Hier soir, Papa et Maman ont fait une grande fête avec tous leurs copains. Ils ont mis de la musique tellement fort qu’y a la police qu'est venue, et aussi ils ont bu plein de vin et de la vraie bière qui pique.

Ce matin, ça sent mauvais dans l’appartement. C'est parce que pendant la nuit un des amis s’est trompé quand il a voulu aller aux WC - c’est la porte à côté de celle de ma chambre. Il a fait pipi dans mon seau à sable. Et aussi, il y en qui zont vomi dans la salle de bain et aussi dans les toilettes. Heureusement que ceux là ils se sont pas trompés avec ma chambre !

Ça pue tellement que je vais regarder des dessins animés dans le salon, avec le son tout doucement parce qu’après les fêtes, Papa il aime pas que je fais du bruit.

Au bout de longtemps, j'ai faim. Mais les parents dorment toujours, alors je retourne dans ma chambre, je remets les habits d’hier - sauf le slip : ça j’en prends un propre dans la commode et je mets le sale dans le panier à linge en me bouchant le nez. Ensuite je vais prendre une banane, un yaourt et des gâteaux dans la cuisine et je mange sans les réveiller pour pas les fâcher.

J’en ai marre de la télé, j’ai envie de jouer. Mais ça schlingue toujours dans ma chambre alors je prends mon Gros Lapin Doudou et les voitures. Aujourd’hui, ce sera des voitures électriques. Avec mes feutres pour l’école, je dessine une route sur les cartons de pizza, et je fais une forêt en petites bouteilles, un tunnel en tube de chips et aussi des animaux en bouchons. Je peux même faire un parcours d’obstacles avec des capsules. Je parle tout doucement. Ce soir c’est Noël, alors faut être très sage.

Quand papa se lève, c’est l’heure du goûter et il fait déjà presque nuit.

Je lui dis :

« Joyeux Noël, Papa !

- Tu peux pas t’arrêter de brailler deux minutes ? »

Zut, il est de mauvaise humeur... Je me tais pour pas le fâcher plus. Il va dans la cuisine et il revient avec une tasse qui fume. Il est pieds nus, il a les yeux pas très ouverts et il fait sombre. Il marche sur une capsule de bière qui traîne. Ca le fait sauter et il se renverse son café dessus lui. Il crie.

« PUTAIN DE MERDE TU FAIS CHIER AVEC TES LÉGOS ! TU PEUX PAS JOUER DANS TA PIAULE ?

- Mais Papa, c’est pas moi, c’est...

- ET MERDE ! REGARDE-MOI CA ! J'EN AI PARTOUT ! MAIS QUELLE PLAIE, CE MIOCHE !

Je me suis approché pour lui montrer que c’est pas à cause d’un jouet. Il m’attrape et me tape très fort.

« P'tit con ! Va me chercher un grand sac poubelle ! VITE ! »

Je me dépêche de faire comme il dit même si ma tête tourne un peu à cause de la torgnole et que je vois un peu flou à cause des larmes. Quand je reviens, il arrache le sac de mes mains et il commence à mettre tous mes jouets dedans, alors je pleure.

« Non, s’il te plaît ! Pas Gros Lapin Doudou !

- JE T’AI DIT DE FERMER TA GUEULE ! »

Il me cogne encore avec ses pieds et ses poings. Je me mets en boule et je bouge plus. J’ai mal et j’ai peur.

« Si tu les aimes tant que ça, tes merdes, j’te jette avec ! » il dit.

Il me prend par le t-shirt et il me met dans le sac poubelle aussi. Je vois plus rien. Il pousse le sac avec des coups de pieds. J'entends le bruit de l’ascenseur. J'ai peur mais je bouge pas et je dis rien parce que je veux pas qu'il me retape. Une porte grince. Il met encore un gros coup de pied et le sac avec moi dedans tombe dans les escaliers. La porte claque fort. J’entends encore l’ascenseur.

Et puis plus rien.

