Oscar
Je m’accroche au motard qui me sert de chauffeur. Mes mains tiennent son manteau en cuir. Je ne me vois pas trop l’enlacer. Pas sûr qu’il apprécierait qu’un inconnu se serra contre lui. C’est déjà sympa de sa part de m’emmener, je ne veux pas me le mettre à dos.
Les kilomètres défilent et je prends conscience de la longueur du chemin. Partir à pied n’était peut-être pas une si bonne idée. Si j’avais eu de l’argent, j’aurais choisi un bus pour quitter cette ville de merde.
Le vent me fouette le visage. Comme je n’ai pas de casque, je ferme les yeux. Ça m’évite de pleurer pour rien. De toute façon, le paysage est toujours le même dans ce coin. Du sable, la route à perte de vue et encore du sable… Comment faisaient les gens avant, quand ils n’avaient pas de voiture ? Est-ce qu’ils étaient obligés de rester dans ce lieu en permanence ? Ils devaient déprimer sévères. C’était peut-être pour ça qu’ils se tiraient dessus à tout-va ?
Brusquement, nous bifurquons. J’ignorais que la route tournait. En vérité, je l’ai toujours imaginé comme une vaste ligne droite qui parcourt l’est du pays. Je me fais sûrement des films.
Après comme je ne conduis pas, je suis soumis au bon vouloir de mon chauffeur, donc j’attends de voir où nous allons. De toute façon, je n’ai pas d’itinéraire précis. Combien de kilomètres peut-il y avoir encore pour rejoindre la prochaine ville ? Je regarderais sur mon portable lorsque nous serons à l’arrêt.
Des panneaux, c’est ça qu’il manque sur cette foutue route. Juste histoire de ne pas se croire perdu au milieu de nulle part. Mes paupières s’ouvrent pour comprendre ce changement de direction. Nous ralentissons. Tant mieux parce que nous sommes secoués comme des pruniers sur ce chemin. Il faudrait que quelqu’un pense à goudronner un peu le coin.
Un bâtiment se découpe en arrière-plan. C’est vers lui que nous nous dirigeons. Plus nous approchons, mieux je le distingue : un motel. Ça me paraît vétuste. Le coût pour la nuit ne doit pas être des plus élevés. Dommage que mes poches soient vides. Mon sac aussi d’ailleurs. Avec un peu de chance, je pourrais reprendre le stop là-bas.
La moto s’arrête sur le parking. Plusieurs bagnoles s’y trouvent déjà. J’ignorais que le lieu pouvait avoir autant de succès. À moins que ce soit le seul endroit où faire une halte dans ce désert pourri.
Je descends. Me dégourdir les jambes et les bras me fait plus de bien que je ne l’aurais pensé. Sans m’en rendre compte, j’étais crispé pendant le voyage.
– Merci de m’avoir avancé un peu.
Mon chauffeur retire son casque. Je ne m’étais pas attendu à ce qu’il soit aussi jeune, mais surtout aussi séduisant. Enfin, ça ne va pas m’avancer plus ce genre de considération.
– Je vais faire une pause.
Mes yeux se lèvent vers le ciel qui se pare de rose, et d’orange au contact du soleil. Notre astre est fatigué, il va se coucher. Normalement, je devrais en faire de même.
– D’accord. Je vais voir si quelqu’un s’en va pour me déposer.
Danovan, car je crois me souvenir que c’est son prénom hésite.
– Attends, tu ne veux pas manger quelque chose ? Ou prendre à boire ? Tu en auras besoin dans ce désert !
Ce n’est pas con ce qu’il dit. Désirer partir sur les routes sous un soleil de plomb avec une petite bouteille d’eau, c’est tout moi.
– Je vais demander si tu veux.
– Euh… Ouais ! Merci !
– Je reviens.
Sur ces mots, il disparaît vers l’entrée et je reste comme un con sur le parking avec mon sac sur l’épaule. Du coup, je flâne un peu, mais je n’ai pas besoin de longtemps pour me rendre compte que je suis seul.
