Pourquoi est-ce qu’il faut qu’elle me demande un deuxième truc dès qu’elle a obtenu le premier ? Je lui jette un rapide coup d’œil.
– Pourquoi tu ne m’as pas dit ça quand on était dans le magasin ?
– Je ne sais pas.
Réponse qui ne m’avance pas des masses.
– On fait un gâteau au chocolat ?
– Je ne crois pas qu’on est encore de chocolat, à la maison.
Pour tout dire, je n’ai aucune envie de retourner en magasin. La raison première qui m’a poussé à y aller, c’était d’éviter la possibilité d’avoir un deuxième gosse. Après, j’en ai profité pour récupérer un goûter. Mais si on y rentre à nouveau, la gamine va sûrement vouloir la guirlande qui va avec la boule et comme je n’arrive pas à lui dire « non », je vais acheter un tas d’objets inutiles.
– On peut faire des crêpes ?
Ma motivation se sauve à tire-d’aile.
– Tu ne pourras pas en avoir pour le goûter, si on fait des crêpes.
– Pourquoi ?
– Il faut laisser la pâte reposer.
L’art de justifier son manque d’envie par la fatalité.
– Mais papa, je suis sûr que tu peux faire un truc !
– Tu feras un gâteau avec maman, demain.
La gamine fronce les sourcils. À chaque fois, je me reconnais en elle.
– Mais c’est avec toi que je voulais le faire, papa ! Parce que les gâteaux de maman, ils sont moyens bof. Des fois, c’est cramé beurk et des fois, c’est tout mou. Même que ça a déjà été les deux à la fois.
Je lui accorde. C’est vrai que Mo est fâchée avec le four. Cela dit, je n’ai toujours pas envie de faire de la pâtisserie. Sans que je comprenne pourquoi Valia a décidé que chaque fois qu’on était seul tous les deux, c’était le moment de faire des desserts.
– Je ne sais pas ce qu’il nous reste comme ingrédients.
– On rentre à la maison et on regarde.
– Je croyais que tu voulais installer ta boule de Noël.
La gamine paraît réfléchir.
– On installe la boule, on goûte et on fait un gâteau pour maman. Après quand ça cuit, je fais un coloriage et toi, tu fumes. Quand tu as fini, tu me lis une histoire.
– Ha bon ? Qui a dit ça ?
Un grand sourire illumine son visage.
– Moi !
Quelle chance, j’ai ! Ma fille me prévoit même des pauses clopes dans sa série d’activité en ma compagnie. Je ne peux que prendre sur moi pour lui trouver une recette facile à faire.
– Je vais voir ce qu’il y a la maison. Mais je ne promets rien.
– Tu es le meilleur papa de l’univers.
Que répondre face à cela ?
En trottinant, Valia passe sur le côté de la barrière bleue qui empêche les voitures de pénétrer dans le camping. Je la sens fébrile. Si seulement, j’avais le temps pour allumer une cigarette. Sauf que j’évite de le faire quand elle tient ma main. Comme la zone est dégagée et que le chemin est en ligne droite, je lui propose un jeu.
– Le premier à la maison a gagné.
Je la lâche. La gamine pousse un petit cri avant de s’élancer à toute allure. Je la regarde faire sourire aux lèvres. Ce n’est pas le genre de truc que j’aurais cru faire un jour. Force est de constater que ça me rend heureux. Je marche rapidement derrière elle, histoire qu’elle est une chance de pouvoir gagner. Presque devant la porte, je la rattrape. Elle ne s’avoue pas vaincue et tend ses bras en avant pour aller toucher le battant.
– J’ai gagné, s’écrit-elle.
– Ah bon ?
Sa tête se lève vers moi.
– Oui, j’ai touché la porte et pas toi.
