Le ciel était sombre. Des nuages menaçants, prêts à lâcher leurs gouttes d'eau sur le sol.
Zeik aimait la pluie. Il aimait la fraîcheur et l'humidité qu'elle apportait. Quand il se retrouvait dessous, recevant les gouttes sur son visage, il avait l'impression d'être lavé de tout. Lavé de ce qu'il pensait, de ce qu'il avait fait, de ce qu'il voulait. Le temps de l'averse il se sentait vide et bien. Tout revenait quand la pluie partait, et rien n'avait changé.
Au Japon, il ouvrait toujours ses fenêtres par temps de pluie, même en hiver. Entendre le son des gouttes qui tombaient sur la ville lui permettait de s'évader. Il aimait ce bruit, cette sensation. Pourtant, ce soir-là, il ne pleuvait toujours pas, malgré ce ciel menaçant. Quelques rayons de soleil arrivaient même à percer entre les nuages.
Zeik attendait cette pluie, assis sur la terrasse qu'ils avaient, à l'arrière de la maison. A l'étage, juste au-dessus de lui, la fenêtre de sa chambre. Fenêtre par laquelle sa mère passa la tête.
- Zeik rentre, il va pleuvoir.
Il ne la regarda même pas.
- C'est précisément pour cette raison que je suis assis là.
Il ne le vit pas, ni ne l'entendit, mais il devina le soupir de sa mère.
- Rentre, de toute façon nous allons manger.
Zeik ne bougea pas. Il était bien là, assis adossé à la maison, attendant une pluie qui tardait vraiment à venir.
- Zeik !
Il leva enfin les yeux vers elle.
- Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre ?
- Je te cherchais. Rentre chéri.
- E e (oui)
Zeik agita sa fourchette dans son assiette. Un plat de ratatouille, tout ce qu'il y avait de plus normal. Du moins pour ceux qui connaissaient. Des tomates, des aubergines, des courgettes, des oignons. Tout cela dans un même plat. Ce n'était pas mauvais, peut-être même bon.
Zeik piqua un morceau de courgette, l'observa au bout de sa fourchette. Une goutte de jus tomba sur la nappe blanche et propre.
- Tu n'aimes pas Zeik ?
Il haussa les épaules. Son père se resservait déjà une assiette.
- Moi j'aime beaucoup. C'est toi qui l'as cuisiné ?
- Non, un cadeau de bienvenue de la voisine. Il faudra que je lui rapporte le plat.
Zeik quitta sa fourchette des yeux, pour regarder sa mère. Son morceau de courgette refroidissait.
- Un plat de légume ? Comme cadeau de bienvenue ? J'imagine déjà le genre de voisin.
- Ne soit pas médisant Zeik ! Elle a l'air très gentil. Peut-être qu'elle aime tout simplement cuisiner et qu'elle aime partager avec les autres.
- Ou alors elle avait un surplus et ne savait pas quoi en faire, du coup elle nous le donne pour s'en débarrasser.
- Qu'elle que soit la raison, c'est gentil de sa part. Tu n'aimes pas ?
Le garçon se décida enfin à manger ce misérable petit morceau de courgette.
- Ce n'est pas mauvais.
Il prit une autre fourchette, sans grande conviction.
- Je n'ai pas faim, c'est tout.
Il regarda le nouveau morceau de légume qu'il avait prit. De l'aubergine, il n'aimait pas vraiment. C'était gluant et plutôt étrange.
Son père prit un morceau de pain, sauça son assiette avec. Il n'y restait pas une miette. Au moins, ce voyage et ce changement radical de vie ne coupaient pas l'appétit de son père. Ryo Kaîda, cent-dix kilos la dernière fois qu'il était monté sur la balance. Il était une personne facilement qualifiable de peu sportive, voir pas sportive du tout. Il mangeait toujours pour trois.
A la différence de sa femme. Yuki Kaîda. Petite et mince, elle mangeait juste ce qui était nécessaire au bon maintien de son corps. Lui, trouvait sa mère bien trop maigre, sans jamais le lui avoir vraiment dit...
Les deux exacts opposés.
En les regardants, Zeik se demandait souvent de qui il tenait. Physiquement, il ne ressemblait ni à l'un, ni à l'autre, moralement, cela dépendait des moments. Il s'était déjà demandé s'il n'avait pas été adopté, mais il avait la preuve que non.
- Ta journée ne sait pas bien passée ? Demanda sa mère, inquiète.
Zeik haussa une nouvelle fois les épaules. Il n'avait fait que vivre une journée banale de sa nouvelle vie. Il avait eu un peu de mal à suivre en cours, il s'était sentit perdu, rien en revanche qui aurait pu lui couper l'appétit.
- Ma journée c'est plutôt bien passée, ça va. Je n'ai pas parlé à beaucoup de monde, mais ma classe à l'air plutôt sympa.
- Cette fille aussi, elle a l'air sympa.
Sa mère avait un sourire à la fois amusé et malicieux.
- Quelle fille ?
- Ne feins pas l'ignorance. J'ai bien vu que toutes les filles de la classe t’observaient, de loin. Mais il n'y en a qu'une seule avec qui tu restais. Celle avec qui tu es arrivé en retard, soit dit en passant.
- En retard en cours ? Déjà ?
C'était visiblement tout ce que son père avait relevé de la remarque de sa mère, le reste lui importait peu.
- Elle... c'est Sâme. C'est elle qui m'a accueilli et fait visiter le lycée. Elle et son copain.
