Par une nuit de pleine lune, un cri étrange retentit sur la colline du champ de citrouilles. Oui, le champ de citrouilles, celui-là même qui se trouvait planté derrière le manoir où naquit Folletto il y a bien des siècles. Le hurlement résonna sur la plantation, faisant frissonner les cucurbitacées et tirant les campeurs de leur sommeil.

Au fond du carré cultivé, à la lisière du sombre bois de chênes centenaires à l'écorce torturée et aux branches nues et noueuses, un panda surgit d'un tronc creux, bâillant à s'en décrocher la mâchoire. Après les pandiculations de rigueur pour tout ursidé tiré de son précieux sommeil, il se mit en marche d'un pas lourd, grondant d'un air peu aimable

"C'est quoi ce barrouf ?"

Une paupière levée avec peine lui apprit que la foule des citoyens de l'Allée était déjà rassemblée au sommet du coteau.

"Je crois qu'un meurtre a été commis cette nuit. Annonça Théas d'un ton aussi sombre que son pyjama Dark Vador.

- En effet, mon cher. Il semble que la victime ait été poignardée, dépecée, écartelée et chatouillée avec une plume avant d'être brûlée vive. Son identification sera difficile car il ne reste d'elle qu'une poignée de cheveux châtains bouclés et un bout d'ongle. Analysa Serenya, dont la chemise de nuit Evoli n'entamait en rien la rigueur scientifique.

- Mais c'est terrible ! Ca signifie qu'il y a un meurtrier parmi nous ! Gémit Jérôme en serrant contre lui sa peluche Blåhaj.

- Hé ho ! Je vous y prends ! Pas de publicité intempestive pour une marque de meubles en kit ! gronda le gardien du haut des cieux. Et trouvez-moi le responsable de ce massacre vite fait bien fait! Si on ne peut même plus roupiller tranquille en altitude, maintenant, où va le monde ?"

Le rugissement rageur acheva de tirer les derniers citoyens de leurs tentes et tous entreprirent de s'activer pour éclaircir le mystère.

Le panda, s'étant paré d'un deerstalker, de guêtres, d'une loupe et d'une pipe à bulles, commença à élaborer plusieurs hypothèses empreintes de sa finesse d'esprit reconnue par tous ses concitoyens.

"Le coupable doit être Rose. L'échec de son attentat à la galette* conjugué à l'ambiance halloweenesque du camp et de la géopolitique actuelle aura fait d'elle une céréale killeuse et elle aura déchainé haine, agressivité et rancœur sur la première victime passant par là. C'est élémentaire.

La conteuse susnommée protestait avec vigueur de son innocence, et Serenya, bombardée légiste officielle, vint à sa rescousse :

- Non, cette trace de mâchoire sur la kératine n'est pas compatible avec une dentition humaine. D'ailleurs, Rose a un alibi : elle était avec moi, dans ma tente-tour. C'est sans doute le requitrouille. Sa ration de pâtée à base de campeurs procrastineurs ne lui suffisait peut-être plus et il sera venu se servir lui-même…

- Que nenni. Contra Jéjé. Il a fait bombance toute la semaine et a même fait une crise de foie hier.

- … Alors ce sont certainement les vampires de l'Allée ! Ces viles créatures aiment à semer la désolation et à se repaitre du sang de leurs victimes !

Mais cette nouvelle hypothèse fut démontée par Théas : "Sûrement pas ! J'ai grand soin de vaporiser du produit anti-moustique à l'ail dans toute l'Allée chaque semaine depuis la dernière invasion. C'est très efficace contre les Nosfératus.

Le Panda se gratta le menton.

"Bon. Une recherche d'indices s'impose. Fouillons le manoir."

Aussitôt dit, aussitôt fait. Chacun retrousse les manches de son pyjama et se met en devoir d'enquêter.

Les investigations n'avaient pas sitôt commencé que déjà Béa sortait de la maison en hurlant : "AAAAAAH ! IL Y A UN SQUELETTE DANS LE PLACARD !