Je souris. Ce jeu est d’une débilité profonde pourtant il amuse la gamine. Est-ce qu’il en aurait été de même pour moi ? Est-ce que cela aurait suffi à faire mon bonheur ? M’accorder un peu de temps ? Et moi alors, est-ce que je prends suffisamment soin de ma fille ? À chaque instant, cette question résonne dans mon esprit : est-ce qu’elle ne serait pas plus heureuse avec un autre père que moi ? Un homme bien…
Ses petites mains attrapent les miennes pour que je rentre à l’intérieur du camping-car. Son visage est rouge d’avoir couru, à moins que se soit le froid le responsable…
– Vite, papa, rentre ! Il fait chaud dedans.
J’obtempère et la regarde s’activer toute seule. Elle se débarrasse de son écharpe, ses gants et son manteau qu’elle pose sur le siège. Ensuite, elle quitte ses bottes pour mettre ses chaussons. Son attention se tourne vers l’évier pour se laver les mains. Je dépose mon sac de course avant de l’imiter.
– Tu as oublié un truc, Valia !
– Mais j’ai lavé mes mains, déclare-t-elle d’une voix contrariée.
Je récupère son bonnet rouge et blanc pour lui montrer. Je crois que je souris plus, ces temps-ci. Est-ce que c’est à cause de la gamine ?
– Ah…
Elle semble confuse.
– Les autres à l’école, ils sont jaloux de mon bonnet !
– Vraiment ?
– Oui, ils tirent tout le temps sur les pompons !
Des trucs de mômes. Je n’ai jamais connu ça. Ma mère n’allait pas m’acheter un bonnet, c’était trop cher. À la réflexion, peut-être qu’elle espérait juste qu’avec le froid, je tombe malade et crève. Dommage que je sois résistant.
La gamine me tire de mes réflexions. Mieux vaut que je me concentre sur le présent et non sur le passé.
– On accroche la boule, papa ?
Où je vais la foutre cette merde ? Je décide de l’accrocher à la poignée de porte d’un meuble qu’on n’ouvre jamais. Valia me supervise durant toute l’opération. À croire qu’elle craint que je rate mon coup et que la boule s’explose au sol. Quand je termine et que je me retourne vers elle, la gamine hoche la tête d’un air heureux.
– C’est trop beau !
Je n’irai pas jusque-là, mais j’ai réussi à caser sa merde dans la maison sans que ça fasse trop chier. Un point positif.
– Papa, on a Noëlisé la maison !
Je ne peux m’empêcher de sourire face à la remarque de la gamine. Au moins, ça lui fait plaisir. J’en profite pour lui refiler ses biscuits. Sans se précipiter, elle ouvre le plastique.
– J’ai le t-rex, papa !
Elle me tend son biscuit. Est-ce que je dois le regarder ou le manger ? J’avoue que je suis circonspect sur la conduite à tenir.
– Tu peux le manger. Je te le donne parce qu’il est rare.
Putain, mais je ne savais même pas qu’il y avait des biscuits différents dans ce foutu paquet. On arrête plus la connerie. Valia me ramène au temps présent.
– On fait quoi comme gâteau, papa ?
Papa, il sature. Bon, comme elle me lâchera pas tant qu’on n’aura pas un bazar en train de cuir dans le four, je m’en retourne vers la cuisine. Du coup, sans grand entrain, j’ouvre les placards. Comme prévu, il n’y a plus de chocolat. On repart sur le cake nature, le genre rapide et simple. Plus encore lorsque l’on a de la farine. Je contemple le fond dans le sac en papier. On ne va pas aller loin avec ça.
Vite une solution avant que Valia ne termine ses biscuits et vienne m’aider à chercher. Ma main rencontre un paquet de cheveux d’ange. Je tire les pâtes pour les poser sur la table. Quand est-ce qu’on a acheté ça ? Est-ce que c’était dans un but précis ? Sinon je me vois bien les utiliser. Après tout, on a encore du lait et du sucre. Parfait. Je me souviens de cette recette, la première que j’avais faite. C’était une idée de Tonio, et moi, j’avais joué les commis pour lui faire plaisir. Le résultat n’était pas mauvais.
