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tome 1, Chapitre 62 « Prisonniers des ténèbres » tome 1, Chapitre 62

Derrière nous, le tunnel n’est plus qu’un amas de pierres éparses. Toute possibilité de les déplacer suffisamment pour se frayer un passage semble exclue ; certaines sont trop massives pour être bougées à la main. En outre, rien ne dit que nous ne provoquerions pas d’autres éboulements.

Charles a éteint son briquet, pour économiser le précieux pétrole. Même si nous sommes assis côte à côte, dans le noir complet, je ne peux distinguer son expression ; c’est peut-être mieux. Sa respiration haletante témoigne de la panique qu’il a dû ressentir et de sa probable colère envers moi. Je lui dois une explication que je suis bien incapable de lui fournir pour le moment. Tant bien que mal, je m’efforce de rassembler les lambeaux de mes souvenirs, dispersés entre rêve et réalité.

— Je suis désolée. Je ne comprends pas plus que vous…

Une nouvelle quinte de toux vient couper ma pitoyable tentative d’atermoiement. Les événements se remettent peu à peu en place. La poursuite. La chapelle en ruine. Le souterrain. L’alcôve… puis ce trajet dans une lumière surnaturelle, et la rivière qui se transforme en serpent et me guide vers Armance.

— Je me suis endormie… Ensuite, j’ai fait un rêve bizarre. Je me suis réveillée quand vous m’avez précipitée à terre.

— Je ne vous ai pas trop secouée ?

Malgré le sérieux de la situation, je ne peux réprimer un petit sourire. Mon explication ne contenait aucun sous-entendu accusateur, mais le jeune homme éprouve malgré tout le besoin de s’excuser, lorsque c’est moi qui devrais me déclarer navrée.

— J’aurai peut-être quelques bleus, mais c’est toujours mieux que d’être écrasée par un éboulement.

Ma voix s’étrangle un peu sous l’effet d’une peur rétrospective qui me saisit subitement.

— Je vous remercie…

Charles se racle la gorge.

— De rien. Mais la prochaine fois que vous ferez une crise de somnambulisme… éviter de le faire dans un tunnel sur le point de s’effondrer.

J’opine, avant de me souvenir qu’il ne peut voir ce geste.

— Je vais faire mon possible, mais ça ne dépend pas de ma volonté. Que s’est-il passé, au juste ?

— Je suis sorti un instant de l’alcôve pour vérifier que les poursuivants s’étaient éloignés, et quand je suis revenu, vous n’étiez plus là. J’ai tout de suite compris que vous aviez dû vous enfoncer dans le souterrain. Je pensais pouvoir vous rattraper avant que vous vous mettiez en danger… mais vous aviez déjà atteint la zone instable. Alors que je me rapprochais de vous, j’ai entendu des gravats tomber juste derrière moi. J’ai couru vers vous, aussi vite que possible. Quand je vous ai aperçu, le plafond au-dessus de vous commençait à s’effondrer.

Il pousse un soupir.

— À présent, il faut espérer que là où nous sommes, la voûte tiendra le coup. Et surtout… trouver un moyen de sortir de ce trou. Je n’ai pas vu grand-chose, mais il est certain que le chemin vers la chapelle n’est plus praticable.

Une main glacée me serre la gorge. Mon corps se recroqueville instinctivement. J’ai pu, jusqu’à ce point, écarter cette terrible réalité : nous sommes emmurés dans ce boyau obscur. Des images atroces me traversent l’esprit, où nous succombons lentement à la faim, à la soif, dans ces ténèbres qui deviennent notre tombeau. Je m’oblige à respirer ; les particules de roche sont retombées et j’y arrive sans tousser. Malgré tout, l’horrible malaise qui me tord le ventre ne se dissipe pas pour autant. Pourtant, au cœur même du désespoir qui me menace, un son me parvient, ténu, mais non moins prometteur. Je me redresse en suspendant mon souffle.

Je n’ai pas rêvé, cette fois, je le perçois plus clairement : celui de l’eau qui coule. À tâtons, je cherche le bras de Charles :

— Écoutez… Vous l’entendez ?

— Entendre quoi ? Je…

Il marque une pause, avant de reprendre :

— La rivière… c’est bien ça ?

— Oui. Vous avez dit vous-même qu’on pouvait l’entendre de l’entrée du souterrain. Elle ne doit pas être si loin.

— Ça ne veut pas dire qu’elle peut nous mener à la surface !

Son raisonnement se tient… outre le fait que la rivière maudite a la réputation d’emporter aux enfers ceux qu’elle happe. Même si le scepticisme du jeune homme devrait me décourager, j’éprouve une étrange assurance. Il existe une issue, quelque part, qui nous permettra de revenir à l’air libre. Néanmoins, si j’en parle à Charles, surtout après ce qui vient de se passer, il va sans doute croire que je perds la tête.

— Cela vaut la peine d’essayer.

Avec effort, je me hisse sur mes pieds. Une myriade de douleurs diffuses m’assaillent, conséquences de notre fuite éperdue, de mon séjour sur la banquette de pierre comme du plaquage en règle infligé par mon sauveur. J’esquisse quelques pas pour détendre mes muscles.

— Je suppose que vous avez raison, soupire le jeune homme en se levant à son tour. Il va nous falloir économiser le peu de lumière que nous avons. Je vais allumer le briquet par intermittence pour vérifier s’il n’y a pas de danger en face de nous. Le reste du temps, nous progresserons en gardant une main sur la paroi. Nous n’irons pas bien vite, mais cela vaut mieux que se retrouver dans l’obscurité totale parce qu’il n’y a plus de pétrole ou de mèche.

Il fait surgir la petite flamme une première fois ; elle me semble éblouissante après ce noir absolu. Devant nous, la galerie se poursuit, intacte. Le sol de terre battue ne laisse présager aucun puits ni ornière qui pourrait menacer notre avancée. Quand la lueur du briquet disparaît, nous nous mettons en route, en frôlant la maçonnerie du bout des doigts. Nos pas d’abord hésitants deviennent plus sûrs. Je me permets de laisser mon esprit revenir sur les images du rêve qui a causé notre situation périlleuse. En particulier sur l’étrange carrelage qui s’étendait sur le plafond de la caverne.

Soudain, je reconnais ce motif particulier.

Le sol de la maison d’Armance…

— Bien sûr !

Ce n’est que lorsque je bute dans Charles que je m’aperçois que je me suis exclamée à voix haute, et qu’il s’est immobilisé devant moi. Avant qu’il ne me pose la moindre question, je me hâte d’expliquer :

— Il y a une issue qui mène dans la maison d’Armance, j’en suis certaine ! C’est pour cela qu’elle convoitait cet endroit, parce qu’il donnait sur la rivière souterraine ! Vous l’avez dit vous-même quand vous êtes venu : il doit exister un conduit ou un puits, plus ancien que la bâtisse actuelle ! Et peut-être même un moyen de remonter dans la maison !

Charles ne répond pas tout de suite. Il doit réfléchir à ce que je viens de lui dire.

— C’est une possibilité, déclare-t-il enfin, d’une voix pensive. Dans tous les cas, étant donné la distance entre les ruines de la chapelle et la maison de votre cousine, il doit bien nous rester deux cents mètres à parcourir. Autant ne pas traîner…


Texte publié par Beatrix, 12 avril 2022 à 21h45
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