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tome 1, Chapitre 42 « De choquantes révélations » tome 1, Chapitre 42

— Mademoiselle Chaveau, c’est un plaisir de vous voir ici, surtout avec tout ce que vous avez dû affronter !

Je baisse humblement la tête comme pour le remercier de sa sollicitude. Je l’observe sous mes cils, tandis que je lui réponds d’une voix douce :

— C'est très gentil de votre part, mon père. Jamais je n’aurais imaginé que de tels événements pouvaient survenir dans un village aussi reculé. Heureusement que vous êtes là pour veiller sur les âmes du Palluet.

Son visage se fige un instant, puis un mélange de doute, de soupçon et d’irritation altère ses traits. Je suis persuadée que, comme Noual, il devine ce qui se trame dans les eaux noires du marais… peut-être en sait-il plus encore, par des paroles chuchotées dans la pénombre des confessionnaux. Derrière ses lunettes cerclées d’or, les secrets brouillent son regard, avant qu’un sourire forcé ne les dissipe.

— Ce n’est que mon devoir… Bon dimanche à vous !

— Merci, mon père.

Tandis que je me hâte de rejoindre mes compagnons, une femme se dresse juste devant moi, comme pour me bloquer le passage. Dans son visage pâle aux yeux trop brillants, la bouche s’étire en un rictus de haine :

— C’est vous ! Je sais que c’est vous !

Je me fige aussitôt, surprise ; que me veut cette folle ? Elle me paraît vaguement familière.

— De quoi parlez-vous ?

Sous cet assaut verbal, j’ai reculé de quelques pas ; les talons de mes bottes heurtent la première marche de l’église.

— Ne faites pas l’innocente, je sais qui vous êtes !

Je la reconnais à présent : il s’agit de la femme qui accompagnait Marguerite Ferrand, la seule fois où je l’ai croisée en vie. Le décès de son amie a dû lui retourner l’esprit. Je m’oblige à sourire :

— Bien sûr… je suis Éliane Chaveau, la cousine d’Armance Chaveau.

Un rire strident échappe à la furie. Les villageois qui se sont rassemblés pour discuter par petits groupes se tournent vers nous, certains avec curiosité, d’autres avec gêne, d’autres encore avec une hostilité visible.

— C’est ce que tu prétends, Armance ! Tu as fait croire à ta mort pour mieux revenir ! C’est toi qui as tué Marguerite, avoue-le ! Tu l’as offerte au Serpent !

Face à cette accusation, je ne peux que la regarder avec des yeux ronds. Que répondre à cela ?

— Tout le monde est au courant ! On a retrouvé chez toi ta robe mouillée et le pendentif de Marguerite !

Je sens le sang refluer de mon visage ; j’avais presque oublié la mise en scène sordide sur le lit de ma cousine. Comment peut-elle savoir ce qui s’y trouve ? A-t-elle pénétré dans la maison ?

— Tu vois, tu ne nies même pas !

Avant qu’elle puisse continuer, une large silhouette apparaît à mes côtés.

— Laisse-la en paix, Marthe. Ces histoires ne la concernent pas.

Une fois encore, mon sauveur attitré vient à la rescousse. J’abandonne toute fierté pour me glisser derrière l’imposante carrure de Noual. À quelques mètres de là, Célestin nous observe avec inquiétude. Il fait mine de nous rejoindre, mais le jeune homme l’en dissuade d’un mouvement de tête. Marthe, ulcérée par son intervention, redirige sur lui sa hargne :

— Je ne suis pas surprise, Charles… est-ce que tu te roules toujours dans son lit ?

Un silence de plomb règne à présent sur le parvis, seulement brisé par quelques cris d’enfants. Tous les regards pèsent sur nous. Mes poings se crispent ; une sourde colère monte en moi. Avant qu’elle ne me submerge, je saisis le bras de Noual :

— Venez, nous n'avons plus rien à faire là...

— C’est ça, ricane la femme, ramène-le dans les marais. Tu vas l’offrir au Serpent, lui aussi ? Ou tu aimes trop qu’il te baise ?

C’en est trop. La digue qui retient ma rage se rompt ; je me jette sur la mégère, prête à frapper, à mordre, à griffer. Avant que je puisse la toucher, quelqu'un m'attrape par la taille et me tire en arrière.

— Calmez-vous, mademoiselle Chaveau, murmure Noual d’une voix atone. Ça n’en vaut pas la peine. Venez.

Cette fois, c’est lui qui m’entraîne vers Célestin, sous les caquètements de la femme qui déverse sur nous des torrents d’insultes et d’insinuations graveleuses. Des rumeurs sourdes et agressives montent autour de nous. Mes jambes tremblent ; sans doute serais-je tombée sans le soutien du jeune homme. Le vétéran prend mon bras libre.

— Je suis navré, souffle-t-il. Jamais je n’aurais dû vous proposer de venir.

Le reste du chemin se poursuit en silence. Bientôt, la Garette se referme sur nous comme un cocon protecteur. Une fois rentrés, nous nous affalons dans les fauteuils, pensifs et muets. Alors, seulement, les paroles de Marthe se parent d’un écho encore plus désagréable. Armance… et Noual ? Cette idée me donne la nausée. Je reporte mon attention sur l’intéressé, qui semble fuir mon regard.

Mon cœur plonge. Je serre les poings rageusement : à quoi pouvais-je m’attendre ? Armance avait tout de la mante religieuse, et Noual reste un homme. Ils sont toujours attirés par ce style de filles. Et puis, pourquoi est-ce que ça devrait m’atteindre ? Je l'ai rencontré il y a quelques jours seulement, ce n’est pas comme si c’était un ami de longue date. Je comprends mieux ses paroles dans le café ; je ne suis plus certaine qu’elles me complimentaient. Sans doute insinuait-il que contrairement à Armance, je n’étais qu’une oie blanche maladroite…

Au bout d’un moment, un bruit de porte qui s’ouvre me fait sursauter ; Célestin m’offre un sourire rassurant :

— C’est juste Marianne qui passe par l’entrée de service. Je vais lui dire que c’est inutile qu’elle vienne aujourd’hui. Nous sommes dimanche et je peux me débrouiller, surtout avec votre aide !

— Aide que tu n’accepteras pas, ronchonne Noual.

— Je n’ai pas l’intention de le lui préciser.

Il se lève avec une hâte suspecte, qui me suggère qu’il a saisi ce prétexte pour nous laisser en tête à tête. A priori, je dois être la seule à ignorer la relation qui existait entre ma cousine et Noual. Je me sens d’autant plus trahie, un sentiment qui me paraît profondément irrationnel. Même avec le maître de maison occupé ailleurs, aucun de nous deux ne parvient à prendre la parole. Je relève les yeux au prix d’un gros effort de volonté et plonge mon regard dans le sien :

— Vous n’avez pas à éprouver de la culpabilité pour ça. Vous êtes un adulte et ce sont vos affaires…

— Pas seulement, vu les circonstances. Mais...

Il passe une main gênée sur sa nuque avant de poursuivre :

— Je vous devais plus de franchise… J’espère juste que vous me laisserez m’expliquer.

Je l’encourage d’un hochement de tête. J’ignore pourquoi, mais j’ai besoin d’entendre ce qu’il a à me dire.


Texte publié par Beatrix, 22 mars 2022 à 11h53
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