La gamine ne perd pas une miette de mon manège. Elle me fixe de ses grands yeux sombres.
– C’est quoi papa ?
– C’est pour préparer un dessert.
– Mais c’est des pâtes !
Son visage m’indique qu’elle est sceptique.
– C’est parce que tu ne connais pas les cheveux d’ange au lait.
Pendant quelques secondes, elle reste silencieuse. C’est comme si elle tentait de déterminer si je me moquais d’elle ou non.
– Non, déclare-t-elle, en sautant de sa chaise. Comment on fait papa ?
Comme d’habitude lorsque l’on cuisine, j’ai toute son attention. Je lui propose de se poser sur la banquette proche de la cuisinière pour regarder ce que je fais. Sans un mot, elle s’exécute. Je sens bien qu’elle est attentive.
– D’abord, tu prends une grande casserole. Dans laquelle tu verses une bouteille de lait.
– Toute la bouteille, s’exclame-t-elle, surprise.
Elle surveille le liquide qui coule dans le récipient.
– Après tu mets du sucre et tu peux aussi mettre du sucre vanillé pour apporter un bon goût.
– On en met ! Hein, papa ?
Je hoche la tête avant de lui donner le sachet que je viens de récupérer dans le meuble. Elle s’empresse de déchirer le haut pour le verser.
– Après il faut peser cent cinquante grammes de sucre.
– C’est quoi les chiffres papa ?
Attentive, elle surveille alors que je mets le saladier sur la balance.
– Alors un un, un cinq et un zéro.
Elle répète avec concentration ce que je lui dis et fixe l’affichage alors que je verse le sucre.
– Attention papa ! Stop !
Je manque de rire en la voyant froncer les sourcils d’un air appliqué.
– Tu en as mis trop papa !
Avec un soupir, j’entreprends de retirer le trop-plein avec une cuillère. Cela a le mérite de satisfaire la gamine. Ensuite, nous versons le tout dans le lait avant de le poser sur la plaque.
– Il faut que ce soit à ébullition pour mettre les pâtes. Tu te souviens ce que ça veut dire ?
Elle hoche la tête, l’air fier d’elle.
– C’est quand ça fait des bulles.
Pour la féliciter, je passe la main dans ses boucles. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est attendrissante cette gamine.
– Je surveille, déclare-t-elle.
Il faut avouer qu’elle est efficace. À peine le lait commence-t-il à bouillir qu’elle m’appelle. Je verse alors les pâtes.
– Il n’y a plus qu’à attendre qu’elles soient cuites et après on met tout dans des ramequins.
– Lesquels ?
Bonne question. J’ouvre les placards à la recherche d’un objet pouvant correspondre aux critères. Deux bacs de glaces vides terminent leur course sur la table. Ça fera l’affaire.
Lorsque le dessert est prêt, je le dispose dedans. La casserole finit dans l’évier remplie d’eau. Un truc de fait.
– Est-ce que c’est bon, papa ?
– On goûtera tout à l’heure, pour le moment, c’est chaud.
Elle hoche la tête.
– Bon, va fumer, moi, je vais colorier le traîneau du père Noël.
Je ne peux que rire face à l’attitude détachée qu’elle adopte. À croire que malgré son jeune âge, c’est déjà une grande. Ma main plonge dans mon jean pour récupérer mon briquet ainsi que mon paquet de cigarettes. Après un dernier regard et une mise en garde, je sors du camping-car. Je n’aime pas la laisser seule, mais je suis obligé. Avec Mo, nous avons été clairs : pas de fumée à l’intérieur, encore moins avec la gamine.
J’en profite pour jeter un coup d’œil à ma montre. Mon ange ne devrait plus tarder. Aussi idiot que cela puisse paraître, ma femme me manque. C’est pourtant moi le vieux type de l’histoire.
