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tome 3, Chapitre 3 tome 3, Chapitre 3

Même maintenant je pense encore à ma fournée. Bien qu’elle soit quasiment achevée, j’aurai préféré l’assister encore un peu.

Je ne suis pas insensible. Je m’inquiète vraiment à propos de Jenny. Mais c’est tellement dur de se détacher de son unique activité. Certes il y a aussi la lecture. Toutefois je n’arrive pas à la dissocier de la distillation du fait que je la pratique en même temps.

En marchant aux cotés de Marlo, je comprend mieux l’œuvre de Lovecrift ou Lovecraft. Cette forêt me parait plus terrifiante que jamais, tout simplement à cause de l’incertitude.

Chez Lovecrift ou Lovecraft les personnages ont peur de ces mythes oubliés, qui viennent bouleverser notre société moderne.

L’objet de mes craintes se résume à Jenny. Même si sa situation ne se révèle pas inquiétante, qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Le peu que je lui avais promis à savoir la tranquillité, elle ne l’a pas. Pourtant après toutes ses galères elle la mérite bien.

Il vaut mieux que je me concentre sur le présent. Nous arrivons à la petite route en bordure où habituellement nous embarquons l’alcool. Je reconnais la camion de Marlo. C’est un ford TT. Difficile de faire plus passe-partout que cet engin.

Basé sur la fameuse ford T, il est comme sa mère solide et fiable. Il a été décliné pour à peu près toutes les fonctions : transport de marchandise, pompiers, bus, citerne, et j’en passe.

Une silhouette se profile dans l’habitacle ! Il est temps que j’agisse. Marlo et moi on se rapproche. J’hésite encore. Seulement je ne vois pas d’autres solutions.

La détonation semble si puissante dans ce lieu retiré. C’est presque comme le tonnerre. Bien que Marlo soit au sol, je n’ai pas l’impression de l’avoir eu. Ce petit trou fumant dans son dos parait si insignifiant.

Le bruit du moteur me tire de ma torpeur. Par chance le camion peine à démarrer. Je pointe cette fois mon pistolet sur le chauffeur.

« Arrêtes ! »

Je crie comme jamais. J’ai tellement peur de ne pas y arriver. A vrai dire je ne sais pas tellement où je vais.

Le chauffeur stoppe calmement son véhicule comme s’il s’agissait d’une simple indication. On ne dirait pas qu’il est menacé. Son sang-froid renforce mon inquiétude. Je ne vais jamais m’en sortir.

Quelques réflexions me vienne en chemin. Je tente de les mettre en pratique.

« Les mains sur le volant. »

Ma voix est moins élevée. Hélas l’hésitation y est toujours présente. Sans quitter mon otage des yeux, je monte sur le siège passager. Je reconnais enfin Jim.

Jim est facile à décrire. Un seul élément compte chez lui. Il le définit, le classe, et résume son comportement. Il n’est ni noir, ni blanc, mais entre les deux.

S’il est malin ou honnête c’est son sang blanc. Au contraire à la moindre incartade c’est bien un nègre. Quoiqu’il en soit ce n’est pas une personne à part entière, juste un interdit dérangeant.

Peu de gens le regarde différemment. Il émane de lui une telle dureté. Pas la dureté de celui qui donne les ordres. Plutôt celle du subordonné résigné, qui encaisse encore et encore.

Actuellement il parait juste peiné par ma menace. Il ne dit rien, ne fait rien, ne me regarde même pas.

Après tout c’est moi qui mène le jeu. Je me décide donc à agir de nouveau.

« Conduis-moi à Jenny. »

Mon timbre s’est radoucit. On dirait plus une demande qu’un ordre. Jim obtempère tout de même.

Il roule une longue minute avant de jeter un regard dans ma direction. Ma main tremble.

« T’aurais pas dû tuer Marlo. Il y est pour rien. »

A entendre son air blasé je suis l’auteur d’une bêtise et non d’un meurtre. Il ne faut pas que je lui réponde. Rien ne doit me distraire.