- Il y a une seconde victime ! C'est un tueur en série ! S'affola Nascana.

- Mais non, c'est Georges. Protesta Jéjé, qui avait passé son écharpe de maire sur son kigurumi requin pour gagner du temps. Elle enquête certainement de son côté."

Le placard fut refermé avec véhémence par la squelettière ainsi dérangée.

Ploum intervint à son tour, frémissante de peur.

" Je sens comme une odeur de viande pourrie qui vient de la cuisine… Il doit y avoir un cadavre par là, c'est sûr !

- Erreur, mon amie! Intervint le Panda. Ce n'est que le doux fumet que dégage la tarte à la citrouille que je viens de mettre au four. J'ai aussi fait de la confiture de butternut, des pancakes au potiron, du pumpkin spice latte bien chaud et des toasts au beurre de cacahouètes. Impossible de mener une enquête digne de ce nom sans avoir pris un bon petit déjeuner. C'est prêt !

Il y eut une cavalcade, trois chaussons perdus et quelques meubles reversés et les campeurs se retrouvèrent attablés devant un petit-déjeuner gargantuesque.

" Mais… Mais qu'est ce que vous faites ? Demanda Théas interloqué.

- Ben on mange. Cha che foit pas ? Demanda Merly, la bouche pleine.

Le bourgmestre résigné tira de sa poche son sifflet à ectoplasme. Une seconde plus tard, tous furent expulsés de la cuisine manu-militari par un esprit frappeur déchainé, au cri de "AU BOULOT, BANDE DE LARVES !"

Après avoir ramassé casquette de tweed et dignité, le Panda fit signe à ses assistants.

"Regardez ! Georges a trouvé des indices !

- Une touche de poil gris et une feuille de saule… Eurêka ! s'écria Erval en grec car il était allé à l'école. Il n'y a qu'un seul saule dans les environs : celui qui est planté dans le lac, au Nord du champ de citrouilles.

Ni une ni deux, on se précipita sur les lieux.

LizD pointa un doigt délicat en direction de l'arbre.

"Là ! Une créature poilue est suspendue tête en bas à l'une des branches !

Tous se ruèrent sur la bête. Oui, tous, sauf un. Soit 856 citoyens en même temps.

"Nan mais ça ne va pas, non ? Vous êtes malades ! Protesta une voix virile.

- Dio ? C'est toi ? Que faisais-tu sur cet arbre ?" S'étonna Sizel.

- Je réfléchissais à mon prochain roman. Il y en a qui écrivent, ici, au lieu de s'amuser !

La Dame Gardienne ne voulait pas s'en laisser conter.

- Qui écrivent ? Qui assassine leur prochain, tu veux dire ! C'est TOI le coupable, nous avons des preuves !

- A ceci près que le Diogènus Chiroptera a le poil noir et non gris. Observa le Panda. Et cet arbre n'a plus une feuille. Les indices ne concordent pas.

- Par Ao… Par la dée… BON SANG ! Jura soudain Serenya. Ce n'est pas une feuille de saule ! C'est de l'eucalypstus !

- Le coupable est donc… UN KOALA VORPAL ! S'écria l'ursidé noir et blanc.

Jérôme se gratta la tête, perplexe.

" Un koala vorpal ? On a ça dans l'Allée ?

- Possible. Lui répondit Théas en haussant une épaule. Pourquoi crois-tu qu'on prévoit une refonte du site ? Il y a vraiment un tri à faire, ça devient n'importe quoi.

L'affaire étant résolue – et personne ne voulant se risquer à affronter un eucalyptovore enragé, les campeurs s'en retournèrent vissa à la table de petit-déjeuner avant que les pancakes ne refroidissent.

Moralité :

Quand un cri la nuit résonne sur la colline aux citrouilles, tu aurais tort, l'ami, de prétendre n'avoir point la trouille.

FIN

* Voir Attentat à la Galette. Surprenant, non ?