A ma grande honte, je me suis aperçue que j'avais oublié un bout de mon chapitre précédent. Du coup, le voici.
Je me recule pour laisser l’homme remettre le couvercle en place. Au fond de ma poche, la photo me brûle les doigts. Quel est ce bâtiment ? À quoi correspondent les mots griffonnés ? Hahn sonne comme un nom allemand. Est-ce que tout cela a un rapport avec la guerre ?
Tout en tirant la bâche sur le cercueil, le fossoyeur me jette un coup d’œil.
— Vous la retrouv’rez pas, vous savez…
Cette remarque me rend perplexe.
— Pourquoi dites-vous cela ?
— C’était de mam’zelle Armance qu’on parle… »
Sa remarque me fait frémir :
— Que voulez-vous dire par là ?
Il blêmit sous sa couperose :
— Parce que… On dit… on disait des choses sur elle, vous savez… Alors elle est peut-être pas si morte…
La remarque envoie un frisson le long de ma colonne vertébrale. Castanier n’évoque pas une erreur du docteur Laurent sur la condition, d’Armance, mais quelque chose de bien plus sombre…
Dans quel mauvais roman suis-je tombée ?
Voilà, nous pouvons aller au chapitre suivant XD
Avec un rapide « merci », je tourne les talons et me dirige vers la sortie. Une fois dehors, j’évite de regarder les tombes, alignées comme au garde-à-vous le long de l’allée centrale du cimetière.
Il doit bien exister une explication logique. Quelqu’un a sans doute fait disparaître Armance pour empêcher qu’on découvre qu’elle a été victime d’un crime. Ce qui semble absurde, parce que le médecin a déjà rendu son verdict, et qu’elle allait être mise en terre sans autre examen. Peut-être le coupable craint-il que je le demande, ce nouvel examen… même si ça ne m’a pas traversé l’esprit. À cet instant, j’éprouve une terrible envie de quitter cet endroit et de rentrer à Paris, loin des marais et des morts qui partent en promenade.
Quand je m’avance dans la rue, la vie reprend son cours autour de moi. J’entends des voix d’enfants qui discutent et rient non loin de là. En me tournant vers l’école, j’en vois émerger de petits groupes d’élèves, en blouses, culottes courtes et gros godillots, voire en sabots pour certains. Une même classe rassemble filles et garçons.
Aussi étrange que cela puisse sembler, des familles ordinaires vivent ici, des pères, des mères et leur progéniture, pas seulement un ramassis de personnages bizarres ou inquiétants. Un homme s’attarde pour verrouiller la porte, puis regarde les enfants s’éloigner en allumant une cigarette. Je reconnais Antoine Peyrac.
Avec un sourire, Peyrac secoue la cendre de sa Gauloise et m’adresse un signe de la main. Je suis tenté d’allonger l’allure afin d’éviter toute conversation, mais je crains de paraître malpolie. Comme pris d’une inspiration subite, l’instituteur fronce les sourcils et me rejoins d’un pas rapide. Je ne peux que me figer comme un animal piégé dans les phares d’une voiture. Son regard brun se pose sur moi, pensif et un peu perplexe. Je m’oblige à me détendre. Cela ne m’engage à rien de discuter avec lui ; sa compagnie me changera les idées.
— Bonsoir, mademoiselle Chaveau. Cela me fait plaisir de vous recroiser. J’espère que votre séjour se passe bien !
Je manque de lui rire au nez, mais en songeant à sa maladresse lors de notre première rencontre, je me sens plus indulgente.
— Ce genre de situation n’est jamais facile, comme vous pouvez l’imaginer, mais les gens d’ici se sont montrés d’une grande aide.
Une part de moi-même se révolte contre cette affirmation sirupeuse. D’un autre côté, après le dernier développement outrageux, je me sens avide de normalité, et cet homme jeune et supposément instruit m’apparaît comme une bouffée d’oxygène dans l’air fétide du marais.
— J’en suis ravi. Quand pensez-vous repartir ?
Je manque de lui répondre « dès qu’on aura retrouvé ma cousine », mais je me contente de lui offrir un visage neutre et des paroles tout aussi lisses :
— Dès que les dernières formalités auront été accomplies.
