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tome 1, Chapitre 2 « Chapitre Second » tome 1, Chapitre 2

Le château des Épinas, construction brute de granit gris, est accroché à la montagne comme une proéminence rocheuse à la fois naturelle et artificielle. Lorsque je pose les yeux pour la première fois, j'en ai des frissons de terreur. Les tourelles, aux quatre coins des remparts, épient les alentours. Sur leurs toits de tuiles rouges flottent des drapeaux en pointe. Nous sommes trop loin encore pour que je puisse en distinguer les insignes, mais je sais qu'ils représentent des ronces noires sur un fond vert clair, les épines menaçantes.

Les montagnes, ici, prennent naissances, couvertes d'une épaisse forêt de chênes, de bouleaux et de charmes bleus. Ravins et pentes escarpées commencent déjà à ralentir le pas de nos montures. Atteindre le Comte n'est point une chose aisée, je puis dès lors l'assurer. Le château est posé sur le sommet rocheux, solide et à l'épreuve des éléments et du temps. De mes cours à la Tour, je me souviens de l'histoire de cette construction qui se moque de la gravité. Les Épinas ont, durant toutes les époques, été imprenables. La route, la seule qui existe, est si surveillée qu'aucune armée n'a pu s'en rapprocher suffisamment pour l'abattre, et ses hautes tourelles peuvent surveiller les alentours et voir n'importe quel ennemi arriver et les abattre.

Ainsi, est-ce là ma nouvelle demeure, où je recevrai dorénavant mes ordres et mes directives. A côté de moi, emmitouflé dans sa cape de voyage en laine graissée d'une belle couleur pourpre, Érik ne m'accorde aucun regard, aucun soutien. Je soupire dans mon écharpe d'où un filet de vapeur s'en échappe ; je dois depuis le temps prendre l'habitude d'un tel comportement à mon égard. Après tout, il est mon Surveillant, et en tant que tel, il n'a aucune obligation concernant notre bonne entente. Son existence se résume à me contrôler, à s'assurer que ma magie ne détruise pas le château et ses nobles occupants lorsque je remplirai mon rôle.

Le voyage a été long, fastidieux, silencieux. Le soir, lorsque nous montions le camp ou dormions dans une auberge, je prenais le soin de m'asseoir en tailleur et de méditer, sentant lentement mon énergie en flux et reflux, un bol d'eau posé devant moi. Ces séances ont pour but de me connecter à mon élément, le sentir frémir à mon contact, d'où je tire toute ma magie élémentaire.

Sur le chemin, nous avons rencontré bien des villages calcinés, victimes de la Brisure. Sur les routes, des réfugiés parfois nous ont regardé passer, dégoûtés à ma vue et ma robe noire. Accusés d'avoir contaminé le royaume, les Sorciers ne sont pas les bienvenus de partout, encore moins lorsqu'il croise plusieurs victimes de la maladie. La présence d'Érik, néanmoins, a été une bénédiction. Sans lui, je serai certainement morte, lapidée ou tuée sur le champ, transpercée par une fourche ou une vieille épée.

La Brisure, mal qui s'infiltre dans toutes les demeures, insidieux, chaumière comme châteaux et manoirs, est sur toutes les lèvres. Les magiciens en sont la cause, pour se venger de leur congé donné par le Roi Alzurien le IIIème. La magie n'a plus rien à faire dans les affaires de l'Etat, et les magiciens ne devaient donc plus à rester entre les murs chauds et réconfortants de la couronne.

Et leur vengeance avait été monstrueuse.

Il suffit de traverser, comme nous l'avons fait, une partie du royaume, pour s'en rendre compte. Les villages touchés par la Brisure sont tristes, gris, les habitants affichent des mines renfrognées, affamées. Impossible pour les réfugiés de ces villages de trouver l'asile ailleurs, ils sont chassés ou tués, de peur qu'on ne voit la maladie se répandre davantage ailleurs, portée alors par ces mêmes réfugiés cherchant à la fuir. Mon rôle est donc, comme beaucoup d'autres magiciens sous le contrôle de l'Imperium et de son Surveillant, de trouver un remède ou du moins la cause de ce mal pernicieux. C'est le premier véritable contrat que nous signons de notre sang, lorsque nous intégrons la Tour.

