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tome 4, Chapitre 3 tome 4, Chapitre 3

Je pensais que ce serait simple et périlleux. En fait c’est simple et impossible. J’ai juste ouvert la fenêtre, sortis, et traversé le potager bordant la maison. Ça a suffit à me tordre le ventre et m’essouffler.

Pas question de fuir dans cet état. Il faut que je récupère encore un peu. Hélas je ne pense pas que les poulets m’accorderont un délai.

Car je ne me fais pas d’illusion. Soit notre visiteur est un voyageur qui a vu mon camion vautré, et s’assure que tout va bien. Ce serait tout de même une sacrée coïncidence. Soit c’est une voiture de police sur mes traces. Le bruit de la fusillade ou le chauffeur rescapé les aura attiré. Par contre c’est sûr que le couple n’y ait pour rien. Il ne dispose certainement pas d’un téléphone.

Je te vois venir. Tu veux que dans mon état j’affronte des types armés et sur le qui-vive. Et bien je relève le défi. Toutefois je ne dois pas foncer bêtement. Il me faut un avantage, une astuce, un petit coup bas. Et j’en ai justement un à ma portée.

Il est temps que mon colt sorte de sa planque. Il repose dans une poche intérieure à l’ouverture dissimulée dans mon manteau bien épais. Ainsi pas bosse, ce qui explique que mes hôtes ne s’en soient pas emparés.

J’avoue que je suis quand même soulagé de le voir toujours à sa place. Avec toi on ne sait jamais. Un autre instant est nécessaire à mon avantage-astuce-petit coup bas. Puis je pars en chasse en longeant la maison.

Même si peu de temps s’est écoulé, je suis surpris par leur lenteur. Nos visiteurs sont encore à l’extérieur à discuter avec le couple devant la porte. Malgré l’obscurité je reconnais les couvre-chefs de la police locale. Je me demandais bien à quoi ils servaient à part rendre ridicules. Maintenant je le sais.

L’un d’entre eux brandit visiblement un fusil. Ça va être serré. Exactement comme tu aimes, pas vrai ?

Au vue de la situation le viseur de mon arme n’est pas vraiment utilisable. Qu’importe je trouve toujours le temps d’exploser quelques bouteilles dans les bois. Je saurai donc m’en passer.

D’un coté il y a l’obscurité et de l’autre une distance réduite. Je vise autant que possible le buste au lieu de la tête histoire de faire pencher la balance en ma faveur. Le policier au fusil tombe au champ d’honneur. L’autre est désorienté par l’absence de détonation. Le coup de la pomme de terre vissée au canon pour amortir le bruit, on ne l’apprend pas à l’école de police mais dans celle de la rue.

Ce court instant me permet de lui mettre deux balles. Et un second poulet à l’abattoir !

Qu’est-ce que tu dis de çà ? Blessé j’ai descendu deux gars négligeant et maintenant deux de plus sur leurs gardes. T’as autre chose en réserve ou tu jettes l’éponge ?

Le temps est venu de subir les jérémiades de ces gens hors du jeu.

« Non. » Répète plusieurs fois le mari en se relevant.

Je me rapproche afin qu’aucune mauvaise idée ne leur vienne à cause la proximité des armes des policiers. Tu serais bien capable de me faire ce genre de vacherie de dernière minute. Seulement je ne relâche pas facilement mon attention.

Je remarque alors que la femme ne s’est pas jetée à terre, juste écartée. Quant au carnage il lui déplait rien de plus. Elle tire même une nouvelle bouffée.

Je l’avoue, elle commence à me faire peur. L’envie de partir me démange encore plus. Malheureusement ma douleur persiste. Comme toujours face aux coups du sort que tu me balances à la pelle, je réplique par une de mes astuces.

Je pointe mon pistolet sur le mari en accompagnant mon geste d’une courte explication.

« Tu vas me servir de chauffeur. »

Il acquiesce de la tête, puis adresse un salut du menton à sa femme. L’un comme l’autre ne présentent aucune crainte. Je n’ai pas envie de chercher à comprendre, ni le temps non plus d’ailleurs.

Mon supplice continu avec la montée dans le camion. On emprunte le petit chemin montant jusqu’à la route. J’indique alors la direction à prendre. La conduite du bouseux est fluide. Rouler me donne l’impression d’une sorte de retour à la normale.

