Que la guerre déchirait,
Chaque jour son lot de morts et de blessés apportait,
Chaque jour, son écot de chagrin payait.
Dans un modeste village vivait un jeune moine,
Qui, toujours serviable, la vie d’autrui voulait rendre la plus agréable,
Chaque jour se levait, chaque jour espérait,
Que cette sombre tragédie finirait.
Lui vint alors du seigneur du royaume un oracle,
Qui prophétisait la venue d’un homme sage et bon,
Qui de sa vertu saurait aux pires conflits faire obstacle,
Si d’aventure, dans le pays voisin se rendait,
Et un artefact retrouvait.
Le moine alors, avec sept compagnons s’en alla,
Les contrées, les monts, les vaux traversa.
Chacun s’aidant, chacun se soutenant,
Aucun maléfice n’aurait su les séparer.
Mais tandis qu’ils traversaient une forêt sombre, le plus âgé,
Honnête professeur, modeste en tout point, de la vie fort peu gâté,
Par les démons fut tenté.
« Approche, approche, enfant de l’Homme,
Toi que les dieux ont oublié, toi qui par autrui n’a jamais été remercié,
Je t’offre la puissance, la richesse et la gloire,
Si à tes amis tu renonces sans condition. »
Le professeur alors, s’étant saisi de cette première « bénédiction »,
Vers ses camarades, s’était tourné en riant,
Et pour les saluer, telle une dernière trahison,
Leur souffla en se retirant :
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Et ses amis soudain semblaient se détester.
Traversant un fleuve glacé, le plus estimé,
Un preux chevalier, qui s’était battu pendant des années,
Et qui par la perte d’une jambe par les cieux avait été félicité,
Entendit à son tour les murmures des démons,
Qui, au milieu du clapotis de l’eau, susurraient son nom :
« Vaillant as-tu été, vaillant es-tu toujours…
Mais qu’y gagnes-tu, sinon de la Nature de vilains tours ?
Je te rendrai ta jambe, ma foi, si sans condition tu réfutes,
Le serment qu’auparavant tu fis à tes compagnons. »
Le chevalier, dont l’âme droite et juste avait fléchi,
À cette seconde « bénédiction » avait cédé,
Et pour saluer ses compagnons, dernière offense,
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Et ses amis soudain semblaient se détester.
Grimpant un haut sommet enneigé,
Une couturière qui toute sa vie avait œuvré,
À vêtir les plus pauvres, les plus oubliés,
Dans le souffle empli de flocons avait oui,
Son nom, puis une petite voix qui dans son oreille s’était enfouie :
« Toi, tu t’es damnée pour les plus malheureux,
Mais regarde à présent, de toi personne ne veut.
Je puis t’offrir un mari, si sans condition aucune,
Sans pleurs, sans larmes, tes amis répugnes. »
La couturière, désirant à en mourir cette affection promise,
De cette troisième « bénédiction » s’était éprise,
Et adressant à ses amis un salut satisfait, avait soupiré :
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Et ses amis soudain semblaient se détester.
Redescendant à flanc de montagne,
La lingère, cadette de la couturière,
Qui auprès d’elle avait toujours fait preuve de charité,
À son tour s’était laissé tenter.
« Fille de l’Homme, à quoi ont-elles servi,
Toutes ces années de bonté, sans aucun autre merci ?
Moi, je saurai t’offrir tout ce que tu désires,
Tu ne laveras plus le linge d’autrui, l’on te servira jusqu’à la fin de ta vie. »
La lingère, dans sa vanité touchée, s’empressa alors d’accepter cette quatrième « bénédiction ».
N’adressant pas même un regard à ses anciens compagnons,
Laissa échapper, comme une dernière trahison,
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Et ses amis soudain semblaient se détester.
Arrivée dans la vallée, l’équipée,
Avait fait une halte tant elle était épuisée,
Et durant la nuitée, voici qu’aux oreilles du berger,
Les démons s’étaient manifestés.
