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tome 4, Chapitre 2 tome 4, Chapitre 2

Tu n’es pas très fair-play. Après une esquive comme celle que je viens de te faire, t’aurais pu m’accorder une petite trêve.

Je repose une fois de plus sur une matière dure, mais plus lisse que la précédente. Tu te répète un peu alors moi aussi.

J’ouvre de nouveau les yeux. Le ciel étoilé a cédé la place à un plafond. Une lumière blafarde et artificielle sur ma gauche l’éclaire. Il fait encore nuit. Ton dernier coup bas ne m’as pas coûté trop de temps.

Comme tu n’es pas une grande bavarde je recours une fois de plus à ma mémoire. Hélas elle est quelque peu trouée. Tout d’abord des sons me reviennent. Le crissement du frein. Les caisses secouées à l’arrière. Ensuite il y a des images. Du fil de fer sur le pare-brise. Une maison et un potager devant mon véhicule à l’arrêt.

Après ma sortie de route, je suis au moins parvenu à freiner à temps et à te damer le pion une fois encore. Et une fois encore tu me l’as fait payé. Entre l’arrêt violent et mon état, j’ai perdu connaissance.

Mine de rien on passe une sacrée soirée tous les deux. Et je parie qu’elle n’est pas encore finie.

Voyons voir ce que tu me réserves encore. On m’a allongé sur une table. C’est toujours mieux qu’une route goudronnée. La pièce est disons rustique. Les murs, le sol, le plafond tout est un bois. L’éclairage est fournis par une lampe à pétrole et le chauffage par un vieux poil.

Il n’y a pas grand chose d’autre à en dire. Seul l’utile voir l’indispensable est présent. Pas gramophone, de radio, ni même un livre.

Je ne suis pas tombé chez des bouseux, mais des ermites.

Un visage apparait au-dessus de moi. C’est drôle. Cette femme est un peu l’image que je me fais de toi : teint pâle, visage osseux, et regard morne.

Sa prestation souffre juste d’une erreur : son peignoir est de couleur marron au lieu de noire.

A quoi dois-je m’attendre de sa part ? Je suis incapable de le dire, tellement elle est inexpressive.

« Évitez de bouger. » Me balance ton alter-ego.

Ça ne sonne pas comme un conseil, ni un ordre. C’est une simple indication. Elle s’éloigne immédiatement sans me porter plus d’intérêt.

Même toi qu’a dû en voir, je suis sûr que son comportement t’étonne. De mon coté j’aimerai en savoir plus. Dans ma situation je ne peux pas me permettre d’être patient. J’ignore si je suis vraiment en sécurité surtout avec toi, qui est si en forme.

Allez il faut que je bouge et la bouge. A peine j’entame le geste de me lever, qu’une autre voix retentit comme si son auteur avait prévu ma réaction.

« Suivez son conseil. »

Il fait plus humain que ta reproduction. Déjà son visage a un peu de couleur. Il est vêtu d’un pantalon de pyjama et d’un tricot de corps sous lequel se profile une petite bedaine. Son regard exprime quelque chose : l’agacement.

Face à un inconnu ayant failli défoncer sa maison, je me serai attendu à une autre réaction comme de la colère voir de la haine.

Ce couple est bizarre. Il commence à m’inquiéter. J’en reviens à ma personne. Visiblement ils ne m’ont rien fait. Juste ma chemise a été ouverte ainsi que mon plastron. Ces deux ploucs m’ont examiné ou tout du moins essayé. Je ne vois aucune trace de pansements ou de soins. Mes bleus sont impressionnants. Mais toujours pas de saignements.

Tu te laisses aller.

Moi il n’est pas question, que je me relâche. Sinon t’en profiterait.

« Merci. » Dis-je en premier.

Après tout ils m’ont aidé en me tirant du camion et m’installant chez eux.

« Il faut que j’y aille. »

Soit c’est un peu succin. D’un autre coté je n’ai pas que ça à faire. En me redressant je réalise que la douleur ne s’est pas atténuée et laisse s’échapper une grimace.