Un bruit de moto me tire un sourire. Du regard, je la suis alors qu’elle s’avance vers le camping-car. Avec aisance, elle gare le deux-roues puis dépose un anti-vol sur la roue avant. Ce n’est qu’après, qu’elle retire son casque pour découvrir son beau visage. Sourire aux lèvres, elle s’approche. Lorsque nous ne sommes qu’à quelques dizaines de centimètres, Mo m’attire à elle pour un baiser tendre. La chaleur de sa bouche est une belle promesse.
– Tu m’as manqué, beau gosse.
Elle dit toujours ça. C’est devenu une sorte de rituel.
– Tu m’as manqué aussi, mon ange.
Ses yeux avisent ma cigarette, elle s’en empare pour la porter à sa bouche. Ça aussi, c’est devenu habituel. Bon, le positif, c’est du coup, je fume moins. Le négatif, c’est qu’elle fume plus.
– Comment ça a été avec Valiana ?
– Fatiguant, mais je m’en suis tiré.
Ses lèvres se posent sur ma joue.
– Tu es trop fort.
– Est-ce que tu peux m’expliquer sa passion soudaine pour les gâteaux lorsque nous sommes ensemble ?
– Je crois qu’elle a envie de se rapprocher de toi.
Je n’ai pourtant pas ouvert une pâtisserie. Enfin, il n’y a plus qu’à espérer qu’elle dormira sans qu’on fasse des crêpes, samedi soir. La voix de Mo me tire de mes réflexions.
– Demain, tu rentres à quelle heure ?
Bonne question.
– Un problème ?
– Réunion pour préparer la veillée de Noël.
C’est quoi cette connerie ? Est-ce qu’ils ne pourraient pas arrêter de chercher des raisons bidons pour se bourrer la gueule. Parce que c’est encore une fête qui va être organisée dans le seul but de draguer et picoler.
Mo a une petite moue gênée. C’est pas à elle que j’en veux, mais les pré-Noël et post-Noël n’ont qu’un seul but faire consommer. Bon, après tant que ça tourne, ma femme garde son travail, donc on peut imaginer que c’est positif. Juste imaginer parce que même si je ne dis rien sur le sujet, je déteste le boulot qu’elle fait.
– Un jeudi soir ?
– C’est la réunion. Ça ne durera pas trop longtemps… Enfin j’espère…
Ma mâchoire se crispe. Mon but n’est pas de lui hurler dessus donc je prends sur moi.
– J’espère qu’ils auront la décence de te payer pour les heures que tu fais.
La main de Mo se pose sur ma joue.
– Je te reconnais bien. Tu joues toujours les chevaliers blancs avec moi.
Je n’ai pas l’impression de jouer quoi que ce soit.
– Je m’inquiéte, c’est tout.
– Dommage que tu ne puisses pas venir me voir pendant la soirée. Je t’aurais donné une entrée gratuite, mais on ne peut pas laisser Valiana toute seule. Ça m’aurait fait tellement plaisir…
Sa voix se brise. Elle est vraiment déçue que je ne sois pas là. Comme lui expliquer que la musique qui gueule, et les gens qui se marchent sur les pieds, ce n’est pas mon truc.
– Après, c’était juste pour que tu me voies moi. Je sais bien que la fête ne t’intéresse pas. Mais j’aurais pu te faire un cocktail…
– Tu peux m’en faire un à la maison.
– Tu as raison.
Sa déception est visible. Bon, il va falloir que je trouve une solution pour aller lui faire un coucou. Sans la gamine, cela coule de source. Alors que je vais parler, l’ouverture de la porte nous interrompt.
– Pourquoi vous rentrez pas dans la maison ? Pourquoi vous parlez dehors alors qu’il fait froid ? C’est pour pas que j’entende ?