« Toi, toute ta vie tu as marché,
Toute ta vie les bêtes a gardé,
Mais aujourd’hui, pour vivre, tu n’as guère assez,
Pourquoi donc ne t’a-t-on point plus gâté, quand plus fainéants à toutes les largesses se livrent ? »
Le berger, que la tristesse d’une vie de labeur avait épuisé,
Sans hésiter, dans le noir s’était levé,
Embrassant avec ferveur cette cinquième « bénédiction »,
À l’oreille du moine avait murmuré,
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Et ses amis soudain semblaient se détester.
Alors la triste compagnie, de ses membres défaits,
Au matin, la mort dans l’âme, était repartie,
Arrivant dans le pays voisin, de fatigue pétrie,
Voici que les démons à nouveau sévirent,
Et à la sage-femme, celle-là même qui bon nombre d’enfants avait fait vivre,
À cette brave médicastre, voici qu’ils s’adressaient en ces termes :
« Dame, pauvre demoiselle,
Dire que l’on te croit sorcière, tandis que tu ne fais qu’un noble devoir,
À tous, si tes frères tu abandonnes, nous saurons faire voir,
Tes mérites, ta vertu et ton savoir. »
La malheureuse, que les affronts avaient épuisée,
Rejetant ceux qu’elle considérait comme ses amis,
Ses larmes gelant en ce pays de neige d’argent,
Se retira précipitamment vers cette sixième « bénédiction », d’une voix triomphante s'exclamant :
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Et ses amis soudain semblaient se détester.
Alors arrivés à la tour, le moine et son dernier compagnon,
Jusqu’à l’os de tristesse rongés,
Dans l’enceinte sacrée s’étaient aventurés,
Et tandis qu’ils montaient les marches de l’escalier,
Les voix, de nouveau, au tisserand le dernier,
De douces consolations, de douces promesses pour le consoler.
« Te voici encore là, fidèle ami,
Mais une fois l’aventure finie,
Crois-tu qu’il te dira merci ?
Toi qui toute ta vie as tissé pour autrui,
Laisse-moi te proposer ma compagnie. »
Le tisserand alors, s’arrêtant sur une marche,
Au jeune moine avait souri, la septième « bénédiction » avait saisi,
Et alors, dans un dernier murmure, lui avait dit :
« Soutenons-nous toujours et rien ne saura nous faire plier. »
Le moine ainsi fut abandonné,
Par tous ses amis s’en étant allés.
Sur l’ultime marche s’était écroulé.
« Ai-je donc été si peu vertueux,
Si peu juste, si peu reconnaissant,
Pour qu’ainsi je sois trahi par tous ceux,
Qui pour moi, étaient aussi indispensable que mon sang ? »
Lui restait comme seul réconfort son devoir,
Et se relevant, dans la triste lueur du soir,
Il s’approcha de l’autel, cherchant l’artefact,
Et seulement, sur la table de pierre,
Un poignard se trouvait.
« Vois-tu, enfant de l’Homme,
Sans tes compagnons, aurais-tu pu seulement,
Jusqu’ici arriver sans être ébranlé par les tourments ?
Trahison tu pensais, alors qu’en vérité ils n’ont fait,
Que t’épauler, jusqu’à la fin, avec fidélité.
Tu as douté d’eux, ah grave erreur !
Quand du plus profond de leur cœur, ils ne souhaitaient que t’épargner mille douleurs. »
Le moine alors, d’un terrible chagrin fut saisi,
Vers l’autel s’était avancé, sur le poignard sa poigne avait affermi.
« Était-ce donc pour cette simple lame qu’exigeait mon seigneur,
Que mes camarades se sont damnés pour l’éternité ? »
Les voix alors lui répondirent :
« Pour cette simple lame, seulement, non,
Mais pour ton sang, sûrement,
Toutes les bénédictions n’étaient que malédictions,
Eux le savaient, et voulaient te protéger à raison.»
Alors le moine, comprenant que pour le bien de son pays l’on l’avait sacrifié,
Tendit la lame, dans sa gorge l’enfoui,
Jusqu’à la dernière parcelle de son âme chassa,
Et sur l’autel tomba.
Ainsi, le seigneur et le pays la paix retrouvèrent,
Car leurs ennemis, bien satisfaits du sacrifice,
Avaient retiré leurs troupes destructrices.
Et le seigneur, hélas, ne put que se lamenter,
Sur la malheureuse mort de celui qui avait été son fils.
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