« Elle vous a dit de ne pas bouger. » Réplique l’homme sur un ton blasé.

Quant à la femme elle semble m’avoir oubliée. Elle s’approche du poil et extirpe une cigarette de sa poche.

« Je suis pressé. Mon patron risque de me virer si je prend trop de retard. »

Exceptionnellement je préfère le baratin à la force. Même si mon arme est forcément encore sur moi, je ne suis pas trop en état. Et puis ces ploucs même s’ils demeurent bizarre, ont été serviables.

« Votre patron ? » S’exclame l’homme de nouveau agacé.

J’ai l’impression qu’il ne me croit pas. Alors j’en rajoute un peu.

« Oui je bosse dans une entreprise de transport. »

« Une entreprise de transport. » Répète l’homme avant d’émettre un long soufflement.

S’en suit de pesantes secondes avant qu’il enchaine.

« Vous conduisez un camion en pleine nuit et bien amoché. Et pas que par l’accident. Vous croyez vraiment qu'on n'a pas compris ? »

Il m’avoue savoir que je suis un putain de gangster ! Il est suicidaire ou quoi ? Quant à sa femme ou sa sœur voir peut-être les deux, elle fume sans porter le moindre intérêt à la scène.

J’ai même plus envie de comprendre. Je veux juste partir.

« Et alors ? Tu comptes me balancer ? »

Tout en parlant je me lève malgré la douleur histoire de lui prouver ma détermination à partir.

« Ce n’est pas çà... » Commence-t-il à dire avant que sa compagne ne l’interrompre.

« Laisses-le faire. Ça ne changera rien. »

Je connais ce raisonnement bien pensant des gens, qui se croient si irréprochables, si supérieurs. Vu que l’occasion se présente, j’y répond. En plus son arrogance la rapproche encore plus de toi.

« Tu crois que le mauvais garçon finit toujours par payer, hein ? Et bien pas moi. J’en ai encaissé des sales trucs. Pourtant je suis encore là. »

« Un peu de chance face au danger, et vous vous croyez invincible. »

Ce qu’elle m’énerve avec sa voix monocorde !

« Ce n’est pas de la chance. J’ai toujours su me débrouiller. »

« Il y a beaucoup plus de hasard dans ce monde, que vous ne le croyez. »

« Dans ce monde ! »

Juste après ces derniers mots, je pousse un énorme éclat de rire. Qu’est-ce qu’elle y connait du monde à vivre dans ce coin paumé ?

Un bruit de voiture en approche vient nous interrompre. Encore une de tes interventions, je parie ? Cette fois-ci je vais être indulgent. Puisque je ne suis pas ton seul objectif. T’as interrompu au passage la conversion afin que je ne tourne pas ton alter-ego en ridicule. Comme quoi tu peux parfois faire preuve de générosité sauf avec moi bien entendu.

Mes hôtes sont perturbés par cette visite même cette femme si inébranlable. Moi je n’ai pas ce problème. Ce n’est pas la première fois que tu me confrontes à ce genre de situation. Elle est périlleuse, et également simple d’une certaine façon.

Pourtant je laisse l’initiative au couple. Je préfère savoir à quoi m’attendre de leur part avant d’agir. Tu m’as rendu tellement méfiant à force d’acharnement.

« Je vais voir. » Dis l’homme en s’approchant de la porte.

Il est plus réactif que je ne le pensais. Sa femme le suit rapidement.

« Je ne reste pas seule avec lui. » Explique-t-elle avec du dégout dans la voix.

Elle peut bien jouer la fière. Ça ne prend pas. Qui laisserait sa maison au main d’un criminel ? Quelqu’un qui a peur tout simplement.

Et dire que je les trouvais particuliers. Finalement ils se relèvent bien banals.

A présent il n’y a plus que toi et moi. Au moins on reste entre vieilles connaissances.


Texte publié par Jules Famas, 10 février 2021 à 18h21
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