Je m’éveille brutalement, étendue sur le sol, au milieu des bûches qui meurtrissent mon corps. Devant moi se tient une silhouette, celle d’un homme, qui pose sur moi un regard dont je ne perçois que le scintillement dans la pénombre.
Je me recroqueville sur moi-même, comme un animal blessé qui attend le coup de grâce… mais rien ne vient. Au-dessus de moi passe un long soupir.
« Qu’est-ce que vous faites là ? »
Noual… Sa voix sonne plus intriguée que menaçante, mais je ne trouve pas les mots pour lui répondre.
« Vous pouvez vous relever ? »
D’emblée, je trouve la question stupide… mais dès que je bouge, la douleur me transperce à une dizaine d’endroits. Je serre les dents pour ne pas gémir ; rien ne paraît cassé, mais j’ai dû me meurtrir sérieusement en tombant sur les bûches. Je prends le temps de respirer avant de faire une nouvelle tentative, pour enfin parvenir à m’asseoir, les jambes repliées sur le côté, dans une position moins humiliante.
Dans la pénombre, les yeux noisette de Noual semblent presque noirs. Je l’entends soupirer de nouveau, puis une main se tend vers moi. Je la regarde un instant avant de comprendre qu’il cherche à m’aider. Je lui offre la mienne et me sens hissée sur mes pieds comme par un treuil hydraulique. Nous nous retrouvons face à face dans l’encoignure de la porte, perdus dans une semblable confusion.
Il fait un peu plus clair à cet endroit ; je distingue mieux son visage. Il n’exprime aucune hostilité, alors même que je suis entrée sans son autorisation dans un local qui lui appartient. S’il me met dehors sans ménagement, ce sera de bonne guerre… Je m’aperçois soudain qu’il tient toujours ma main, de crainte, sans doute, de me voir tomber s’il me retire ce soutien.
« Ça ira ? »
Malgré son ton bourru, la question semble sincère.
« Oui, merci… »
Ma voix ressemble au faible bêlement d’un agneau blessé… Et je ne me sens guère plus vaillante. Inutile de jouer les femmes fortes… en la circonstance, ce serait un rôle de composition. Je m’étonne presque de n’éprouver aucune frayeur, seule, meurtrie et à la merci d’un homme que je n’ai croisé qu’une fois. Je n’ai jamais pensé être un bon juge de caractère… peut-être suis-je fatiguée de soupçonner les uns et les autres ?
« Est-ce que je peux m’asseoir ? »
Noual ne répond pas ; il se contente de s’écarter pour me laisser boitiller vers la chaise, sur laquelle je m’affaisse avec soulagement. En deux pas, il me rejoint et tire le tabouret pour s’installer face à moi. Nous restons un moment silencieux, dans ce qui n’est pas vraiment une confrontation. Je le suppose aussi gêné que moi. Au bout d’un moment, je remue un peu pour dissiper l’inconfort que le bois inflige à mon corps meurtri. Le poids de son regard m’indispose ; je dois lutter pour surmonter ma gêne :
« Vous ne me demandez pas ce que je fais là ? »
Le jeune homme lève les yeux au ciel :
« J’attends votre explication. »
Tout compte fait, son attitude n’a rien d’insensée ; j’aurais dû comprendre ses attentes. Nous aurions pu rester un moment à nous regarder en chiens de faïence. Même si je n’ai aucune envie de me lancer dans de longues explications, je les lui dois.
« On m’a parlé de la chapelle au cœur du marais… »
Ses yeux s’écarquillent, mais il garde le silence pour me laisser poursuivre.
« J’ai eu envie de la visiter. Sans doute pour mieux comprendre cet endroit… On m’a déconseillé d’y aller seule, mais on m’a dit que vous pourriez me guider… »
Noual passe la main sur sa barbe, puis sa nuque… enfin, il regarde le sol en maugréant :
« Laissez-moi deviner qui vous a donné ce conseil… Vous êtes allée consulter monsieur Célestin ? »
J’opine avant de poursuivre :
« Quand je suis arrivée ici, j’ai frappé à la porte. Comme vous étiez absent, je suis retournée vers ma voiture. C’est alors que quelqu’un a tiré dessus et percé mon réservoir.
— Je sais. J’ai vu la Juvaquatre en passant. Je vous ai cherchée… puis j’ai entendu un grand bruit dans le bûcher. »
Gênée, je baisse les yeux en silence.
« Que faisiez-vous donc là-dedans ? »
Mes mains agrippent ma jupe, comme à chaque fois que la nervosité me submerge :
« Je me cachais… Le tir est passé tout près de moi… Je… J’avais peur… »
Noual se recule légèrement et se frotte de nouveau la nuque :
« Bien entendu, grommelle-t-il.
— Je… j’ai dû somnoler. Je ne vous ai pas entendu arriver. »
Les méandres de mon rêve me reviennent en mémoire. Chaque vision se fait plus inquiétante, plus fantastique que la précédente. Je résiste à la tentation d’y voir un message prémonitoire, ou tout simplement symbolique. Les circonstances pèsent sur mes nerfs ; dans mes songes, je donne vie à mes peurs. Pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver le dernier fascinant… Un frisson me parcourt quand je pense à cette immense créature dressée au-dessus des eaux du marécage.
Quand je lève la main pour frotter mes yeux ensablés, une douleur fuse au niveau de mon omoplate. Je ne peux réprimer un petit gémissement, qui attire l’attention de Noual.
« Vous êtes blessée ? »
Je bouge mon bras avec précaution ; malgré la souffrance que le mouvement occasionne, je peux le remuer sans trop de difficultés.
« Juste contusionnée.
— Une contusion est une blessure… J’ai de la teinture d’arnica. Je peux vous poser une compresse. »
J’accepterais volontiers, si cela n’impliquait pas de me dévêtir quelque peu. Sans doute le jeune homme saisit-il ma gêne, car il secoua la tête d’un air dépassé :
« Ne vous inquiétez pas. Je n’ai aucune intention de faire quelque chose de déplacé. »
Je pourrais refuser de le croire et le soupçonner de chercher à me piéger… tout comme je pourrais penser qu’Armand Célestin m’a envoyé dans un traquenard. Mais encore une fois, s’il avait voulu s’en prendre à moi, il aurait déjà eu l’occasion de le faire. Ce n’est sans doute pas un argument valide, mais je me sens lasse. J’ai besoin de pouvoir de m’appuyer sur quelqu’un… même si c’est un étranger velu comme un ours au fond d’un marais lugubre.
« Je prépare ça pendant que vous vous dégrafez… »
Il se dirige vers l’une des grandes armoires, dont il pêche la clef dans sa poche. En me tournant soigneusement le dos, il se livre à ses préparatifs. Sans le quitter des yeux, je retire mon manteau et mon gilet de laine. Non sans mal, je dégrafe mon chemisier et je le fais glisser juste assez pour ne dévoiler que mon épaule. Quelque chose de froid entre en contact avec sa peau nue. Je serre les bras autour de mon corps pour calmer mes frissons. Peut-être qu’il est encore temps de refuser l’aide Noual et rentrer… mais comment ? Ma voiture ne démarrera pas, et je ne me vois pas marcher jusqu’au village. J’arriverai sans doute après la nuit… Je dois lui faire confiance. Je n’ai pas d’autre choix. Étrangement, cela ne me trouble pas autant qu’il le faudrait…
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