Zeik avait bien insisté sur le mot « copain », en fixant sa mère.
- Elle a déjà un copain ? C'est bien dommage.
- Dommage ? Pourquoi ?
Yuki Kaîda grignotait son bout de pain comme un enfant, ou comme un rongeur. Ses expressions faisaient vraiment penser à celle d'un lapin cherchant à attendrir.
- Elle est plutôt mignonne. Vous iriez bien ensemble...
L'adolescent avala de travers sa bouchée de ratatouille.
- Maman !
- Qu’est-ce que j'ai dit ?
- Chérie ne le brusque pas voyons ! Il n'est qu'en seconde et c'était sa première journée dans ce lycée. Il faut lui laisser du temps.
La conversation intéressait enfin son père. Il avait terminé son morceau de pain et son assiette était blanche. La raison était peut-être là. Il n'y avait plus de quoi se préoccuper d'une assiette vide.
- Et Alors Ryo ? C'est bien au lycée que nous nous sommes rencontrés !
- Oui, sauf que nous étions en terminal.
- Il faut bien commencer à un moment donné. Zeik ne nous a jamais ramené de petites amies à la maison !
Elle se tourna vers son fils, tout en continuant à s'adresser à son mari.
- Quand je l'ai vu avec cette fille, je me suis dit que l'occasion était enfin arrivée !
Zeik s'étouffa une nouvelle fois, avec la gorgée d'eau qu'il venait de boire cette fois. Un peu plus et il recrachait tout dans son verre.
- Par pitié, pas ça !
Son père regarda la casserole de ratatouille, son fils, la casserole encore. Il était bien tenté d'en prendre une troisième fois finalement. Il hésita, son assiette était parfaitement saucée.
Sa gourmandise l'emporta et il se resservit une louche. Le jus se répandit sur la totalité de l'assiette blanche à fleur verte.
- Cela dit, ta mère n'a pas tort. Il faut prendre son temps, mais rien n'interdit des petites aventures. Pourquoi tu ne nous as jamais ramené de petites amies à la maison ?
- On vient tout juste d'arriver en France !
Ryo avala une bonne fourchette du plat de légume.
- Je te parle d'avant, au Japon. C'est de ton âge d'avoir un tas de copines.
Après sa mère, c'était son père qui s'y mettait. Dire qu'il le croyait de son côté il y a quelques minutes à peine.
Zeik laissa retomber sa fourchette, il n'avait réellement plus faim.
- Ce n’est pas vrai...
- Tu as pourtant du succès. Cela se voit à la manière dont les filles te regardent, fit remarquer sa mère.
Il se frotta les tempes. Il n'aimait vraiment pas la tournure que prenait cette conversation.
- A ton âge, j'avais déjà arrêté de compter le nombre de copines que j'ai eu, avoua son père.
- Je pensais qu'il fallait prendre son temps !
- Je ne parle pas de relations sérieuses ! Peut-être que là, oui, il faut prendre son temps. Pour le reste en revanche...
Cela en devenait presque ridicule. Ses parents lui demandaient vraiment d'avoir des relations d'un soir ? Ce n'était pas sérieux quand même !
- Merveilleux ! Vraiment super. On ne peut pas changer de sujet de conversation ?
- Pourquoi ? Tu ne veux pas nous en parler ?
- Non pas vraiment.
Yuki Kaîda réalisa tout juste qu'elle avait terminé son bout de pain, après passé de longues minutes dessus. Son père, lui arrivait à la fin de sa troisième assiette et de pratiquement toute une baguette de pain à lui tout seul.
- Je vais chercher le dessert.
En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, sa mère était de retour, des yaourts à la main. Des natures sucrés, tout ce qu'il avait de plus simple. Sacré dessert !
- Et toi, pourquoi tu ne me l'as pas dit plut tôt ?
Quand elle mangeait ce dessert laitier, sa mère ressemblait à un enfant qui venait de découvrir une toute nouvelle saveur, quelque chose d'inédit.
- Quoi donc ?
- Que tu travailles dans le lycée où je vais.
- Cela te dérange ?
Zeik poussa son assiette. Il n'avait même pas faim pour un dessert.
- Je ne sais pas...
- Tu devais bien te douter qu'en venant ici, je travaillerais aussi. J'ai toujours été professeur, je n'allais pas ma lancer dans une carrière de plomberie.
- Et pourquoi pas ?
- Zeik, s'il te plaît ! Ils recherchaient un nouveau professeur d'anglais, j'ai sauté sur l'occasion. Que cela soit dans ton lycée, ou non, ne change rien !
- C'est toi qui le dis ça.
- Il n'y a pas de discussion à avoir là-dessus Zeik.
- Très bien, alors laissez ma vie amoureuse en paix.
Sa mère reposa son pot vide sur la table. Elle garda la cuillère à la bouche encore un instant, avant de la poser à son tour, bien droite à côté du yaourt vide.
- Parce que tu en as une ?
Zeik se leva.
- Ce repas était vraiment bien, mais je vais me coucher maintenant.
- Déjà ?
- Je ne suis pas encore habitué à cette heure française. Je veux être en pleine forme pour demain. Je vais voir l'équipe de basket.
- D'accord. Dors bien mon ange.
- Merci.
Sans rien ajouter, il alla s'enfermer dans sa chambre.
Dans le noir, il s'effondra sur son lit. Au milieu des coussins, il regarda le vide que l'obscurité lui offrait.
- Une vie amoureuse, hein ? Tu parles.
Il se roula en boule et ferma les yeux.
- Si vous saviez...
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