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tome 3, Chapitre 1 tome 3, Chapitre 1

Je ramasse du bois. Une tâche toute simple. L’obscurité ne parvient même pas à me gêner. Je suis au plus profond de la forêt. Le bois y est facile à trouver. Il suffit juste de se pencher.

En me redressant j’admire les formes sinistres issues du mélange de l’obscurité et de la végétation. Un des écrivains de la revue Weird Tales Lovecrift ou Lovecraft aurait plutôt dit des formes impies. C’est marrant que je pense à lui. Tout comme Poe avant, il aime faire peur avec des vieilles maisons, qui grincent. Il devrait se balader plus souvent dans la nature.

Elle possède largement ce qu’il faut en ombres biscornues et en bruits étranges. Même la nuit une forêt ne prend pas de repos. Il y a toujours des bêtes quelconques qui rampent, crient, ou je ne sais quoi d’autre. Et puis contrairement à une maison, il n’existe pas de couloir, de porte, d’escalier... rien qui ne puisse aider à s’orienter. De plus du fait de l’absence de mur et de plafond le danger peut venir absolument de partout.

Je ne veux pas passer pour le campagnard, qui dénigre la ville à tout bout de champ. Je dis simplement qu’on nous oublie trop souvent. D’ailleurs on n’a pas attendu tous ces écrivains pour se faire peur. On a notre compte d’histoires horrifiques.

Par exemple la forêt dans laquelle j’évolue, lorsque la nuit tombe elle engloutit les gens jusqu’aux entrailles de la terre. D’une certaine manière j’y crois. Sans être réellement hanté ce lieu demeure dangereux à sa façon.

Il ne possède pas de gibiers assez intéressants à l’usage des chasseurs, ni bois de qualité pour des bûcherons. Ces dimensions trop réduites, et sa végétation trop touffue rendent tout projet de défrichage infructueux.

Cette forêt n’est donc pas fréquentée et par conséquent ne dispose pas de sentiers ou autre points de repères. Il est donc facile de s’y perdre surtout la nuit.

Quant à moi je ne m’aventure jamais très loin de mon parcourt habituel. En quelques pas je reviens devant la cabane. Cette bâtisse pourrait inspirer Lovecrift ou Lovecraft. Elle est l’incarnation même de la dissimulation et du secret.

Pas une planche n’a été négligée par les feuillages environnant plus ou moins influencés par des mains humaines. Si de jour on remarque à peine sa présence, de nuit elle est totalement invisible. Seul le petit tuyaux faisant office de cheminée émerge timidement.

Et encore il n’est pas très dangereux. Il suffit de le démonter et le ranger à l’intérieur une fois la tâche achevée.

Actuellement de la fumée s’en échappe. J’aime bien la voir s’élever ainsi. Hélas à cette heure elle est quasiment invisible à moins d’être vraiment à proximité. C’est pourquoi les gars comme moi fabriquent leur alcool de nuit.

C’est à cette habitude que nous devons notre surnom : moonshiner.

Je le préfère largement à bouilleur de cru.

La chaleur à l’intérieur est étouffante. L’espace est réduit, et mal aéré. L’éclairage se limite à une lampe à pétrole prudemment posée dans un coin retiré à cause de l’alcool. Cette bicoque est destinée à la production et non à l’habitation.

Mon bois rejoint le tas déjà existant. La distillation est un exercice d’endurance. Il faut savoir conserver un certain rythme et donc prévoir.

L’étape actuelle est le chauffage. Il va prendre une bonne partie de la nuit.

Le procédé complet est presque poétique. Le mélange composé d’eau, de maïs, de sucre, et de c’est-un-secrêt, est chauffé dans ce cylindre de cuivre jusqu’à son évaporation. Le beau et le bon en lui s’élève purifié. Les résidus eux restent au fond abandonné de tous.

Une sorte de chapiteau empêche la vapeur se disperser et la guide jusqu’au serpentin. S’en suit une sorte de danse. Mais pas n’importe laquelle. Une élégante et respectueuse.

La vapeur descend dans le serpentin tout en changeant de forme. L’eau froide dans laquelle baigne le tuyau apporte son aide sans ne serait-ce que l’effleurer sa partenaire. Enfin le liquide quitte toute cette mécanique et se repose dans la bassine.

Décrit ainsi tout a l’air si simple. Il suffit de laisser la chimie remplir son office. Sauf que la dites chimie est capricieuse. Une petite négligence comme une diminution du foyer ou une eau pas assez froide et vous vous retrouvez avec une mixture imbuvable.

Alors en bonne sentinelle je veille. Là encore c’est une question de dosage. A trop être l’affut on s’épuise et finit par commettre une erreur, tout comme lorsqu’on se montre à l’inverse négligeant.