Valia fronce les sourcils. L’air contrarié sur son visage me donne envie de rire. Mo envoie valser le cadavre de cigarette avant de rentrer pour le plus grand plaisir de sa fille. Celle-ci vient l’enlacer avec un sourire. Quant à moi, je suis le mouvement et ferme la porte derrière moi.
– Maman, regarde ! J’ai colorié le traîneau du père Noël ! On a décoré la maison ! Et on a fait le dessert !
La gamine s’agite. J’en profite pour récupérer le casque de moto dans les mains de mon ange. J’enchaîne avec son manteau avant de retirer le mien.
– Combien ça t’a coûté cette boule ? demande en chuchotant Mo.
– Trop pour ce que c’est.
Nous échangeons un regard. Pas de doute nous la détestons tous les deux.
– C’est trop beau, hein, maman ? continue la gamine.
À nouveau, ma femme se tourne vers moi.
– Désolé…
Je suis bien que j’aurais dû dire non, mais je n’y arrive pas. Ça me fait mal au cœur, rien qu’à penser que la gamine va être triste. Cela dit, je ne suis pas sûr qu’acheter une merde pareil soit une bonne idée.
– Ça a l’air de lui faire plaisir. Donc on ne peut pas dire que ce soit négatif.
Ce qui est négatif, c’est que je sois à ce point incapable de dire non.
– C’est Noël dans la maison, déclare Valia. En plus, papa a fait des gâteaux trop bons.
Sa confiance en moi m’honore. On n’a même pas goûté et si ça tombe ça sera dégueulasse. Si mes souvenirs sont clairs, ça n’avait rien de transcendant lorsque j’étais jeune. Après, je ne dis pas que c’était mauvais, juste basique… Tablons sur le fait que Valia a cinq ans et qu’elle trouvera ça formidable quoi qu’on fasse.
– Valiana, jeudi soir, tu restes avec papa !
Cela a le mérite d’attirer l’attention de notre fille.
– Pourquoi ? Tu vas où, maman ?
Mo tente de la calmer en passant la main dans sa chevelure brune.
– Je dois rester au travail.
La réaction ne se fait pas attendre et la gamine pince les lèvres de dépit.
– Mais pourquoi ?
– Il le faut, c’est tout.
– Mais pourquoi ?
Mince, c’est le moment où je ferais bien de m’éloigner. Seulement, je viens de fumer donc je ne peux pas y retourner. Du coup, la vaisselle sale dans l’évier devient ma planche de salut. Je vais tenter de me mettre du matin, jeudi pour aller chercher la gamine à l’école. Peut-être que ça calmera sa déception.
– Mais si c’est jeudi alors… Alors tu ne seras pas là vendredi et samedi non plus…
Valia laisse tomber son crayon sur l’album de coloriage.
– Avec qui je vais regarder mon dessin animé ?
Mo lui parle d’une voix douce.
– Avec papa. Tu n’as rien à craindre, papa sera là.
Sans dire un mot, la gamine descend de son siège. D’un air déterminé, elle se dirige vers sa chambre, lâchant au passage un mot qui me transperce le cœur.
– Nul !
Mo la laisse faire sans souffler un mot. J’actionne l’interrupteur de la bouilloire pour faire semblant d’être occupé. Mon ange s’assied à mon côté et saisit ma main dans la sienne.
– Ne le prends pas pour toi. Elle est juste en colère.
– Elle a dit ce qu’elle pensait. Je sais bien que je ne sais pas m’occuper d’elle…
– Cliff, tu sais bien que c’est faux. Tu prends soin d’elle comme un chef.
Je n’arrive même pas à lui dire non… Un père doit aussi savoir faire preuve d’autorité.
– Je suis sûr que si tu vas lui parler, elle va dire qu’elle est énervée contre moi.
D’un hochement de tête, elle me fait comprendre que je dois essayer. Je lui lance un regard circonspect.
– Tu es un père formidable, Cliff.