La Brisure se fiche des castes, elle frappe, boursouffle la peau, liquéfie les yeux, tue sans vergogne riches comme pauvres, et ce dans tout le royaume, avant de lentement briser les os du corps – d'où ce nom abject et terrifiant – quand arrive la contraction musculaire qui entraîne inexorablement la mort.

Je sens mon cœur battre la chamade, et en couchant les mots sur ce journal, je me une peur ancestrale, presque physique à mesure que nous approchons le château du comte Woodshire m'étreint.

Par la Déesse, que j'ai peur en voyant cette bâtisse de pierre et ces oiseaux !

L'hiver possède la lande. Je frissonne, mais n'ai guère le loisir d'exprimer mon inconfort.

— Vous allez bien ? s'enquit Érik.

Assise sur mon cheval, je garde les yeux vissés sur les rênes que je tiens en main. Mes gants de cuir crissent légèrement à mesure que je serre les doigts. Je ne pensais pas qu'un Surveillant puisse s'enquérir ainsi de son Sorcier. Je hoche la tête, aucun son ne sort de ma bouche sans qu'on me le demande.

— C'est mon premier contrat aussi.

Deux semaines.

Deux semaines de voyage depuis la Tour, et jamais Érik n'a prit la parole pour discuter. Est-ce la vue du château qui lui donne cette envie ? Nous n'avons échangé que quelques mots, pour le camp le soir, l'infusion le matin, où pour se dire bonjour poliment. Je reste coite.

— Je suis inquiet, avoue-t-il ensuite. Je dois vous l'avouer, Sorcière Elen.

Mes lèvres sont scellées.

— Le compte de la Maison Woodshire est un homme taciturne, vous savez, poursuit mon Surveillant sans se formaliser de mon silence. Il est calme, et ne fait appel à nous que parce qu'il est foncièrement inquiet pour sa fille.

— Oui.

— Elle parle ! s'exclame-t-il. A la bonne heure ! Vous savez, on va devoir se serrer les coudes, ensemble, si l'on veut revenir à la Tour après le printemps. Je préfère la sécurité de nos murs à cette campagne infestée par la Brisure. Je ne voudrais pas que nous nous retrouvions infectés.

J'acquiesce.

— Vous savez, Surveillant Érik, je suis inquiète aussi.

— Comment ça ?

Honteuse, je baisse la tête de nouveau, jusqu'à ce que mon menton touche ma poitrine. Pourquoi suis-je si bavarde ?

— C'est mon premier contrat, avoué-je. Je ne sais pas encore comment cela se passe, où je vais dormir, quand je vais devoir travailler avec Jasma de la Maison Woodshire, et dans quelle mesure je serai autorisé à lui rendre visite ou lui adresser la parole.

— Tout cela sera sous ma supervision, ne vous tracassez par pour si peu. Madame Blanchesec m'a bien formé.

Nous nous replongeons dans le silence le plus complet. Le rythme lent des chevaux me berce.

— Nous devons nous mettre d'accord immédiatement, intervient brusquement Érik. Je suis votre supérieur, alors je refuse que vous me répondiez non à mes demandes, ainsi qu'à celles du Comte.

— Oui, Surveillant Érik.

Il acquiesce. La fourrure de sa capuche encadre son visage anguleux. Ses yeux glacials se posent un court instant sur moi.

— Bien.

Érik ne rajoute rien de plus, aussi l'imité-je afin d'éviter tout problème. Je ne voulais pas me retrouver dans une situation délicate pour mon premier contrat, mais force m'est de reconnaître la douceur avec laquelle il discute avec moi.

En tant que Sorcière de la Tour, il m'est prohibé de refuser d'obéir. Je ne comprends pas bien en quoi Érik se sent obliger de me le rappeler. Evidemment, je suis son obligée, il ne me viendrait pas à l'esprit de lui désobéir. Je n'ose pas imaginer les conséquences d'un tel acte de rébellion ! Je pourrai finir au bûcher, les flammes dévorant ardemment ma chair pendant que le peuple se régalerait d'un tel spectacle.

Le château des Épinas nous attend.

