Assise sur le banc, j’attends avec hâte qu’on vienne me chercher. J’agite les jambes de haute en bas. L’envie de sautiller me prend. Aujourd’hui normalement, c’est au tour de papa. J’aime bien quand c’est lui. Souvent, il me porte comme ça, je n’ai pas besoin de marcher. Il suffit que je ronchonne et que je fasse un peu le bébé et ça fonctionne. Avec maman, ce n’est pas pareil. Elle est trop forte et sait bien que je joue la comédie.
Quelqu’un tire sur les pompons de mon bonnet. Je suis allée dans une boutique avec maman, pour le trouver. C’était le plus beau. Il est rouge avec trois pompons blancs au bout. Personne n’en a un aussi joli dans l’école. Du coup, ils sont jaloux de moi et m’embêtent.
Je me retourne pour voir Damien rigoler. Il m’énerve. Je lui jette un regard noir. S’il touche encore à mon bonnet, je le frappe avec. S’il se prend un pompon dans l’œil, ça sera bien fait. De toute façon, je ne l’aime pas.
– Valiana, ton papa est là.
Heureusement pour lui, je m’en vais. Je bondis sur mes pieds pour courir jusqu’à papa. Une fois contre ses jambes, je l’enlace. C’est bien lui. Il m’a manqué. J’ai envie de lui raconter ma journée en détail. Et lui dire que Damien m’embête. Sauf qu’il parle avec la maîtresse de truc pas intéressant. J’écoute d’une oreille, mais comme je ne comprends pas, je me contente de lever les yeux vers papa pour avoir son attention. Il pose discrètement la main sur ma tête. Je m’accroche à son bras et sautille. Quand est-ce qu’on s’en va ? Je m’ennuie. En plus, j’ai faim. C’est quoi le goûté ?
Papa me fait toujours des surprises pour le goûter. Des fois, il achète un pain au chocolat ou alors une glace. On a même fait un gâteau à la vanille pour maman tous les deux. C’était bon. J’ai envie qu’on fasse un cake avec des pépites.
Il a enfin terminé et nous partons tous les deux. Ses grands doigts tiennent les miens alors qu’il m’entraîne vers la sortie de l’école. Je fais un rapide signe de la main à mes amis avant de détourner le regard.
– On va où papa ?
– On passe au magasin chercher deux ou trois trucs, et on rentre à la maison.
– Quoi comme truc ?
Papa paraît embêté. Je me demande pourquoi ?
– Un pot de café, des biscuits pour Valia et…
– Quoi papa ?
– Rien, laisse tomber.
Sauf que moi, je n’aime pas quand je dois laisser tomber.
– Dis, papa !
– C’est juste un truc d’adulte, pas intéressant pour toi.
Je soupire. Avant, j’aimais bien m’interroger pour savoir ce qu’on me cachait. Sauf que la dernière fois, papa râlait à cause d’un truc d’adulte et quand j’ai regardé, c’était juste une feuille avec des chiffres et des lettres. C’était franchement nul. Je comprends que cela fasse crier papa parce que ça ne présente aucun intérêt. Du coup, j’espère que ça ne sera pas trop nul ce qu’il achètera.
– Tu veux quoi comme biscuits ?
– Des dinosaures au chocolat !
En m’entendant parler, papa fronce les sourcils.
– Pas sûr qu’il y en est, Valia.
C’était idée me contrarie. Pourquoi est-ce qu’il n’y en aurait pas ? Est-ce que tout le monde les aurait achetés avant nous ? Pour la peine, je boude. Je veux mes dinosaures au chocolat.
– Tu es fatiguée de marcher ? me demande papa.
Je saute sur l’occasion de me faire porter même s’il ne s’agit pas là de mon problème principal. Moi, je veux mes biscuits.
– Comment je vais faire s’il n’y a pas de dinosaures au chocolat ?
– Tu en prendras un autre paquet.
Ça m’énerve. Même papa ne comprend pas que c’est important. Les autres biscuits ne sont pas aussi bons.
– Tu as fait quoi à l’école aujourd’hui ?
Je n’ai pas franchement envie de lui répondre. Mais c’est papa alors je me force un peu.
