Myrtha
En silence, je suis Cef. Nous sommes dans l’obscurité puisque la lumière du coin à l’air de fonctionner une fois sur deux. Un peu plus loin, un endroit assez dégagé est éclairé. C’est là-bas que nous nous rendons.
Aucun bruit ne se fait entendre depuis que le cri a résonné. Pour peu, on pourrait croire qu’il s’agissait d’un rêve. Nous longeons les murs lorsque des pas se font entendre. Quelques instants après, une silhouette déboule. Sans attendre, Cef l’intercepte. Il l’immobilise tout en gardant la main sur sa bouche pour éviter qu’il ne crie. Problème, cela ne fait que terrifier l’ado.
Avant qu’il ne tombe dans les pommes, je me place devant lui. À la lumière de son portable, je peux voir que ses yeux sont exorbités. Il doit avoir conscience qu’il ne peut échapper à la poigne de fer de Cef.
– Tu vas gentiment m’expliquer qui tu es et ce que tu fais là, lui souffle mon amoureux à l’oreille. Je vais retirer ma main, si tu cries les choses se passeront très mal.
Par chance, le garçon reste muet. Il me fixe sans comprendre la raison de ma présence face à lui.
– Alors ?
Aucune réponse ne nous parvient. Avec difficulté, l’adolescent reprend son souffle.
– Je… Du sang…
Pas forcément, ce que nous nous attendions à entendre. Cef se crispe. Je lui enverrais bien un baiser pour détendre l’atmosphère, mais je doute qu’il le prenne bien. Après un instant de flottement, je décide de parler. Je fais moins peur que mon compagnon.
– Tu peux nous dire ton nom ?
Le garçon me regarde puis prend une grande respiration avant de réussir à donner l’information demandée.
– Fabio.
Un premier pas pour le rassurer, histoire qu’il crache ce qu’il sait.
– Enchantée, moi c’est Myrtha. Et le mec grand et fort, c’est Cef. Tu veux bien nous dire ce qu’il se passe ?
Mes prunelles croisent celles de mon compagnon. Je sens qu’il approuve mon initiative. Il ne faut pas croire que je suis juste une jolie fille, même si je joue très bien les idiotes.
– Je voulais aller chercher de l’eau…
Fabio nous montre sa main ou il serre une bouteille en plastique.
– Mais… J’ai vu du sang et j’ai couru…
Mes sourcils se froncent alors que je mords machinalement ma lèvre inférieure. Il n’y a pas eu de coup de feu donc cela serait une attaque à l’arme blanche.
– Du sang, comment ? demande Cef, qui a lâché l’adolescent.
– Comme celui qu’on a dans les veines, réplique le garçon.
Mieux vaut que je reprenne la situation en main, avant que l’énervement ne gagne réellement mon compagnon.
– C’était où ? Est-ce qu’il y en avait beaucoup ?
Du dégoût est lisible sur le visage de Fabio. En suivant le chemin de ses yeux, je prends conscience qu’il fixe sa main. Lorsque je m’approche pour mieux voir, j’aperçois du rouge sur ses doigts.
– Tu es blessé ?
Derrière nous, Cef ne dit rien. Je le sens soucieux.
Le garçon secoue la tête.
– Ce n’est pas le mien… C’est juste en prenant la bouteille…
Brusquement, Fabio a un haut-le-cœur qui me fait faire un bond en arrière. Hors de question de me faire vomir dessus. Par chance, il ne régurgite rien. Sa main prend appui sur le mur pendant qu’il tente de calmer sa respiration.
– C’est arrivé où ? reprend Cef.
Son ton est tranchant. Il prend sur lui pour ne pas bousculer l’adolescent afin qu’il parle plus vite.
– Au distributeur de boissons.
Du regard, mon compagnon m’interroge pour savoir si j’en connais la direction. Je secoue la tête.
– Tu peux nous emmener ?
Le garçon frissonne.
– Mais… Si c’est dangereux…
Le seul danger que je vois ici, c’est Cef. Les gens n’ont qu’à bien se tenir avec lui.
– On sera trois.
Mon argument ne paraît pas le convaincre.
– Tu as entendu le cri ?
Il hoche la tête. Ses yeux sombres ne me quittent pas, sans pour autant que je sente une tentative de séduction. C’est assez rare pour être souligné.
– Oui, mais… Vous croyez que le sang… Quelqu’un est mort ?
– On n’en sait rien, c’est pour ça qu’on doit voir l’étendu des dégâts, déclare Cef.
Son ton est sans appel. Fabio comprend bien qu’il ne le lâchera pas tant qu’il ne lui aura pas montré le distributeur.
– C’est par là…
D’un geste, il pointe une direction vague.
– Je crois…, ajoute-t-il comme s’il cherchait à se couvrir.
– Tu vas nous y conduire, impose mon compagnon.
Une façon de le garder à l’œil. Il a appris à se méfier de tout le monde. En même temps, je le comprends. À première vue, on me penserait sans défense. Qui imaginerait que j’ai une arme sur moi et que je sais m’en servir ?
– Mais j’ai un ami qui est là, et il faut…
– Il faut quoi ?
La voix de Fabio meurt dans sa gorge.
– Que je le prévienne que… je suis en vie…
– Il a des raisons d’en douter ?
Devant le pragmatisme de Cef, il ne peut lutter. Résigné, il se met en route pendant que nous le suivons. Nous passons de l’ombre à la lumière alors qu’une ampoule se décide à nous éclairer. Il connaîtra nos visages, mais puisque cela ne pose pas de soucis à mon compagnon, je n’ajoute rien. Je me cantonne à mon rôle : tenter de le faire parler pour apprendre le plus d’informations nécessaires sur lui.
– Tu es client ici ?
– Oui, on s’est arrêté par hasard avec un ami…
Il n’en dit pas plus.
Au loin, la silhouette d’un distributeur se dessine dans la faible lueur de l’éclairage. Pour le moment, rien ne sort de l’ordinaire. Fabio dirige le faisceau de son téléphone portable vers la machine.
– C’était là, murmure-t-il.
– Tu as posé ta main, où ?
Cef sort de son silence. Je sais que ses yeux ont déjà balayé ce que l’ampoule éclaire.
– Je…
Il commence à refaire les gestes.
– Sur les chiffres et en bas.
Mon compagnon se saisit du téléphone pour que la lumière illumine ce qu’il veut étudier. Il se penche sur la cavité dans laquelle on récupère ses boissons. Un liquide rouge a dégouliné jusqu’au bas de la machine.
– C’est du sang ? demande Fabio d’une voix tremblante.
– Si tu veux être fixé, tu n’as qu’à goûter, grogne Cef.
Le trait d’humour ne paraît pas compris par le garçon qui fait un pas en arrière, mais hésite. Sans doute souhaite-t-il récupérer son portable…
– Du sang, mais pas en grande quantité, murmure mon compagnon.
J’observe chacun de ses gestes. Il est minutieux. Avec la lampe torche du téléphone, il éclaire la zone pour tenter de voir d’où viennent les traces. À quelques mètres se trouve un chemin qui s’enfonce entre deux portions de bâtiments. Ne pas connaître les lieux nous dessert.
– Par là ? Ça mène où ?
Fabio hausse les épaules.
– Je… Je voulais juste de l’eau…
Avant que Cef puisse ajouter quelque chose, la lumière au-dessus de nos têtes s’éteint. Nous sommes plongés dans le noir. Seul le faisceau du portable nous éclaire. En faisant un tour sur moi-même, je me rends compte que ce n’est pas l’unique ampoule à avoir rendu l’âme. Quelqu’un nous a volontairement laissés dans l’obscurité.
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