Fabio
Du rien à perte de vu… Du sable des deux côtés et au milieu de tout ça, la route comme seule trace d’une activité humaine, sinon on pourrait se croire perdu dans le désert. À ma gauche, Liam continue de conduire sans dire un mot. De toute façon, nous n’avons que deux choix avant ou arrière.
Si cela ne tenait qu’à moi, nous aurions fait demi-tour depuis longtemps. Sauf que mon meilleur ami n’est pas le genre à abandonner. Il veut à y aller, même si c’est dans le mur.
– Que dit le GPS ? me demande-t-il brusquement.
Le GPS, ce lâcheur, a décidé de fermer sa gueule. Il n’émet plus un son depuis au moins trente kilomètres. Même cela, ça ne fait pas peur à Liam.
– Satellite indisponible. Tu sais, on devrait rentrer. Ça ne sert à rien de passer la journée en voiture à tourner comme des cons.
Évidemment, mon ami ne l’entend pas de cette oreille.
– On ne peut pas louper la fête de l’année juste parce qu’on ne trouve pas tout de suite son emplacement. Je suis sûr que ça va être génial ! Si on nous invite, c’est qu’on nous pense un peu cool.
Je ne dis rien face à cet argument implacable. En partie parce que je ne veux pas le blesser. Il a tellement envie d’être accepté par les autres… Cette invitation, il la voit comme une preuve de bonne volonté. Moi, je ne me sens pas de lui expliquer que si ça tombe, c’est encore un mauvais coup de ces cons. Se marrer parce qu’ils ont envoyé Liam se perdre dans le désert ça leur ressemblerait bien. Après, je leur ai dit que je me fichais de leur fête. Comme si j’avais besoin de musique de merde à fond, et d’alcool qui coule à flots. D’ailleurs, je suis certain que s’ils boivent autant, c’est pour supporter les chansons du DJ.
Liam, son rêve, c’est de pouvoir être invité dans ce genre de fête. Plus pour se dire qu’il est enfin accepté que parce qu’il a envie d’y aller d’ailleurs. Je crois qu’il a un grand besoin qu’on l’aime, et il fait tout pour. C’est une personne gentille, polie et serviable. Tout mon contraire. Moi, quand je ne connais pas. Je fais la gueule. Je suis dans le préventif. On va dire que chaque inconnu est un ennemi potentiel. C’est complètement idiot, je l’assume. Cela dit, pour mes amis, je suis présent. Ce qui explique le fait que je dégouline de sueur dans une voiture pour rien.
– J’ai pourtant suivi les instructions, se désole Liam. Je me suis peut-être trompé en les recopiant. Si seulement, je pouvais accéder à ma boite email.
Mes yeux se posent sur la jauge de carburant. On en a encore, mais un passage à la pompe ne ferait pas de mal. C’est une petite voiture avec le réservoir qui va avec, j’aurais dû le prendre en compte. Il faudrait vraiment que je trouve le moyen de le faire abandonner, sans le brusquer. Parce que si on se retrouve en panne dans un coin aussi peu passant et sans réseau, je crains le pire.
– Tu peux me passer un peu d’eau ? me demande mon ami.
Je ne me vois pas lui refuser. Cependant, un coup d’œil au niveau de liquide dans la bouteille me fait pressentir une catastrophe. Si seulement, il y avait un magasin dans le coin… Si j’avais été plus prudent, j’aurais chargé plus d’eau. J’aurais pris une carte routière aussi.
Non, mieux ! J’aurais convaincu Liam que c’était de la connerie et on serait resté chez nous pour jouer aux jeux vidéos. Ça, c’est dans un monde parfait…
– Ne t’en fais pas ! On va trouver et quand on y sera, ça sera génial !
– Je ne crois pas…
De la surprise se fait entendre dans la voix de mon ami.
– Pourquoi ?
Aussitôt, je me sens pris en faute. Il faudrait vraiment que je cesse de le materner en permanence, ça n’aide pas. Mais Liam, c’est un gros bébé. Ses bonnes joues qui rougissent au moindre effort lui donnent un aspect poupin, ce qui accentue encore cet effet. Ses cheveux bruns qui poussent dans tous les sens renforcent le côté « gamin paumé ». En même temps, son sourire franc inspire la confiance. On sait qu’on peut compter sur lui, il sera présent en cas de problème. C’est aussi la raison pour laquelle je l’accompagne.
Si seulement, j’arrivais à lui dire la vérité.
– Tu sais, moi, les fêtes je m’en fiche pas mal. Je préfère les soirées jeux.
– On en fera une la semaine prochaine. La sœur de Mat revient.
Ce qui devrait être une bonne nouvelle me passe au-dessus de la tête. Pour le moment, je voudrais déjà en finir avec cette balade dans le désert. Après, je serais réceptif au reste.
Mon attention se reporte sur la route. Un panneau y est planté sur le bord de la chaussée. J’espère qu’il indique une station-service.
– Une indication !
Liam ralentit. De toute façon, nous sommes seuls sur cette route. Juste nous et les grains de sable du désert.
Il s’agit d’une publicité pour un motel. Je suis déçu. Ça ne va pas m’aider.
– Dommage que ça n’indique pas où est la fête, plaisante mon ami.
Je ne ris pas. Ce n’est pas le moment. Au retour, je vais leur parler du paysage à ces cons. Ils nous mettent volontairement en danger. Si on se retrouve sans voiture, sans portable et sans eau, ça va faire mal. Heureusement, je garde un truc contre eux. Je ne l’avais pas utilisé parce qu’ils me foutaient la paix depuis le début de l’année scolaire, mais là… Je prends la parole.
– On devrait s’arrêter au motel !
– Mais la fête ? Si on s’arrête, on va louper le début et…
– Ils pourront peut-être nous indiquer le chemin. En plus, il est tard. On n’a rien mangé ce midi à part des biscuits secs. Il vaut mieux prendre une pause pour se reposer. Après si on nous explique comme se rendre sur place, on ira. Sinon on rentrera. Il y aura bien des fêtes plus près de chez nous.
Liam hésite.
– En plus, il doit y avoir le wifi au motel.
J’espère que cet argument le convaincra.
– Je pourrais regarder mes notes. Comme ça, je verrais où je me suis trompé. Si on part tôt…
J’étouffe un soupir. Ce n’est pas bon. Je vais finir par exploser. Une chose bête puisque ce n’est pas à mon ami que j’en veux. Juste à sa grande naïveté et aux autres crétins.
– Au pire, on aura visité, s’esclaffe Liam.
Visite dont je me serais bien passé, mais je ne sais que dire…
– Imagine si on était des pionniers ! continue-t-il.
– Si tel était le cas, on n’avancerait pas sur une route.
Il me fait un signe de la main pour me faire taire.
– On pourrait faire un jeu de rôle sur le sujet. Je vois déjà mon personnage. C’est un ancien bandit, mais il cherche à présent la rédemption. Et toi ?
– Un prêtre chasseur de vampire !
Je sais que cette idée le fait rager à chaque fois.
– Non, tu ne peux pas prendre en permanence le même personnage !
Nous râlons, nous rions et la bonne humeur revient dans la voiture. Finalement, j’ai l’impression que le fait de s’arrêter apaise autant Liam que moi-même. Peut-être était-il plus stressé qu’il ne voulait le dire ? Je m’autorise à boire un peu d’eau. Espérons qu’on pourra nous aider au motel. Nous avons besoin de repos.
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