– Un coloriage guirlande avec des bonhommes de neige. Parce que tu pouvais choisir soit le père Noël, soit le renne, soit un sapin, soit le bonhomme de neige. Moi, j’ai voulu le bonhomme de neige. Avec une feuille bleue parce que c’est ma couleur préférée. On a écrit des trucs aussi…
– Tu as bien écrit ?
Je réfléchis. Ce n’est pas maman, mais je préfère lui dire la vérité.
– Moyen moche…
– Pourquoi donc ?
– C’était un peu dur…
Autant avouer tout de suite.
– Tu peux t’entraîner à la maison si tu veux.
Je grimace. Heureusement que nous arrivons en vue du supermarché. Je m’agite en pensant au biscuit, mais papa me réprimande pour que je me calme. Du coup, je bouge moins, même si j’ai envie de courir. Sur la façade du magasin, on retrouve des décos de Noël : des guirlandes dorées et des pères Noël sont collés sur les vitres. Je me demande où est le sapin et s’il y a des cadeaux en dessous. Je voudrais savoir ce qu’ils contiennent, mais maman m’a dit qu’ils n’étaient pas pour moi. Cela ne me dit pas pour qui ils sont. La dame de la caisse ? Si c’est ça, je veux travailler dans le magasin pour avoir une surprise aussi.
Papa me repose au sol.
– Tu connais les règles ?
Il ne me les dit pas pour savoir si j’ai suivi. Avec un soupir, je lui répète ce que je sais. Je n’aime pas quand il fait ça. Après, je ne peux pas dire que j’ignore de quoi il parle.
– Ne pas s’éloigner. Rester avec papa. Ne pas parler aux gens que je ne connais pas…
Cela a l’air de le satisfaire. Il me tend la main et je la prends. Nous entrons dans les rayons et mon regard est attiré par un sapin blanc. Une boule géante de couleur bleue trône à proximité de son sommet. Dessus, il y a des flocons de neige qui sont dessinés avec des paillettes. Je voudrais prendre le temps pour regarder plus en détail sauf que papa m’entraîne au rayon de la salle de bain. Il s’arrête au niveau des boites pour les observer.
Au moins, ça sent bon. J’ai bien envie d’aller sentir les gels douches, mais j’ai promis. Durant quelques secondes, je patiente. Papa lit des trucs sur les boites et semble réfléchir. Je m’ennuie. Je veux mes biscuits dinosaures ou voir le beau sapin.
Du coup, je tente de m’approcher des bouteilles colorées pour les ouvrir, sauf que papa me retient par la capuche. Il a un pouvoir spécial, le regard laser. Il sait toujours quand je m’éloigne.
– Où est-ce que tu vas ?
– Sentir les gels douches.
– Tu n’avais pas dit que tu resterais près de moi ?
Je soupire, mais je sais qu’il a raison. Il est trop fort à ce jeu-là. Du coup, je dois sortir mes plus beaux arguments.
– Le shampoing me pique les yeux, papa.
Il est encore occupé avec ses boites nulles. Je suis sûr qu’il n’y a même pas de cadeau dedans. Juste des papiers avec des mots, je parie.
– Il faut redresser ta tête pour éviter de t’en mettre dans les yeux.
Surprise, je penche la tête pour tenter de comprendre. Il me jette un coup d’œil.
– Dans l’autre sens, murmure-t-il.
Il faut que je me mette la tête en bas ? Avant que je ne puisse bouger, ses mains se posent sur mon menton pour me faire regarder en l’air.
– Comme ça, l’eau coule vers l’arrière.
J’ouvre de grands yeux. Papa est trop fort.
– Bon, on va voir pour tes biscuits.
Visiblement, il a choisi sa boite. Mais mon attention est occupée par quelqu’un qui passe avec la boule de Noël dans les mains. Alors on peut l’acheter ? Je la veux pour la mettre dans le camping-car.
– Valia, tu viens !
Je soupire.
– On achète un sapin de Noël ?
Papa secoue la tête.
– Tu sais bien qu’on n’a pas la place.
C’est toujours pareil. On n’a qu’à habiter dans une maison comme tout le monde. En plus, si elle a un jardin, je pourrais avoir un chien. Mais je ne dis rien parce qu’on va me répondre d’attendre. Sauf que je ne sais même pas ce que je dois attendre.
– Une boule de Noël alors !
Mon père m’entraîne déjà vers l’arrière du magasin, sans un mot. Je continue :
– On n’a pas de décoration de Noël à la maison.