Mieux que le mien sans doute. Et encore, c’est seulement parce qu’il m’a abandonné… Pourtant je prends sur moi pour traverser le camping-car vers la chambre.
Je toque à la porte, mais personne ne me répond. Du coup, je décide de la faire coulisser. À l’intérieur, il fait noir. Du regard, je cherche la gamine, je finis par la trouver aplatie par terre au pied du lit. J’entre et je referme derrière moi.
– Valia, je peux m’asseoir ?
Aucune réponse ne me parvient sinon un reniflement. Elle ne doit pas avoir envie de me parler. Je reste pourtant assis sur le matelas. Pendant quelques instants, je ne dis rien. J’avoue que je suis perdu et je me sens mal.
– Désolé, d’être un père nul…
Des bruits m’annoncent que la gamine a fini de se rouler par terre. Sa main attrape mon pantalon. Elle en profite pour se relever et s’approcher de moi.
– Tu n’es pas un papa nul…
– Je t’ai entendu, tu sais.
À nouveau, elle ne répond pas, mais s’assied sur le lit près de moi. J’hésite avant de passer la main autour de ses épaules.
– J’ai fait des bêtises, m’avoue-t-elle.
Je fronce les sourcils, sans rien dire. Pour le coup, je ne vois pas vraiment ce qu’elle a fait de mal.
– Maman travaille parce que je n’ai pas été sage.
– Valia, tu sais bien que ce n’est pas la vérité…
– Si ! C’est parce que j’ai demandé que tu achètes la boule de Noël.
Je ne comprends pas trop le rapport entre les deux. J’ai sûrement dû louper un épisode.
– Maman a dit que je ne devais plus réclamer ou faire le bazar quand c’était toi qui me gardais. Je voulais pas être méchante avec toi, papa.
Je baisse les yeux avoir un soupir. Mo est vraiment trop protectrice avec moi. Elle a repéré que j’avais du mal, donc elle a briffé la gamine.
– Je ne voulais pas que tu sois triste, papa.
Sa petite main cherche la mienne.
– Je ne demanderai plus jamais rien… Pardon, papa.
Incapable de répondre, je serre les dents. Il faut que je prenne sur moi, pour aider la gamine au mieux. Ce n’est pas le tout de savoir tuer des gens, à présent, je dois faire face à une épreuve plus difficile : guider dans la vie une enfant. Je voudrais tellement lui offrir tout ce qui m’a manqué, même si ça passe par une boule de Noël horrible. Il faut que je fasse un pas en avant. Ça commence maintenant. Je dois être capable de trouver les mots pour l’apaiser.
– Maman ne t’en veut pas. Elle doit juste travailler parce que Noël approche et qu’il y a des fêtes à organiser.
– Mais elle n’est pas organiseuse de fête, maman…
Cette réflexion me tire un sourire.
– Elle est très douée alors tout le monde a besoin qu’elle soit là.
Valia ne répond pas. Je passe la main dans ses cheveux.
– Je peux regarder le film avec toi, si tu veux ?
J’espère que cette ouverture l’aidera.
– Mais ça ne va pas te plaire…
– Pourquoi ?
Là, j’avoue que je ne comprends pas d’où lui vient cette idée.
– C’est un truc de fille… Avec une princesse… Tu vas trouver ça nul…
Face à cette remarque, j’ai envie d’éclater de rire. Dire que c’est qui la tracasse.
– Tu veux un secret ?
Elle relève la tête vers moi.
– Un vrai secret ?
Parce qu’il y en a des faux de secret ?
Je lui fais signe comme pour la mettre dans la confidence.
– D’accord.
– Ça ne me dérange pas de regarder un film de princesse, si c’est pour te faire plaisir.
Après, je suis sûr que ça sera toujours plus supportable que d’entendre les théories fumeuses de certains de mes collègues.
– Est-ce que tu sais pourquoi ?
Elle secoue la tête alors que son regard est concentré sur moi.
