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tome 1, Chapitre 64 « La nasse » tome 1, Chapitre 64

La première chose qui me frappe, c’est le bruit assourdissant d’une pluie torrentielle qui s’est abattue sur le Palluet pendant que nous étions dans le souterrain. Un filet humide dégouline le long du mur, au-dessus de l’évier. Une petite mare se forme sur la table. Les gouttes mitraillent la toiture avec une telle violence que je m’étonne qu’il n’y ait pas plus de fuites.

La pendule indique treize heures. Les volets sont restés fermés ; nous ne pouvons rien distinguer de ce qui se passe à l’extérieur. Malgré tout, la lumière du jour parvient à s’infiltrer par les rainures du bois et nous permet de discerner l’intérieur de la pièce sans trop de difficulté. Il y règne un désordre indescriptible. Les placards ont été vidés et leur contenu a été posé pêle-mêle sur le sol, sur l’évier, sur la table : batterie de cuisine, vaisselles, victuailles… Les fragments d’un verre cassé scintillent dans la semi-pénombre. Je manque de buter dans les boîtes de conserve que j’ai moi-même achetées à Sainte-Marguerite. Un paquet de farine à demi éventré vomit sa poudre blanche sur le carrelage : de petites dalles de terre cuite octogonales, parmi lesquelles s’intercale, à distance régulière, une plus sombre.

— La porte du placard à balais était ouverte, et l'essentiel de ce qu'il y avait dedans a été sorti. Cela a facilité les choses, soupire Charles en promenant autour de lui un regard perplexe.

J’ai lu assez de romans policiers pour comprendre que l’endroit a été fouillé. La chambre reste noyée dans une pénombre dense, mais un coup d’œil suffit à voir qu’elle a subi le même sort. Je sens mon cœur se serrer devant le saccage. Cette maison suscite en moi des sentiments étranges, mitigés. Elle renferme des souvenirs d’épouvante : les habits d’Armance déposés sur le lit avec le médaillon de Marguerite, la robe rouge et son parfum capiteux… mais aussi des moments plus tranquilles, sinon agréables.

Alors que je tends la main vers l’interrupteur, Charles m’arrête d’un regard :

— Non. Ils risquent de se rendre compte que nous sommes là. La pluie a couvert le boucan que nous avons fait en forçant la trappe, mais nous n’aurons pas toujours autant de chance. Rien ne dit qu’ils ne nous guettent pas au-dehors…

— Il y a une porte sur l’arrière de la maison.

— Qui peut très bien être surveillée…

La pluie s’est un peu calmée. Le son de mitraille a fait place à un crépitement plus léger et continu.

Même si nous ne pouvons pas observer ce qui se passe par les fenêtres, la porte d’entrée comporte une petite lucarne, aveuglée par un bout de rideau jauni. Je m’avance et, avec précaution, j’écarte le carré d’étoffe. Quelque chose la bouche en partie. En y regardant mieux, je m’aperçois qu’il s’agit d’une planche.

L’opercule peut s’ouvrir ; sans même réfléchir, je manipule la poignée. Une bouffée d’air froid pénètre dans la maison, qui n’est déjà pas bien chaude. C’est bien du bois, une sorte de tasseau qui doit bien faire cinq centimètres d’épaisseur. J’essaye de le pousser, sans succès. Je secoue la tête avec perplexité :

— Qui a mis cela ?

Charles s’approche à son tour pour jeter un coup d’œil.

— Ils ont condamné la porte, marmonne-t-il entre ses dents, avant de refermer la lucarne.

Au rythme où les catastrophes nous pleuvent dessus, je reçois l’information sans m’en émouvoir particulièrement. Je me sens plus intrigué qu’autre chose.

— Pourquoi ?

— Ils cherchaient quelque chose dans cet endroit. Ils ne l’ont pas trouvé… mais ils ne pouvaient exclure que cela y soit encore. Comme vous avez toujours la clef, ils ont pris des mesures plus drastiques et ont tenté d’en interdire l’accès. Ils ont dû avoir peur que vous le récupériez…

Il observe un instant de silence, avant de poursuivre, plus doucement :

— Avez-vous une idée de ce que cela pourrait être ?

Je n’ai pas besoin de beaucoup réfléchir :

— Absolument aucune...

Je me baisse pour ramasser une chaise tombée à terre et m’y asseoir.

— Qu’est-ce que nous allons faire, maintenant ? Vous pensez que nous pouvons sortir de là ?

Charles ne répond pas tout de suite. Il écarte le rideau et scrute la place qui s’étend devant la maison.

— Avec un peu de temps et d’efforts, nous pourrions réussir à faire sauter ces planches, d’une façon ou d’une autre. Mais ce ne serait pas très discret. De ce que je vois, il y a des gens qui se promènent dans le coin... À croire qu’ils n’ont rien d’autre à faire qu’à tirer le lapin dans les rues du Palluet.

— Vous voulez dire… qu’ils sont armés ?

— Si vous entendez par là qu’ils portent des fusils de chasse, c’est le cas.

Charles laisse retomber le rideau et pivote vers moi :

— Nous ne pouvons peut-être pas sortir, mais nous avons de l’eau, des provisions… Nous ne sommes pas censés avoir pénétré dans la maison. Ils ne viendront pas nous chercher. Si nous faisons profil bas, ils vont finir par passer à autre chose… Tout ce que j’espère…

La phrase meurt avant sa conclusion. Le jeune homme se détourne ; ses épaules se sont un peu affaissées. Sans doute craint-il que les villageois tournent leur regard vers la demeure des Ferrand. Nous pouvons effectivement rester à l’abri aussi longtemps qu’il le faut, mais ce n’est pas le cas de son père, isolé et sans nouvelles de nous. S’il ne nous voit pas réapparaître, il ne pourra pas s’empêcher de partir à notre recherche… Ce qui pourrait bien lui coûter la vie.

Malgré mes efforts pour ne pas céder au découragement, j’ai l’impression qu’à chaque fois que nous repérons une issue, nous nous heurtons à un mur – au sens réel comme métaphorique. J’ai de plus en plus de mal à supporter le froid, l’humidité et la pénombre à laquelle nous ne parvenons pas à échapper, quoi que nous fassions. Mes vêtements couverts de boue et poussière de roche ne me réchauffent plus.

— Aidez-moi à trouver une chandelle ou une lampe électrique dans tout ce bazar. Tant qu’il fait jour, nous pouvons utiliser une lumière discrète. Nous verrons les choses sous un meilleur jour quand nous aurons un peu rangé toute cette pagaille.

Avec effort, je m’arrache à la chaise. Charles s’est déjà mis au travail, en replaçant les ustensiles de cuisine et la vaisselle. Je décide de m’attaquer aux boîtes de conserve. L’une d’elles a roulé jusqu’au placard à palais, dont le fonds bée toujours. Tandis que je me penche pour la ramasser, mes yeux se posent sur la bouche sombre d’où s’échappe le bruit du courant. Je repense à la barque, aux étincelles de lumière à la surface des eaux.

— Et si nous suivions la rivière ?


Texte publié par Beatrix, 18 avril 2022 à 22h50
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