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tome 1, Chapitre 7 « La conque » tome 1, Chapitre 7

Une violente bourrasque s'était abattue sur elle à l'instant même où elle s'était engagée sur le promontoire, abîmant sa coiffure déjà par trop éprouvée par les vents marins et les embruns, lui fouettant le visage avec virulence.

L'océan par-delà l'écore s'agitait, comme malmené par un cauchemar qui le secouait de nombreux spasmes, les vagues roulant furieusement, laissant apparaître de temps à autre leur bave écumeuse au cœur de l'eau. Le souffle venu des cieux s'abattait sur la grève, brusquait les arbres nus, les plants sauvages, courrait le long de la falaise et venait faire chanter les nombreuses coquilles entassées méthodiquement, laissant s'élever dans le ciel leurs voix tel un chœur harmonieux accueillant la jeune femme qui les avait rassemblés.

Le cairn l'attendait patiemment, tourné vers l'horizon, les coquillages aux multiples nuances qui composaient son corps réfléchissant la lueur tamisée du soleil septentrional ; attendait que son ultime organe lui soit greffé avant d'être à jamais abandonné sur son promontoire solitaire. Les plus petites coquilles -couteaux, porcelaines et palourdes- dessinaient sur la terre les esquisses de racines inachevées sur lesquelles Käjya veillait ne pas marcher, remontant cérémonieusement jusqu'au tronc de carapaces.

Cet instant, tant de fois redouté, était donc venu. Celui où elle devrait dire adieu à son enfance, à ses aspirations candides, à ces jours ensoleillés embaumés par les effluves salines des embruns ; renoncer définitivement à ses stériles espoirs, ses vaines chimères que sa foi démesurée lui présentait sans cesse pour mieux la complaire dans ses déraisonnables caprices, la maintenir sur les flots tranquilles du déni. Le temps, hélas, n'était plus à cela. Pressant comme la migration des oiseaux aux frimas de l'hiver, il lui inspirait de chasser au loin ses irréalistes prières, de les condamner à l'exil. De saluer, une dernière fois, la mémoire de celle qui l'avait menée aux confins du monde par ses simples mots, aux dernières limites de son être par son essence seule. Il était temps, quelles que fussent ses réticences, de laisser partir Hilde vers cette ligne céleste qui l'avait tant inspirée par le passé.

Ses mains tremblantes accentuaient leur poigne sur la conque, à mesure que son cœur palpitait plus férocement qu'alors dans sa poitrine. Il n'était plus approprié de se laisser aller aux larmes désormais, quand leur dernière entrevue était preste de s'achever. Elle ne voulait pas teindre de regrets le dernier palladium de leur relation, poser sur de longues années d'amour une pièce lourde d'un amer fardeau.

Un tantième souffle de vent était venu s'engouffrer dans les coquilles, une voix étrangère s'était mêlée au chœur auparavant mélodieux, à présent presque céleste. Käjya avait suspendu son pas, son regard attiré vers l'horizon.

Au-devant d'elle, une large conque trônait fièrement au sommet du cairn, joignant sa louange à celle de ses compagnes. Une conque irisée, aux reflets fauves sur laquelle glissaient encore les derniers vestiges de l'océan, gouttes salées redessinant ses courbes harmonieuses. Une conque qui ressemblait à Hilde.

Et Käjya s'était mise à sourire, une vague de bonheur balayant de son âme les dernières affres qui la malmenaient. Car elle savait, au fond d'elle-même, que la ligne d'horizon ne s'était pas contentée de seulement laisser entrouvert le portail menant au monde des morts.

La conque, accompagnée par toutes ses compagnes, de nouveau avait entonné sa lente litanie.


Texte publié par Yukino Yuri, 27 septembre 2020 à 17h07
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