***

Plusieurs servants nous accueillent, polis et distants. L'homme à la robe pourpre et la femme à la robe noire ; l'ensemble fait peur, le peuple nous craint, aussi nous ne pipons mots, têtes basses et respectueux du traitement dont nous faisons l'objet. Je garde les mains jointes devant moi, attendant que mon Surveillant me dise quelque chose. Je n'obéis qu'à lui, et dorénavant, au Comte Woodshire.

Mon Surveillant m'observe à la dérobée, pour s'assurer sans aucun doute de ma bonne tenue auprès d'autant de personnes « normales », sans magie qui coule dans leurs veines. Je reste muette, droite comme un piquet ; je refuse qu'on puisse me reprocher quoi que ce soit, je veux être parfaite.

Irréprochable.

— Monsieur...

La voix timide de la servante attire mon attention. Une vieille femme, vêtue d'une robe bleue, vient à notre rencontre. Elle n'ose couler un coup d'œil de mon côté, aussi je me fais la plus petite qu'il m'est possible. Il serait fort fâcheux que j'attire déjà l'attention.

— Monsieur le Comte va vous recevoir d'ici peu, si vous voulez bien me suivre je vais vous présenter vos appartements et ceux de... votre amie.

Etant donné que je garde les yeux sur le bout de mes chaussures, je ne suis pas capable d'admirer les remparts épais, ni les tours et encore moins les installations autour de la cour de l'édifice. Je ne peux que suivre assidûment la robe pourpre, sans broncher.

***

Le lit est confortable, la fenêtre donne sur le rempart Est, avec une vue imprenable sur un bois riche et couvert d'un épais manteau nuageux. Aucun village à l'horizon, simplement la quiétude de la nature et le silence hivernal. Je me sens immédiatement apaisée par les lieux. Une petite cheminée, froide et inutilisée depuis certainement des années, attend que j'allume un bon feu pour chasser la température glaciale de la chambre minuscule. Pour la première fois de ma vie, j'ai un espace individuel, privé.

Je sais que je le dois à ma différence et surtout à ma dangerosité. Sans cela, je risque de blesser quelqu'un dans mon sommeil. A la Tour, nous sommes si nombreux que nous pouvons les uns les autres nous aider pour éviter toute catastrophe magique. Un cauchemar peut trop facilement déclencher une magie brutale et émotionnelle, la pire de toutes les magies existantes.

Nous avons appris à nous contrôler, à ne rien ressentir, à courber le dos sous les ordres. Je dois me montrer maîtresse de moi-même, capable de retenir le feu brûlant à l'intérieur de moi, ces démons que tous craignent à raison. Un coup de colère, de peur ou d'angoisse, et je peux attirer à moi toute l'eau à disposition, la geler, voir congeler un corps à distance, par la seule force de ma volonté.

Bénie par la Déesse Aquina, ou devrais-je dire maudite. Cette magie, que je n'ai point demandé à posséder, m'a offert cette vie de soumission. Je ne m'imagine pas autrement, bien sûr, mais il m'arrive parfois de fermer les yeux et de rêvasser à une autre existence. Je suis une Sorcière principalement élémentaire, bien que je maîtrise sortilèges et potions de base. Je dois me montrer particulièrement attentive à mes émotions, les museler si nécessaire. Je détiens une force telle que je peux, si je le voulais vraiment, détruire l'intégralité de ce château et réduire ses habitants à des blocs de glace.

Ce pourquoi cette chambre, uniquement à mon intention, est un ravissement.

Je me laisse tomber sur le matelas poussiéreux avant de déposer mes affaires au pied du lit. Quelques bûches ont été montées à mon attention, aussi je les empile dans l'âtre.

— Ignisia !

Le bois craque, grogne, proteste, puis se met à fumer avant de s'embraser. Un sourire étire mes lèvres. Je n'ai pas eu à utiliser de sortilège aussi simple depuis mon enfance, et le feu n'a jamais été mon élément préféré. Néanmoins, observer ces bûches céder face à l'appétit vorace des flammes que j'ai créé me rend heureuse.

J'observe le silence, sereine.

Je sens que ce contrat va être une excellente expérience.


Texte publié par Synwir, 28 octobre 2020 à 13h33
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