Je ne bouge pas. Même si il y a une petite voiture coincée sous moi qui me fait mal. J’ai toujours peur et je sens du chaud qui coule sur ma tête. Je comprends que je saigne. Comme la fois où il m'a jeté le cendrier dessus. Et puis j'ai mal partout. Ca va encore faire plein de bobos et je pourra pas aller à la piscine.

J’attends longtemps. Et puis j’ai du mal à respirer, alors j’essaie de faire un trou dans le sac. J’y arrive. Il fait tout noir. J’appuie sur le ventre de Gros Lapin Doudou pour qu’il fait de la lumière. Comme il y a personne, j'agrandis le trou et je sors du sac avec Doudou. Ici aussi, ça sent mauvais et il fait froid. Je trouve un bouton de lumière et j’appuie dessus. C’est le local des poubelles. Je sais qu’on peut ouvrir la porte que quand on a la clé. Ça veut dire que je suis prisonné.

Je m’assoie sur une grosse vieille valise pour réfléchir. Ce soir, c'est la veillée de Noël. Comment le Père Noël va me trouver, si je suis là toute la nuit ? Il faut un sapin de Noël, sinon j’aura pas de cadeau et il faudra attendre l’année prochaine ! La seule solution, c’est d’en fabriquer un. Je vais en faire un en bricolage de "récup'", comme à l’école.

Je fouille dans les bacs des poubelles. Je trouve un manche à balais un peu cassé et des cintres en fer tordus. Ça fait une forme qui ressemble à un vrai sapin. Avec des sacs poubelle verts, je lui fais comme une robe. Et après je fais des décorations avec des jolis papiers de chocolats et de bonbons. Comme c’est Noël, y’en a plein ! Et même, avec les fils qui servent à fermer les sachets, je fais des cheveux d’anges orange. Et avec la lumière du ventre de Gros Lapin Doudou, ça fait comme des illuminations. Il est trop beau, mon sapoubelle de Noël ! Je suis sûr que le Père Noël l’aimera aussi. En plus, le parking est juste à côté, ce sera pratique pour garer son traîneau. Par contre, il aura pas de lait et de gâteau. Ici, il y a rien à manger. Mon ventre fait des gargouillis de faim.

Ma tête tourne. Je me couche en boule sur des cartons en serrant Gros Lapin Doudou contre moi. C’est pas la faute de Papa quand il me tape. C'est parce que c’est un monstre qui est dans lui et que quand je fais des bêtises le monstre se réveille. Et des fois quand je fais pas de bêtise aussi. J’ai demandé au Père Noël que le monstre ne se réveille plus jamais. Je ferme les yeux. J’ai très froid. Je m'endors.

La porte s'ouvre. C'est le Père Noël ? Ah non, c'est Papa et Maman. Je les vois et je me vois aussi. Mais mes yeux ne s'ouvrent pas. Je n'ai plus mal et pourtant je ne bouge pas. Papa et Maman se crient dessus et ça ne fait pas de bruit. Ils me mettent dans la vieille valise toute cabossée et ils mettent la valise dans la voiture et on s'en va, jusqu'à une grande forêt très loin.

Maman pleure. Son maquillage a tout coulé. Ça fait comme si ses yeux avaient fondu. Je veux essuyer ses larmes, mais mes mains passent à travers elle, comme un nuage.

Papa laisse les phares allumés. Il prend une pelle dans le coffre et il creuse un trou au pied d'un vrai sapin. C'est un grand trou alors ça prend longtemps. Il met la valise avec moi dedans dans le trou. Maman met aussi Gros Lapin Doudou. Et Papa rebouche le trou. Après ils s'en vont. Ils me laissent tout seul, dans le noir, encore. Je suis enterré comme une poubelle. Alors je pleure.

Alors une grande lumière apparait, et j'entends un bruit de grelots. Le Père Noël ! Je le vois pour de vrai ! Il a un grand sourire gentil et une grande barbe toute douce. Il me serre dans ses bras. Il me redonne Gros Lapin Doudou. Il est tout chaud. Alors je n'ai plus peur et je m'envole avec lui sur le traîneau, tout là-haut dans le ciel.