Japonais. Mais je vais vous accompagner, je n’ai rien à manger.
— J’ai un peu mal au ventre, aujourd’hui, mentit Angélica. Je ne sais pas si je vais déjeuner…
— Pas de problème. J’ai des cachets, si vous voulez…
— Ça va aller, merci. Bon appétit ! »
12 h 6. Tout le monde était sorti. Enfin ! Angélica se précipita jusqu’à la porte entrouverte et la ferma sans bruit. Puis elle s’approcha de l’ordinateur de Keitaro et remua sa souris. Hélas, l’écran de veille laissa place à une demande de mot de passe. Prévisible. Elle laissa tomber la machine et ouvrit un premier tiroir qui révéla un tas de documents. Elle fouilla en vitesse, sans rien repérer d’intéressant. Elle tenta un deuxième. Verrouillé. Si son collègue, amateur de papier, avait imprimé des données sensibles – telles que le profil de Catalina et de son jumeau de code – c’est sans doute là qu’il les cachait. La clef… Elle se trouvait peut-être quelque part sur son bureau.
« Mais enfin, qu’est-ce que vous faites ? »
Angélica s’immobilisa, la main plongée dans une boîte à stylo. Charlotte se tenait sur le seuil, l’air soupçonneux. Répondre quelque chose. Vite.
« Je… Euh… Je cherchais une gomme. J’ai perdu la mienne… »
La Française fronça les sourcils et rejoignit son propre bureau.
« Vous en avez trouvé une ?
— Non…
— Tenez, prenez la mienne. »
Charlotte lui lança l’objet – qu’elle rattrapa de justesse – avant de récupérer son téléphone oublié à son poste.
« Merci, à tout à l’heure ! Bon appétit.
— À plus tard. »
Le cœur battant à tout rompre, Angélica se força à sourire à sa collègue qui disparut à nouveau dans le couloir, sans refermer la porte. Elle se pinça les lèvres et prit une grande inspiration. Elle l’avait échappé belle... Mieux valait renoncer pour aujourd’hui et revenir sagement à son poste.
Ce soir-là, Angélica prit soin d’attendre 30 minutes après le départ de Charlotte pour quitter les lieux à son tour. Elle se sentait épuisée, et honteuse aussi. En débouchant de l’ascenseur, elle se hâta de sortir du bâtiment quand une main se posa sur son épaule. Elle se figea, craignant le pire. Son souffle resta bloqué dans sa poitrine. Elle n’osait pas se retourner.
« Angélica, vous avez un instant ? »
C’était la voix de Varun. La jeune femme relâcha l’air bloqué dans sa poitrine et se retourna.
« Bien sûr…
— J’ai quelque chose pour vous. »
Curieuse et un peu méfiante, Angélica se laissa guider vers le petit parc de l’autre côté de la chaussée. Lorsqu’ils furent hors de vue des employés, il lui tendit une pochette plastique.
« Je crois que c’est ce que vous cherchiez. »
Angélica cligna des yeux, feignant de ne pas comprendre. Elle récupéra la pochette et l’ouvrit. À l’intérieur se trouvaient quelques feuilles imprimées. Un nom, une photo. Un pays : Uruguay. Et une longue liste de données personnelles. Son cœur rata un battement. Elle referma précipitamment le dossier, avant de relever la tête vers son collègue :
« Pourquoi ?
— C’est bien ça, n’est-ce pas ? Charlotte m’a dit qu’elle vous avait vu fouiller…
— Oui. Mais je ne comprends pas…
— Ça fait un moment que j’y travaille. J’ai installé une caméra derrière l’ordinateur de Keitaro. Je n’apprécie pas la façon dont Denzel vous cache ces données… Je l’ai entendu vous parler d’accord et promesse… Mais cette façon de vous refuser l’accès au dossier d’Uruguay, ça n’a absolument rien à voir. Ça ne lui coûterait rien de vous laisser le lire. Non, vous savez quoi ? C’est du chantage pur et dur. »
Angélica haussa les sourcils. Du chantage… Maintenant qu’il le disait, ça y ressemblait bien, oui.
« Ce dossier, c’est son seul moyen de pression sur vous, reprit-il en la pointant du doigt. Il joue avec votre curiosité de mère et je déteste ça. Vous savez, en tant que détective, je connais bien ce genre de méthodes : on me paie souvent pour obtenir des informations qui serviront à faire chanter. Et plus je côtoie ce type de clients, plus je trouve ça petit. Et mesquin... »
À l’ombre des arbres, elle vit son visage se déformer en une grimace de dégoût. Puis il soupira et ses traits s’apaisèrent. Intimidée par ce soudain accès de colère, Angélica n’osa intervenir avant qu’il ait terminé.
« En tout cas… désolé d’avoir tardé. Ça fait un moment, déjà, que je l’ai en ma possession, mais je… craignais votre réaction. Vous auriez pu me dénoncer... Heureusement, j’ai appris ce midi que vous aviez décidé d’utiliser les grands moyens ! Le risque était moindre. Par contre… »
Il l’observa en souriant d’un air taquin.
« Par contre ?
— Par contre, excusez-moi de vous dire que vous feriez un piètre détective.
— Pfff… »
Elle lui frappa l’avant-bras, ce qui le fit pouffer. Honteuse de son échec, elle rougit et sourit en retour, puis attendit qu’il se calme pour lui témoigner sa gratitude.
« Merci, monsieur le justicier.
— Un plaisir. Et si vous tenez vraiment à me remercier… invitez-moi à dîner, un de ces jours. »
Il lui adressa un clin d’œil, elle lui renvoya une grimace.
Évidemment… Tu pensais que ce serait gratuit ?
« Je plaisantais, dit-il en riant. Ne me regardez pas comme ça… Vous ne me devez absolument rien. Bonne soirée Angélica, à demain. »
Gentleman, il la salua sans un mot de plus et traversa la rue en sens inverse. Surprise par ce revirement, elle l’observa s’éloigner avec reconnaissance. Puis, n’y tenant plus, elle rouvrit la pochette et parcourut en vitesse la première feuille du profil tant convoité. Il faisait trop sombre sous les arbres. Elle se rapprocha d’un lampadaire et reprit sa lecture. Enfin, elle s’arrêta sur le paragraphe relatif à la cause du décès. Ses yeux s’écarquillèrent.
« Ah ! »
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Notes de bas de page :
1. Psychiatre connu pour ses travaux sur la réincarnation, et dont cette histoire s’est largement inspirée.
2. « Oh mon dieu » ou « Oh bon sang » en espagnol.
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