Peyrac opine :
— Je comprends…
Il hésite avant d’ajouter :
— Nous sommes samedi demain… Je suppose que les obsèques n’auront pas lieu avant lundi. Si vous voulez vous détendre un peu, je pourrai vous emmener prendre un verre à Sainte-Madeleine.
Même si j’ignore si je serai encore là demain, j’acquiesce poliment.
— Ce serait avec plaisir, dans la mesure du possible.
— Merci !
Il reprend sa route, sans doute pour regagner sa voiture. Comme je vais dans la même direction que lui, je me sens obligée de poursuivre notre conservation :
— Vous êtes de Sainte-Madeleine ?
— J’y habite, mais je ne suis pas originaire de la région. J’ai été nommé ici il y a trois ans.
— L’endroit a dû vous surprendre…
Peyrac se fige, ouvre la bouche pour répondre, mais renonce, semble-t-il, à ce qu’il comptait dire initialement.
— Oui, je ne le cacherai pas, lâche-t-il enfin, mais Monsieur le Maire m’a beaucoup aidé. Et les enfants sont partout les mêmes…
Sa voix est devenue d’une étrange fluidité, comme s’il récitait une poésie maintes fois révisée. Je décide de faire l’innocente :
— Pourtant, il règne ici une ambiance… étrange, vous ne trouvez pas ?
L’instituteur baisse les yeux. Sa main se crispe sur la poignée de sa mallette de cuir. Son visage devient grave :
— Vous savez, ce coin de France est riche en mythes et en légendes. L’environnement dans lequel les gens vivent y est pour beaucoup. D’une certaine manière, cette nature est aussi hostile que les déserts africains ou les glaciers du Grand Nord. Les habitants de la région tentent de donner une forme à leurs peurs… et personne ne pourrait les en blâmer.
— Est-ce que vous avez déjà entendu parler d’événements bizarres au Palluet ?
Quand il se tourne vers moi, je trouve son visage étrangement pâle.
— Il y a toujours des histoires insolites dans les petits villages. Il est difficile de démêler la vérité de la légende…
Ces paroles, prononcées d’une voix mal assurée, peinent à me convaincre. Malgré son embarras, je m’enhardis :
— Je veux dire… récemment ?
Cette fois, il se détourne de moi, comme s’il voulait nier mon existence autant que ma question. Le silence s’abat sur nous ; je n’entends plus les voix des enfants, ni même les cris des oiseaux ou le jappement occasionnel d’un chien. Au bout d’un long, long moment, pendant lequel le temps semble s’arrêter, Peyrac pivote vers moi. Il enfonce sa main libre dans sa poche et baisse la tête. Son teint prend des nuances livides sous le ciel plombé au-dessus de nous.
— Écoutez, mademoiselle Chaveau, je comprends votre besoin d’éclaircir ce qui se passe au Palluet. Je sais qu’il est parfois frustrant de marcher droit devant soi en évitant de regarder ailleurs… Mais c’est souvent nécessaire pour ne pas avoir d’ennuis. Je viens ici pour instruire les enfants et l’on ne me demande rien de plus. Vous êtes venue pour… faire vos adieux à votre cousine. Vous devriez vous contenter de cela. Ce sera mieux. Nous sommes des étrangers et, croyez-moi, c’est une chance ! Vous pouvez vous permettre d’ignorer ce qui se cache sous les apparences.
Sur ce, il me salue en soulevant son chapeau avant de gagner sa voiture, une deux-chevaux ivoire garée à côté de la mairie. Je ne crois pas qu’il me rappellera son invitation à prendre un café lundi soir…
Contre toute attente, au moment de monter, il se tourne une dernière fois dans ma direction et ajoute :
— Par contre, si vous n’avez pas peur de mettre les pieds où vous ne devriez pas, je vous conseille d’aller voir Armand Célestin. Il répondra à vos questions. Il habite à la sortie ouest du village, une maison de briques brunes, qui porte le nom de La Garette.
Sans voix, je regarde les Deux-chevaux démarrer, prendre de la vitesse et disparaître dans la courbe de la rue.
Armand Célestin… Un nom simple à retenir. Demain, je passerai voir ce mystérieux personnage.
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