En vitesse, je réfléchis à ce que je pourrais faire pour la suite. Est-ce que je dois repartir à pied ? Camper sur le parking comme un SDF ?
Ma main fouille dans ma poche pour en tirer ma fortune. Il n’y a pas grand-chose, mais au moins je pourrais me payer une bouteille d’eau. Quel homme ! En vérité, je fais pitié, seulement ce n’est pas en le disant que je vais avancer.
Est-ce que je devrais vérifier ce que j’ai à manger et à boire ? Peut-être aussi mon argent ? Des fois qu’il se soit reproduit pendant le trajet… Je suis vraiment con parfois.
En plus, je ne peux pas trop me permettre de traîner sur le parking, on pourrait croire que je suis là pour voler les gens. Pour le moment, je ne bouge pas puisque j’attends Danovan. C’est une bonne raison.
D’ailleurs, il ne tarde pas. Il s’avance vers moi d’une démarche assurée. Le genre que je n’aurais jamais. Sûr qu’on ne doit pas trop avoir envie de se frotter à lui. Si j’étais plus musclé et plus corpulent, ça m’aiderait à ne pas m’attirer des ennuis. Mais je suis une brindille.
– Y a un distributeur de bouteilles d’eau à l’intérieur. Si ça t’intéresse, je peux aller t’en chercher une.
– Merci.
Je sors mon portefeuille pour lui remettre quelques pièces. Je n’ai aucune idée de combien cela peut coûter. Toujours plus cher avec les jours qui passent. Le regard de Danovan glisse sur mes mains. Il a dû voir que je n’avais plus beaucoup d’argent. Je me sens mal à l’aise. Ma situation fait que je pourrais me retrouver à la merci des autres. Malgré tout, il ne dit rien. Il se contente de s’enfoncer dans le bâtiment avec ma monnaie.
Pour éviter de remuer de sombres pensées, je lève la tête. Autant me concentrer sur quelque chose de beau. Comme ce ciel par exemple. C’est apaisant d’observer les couleurs qui changent avec la tombée de la nuit. Les teintes se font de plus en plus foncer alors que le rose et l’orange sont chassés par le noir.
Qu’est-ce que je fais là ? Ai-je eu raison de fuir ? Peut-être que j’aurais dû rester… Après, ce n’est pas comme si j’avais encore une vie là-bas. Certes, toute ma famille habite cette ville, mais qu’est-ce que ça change… Ils m’ont foutu à la porte comme un malpropre quand je leur ai dit la vérité sur moi. Aucun d’eux n’a envie de me revoir. Pourquoi est-ce que je m’abaisserais à leur courir après ?
Danovan est devant moi. Je me laisse presque surprendre par son retour. Il me tend une bouteille ainsi que de la monnaie. Étrangement, le montant est le même que celui que je lui ai donné. Je ne dis rien.
– Tu devrais rester ici pour dormir un peu.
Je sais que ça serait le mieux à faire. Sauf que je ne peux pas me payer de chambre…
– Je te loue une chambre si tu veux.
– Ça ira.
Je range ma bouteille dans le sac.
– Tu as un boulot ?
Je plisse les yeux, surpris.
– Non.
Mon interlocuteur acquiesce.
– Écoute, j’ai besoin d’aide à l’armurerie. Tu m’as l’air d’avoir la tête sur les épaules. J’ai bien envie de t’embaucher. Mais pour ça, je préférais que tu restes dans le secteur. Si tu veux, je prendrais le prix de la location sur ton premier salaire.
– Vraiment ?
– Ouais ! Ça me paraît un bon compromis.
J’accepte de serrer la main qu’il me tend. Je ne peux pas me permettre d’être méfiant envers tout le monde. Surtout que s’il avait voulu me faire du mal, il aurait pu le faire avant. Je lui emboîte le pas et nous entrons dans le motel.
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