– Tu vas nous faire des jolies guirlandes.
Il a l’air sérieux.
– Elles sont moches mes guirlandes. Moi, je veux que ce soit beau, sinon le père Noël ne viendra pas.
Papa s’arrête.
– Une boule et une seule. Il faudra que tu sois bien sage après.
Mon visage s’éclaire. J’enlace mon père.
– Tu es le meilleur papa de l’univers.
Sa main se pose sur ma tête.
– Bon, on va chercher le café et tes biscuits…
– Et ma boule de Noël !
– Oui, et après, on rentre.
Nous nous remettons en chemin. J’espère qu’il y aura mon goûter. Mon père est rapide pour attraper un pot dans le rayonnage. Il ne lit pas tout ce qu’il y a d’écrit dessus. C’est mieux.
– Rayon gâteau, maintenant.
Avec papa, c’est marrant parce qu’il veut aller vite, mais il se perd dans le magasin et du coup, on passe partout pour chercher le goûter. Moi, je sais où ils sont, mais je ne dis rien parce que ça me fait rire.
– Putain, mais ils sont où ces conneries de biscuits ?
Je rigole. Mon père, des fois, il prononce des gros mots. Il les marmonne dans sa barbe. Son regard se pose sur moi.
– Désolé. Je n’aurais pas dû dire ça.
Moi, ça m’amuse parce que papa, il se sent toujours bête lorsqu’il dit ces mots à côté de moi.
– Tu ne sais pas où sont les biscuits ?
– Si, je sais.
Je tire sur sa main.
– Viens, papa !
Il me suit et nous atterrissons au bon endroit. Mes yeux se lèvent pour faire le tour des boites de gâteaux en stock. Brusquement, le soulagement me prend. Ils sont là. Je saute pour les attraper sans y parvenir. Ils sont trop haut. Heureusement, papa le saisit sans peine. Il est grand et très fort. Avec lui, je n’ai jamais peur.
– C’est bon. On y va !
– Et ma boule de Noël ?
Il soupire.
– C’est à quel endroit que tu les as vus ?
À nouveau, nous repartons vers le début du magasin. J’en ai même oublié que j’ai faim. C’est trop bien de se balader avec papa. En plus, je vais avoir ma boule de Noël.
Nous retournons jusque devant le grand sapin. Là-bas, un rayon plein de décorations nous attend. Je lève la tête à la recherche de ma boule, mais ne la trouve nulle part. La déception se fait une place dans mon cœur. Si ça tombe, le monsieur a pris la dernière.
– Alors Valia ?
Sur le coup, je trépigne et vais d’un bout à l’autre en tentant de discerner l’objet de mon désir.
– Qu’est-ce que tu veux ?
En désespoir de cause, je montre la boule bleue dans le sapin, à papa. Après un regard, il m’appelle. Elles sont cachées en haut du rayon, dans un coin que je ne parviens pas à voir.
– Tu veux laquelle ? Verte ? Doré ? Argenté ?
– Bleu !
Mon père cherche.
– Il n’y en a plus Valia.
La tristesse m’habite. Je me sens terriblement déçue. Moi qui m’imaginais déjà l’installer dans le camping-car et la montrer à maman.
– Prends une autre couleur, me propose papa.
Je secoue la tête.
– Pas envie…
Mon père hésite.
– On part sans rien prendre ?
– Moi, je veux ma boule. Les autres sont nulles.
Mon père ne dit rien. Brusquement, il dépose les objets qu’il a dans les mains à mes pieds.
– Garde-les.
Surprise, j’acquiesce. Qu’est-ce qu’il va faire ? Je retiens mon souffle. Est-ce que papa va utiliser ses super pouvoirs ? Mon regard se pose sur lui. Je le fixe, curieuse. L’air de rien, il s’approche du sapin. Ses bras se lèvent pour récupérer la boule bleutée. En prenant garde de ne rien faire tomber, il la passe par-dessus l’étoile qui décore le haut de l’arbre.
Est-ce qu’il est en train de voler la boule du sapin du magasin ? Je n’en crois pas mes yeux. Il revient vers moi, son présent à la main. Mon regard brille d’admiration. Mon papa est trop fort. Il ramasse les produits abandonnés à mes pieds.
– On y va, Valia !