Ma technique consiste à mon conserver mon esprit en éveil avec une occupation annexe. Qu’est-ce qu’on peut bien faire seul au milieu de nulle part ? Il existe une activité fantastique, exigeant peu d’argent, peu de place, peu d’effort physique... la lecture.

J’ai toujours une pile de bouquins, et de revues à mes cotés.

Ces nuits-là j’atteins la perfection. Je produis, je crée tout en m’enrichissant à la fois le porte-monnaie et l’esprit. Rien à voir avec les autres campagnards se bousillant le dos dans les champs en échange de quoi ne pas crever de faim.

Si on me laissait faire je passerai ma vie entre ces quatre murs bancals. Par « on » il faut entendre le monde extérieur et toutes les responsabilités et obligations en découlant. Le monde extérieur n’est pas à accabler non plus. Il m’apporte parfois mon lot de réconfort comme cet exemplaire de Weird Tales entre mes mains.

J’y lis cette histoire intitulée Red Shadows. Elle met en scène un anglais du seizième siècle plongé dans une lutte contre le mal, dénommée Solomon Kane. C’est épique et sombre à la fois. Ca change des romans de chevalerie.

Au fait il faudra que je garde un œil sur son auteur. Ce Robert Howard a du potentiel.

La température monte. Je m’aère grâce à une petite ouverture. Cette ébauche fenêtre se limite à un trou rectangulaire taillé à même la planche. Au moins il parvient à m’offrir un peu d’air frais. C’est bien là son unique utilité.

Même l’avertissement qu’il m’offre, je n’en ai pas besoin. Une lumière dans cette forêt j’aurai bien fini par l’apercevoir.

D’abord la surprise. Qu’est-ce que c’est ?

Ensuite la réflexion. Pourquoi quelqu’un se balade ici en pleine nuit ?

Puis finalement le déni. Ce type n’est peut-être pas là pour moi ?

Pendant je cherche d’autres raisons, la lumière se rapproche indubitablement vers moi. Marlo ? Non il doit passer dans la matinée lorsque l’ensemble de la fournée sera prête.

Il faut se rendre à l’évidence. Quelqu’un a découvert ma petite fabrique et décidé de se servir. Un pillard se montrerait plus discret à moins d’être demeuré. D’un autre côté comme je l’ai déjà dis, l’obscurité ne pardonne pas dans les environs. Et de toute façon les demeurés ne manquent pas.

Lors de la conception de cette cabane je n’y ai pas mis de plancher. Je n’avais pas le temps, et n’y voyais pas non plus l’intérêt. Toutefois il subsiste un trou dissimulé à même la terre. Dans ce trou il y a une boite hermétique. Dans cette boite il y a un pistolet.

« Au cas où. » M’avait dit Marlo en me le donnant.

Le « cas où » est arrivé. Une partie de moi est déçu de retrouver cet objet à sa place et intact. Je n’ai jamais aimé les armes à feu. Elles sont trop bruyantes. Et surtout il y a leur recul. Elles me font penser à des sortes d’animaux mal dressés.

Ça reste tout de même de la mécanique. C’est un domaine que je maitrise. Gamin j’étais du genre solitaire. Donc ne pouvant pas faire les bêtises habituelles avec les autre gosses, je m’occupais en bricolant. Désormais adulte je suis devenu bon ou plus exactement varié. Si je ne sais pas réparer quelque chose, je peux au moins le faire tenir encore un peu.

Je relève la culasse. Mon outil est parfaitement fonctionnel contrairement à moi. Je n’ai pas envie de tuer un inconnu juste pour de l’argent, ni de mourir. Pourquoi je ne m’enfuis pas alors ?

Dans le coin les fermiers disent que leur terre c’est tout qu’ils ont, qu’ils vivent à travers elle.

Il doit en aller de même entre cet alambic et moi.

Bien avant cette foutue prohibition les gens d’ici fabriquaient déjà leur alcool maison. C’était une coutume, une occupation, un petit plaisir, et un supplément de revenu. A présent ce savoir-faire a prit une toute autre valeur. Ce cas de figure liée à la lumière en approche, plane sur moi depuis que j’ai commencé à distiller.

Voilà que je tergiverse. Les origines de cette situation je les connais. Il serait peut-être temps de se pencher sur une solution.

Il n’est pas question que j’aille à la rencontre du visiteur. Un jeu de cache-cache dans les bois, serait trop hasardeux. Et quitte à crever autant le faire dans un endroit familier.

De plus ce tas de cuivre me procure une protection à sa façon. Une étincelle et tout explose. Mon visiteur devrait alors dire adieu à son butin.

J’en suis à miser sur l’intelligence d’autrui. Quel ingénu je fais.


Texte publié par Jules Famas, 3 janvier 2021 à 09h28
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