Puis je me remets à suffoquer et à souffrir. Je jette vite un coup d’œil à mon otage et chauffeur de crainte, qu’il en profite. Un hochement d’épaule dédaigneux, il ne se permet rien de plus.

Encore un foutu crevard, qui se contente de sa petite misère.

« Fais-toi plaisir à me voir dérouiller. Mais quand j’aurai revendu tout cet alcool je pourrai me payer deux fois ta baraque pourrie. »

« Quand vous l'aurez revendu ! »

Il s'énerve. Une raison de plus pour continuer.

« Ben oui. Tu crois qu’il y a quoi dans ce camion ? »

« Et vous allez le revendre ? »

« Je ne vais quand même pas tout boire. »

Enfin il se décide à me regarder un peu.

« Je vois. Vous croyez que si ça ne saigne pas, c’est sans danger. »

« Qu’est-ce que t’en sais toi, le cul-terreux ? »

« Bessie a été infirmière en Europe pendant la guerre. Elle connait ce genre de blessure. »

Cette révélation me fait bondir jusqu’à ce que la douleur me visse de nouveau sur mon siège.

« Cette garce aurait pu me soigner. » Dis-je péniblement.

« La médecine ce n’est pas de la magie. Il faut du matériel, des médicaments, et des installations. »

On arrive à un croisement. Il fait demi-tour. Je vais lui en faire voir.

« Vos côtes ont écrasé peut-être même enfoncé votre cage thoracique. Seul l’hôpital pourrait vous sauver. Seulement il est bien trop loin. »

Où est mon colt ? Je l’ai laissé tomber sans m’en rendre compte. Il doit être par terre. Je ne parviens plus à me baisser. A vrai dire je bouge à peine.

« Vous auriez pu mourir en paix. On a même convaincu ces pauvres policiers d’attendre afin d’éviter toute violence. Mais les connards dans votre genre ne connaissent rien d'autre. »

Ma vue se brouille.

« Salope. »

Voila ma dernière parole.

« Bessie a eu bien plus de courage durant son année au front, que vous n’en avez jamais eu de toute votre misérable existence. »

En fait je m’adresse à toi. M’avoir eu après tant d’années ne te suffisait pas. T’as trouvé encore mieux qu’une longue agonie : l’espoir. Tu m’as fait tenir, souffrir, et même travailler pour toi. Et tu finis par cette révélation cruelle.

T’es vraiment la pire des garces.

Peut-être pas au fond. Tu me débarrasses de ma douleur. Tu dois avoir quelques remords. Le tangage du camion me berce. L’air méprisant de mon chauffeur devient flou.

Je n’irai pas jusqu’à prétendre que ton baiser me plait. Mais au moins t’y as mis les formes.

Hé non ! Je ne vais pas céder devant toi vieille peau. Pendant que tu m’enveloppais, ma main tâtait la portière à la recherche de la poignée. A présent je la tiens.

Je saute en marche. Par chance l’autre plouc roule lentement. Et puis je connais la manœuvre. En tournant sur soi on réduit l’impact.

Je le sens tout de même. Comme par hasard la douleur revient dès que je te crache au visage. Sauf qu’elle n’est rien. Il suffit de l’ignorer. Pour preuve je parviens à me relever.

Qu’est-ce que tu dis de çà !

J’entend le camion derrière moi freiner. Si t’espères m’avoir par l’intermédiaire de ce cul-terreux, je te souhaite bien du plaisir. Mon couteau est toujours dans ma chaussette. S’il s’approche je le plante.

Tu peux lui faire retrouver mon arme laissée dans l’habitacle. En supposant qu’il sache s’en servir correctement, t’oublies un petit détail. Je lui tourne le dos. Or mon papershield enveloppe tout mon buste. Et la partie dorsale est intacte.

Qu’est-ce que tu dis aussi de çà ?

Une infirmière dans ce coin paumé ! Tu croyais vraiment me faire gober une histoire pareille ?

Devant moi tout est plat et sombre. Je sais que ça ne durera pas. Alors je continue à te fuir. Tu peux courir si ça t’amuse. Jamais tu ne me rattraperas. T’as eu mon complice, et mon butin. Par contre ma vie tu peux rêver.

Il me reste plus qu’à atteindre la maison, la voiture, l’opportunité de t’échapper une fois encore. Car elle finira bien par se présenter comme à chaque fois. N’est-ce pas ?


Texte publié par Jules Famas, 10 février 2021 à 18h23
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