Je me précipite derrière lui. Mieux vaut se dépêcher avant qu’on nous remarque. Si jamais la police venait à nous attraper, qu’est-ce qu’il se passerait ?
Pendant que nous sommes à la caisse, je jette des petits regards autour de nous, mais personne ne fait attention à nous. Papa met nos achats dans un sac, paye avant de prendre ma main dans la sienne pour que nous puissions partir.
La police n’est pas là. On a eu de la chance. En plus, j’ai ma boule de Noël et mes biscuits dinosaures.
Arrivé sur le parking, je suis papa. Un type avec une valise plus grande que moi, déboule. Il manque de me rouler dessus avec son bagage à roulette. Je n’ai que le temps de me plaquer contre papa. Mon père se fige. Quelques secondes plus tard, il interpelle l’homme.
– C’est ma fille que vous avez failli écraser !
Papa a l’air vraiment très en colère. Je me cache derrière lui. L’homme à la valise relève les yeux vers son interlocuteur. Il n’a pas l’air de comprendre le problème.
– Pardon ?
Je sens l’énervement gagner mon père.
– Ma fille ! Vous avez failli lui rouler dessus avec votre valise.
Le regard de l’homme s’arrête sur moi.
– Oh ? Désolé. Elle est si petite que je ne l’avais pas vu.
De sa poche, il tire un paquet de chewing-gum qu’il me tend. J’hésite avant de le prendre. Après, une nouvelle vague d’excuse, il reprend son chemin sous le regard attentif de mon père.
Je lui donne les confiseries.
– C’est bien, me félicite papa.
Dommage, j’aurais voulu un chewing-gum. Sauf que maman m’a toujours dit de refuser ce qui vient des inconnues. Bon au moins, j’aurais mes biscuits dinosaures en rentrant à la maison.
Les doigts de papa fouille ses poches pour en sortir un briquet accompagné d’un tube. Son regard se pose sur moi. Ses yeux retournent ensuite vers la cigarette. Avec un soupir, il range le tout avant de me prendre par la main. Celle qui ne tient pas le sac.
– On s’en va.
Il boude parce qu’il ne peut pas fumer ?
– Fumer, c’est mauvais pour la santé, papa.
– Je sais, marmonne-t-il.
Parfois, je me demande pourquoi les adultes font des trucs aussi peu intéressants… Mais comme j’ai ma boule de Noël, je pardonne à papa. En quittant le parking, mes yeux se posent sur le monsieur au chewing-gum qui est occupé à fixer sa valise sur une moto. Je suis déçue de ne pas avoir pu prendre un bonbon. Je voulais faire des bulles avec. Moi, je sais en faire et j’ai appris toute seule.
– Papa, tu sais faire des bulles de chewing-gum ?
– Hein ?
– Des bulles de chewing-gum avec ta langue, tu sais les faire ?
Il me fixe avant de secouer la tête.
– Je ne mange pas de bonbons.
C’est vrai qu’il ne le fait pas.
– Mais quand tu étais petit ?
Une ombre passe sur son visage. Il y a un truc, mais je ne comprends pas quoi. Papa, c’est à croire qu’il n’a jamais été enfant. Quand je lui pose des questions, il reste silencieux. Il ne me dit pas quels étaient ses jouets préférés ou à quoi il jouait à l’école. Mon père paraît juste triste. Maman, elle, me répond.
Après un regard sur sa montre, papa se remet en route.
– Maman va bientôt rentrer, il faut se dépêcher si on veut lui faire une surprise.
Cela a le mérite de me faire pousser des ailes. J’ai envie de faire un câlin à maman. Peut-être qu’on pourra manger des biscuits dinosaures ensemble.
– On fera un chocolat quand on sera à la maison, reprend papa.
– Et toi, tu boiras un café ?
Il me répond d’un hochement de tête.
– On peut le faire tous les deux ?
– Si tu veux.
J’adore faire la cuisine avec papa, parce qu’il me montre tout. Les autres, ils ne font pas de chocolat chaud avec leur père. J’en suis presque sûr.
– Papa, on fait un gâteau en rentrant à la maison ?
Il fronce les sourcils. Ça lui donne l’air méchant alors qu’il est gentil mon papa.
– Je croyais que tu voulais manger tes biscuits dinosaures ?
– Non, je veux faire une surprise à maman !
En silence, il réfléchit.
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