– Parce que je le ferais pour être avec toi.
En m’entendant, elle m’enlace. Aurais-je trouvé les bons mots ?
– On regardera ton film ensemble, demain ?
– Oui. Avec papa, murmura-t-elle.
Sans savoir pourquoi je me sens soulagé. Je suis, au moins, capable de gérer un problème.
– Est-ce que tu fais encore la tête à maman ?
– Je ne sais pas. Est-ce que maman me fait la tête ?
– Bien sûr que non.
Il n’y a plus qu’à espérer que mes paroles la rassurent.
– Si on allait la voir ? En plus, on a des cheveux d’ange sucré à lui faire goûter.
Nous nous levons tous les deux.
– Mais c’est pour le dessert !
– Peut-être que si on demande à maman, elle voudra bien qu’on en déguste un tous ensemble.
– Tu crois ?
À cette idée, la gamine rayonne. Je crois que j’ai fait du bon travail, même si j’étais mort de trouille. Il n’y a plus qu’à espérer que Valia ne se soit rendu compte de rien.
Ma main fait coulisser la porte et nous retrouvons, Mo occupait à lire, son roman posé sur la table. Lorsque nous sortons, elle nous fait un sourire. Dans ses yeux, je vois qu’elle est fière de moi. Je hausse les épaules. À mon côté, Valia est toujours hésitante.
– Voilà, mes deux amours, déclare mon ange.
Elle se redresse pour venir déposer un baiser sur nos joues. La gamine se tortille contre moi et j’en profite moins que je voudrais.
– Papa, murmure-t-elle, en poussant sur mon bras.
Je comprends qu’elle désire que je pose moi-même la question qui lui tient à cœur.
– Mo, tu veux goûter ce qu’on a préparé ? Juste un peu.
Avec un sourire, elle acquiesce. Aussitôt, Valia se précipite pour expliquer comment on l’a fait. J’espère sincèrement que le goût sera au rendez-vous.
Armés de trois cuillères, nous en prenons tous une bouchée. C’est assez sucré. Rien de transcendant, mais mangeable. La gamine a l’air contente alors c’est le principal.
– Maman, je serai bien sage, déclare brusquement Valia.
– Je n’en doute pas. Tu es en train de devenir une grande fille. Une belle grande fille…
– Je pourrais dormir plus tard ?
– Oui, quand tu auras six ans, tu pourras te coucher à dix-neuf heures trente-cinq.
Un éclat de joie accueille cette déclaration. Je souris. Ce n’est qu’un changement de cinq minutes. Comme quoi il lui en faut peu.
Mo pose délicatement la main sur les cheveux de la petite. Dans son geste, je sens tout son amour pour sa fille.
– Tu sais, Valiana, j’ai un secret à te dire.
Avec de grands yeux, la gamine relève la tête.
– Même si je ne suis pas là, jeudi, je penserai à toi.
– Oui, mais…
– Ça ne veut pas dire que je ne t’aime pas. C’est juste que je ne peux pas être là.
Valia paraît réfléchir.
– Et pour Noël, tu seras là ?
Il y a un blanc et je comprends le souci. Pourtant Mo ne se laisse pas démonter.
– Je serai là. Et si un jour, Papa ou moi-même ne sommes pas être présente, nous penserons quand même à toi.
Il y a un instant de flottement.
– Moi aussi, je penserais à toi, maman.
Finalement, l’attention de la petite se retourne vers le plat. Avec avidité, elle reprend une cuillère de dessert. Je pense qu’elle a compris. Ma gamine grandit. En un sens, j’ai l’impression de grandir avec elle. Chaque jour, elle m’apporte beaucoup sans que j’en aie conscience. Mon regard est attiré par la boule accrochée au-dessus de la table. Je crois que j’ai à nouveau envie de fêter Noël. Tout cela, je le dois à la petite fille à mon côté. Je pense sans me tromper qu’elle rend meilleure.
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