Qu’importe qu’on est forcé la main à Marlo. Seule Jenny compte. Jusqu’ici je ne me suis pas planté. Je peux encore la sauver.

J’ai retenu mon étonnement à propos de la fausse-couche. Jenny et moi n’avons plus de relation sexuelle depuis bien longtemps. Ce n’est pas qu’elle ne me plaise pas. Simplement le sexe m’est étranger. Je n’en ressens ni l’envie, ni le besoin.

J’ai bien essayé pour lui faire plaisir. Rien n’est venu à part Alan. Cet enfant aussi m’est indifférent. Il ne m’agace pas pour autant. C’est ainsi bien qu’il soit de mon sang.

Le prétexte de la venue de Marlo m’a donc permit de percevoir une entourloupe. J’ai failli paniquer comme avec la lumière, puis me suis reprit.

J’ai emmené mon pistolet et réfléchis à mon complice et aux raisons de son mensonge. Il ne m’avait pas balancé aux poulets. Sinon ils ne seraient pas embêté avec ce piège. Ils m’auraient tout simplement embarqué et défoncé mon installation à la hache.

Si ce n’est pas les autorités, il ne reste que la concurrence. Alors la vision de cet autre homme m’en a procuré une autre : ma future exécution. J’ai donc agis et peut-être pas pour le mieux.

Savoir que Marlo était contraint et forcé, m’attriste autant que de l’avoir tué à savoir juste un peu.

Jim continue de conduire. Je commence à reconnaitre la route. Il se dirige vers le village. Ma maison se situe en périphérie. Donc Jenny n’y est pas. Moi qui espérait pouvoir filer en douce avec elle, je vais devoir sans doute me battre pour la récupérer.

Comme je le craignais les bootleggers en cheville avec Marlo ont décidé de s’en servir comme moyen de pression sur moi.

Peut-être qu’ils cherchaient seulement à me faire peur pour que je bosse à leur compte ? C’est trop tard maintenant. J’ai peut-être tout foiré.... ou presque. Jenny est encore en vie. Je le veux !

Le camion circule dans les rues du village. Elles sont encore désertes à cette heure-ci. Jim se gare devant une maison qui en dit long, celle du docteur Lawson.

Mon attention se reporte sur Jim comme si je pressens les mots à venir.

« Ce n’est pas obligé de finir comme çà. Je peux disparaitre. Et Jenny est suffisamment punie avec cette fausse-couche. »

Qu’est-ce que j’ai fait ! Ce n’est rien d’autre qu’une bête histoire d’adultère. Avec moi travaillant la nuit et dormant le jour, Jim servait de garçon de course à Jenny, puis progressivement d’autre chose.

J’ai honte. Pas d’être cocu mais de ne pas avoir songé à ce manque chez Jenny. Je ne suis pas fais pour elle, ni pour personne. Je ne parviendrais jamais à comprendre les gens.

Après toutes ces erreurs, je connais enfin la marche à suivre.

« T’as raison. Nous allons faire autrement. On retourne s’occuper du corps de Marlo. »

Savoir qu’il va apparemment survivre, ne le soulage pas énormément. Jim me ressemble un peu. Peut-être est-ce la raison, qui a poussé Jenny dans ses bras ?

Cette pensée me réconforte au milieu de mes incertitudes

Mes économies, l’argent caché à proximité de la cabane, et l’alcool. Est-ce que ça va suffire ? Et puis il y a Jim. Dois-je le laisser à Jenny ? Il m’a conduit jusqu’à elle tout en me croyant déterminé à la tuer. A la fin il a tout de même tenté de la sauver. Peut-être tient-il à elle ?

Le mieux c’est de la laisser en juger. Quant à moi, c’est sans importance.


Texte publié par Jules Famas, 17 janvier 2021 à 18h59
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